Suivre vos paramètres physiologiques à l’écran pourrait diminuer votre stress… ou bien l’augmenter

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Les bracelets, montres connectées et smartphones nous informent de nos paramètres physiologiques (Intel Free Press via Flickr CC BY 2.0)

Les bracelets, montres connectées et smartphones nous informent de nos paramètres physiologiques (Intel Free Press via Flickr CC BY 2.0)

Le phénomène de “quantified-self” (soi-quantifié) prend de l’ampleur : il y a de plus en plus de personnes adeptes du suivi à écran de leurs propres paramètres physiologiques. Un phénomène propulsé par la multiplication des capteurs à bas coût (inclus parfois dans les vêtements) et par la profusion des Applis gratuites ou payantes proposées aux possesseurs de smartphones et tablettes. Mais que sait-on de l’effet de cette pratique sur notre bien-être mental ? Garder son corps sous surveillance cela ne peut-il pas être… stressant ?

Une équipe de chercheurs de l’université de technologie d’Eindhoven (Pays-Bas) s’est penché sur ces questions. Et ses conclusions ouvrent bien des pistes de réflexion. Selon leur étude, l’une des premières du genre, l’effet stressant ou au contraire apaisant du soi-quantifié est fonction de la personnalité de celui qui s’y adonne et de la situation dans laquelle il se trouve – fonction savamment évaluée et chiffrée par les chercheurs à l’aide de modèles et méthodes statistiques.

 Régler ses paramètres de bien-être ou de stress sur les chiffres de l’écran

L’étude, qui a mobilisé 36 femmes et 38 hommes volontaires de 18 à 67 ans (27 ans de moyenne) et s’est concentrée sur le seul monitoring de la fréquence cardiaque, nous apprend d’abord de manière générale un fait inédit : les personnes ont une petite tendance à régler leur état de stress ou de bien-être suivant les données relayés par l’écran… Ce qui peut avoir du bon et du mauvais.

C’est mauvais dans une situation stressante, par exemple un calcul arithmétique à faire de tête (exercice demandé par les scientifiques). Les volontaires ayant accès à écran à leur fréquence cardiaque ont noté leur stress avec des niveaux supérieurs à ceux de volontaires soumis à la même tâche mais sans accès à leurs données.

Une échelle numérique de notation

La notation portait sur quatre propositions : “durant le test je me suis senti… 1) stressé, 2) calme, 3) relaxé, 4) tendu”. Pour chaque proposition, le candidat devait indiquer son jugement en choisissant l’une des 5 réponses suivantes : Pas du tout d’accord, Pas d’accord, Ni en désaccord ni d’accord, D’accord, Tout à fait d’accord. Cette notation, dite Échelle de Likert, permet de calculer des points en fonction des réponses apportées – ces notes subjectives étant pondérées par les données objectives des fréquences cardiaques enregistrées.

Dans une situation plutôt tranquille, par exemple durant l’écoute d’un morceau de jazz doux, c’est l’effet inverse qui a dominé : les volontaires du premier groupe notaient un état de bien-être (ou de manque de stress) supérieur à celui de l’autre groupe.

 La personnalité en jeu

Ce résultat, selon les chercheurs néerlandais, pourrait s’interpréter de deux manières : soit le monitoring de soi met les gens plus à l’écoute de leur corps, soit les gens croient aux chiffres mesurés aveuglément, ou du moins sans être plus à l’écoute du corps…

De fait, l’étude, qui a consisté en des séances de tests à l’écran de 20 minutes répétées plusieurs dizaines de fois avec différents groupes de volontaires, est très riche en pistes de ce type. Notamment, elle intègre des données sur certains traits de personnalité des volontaires.

 Les anxieux feraient mieux de s’abstenir

Concrètement, sont pris en considération deux des cinq personnalités définies dans le Handbook of Personality: Theory and Research (qui fait référence en psychologie) : la personnalité névrotique et la personnalité anxieuse. A l’aide de questionnaires à 8 et 16 questions destinées à mesurer le niveau de nevrotisme (ou neuroticisme ou névrosisme ou neurotisme) et d’anxiété de la personnalité des volontaires, sur une échelle de 1 à 7, les chercheurs ont pu inclure dans leur modèle statistique l’effet du monitoring en fonction de la note obtenue dans ces questionnaires.

Pour les personnalités de type très névrotique, qui ont une forte tendance à ressentir les choses négativement, les chiffres ont montré que l’accès à leur monitoring cardiaque les apaisait plutôt. Les chercheurs supposent que cela est lié à la vision négative qu’ils ont d’eux : pessimistes, ils sont rassurés quand ils constatent que leur rythme cardiaque n’est pas aussi élevé qu’ils le craignaient. Mais pour les personnalités anxieuses, l’effet serait inverse : l’accès au monitoring augmente le stress.

 Vers de nouvelles Applis ?

Ce type de recherche est encore trop rare à cause de la nouveauté du phénomène. Et comme l’admettent les chercheurs, il n’est qu’une esquisse appelée à être améliorée par de nouvelles études. Mais il pourrait déjà peut-être inspirer l’idée d’interfaces et d’applications de quantified-self plus en accord avec des facteurs de personnalité qu’on ignorait jusqu’ici…

— Román Ikonicoff

 

> Lire également :

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

  • Objets connectés : tous piratables ! – S&V n°1163 – 2014 – Ordinateurs, tablettes, smartphones, mais aussi voiture, frigo, compteur électrique… Là où il y a de l’informatique, il y a l’ombre d’un pirate à l’affut.

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  •  Google, le nouvel Einstein – S&V n°1138 – 2012 – Depuis 2005 environ, la plupart des données qui circulent dans la Toile sont conservées dans les serveurs des grandes firmes d’internet. Grâce à cela, nous possédons une mémoire détaillée des activités humaines et des évènements passés et présents… que les scientifiques exploitent pour pister des épidémies, découvrir de nouvelles lois, soigner des maladies. La science des Big Data est en route.

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Synchronisation des horloges : une énigme de 350 ans en passe d’être résolue

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Le phénomène de synchronisation des balancier d'horloges accrochées au mur était une énigme depuis 350 ans (Czolczynski, K. et al, 2011)

Le phénomène de synchronisation des balancier d’horloges accrochées au mur était une énigme depuis 350 ans. Sur la photo, la synchronisation n’est pas encore obtenue (Czolczynski, K. et al, 2011)

C’est le Néerlandais Christiaan Huygens qui, en 1665, avait détecté l’étrangeté. Ce grand esprit du XVIIe siècle s’était étonné de voir que deux horloges à balancier – dont il est d’ailleurs l’inventeur – accrochées cote-à-cote finissaient par synchroniser le mouvement des masses oscillantes. Peu importait le mouvement initial : en quelques dizaines de minutes, les balanciers se stabilisaient dans un mouvement en parfaite opposition de phase.

Depuis lors, des générations de chercheurs ont tenté d’expliquer le phénomène, sans en finir totalement avec l’énigme, jusqu’aux travaux d’un mathématicien et d’un physicien de l’université de Lisbonne (Portugal). Les chercheurs semblent avoir trouvé la réponse la plus complète et générale, pouvant même s’appliquer à des oscillateurs électroniques.

 Deux horloges unies par une étrange sorte de “sympathie

Huygens a raconté sa trouvaille dans plusieurs lettres à son ami mathématicien René-François de Sluse en 1665, où il qualifie le phénomène de “sympathie” entre les horloges. Il l’avait observé pour la première fois sur deux horloges accrochées au mur (alors qu’il était alité dans sa chambre) mais par la suite il ne l’avait étudié que dans le “cas de laboratoire” où elles sont suspendues à une barre en bois tenue par  deux chaises, comme le montre son dessin :

Dessin original de Huygens sur son expérience avec les horloges

Dessin original de Huygens sur son expérience avec les horloges

Huygens pensa d’abord que la synchronisation se faisait via les masses d’air déplacées par les balanciers, mais plus tard il se rectifia en postulant que l’effet était transmis par les mouvements (ou les oscillations) de la barre en bois consécutifs aux va-et-vient des balanciers… Sans le savoir, Huygens mettait le doigt sur ce qu’on appela bien plus tard les “systèmes chaotiques déterministes”, dont il ne possédait pas les outils mathématiques nécessaires à leur analyse.

 Une énigme déjà résolue, mais dans un cas particulier

L’effet est devenu au fil des ans une énigme de la physique, additionnant des explications partielles de la part de chercheurs qui se sont succédé. Et finalement l’explication a été trouvée au “cas de laboratoire”… Mais quid des horloges accrochées au mur, qui avaient inspiré le savant ? Aujourd’hui, l’énigme semble avoir trouvé sa conclusion après 350 ans de recherche.

De fait, le cas de laboratoire a été modélisé avec l’hypothèse de micro-mouvements de la barre soutenant les deux horloges. Selon la théorie, les deux horloges et la barre forment un système mécanique chaotique dont les déplacements internes évoluent vers une configuration stable, la seule du système (hormis l’immobilité), où l’opposition des battements stabilise la barre horizontalement.

Des “solitons” à la place des horloges

Mais avec un mur rigide, il n’y a pas de déplacement ! Comment alors transposer cette explication au cas du mur ? Les chercheurs ont alors développé un modèle reposant sur l’idée d’ondes sonores se propageant dans le mur. Des ondes produites deux fois par cycle de battement, provoquées par le clic de l’échappement. Or ces ondes solitaires traversant le mur sont un cas de ce que l’on nomme en physique des “solitons“. On en trouve en physique des matériaux, en cristallographie, en électronique, etc.

Photo of the experimental setup. The clocks can be seen hanging from the Al rail. The weights are outside of the picture. The cables in the background connect the optical sensors.

Montage expérimental des chercheurs afin de mesurer le processus de synchronisation des balanciers via des capteurs optiques (Crédit : Oliveira & Melo).

Grâce à ce concept, les chercheurs ont pu développer leur modèle avec les outils de la théorie du chaos et en s’inspirant des travaux préalables. En substance, les solitons envoyés de part et d’autre à travers le mur perturbent physiquement de manière microscopique le déroulement du mécanisme des horloges. Et le modèle montre que ces perturbations réciproques se compensent quand les battements des horloges sont en opposition.

Un modèle pour l’électronique

Le modèle étant formel, il n’y est question ni d’horloge ni de mécanique, seulement de solitons, de systèmes oscillatoires, de paramètres physiques du milieu traversé. Aussi, comme le précisent les chercheurs, il peut s’appliquer aux oscillateurs électriques, où ce sont des flux d’électrons qui oscillent, et à la question de leur couplage magnétique ou autre. Un phénomène au cœur de l’électronique des microprocesseurs, suivi à la loupe par les ingénieurs. La modélisation pourrait y trouver sa niche…

— Román Ikonicoff

 

> Lire également :

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

  • Le chaos est finalement partout ! – S&V n°1111 – 2010. Comme pour l’expérience de Huygens, la physique du chaos déterministe semble se retrouver partout, à condition d’observer à la bonne échelle.

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  • La montre mécanique du troisième type – S&V n°1137 – 2012. Les horloges et les montres ont été l’une des grandes inventions techniques de tous les temps, aussi bien pour la vie sociale que pour la recherche scientifique. Depuis Christiaan Huygens, leur inventeur, les choses on changé… à peine.

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