“Le tissu vivant de la planète est un entrelacs de fils, uniques et solidaires”

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De la fenêtre de son bureau niché dans le Jardin des Plantes, on aperçoit des arbres séculaires, des fleurs, des oiseaux et tout le fourmillement de vie qui salue le printemps. Quel meilleur écrin de nature au coeur de la capitale pour rencontrer le spécialiste en évolution biologique passionné de diversité ? Convaincu de l’urgence de « tenir compte de l’histoire naturelle et de tous les enjeux intellectuels, sociaux, culturels, économiques, éthiques et vitaux qu’elle englobe », dès son arrivée à la tête du Muséum, en 2015, Bruno David a réuni des experts de divers horizons afin de lancer un appel aux pouvoirs publics et aux citoyens (Manifeste du Muséum). C’est donc en ses qualités de scientifique et d’humaniste que nous lui avons demandé de brosser pour nous un tableau de la nature aujourd’hui, à la fois vénérée et tellement malmenée.


Le mot « biodiversité » est entré dans le vocabulaire courant. Désigne-t-il autre chose que la…

Des choix individuels cohérents pour « agir globalement »

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« Tout est lié. » Facile à retenir, le mantra de Laudato si’ vire au casse-tête chinois si l’on songe à sa mise en pratique. Car il pointe à la fois le problème et la solution : chacune de nos actions a des répercussions multiples, pour la plupart cachées, qu’il nous faut apprendre à repérer en renouvelant notre regard. Travail, déplacements, logement, alimentation… Pas une dimension de notre vie n’y échappe. Et l’incohérence nous guette à chaque coin de rue. Malgré tout, il faut bien commencer par quelque chose.


La démarche « zéro déchet » est peut-être l’une des meilleures entrées en la matière. « Le déchet est le symptôme de notre société de consommation, estime Jérémie Pichon, auteur avec sa femme, Bénédicte Moret, de Famille (presque) zéro déchet puis de Famille en transition écologique (Thierry Souccar). S’attaquer au déchet, c’est s’attaquer au système. » En trois ans, avec sa femme et ses deux enfants, il est passé d’une poubelle de 30 litres par semaine (un peu moins de la moyenne française) à un bocal par an (1 litre) ! « Quand on regarde dans notre poubelle, on voit la partie immergée de l’iceberg de notre vie, explique-t-il. Souvent, notre consommation a des effets à l’autre bout du monde, ce qui complique la responsabilisation des individus. »


Témoignage : tenir le cap du zéro déchet


Si l’on remonte de la conséquence à la cause, c’est toute l’alimentation et la consommation familiales qui sont chamboulées. Adieu grandes surfaces et produits suremballés, bonjour circuits courts, magasins de vrac et achats d’occasion ! Le partage des outils de bricolage et de certains appareils électroménagers avec les voisins est aussi un vecteur puissant. « Rien ne sert d’avoir un appareil à raclette par famille, sauf peut-être en Savoie », ajoute Jérémie Pichon. La voiture subira le même sort. À la clé, le foyer aura réalisé 30% d’économies sur son budget habituel, ce qui peut permettre de réduire son temps de travail pour se consacrer à sa famille ou à des activités bénévoles.


Réduire ses déchets…et son budget.


Le travail, justement, auquel nous consacrons tant de temps, est un autre secteur clé à passer au crible du « tout est lié ». Multiplier les petits gestes à la ­maison tout en faisant quotidiennement tourner une entreprise à l’impact social et environnemental néfaste manque de cohérence. « Pour des problèmes de logements mal isolés, nous vendions des poêles à pétrole de mauvaise qualité. J’avais le sentiment d’être dans la rustine et pas dans la solution la plus globale », raconte Geoffroy Auzou, ancien cadre commercial dans un magasin Leroy Merlin de Seine-Saint-Denis. Après avoir pris une « claque » à la lecture de Laudato si’ et rencontré sa femme, fervente écologiste, il s’est reconverti dans le domaine du bâtiment écologique grâce à des formations en partie financées par la région.


Les entreprises doivent avoir une finalité écologique et sociale.


Mais une telle prise de conscience n’est pas aisée, car les entreprises les plus polluantes entretiennent souvent le flou sur leur impact réel, prévient Pierre-Louis Choquet, chercheur en sciences sociales et auteur avec Anne Guillard et Jean-Victor Élie de ­Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien (Éditions de l’Atelier). « Ces questions sont très complexes, et on ne peut pas exiger de chacun qu’il instruise les exigences du dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) », nuance-t-il. Une complexité redoublée pour ceux qui travaillent dans les bureaux des grandes multinationales, qui ne voient pas aisément l’effet concret de leur action. « Soit cela crée un mal-être chez les employés qui veulent changer, soit cela favorise une forme de complicité passive. »


Investir dans l’épargne solidaire


Autre poste à fort impact global : l’argent. C’est le nerf de la guerre et, pourtant, une fois qu’il est placé à la banque, nous n’avons que très peu de prise sur ce qu’il financera réellement. Pour reprendre la main, Enora ­Fillatre, habitante de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), a investi son épargne dans un projet éolien local par le biais d’un Cigales (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire), né dans les années 1980. Il s’agit d’une mise en commun de son épargne, avec 5 à 20 personnes, pour investir dans des projets « d’utilité sociale, environnementale ou culturelle ». Le recrutement des investisseurs fonctionne surtout grâce au bouche à oreille, localement. « Nous nous sommes lancés avec quelques copains du coin. Au moins, je sais que l’argent que j’ai investi part sur ce…

Se marier ou reporter : le dilemme des fiancés 2020

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16 mars, premier jour du confinement, 15 heures. Hubert et Alix, qui se sont déjà dit « oui » à la mairie, reçoivent un appel du prêtre qui les prépare au mariage. « Le maintien de votre mariage en mai est incertain. Voilà ce que je vous propose : je vous marie aujourd’hui même. » Trois heures plus tard, ils se disent « oui ». Dans les rangs parsemés de l’église, se sont joints quelques amis. Les parents d’Hubert sont de la partie mais ceux d’Alix n’ont pas pu, dans l’urgence, rejoindre la jeune mariée. 


La jeune femme dont la robe blanche est encore chez la couturière, porte une tenue rose, la plus claire de son placard. Faute d’alliance, ils en ont emprunté aux convives. On passe sur la traditionnelle formule cocktail, dîner, soirée. Ce soir, pas de restaurant ouvert pour célébrer l’événement. Et en guise de voyage de noces, un confinement dans l’appartement d’Hubert où ils commencent leur vie à deux. Les tourtereaux ne regrettent rien de leur mariage atypique et encouragent même leurs amis à faire de même.


Incertitude


Car ils ne sont pas les seuls à revoir à la baisse leurs exigences pour le jour J, 80 % des mariages étant chaque année répartis entre fin mars et septembre, selon les professionnels. Pendant le confinement, tous les mariages civils ont été annulés. Aujourd’hui encore, certaines mairies, zones vertes et rouges confondues n’autorisent toujours pas les mariages jusqu’au 2 juin, sauf cas d’urgence. Or, aucun mariage religieux ne peut avoir lieu sans cérémonie civile en amont. Et même dans une commune favorable, toute célébration religieuse ne devait pas dépasser 10 personnes jusqu’au lundi 19 mai. Bien que le Conseil d’Etat ait décidé à cette date de lever l’interdiction de se rassembler dans les lieux de culte, les mariés ne savent pas encore combien de personnes ils pourront réunir dans les églises. En attendant des décisions gouvernementales fin mai, les mariés de cette saison particulière poursuivent donc l’organisation de leur célébration à l’aveugle.


La célébration du sacrement est pour les mariés l’occasion de témoigner de leur foi à leurs amis non-croyants. En petit comité, ils ont le sentiment d’y perdre quelque chose. - Cédric Anastase, prêtre à Paris.


Pour certains, il est plus prudent de décaler la date à l’automne, voire à 2021. « Nous voulons être entourés de ceux que nous aimons, notamment nos grands-parents. A cela s’ajoute le risque sanitaire », expliquent Sixtine et Louis qui reportent à mai prochain leur mariage religieux. Depuis la Corse où ils habitent avec leur enfant, l’organisation était devenue très compliquée : « Les prestataires étant peu joignables, finalement, c’est plus simple ainsi. » « Le mariage est un sacrement missionnaire, ajoute Cédric Anastase, prêtre de Saint-Léon à Paris, qui accompagne des mariés depuis cinq ans. La célébration du sacrement est pour les mariés l’occasion de témoigner de leur foi à leurs amis non-croyants. En petit comité, je comprends qu’ils aient le sentiment d’y perdre quelque chose. »


Coûte que coûte


Pour d’autres, qu’importe le nombre d’invités, le mariage se déroulera à la date prévue. « Nous sommes sereins, témoigne Victoire qui épousera François-Henry en août. Nous ne savons pas à quoi ressemblera notre mariage, mais nous nous abandonnons. L’important, c’est que nous soyons mariés devant Dieu. » L’un en Bretagne, l’autre en Ile-de-France, les fiancés ne s’installeront ensemble qu’à l’issue du mariage. Raison de plus à leurs yeux, de ne pas le repousser. 


Ce qui était important c’était le triptyque Hubert, Alix et le bon Dieu.


Même cheminement pour Hubert et Alix : « Nous nous sommes demandé “qu’est-ce qui nous retient de ne pas nous marier aujourd’hui ?” Or, nous n’avons pas trouvé de raison qui vaille. Ce qui était important c’était le triptyque Hubert, Alix et le bon Dieu. » Pour une autre Sixtine, dont le mariage en juin avec Léonard est décalé à juillet, cette épreuve est l’occasion d’un travail sur soi : « J’aime bien tout organiser, raconte la jeune fille, or, je suis en train de lâcher prise. Je me recentre sur l’essentiel. Et je réalise que pour moi, l’essentiel ce ne sont pas les invités, même si je préférerais que tout le monde puisse venir. » Le père Cédric Anastase abonde : « En petit comité, on vide la célébration de sa surreprésentation sociale qui détourne parfois du principal : deux êtres qui se donnent l’un à l’autre. »


S’adapter


Dans tous les cas, il faut revoir toute l’organisation. Moins d’invités, une situation incertaine, des arrhes… En amont, les fiancés doivent contacter les prestataires : location de salle, traiteur, photographe, DJ. Il faut réadapter le lieu de réception au nombre de convives. En petit comité, on peut privilégier les lieux familiaux, d’autant plus que la limitation à 10 personnes dans le cadre privé n’a pas été retenue par le Conseil constitutionnel. À condition que les lieux soient suffisamment grands pour respecter les distances de sécurité. Un couple qui décale son mariage peut convenir avec ses prestataires d’une nouvelle date, afin d’éviter les pertes de frais, s’ils ont payé des arrhes, et de pénaliser les prestataires qui comptent sur eux (et dont la situation financière a été fortement fragilisée par le confinement). On peut même se marier en semaine, pour s’assurer de leur disponibilité.


S’ajoute le dilemme du choix des invités. Se passer des anciens pour les protéger ? Sélectionner les amis ? Il faut aussi compter sur le fait que parmi les invités, certains déclineront par crainte du virus. Il est conseillé de leur communiquer les informations par mail ou via les réseaux sociaux plutôt que par voie postale, moins efficace ces temps-ci.


Pour la célébration, des mariés retransmettront la messe en live pour les absents via les réseaux sociaux. Ou encore, installeront un dispositif de retransmission sur le parvis de l’église pour une partie des invités.


Concernant la réception, des pages Facebook d’organisation de mariage destinées aux catholiques préconisent différentes formules d’invitations. L’idée est de séparer par groupes les invités, pour en voir un maximum sans déroger à la loi. Cocktail avec la famille élargie, dîner avec la famille proche, soirée avec les amis, par exemple. La réception peut aussi s’étaler sur plusieurs jours. En termes sanitaires, pourquoi ne pas proposer aux invités de porter des masques aux couleurs du cortège ? de disposer des bouteilles de gel hydroalcoolique sur les tables ? Et il est tout à fait permis d’installer les aînés à l’écart afin de les protéger.


Pays en crise, couples en péril


Parfois, la crise a raison du mariage. Selon une étude IFOP réalisée fin avril en France pour la plateforme Charles.co, 4 % des couples confinés avec leur conjoint ont décidé de rompre de manière définitive. C’est le cas d’Inès (le prénom a été changé). Elle n’habitait pas avec son fiancé mais le confinement l’a amenée à le rejoindre chez ses parents. Débarquée dans une famille plutôt anxieuse, elle a rapidement eu la sensation d’étouffer. Psychiquement instable, son fiancé s’est même révélé verbalement et psychologiquement violent. « C’est devenu malsain. Je suis partie pour prendre du recul. » Sans la crise et le confinement, elle n’aurait pas découvert ces facettes d’elle-même et de son fiancé. Le couple a décidé d’annuler le mariage. Si la rupture est douloureuse, elle n’en est pas moins salvatrice pour la jeune femme qui a « retrouvé la présence de Dieu et la paix ». Une crise qui permet, malgré l’épreuve, de renouer ce qui est le plus important pour chacun, et de redécouvrir l’importance de l’engagement.

Déconfinons notre créativité !

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Olivier Auroy nous avait prévenu : « La créativité en captivité est un de mes sujets de prédilection ! » L’homme, il faut le souligner d’emblée, est un être peu banal : il est en effet onomaturge. Souffrirait-il d’une affection invalidante qui le contraint à s’exprimer exclusivement par onomatopées, une tare méconnue qui amoindrit considérablement le plaisir d’une conversation avec lui ? « Vous n’y êtes pas du tout. Un onomaturge est quelqu’un qui fabrique des mots, un créateur de noms. Et c’est même un métier ! » Ce jour-là, Olivier Auroy, cantonné à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) pour cause de crise sanitaire, se livre précisément à son exercice privilégié : façonner des verbes, forger des vocables, nommer les mystères qui l’entourent.


« Je n’ai pas encore trouvé de nom pour désigner le fait d’applaudir les soignants à nos fenêtres… Peut-on parler de “médicâliner” ? Je réfléchis encore… » On l’imagine aisément attaché par la cheville à son thésaurus, la plume grattant le papier jauni, baptisant de sa sueur des mots sur les fonts baptismaux de son écritoire. Parmi ses inventions, quelques trouvailles de joli calibre : le « fouting » (« faire son jogging malgré la consigne »), « éducaptif » (« piégé par la reprise prématurée des cours »), « se promiscuiter » (« se saouler en petit comité dans un espace réduit ») ou encore « psycho-pâte », nom masculin désignant un « serial stockeur » de féculents…


Joyeuse ébullition


Onomaturge depuis un quart de siècle, œuvrant pour des marques de vêtements pour enfants ou de parfums, Olivier Auroy a eu le désir, au début du confinement, de disséminer ses mots-valises sur les réseaux sociaux Twitter et Linkedin. Des graines de sémantique qui ont germé dans un lexique pandémique, le Dicorona. « Tous nos gestes, tous nos actes sont aujourd’hui perçus au travers du prisme du Covid-19 : ce que nous mangeons, la façon dont nous nous déplaçons, notre rapport au travail, nos relations… Or, nous sommes dépourvus de noms pour décrire ces situations et comportements inédits. » Olivier Auroy, auteur de plusieurs romans, s’est appliqué à la tâche, soutenu par un goût des mots qui doit énormément à l’atavisme : « L’un de mes grands-pères, à la fin de sa vie, champion de Scrabble, ne supportait pas de faire moins de 300 points dans une partie. C’était obsessionnel. Et l’autre, mort à 107 ans, était un passionné de mots croisés. »


Le confinement, en nous imposant ses contraintes, a certainement suscité une effervescence créatrice !

– Olivier Auroy, onomaturge (qu’est-ce que c’est ? La réponse est dans l’article)


Le confinement a-t-il stimulé la créativité de l’onomaturge ? « Tous les artistes savent que la créativité consiste précisément à s’exprimer pour se libérer d’un cadre strict, pour contourner des règles, s’extraire d’un carcan. Elton John a souvent expliqué qu’il ne serait jamais devenu une pop-star s’il n’avait pas grandi dans la banlieue londonienne de Pinner, où il s’est beaucoup ennuyé. En ce sens, le confinement, en nous imposant ses contraintes, a certainement suscité une effervescence créatrice ! » Vidéastes amateurs, diaristes de circonstance (espérons que les éditeurs nous épargneront la propagation des journaux de confinement dans les librairies !), photographes improvisés, humoristes fortuits (pour le meilleur et pour le pire), musiciens incorrigibles… chacun de nous a pu constater, parfois subir, cette joyeuse ébullition. Et participer à l’un de ces défis créatifs qui ont fleuri sur les réseaux sociaux : reproduire chez soi des tableaux (un défi lancé par le Getty Museum de Los Angeles), empiler des livres pour former un poème avec les titres imprimés sur les tranches – « Les Doigts dans le nez / Mange et tais-toi ! », par exemple (oui, nous avons relu les San-Antonio de Frédéric Dard durant le confinement)…


« Ce bouillonnement me paraît compréhensible, les gens ont eu très vite besoin de s’accorder des pauses récréatives », explique Matthieu Viellot, initiateur d’une plateforme numérique solidaire et participative (sans-sortir.com), lancée avec l’association les Collecteurs, à Niort (Deux-Sèvres). « Si notre priorité est de recréer du lien à l’échelon local, en diffusant des informations de proximité, nous avons mis en place un mur d’expression libre et des défis créatifs, où chacun peut exposer ses oeuvres », précise ce trentenaire, directeur artistique dans la communication virtuelle. Cette « galerie d’art entre voisins » rassemble des dessins, des photos, mais aussi des aphorismes (« En mai, rêve ce qu’il te plaît »), des poèmes… « La créativité ne s’exprime pas seulement dans l’art, mais également dans la vie quotidienne : des couturières ont partagé des patrons de masques, des profs de gym ou de yoga ont inventé des exercices à pratiquer à la maison. L’imagination nous a aidés à supporter le confinement. »


Intuitions foudroyantes


Ce jaillissement d’idées nouvelles et cette irruption de la créativité – « De l’intelligence qui s’amuse », selon Albert Einstein – ne surprennent pas Guy Parmentier. Chercheur dans le domaine des phénomènes de créativité, maître de conférences en sciences de gestion à l’école universitaire de management Grenoble IAE, à l’université Grenoble-Alpes, il rappelle que cette aptitude, trop souvent considérée comme l’apanage des grands esprits, est intrinsèque à la nature humaine. « Il suffit d’observer les bébés et les enfants dans leurs explorations quotidiennes. Cette capacité naturelle s’assagit avec les années, elle est ensuite bridée par l’éducation, elle se tempère avec les échecs. On a tendance à la confiner dans un espace restreint, mais cette capacité à aller au-delà du monde, à imaginer le futur et à surmonter les problèmes qui se posent est un phénomène inhérent à toute société. »


Sans être traversés, chaque jour, par des « idées de rupture », des intuitions foudroyantes qui révolutionnent le monde, nous sommes tous créatifs. Isaac Newton, rappelons-le, a posé les bases de la loi de la gravitation universelle durant l’épidémie de peste noire qui a sévi en Angleterre en 1665 et 1666, confiné dans la demeure familiale…


La crise du Covid-19 est favorable à la créativité, en créant un sentiment d’urgence.

– Guy Parmentier, chercheur dans le domaine des phénomènes de créativité


Mais on peut tout aussi bien faire preuve de créativité en sortant une tarte aux pommes du four ! Dans leur ouvrage la Confiance créative (Interéditions, 2016), les frères Tom et David Kelley, spécialistes de l’innovation, ont rappelé que le manque de créativité était lié à l’absence de confiance en soi. La créativité, comme un muscle, se renforce par l’expérience, s’entretient par le travail. « Dans ce domaine, la crise du Covid-19 est favorable à la créativité, en créant un sentiment d’urgence », analyse Guy Parmentier, également contributeur du site The Conversation, qui propose du contenu issu du milieu universitaire. « Elle a été un formidable activateur. Face à l’urgence, il a fallu s’impliquer pleinement dans la résolution de problèmes nouveaux, agir sous la contrainte d’une situation exceptionnelle, mais une contrainte qui ne doit pas décourager ou paralyser. La motivation est à la base de la créativité. »


L’un des exemples les plus singuliers, non pas dans l’univers artistique, mais dans le domaine industriel, provient d’Italie. Confronté à une urgence – la pénurie d’équipements dans les hôpitaux –, l’institut de recherche Isinnova a transformé des masques de plongée de la grande distribution en respirateurs pour les établissements hospitaliers, en concevant et fabriquant à l’aide d’une imprimante 3D un tube de raccordement. « Toutes les inventions naissent de ce genre de télescopage entre des univers éloignés. Ces associations sont au cœur de la créativité. Parfois, un hasard heureux joue un rôle, et permet une découverte inattendue, c’est ce qu’on appelle la “sérendipité”. » Poser les « bons problèmes », imaginer de nouvelles associations, échapper aux « cadres de pensée dominants » : la crise du Covid-19 a pu fournir un contexte favorable à la créativité. « Mais le confinement peut aussi avoir des effets néfastes sur l’imagination, insiste le chercheur. Pour créer, il faut pratiquer d’autres activités, se promener, s’aérer… L’esprit travaille en arrière-plan. Le mathématicien Henri Poincaré a relaté ce processus, fait de préparation préliminaire, d’incubation… De nombreuses études scientifiques ont montré que la créativité dépendait du travail inconscient qui s’opère dans notre cerveau. »


Vertus de la torpeur


Pour autant, cette vitalité créatrice, si elle nous a soutenus durant le confinement, pourra-t-elle perdurer ? À l’œuvre dans les domaines de l’art, de l’innovation industrielle ou de la vie quotidienne, pourra-t-elle nous aider à mieux vivre la période d’un déconfinement incertain et progressif ? « Je pense que certains éléments resteront. Des idées étaient en germe. La crise a révélé de nouvelles formes de solidarité, des collectifs de voisins, des collaborations nées hors des cadres traditionnels. Elle a démontré l’efficacité du travail en groupe, ou d’une “socialisation des idées” : les idées s’enrichissent les unes les autres. Je pense par exemple à cette société polonaise, Urbicum, qui a développé un respirateur open source (disponible pour tous) à imprimer en 3D. Il y a là des pistes à explorer pour l’avenir », soutient Guy Parmentier.


L’ennui nous aide à réagir, il permet une sorte de divagation intellectuelle qui peut aboutir à ce fameux eurêka !

– Sylvie Chokron, neuropsychologue


Pour certains d’entre nous, la crise sanitaire et le confinement ont pu provoquer une prise de conscience. Révéler un potentiel créatif. « Ressentir l’ennui et se confronter à la contrainte sont les conditions qui permettent de créer. L’ennui a une fonction adaptative, il nous aide à réagir, à réorienter nos buts. Il permet une sorte de divagation intellectuelle, de vagabondage mental, qui peut aboutir à ce fameux eurêka ! », explique Sylvie Chokron, neuropsychologue, directrice de recherches au CNRS, qui œuvre au laboratoire de psychologie de la perception de l’université Paris-Descartes et dirige l’unité vision et cognition de l’Hôpital-Fondation Rothschild. Signataire d’une carte blanche dans Le Monde sur l’ennui au secours de notre créativité, elle insiste toutefois pour relativiser les vertus de la torpeur et les bienfaits d’un confinement qui nous métamorphoserait tous en créateurs radieux : « Il est très difficile de déterminer quels ont été les facteurs déclenchant cette inventivité. Est-elle due au contexte d’une situation inédite, à une angoisse énorme, à un besoin de se désinhiber, à une combinaison de tous ces éléments ? »


La science le confirme


Et s’il est vrai que, aiguillonné par l’ennui, notre esprit peut rêvasser, dériver vers des territoires mentaux enchanteurs, cette « explosion de créativité » est loin d’être partagée par tous. N’est-elle pas l’expression d’une situation privilégiée ? « Beaucoup d’entre nous ont subi la crise de plein fouet. Je pense aux personnes seules, à celles qui ont été mises au chômage, à celles qui ont dû vivre dans des conditions psychologiques ou matérielles insupportables… Une partie de la population n’a pas été dans cet élan de la créativité et cette énergie débordante. » Si elle redoute une décompensation, des effondrements individuels, Sylvie Chokron veut croire à la persistance de quelques leçons apprises : « Stoppés brusquement dans leurs mouvements incessants, nous avons sans doute pris conscience de la vacuité de certains comportements. La période de confinement a été suffisamment longue pour ancrer de nouvelles façons de penser et de faire. » La créativité, dans ce domaine, pourrait être une réponse à ces inquiétudes. Une exigence illustrée à merveille par cette phrase d’Albert Einstein : « La créativité est contagieuse, faites-la tourner. »


L’ennui et la répétition de tâches rébarbatives sont propices à la créativité. Chercheuses en psychologie de l’université du Lancashire central, les Britanniques Sandi Mann et Rebekah Cadman l’ont démontré lors d’une expérience effectuée en 2012. Après avoir demandé à 40 personnes de recopier un annuaire pendant un quart d’heure, elles les ont incitées à s’atteler à une activité plus créative (utiliser des tasses de différentes manières). Il s’est avéré que ces personnes étaient plus créatives que des individus qui n’avaient pas été soumis à l’exercice de l’annuaire. Dans d’autres études, effectuées en 2014 à l’université de Pennsylvanie par Karen Gasper et Brianna Middlewood, des cobayes ont trouvé des associations de mots beaucoup plus imaginatives après avoir été soumis à des activités inintéressantes, lecture d’annuaire ou projection de film ennuyeux !


Le Dicorona d’Olivier Auroy est consultable sur Linkedin et Twitter : @olivierauroy

Dominique Marmier : “Le lien social est capital”

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Comment les territoires ruraux traversent-ils le confinement ?


La crise que nous traversons met en évidence la nécessité de mieux aménager le territoire, de décentraliser les agglomérations, de réinvestir le rural et le périurbain. L’école dématérialisée a des limites, du fait des zones blanches et parce que 30 à 40 % de foyers ne sont pas équipés. Le problème de l’illectronisme est réel dans nos territoires. L’urgence principale est la couverture numérique haut débit, afin de pouvoir télécharger un document, participer à une visioconférence, etc. La fracture territoriale est une injustice sociale qui a généré la révolte des « gilets jaunes », ne l’oublions pas. Le rural est un territoire d’avenir, à condition d’accélérer ce processus de dynamisation qui repose sur l’école, la santé et le travail à distance.


Face au confinement, les petites épiceries partent en campagne


Le gouvernement a annoncé qu’aucune classe ne serait fermée sans l’accord du maire, pour les communes de moins de 5.000 habitants. Un espoir ?


Dans nos territoires, certains élèves de CP ou de CE1 habitent à une heure de transport de leur école ! L’offre du service public, quel qu’il soit, doit être à moins de 30 minutes. L’école est une priorité, puisqu’elle donne accès à l’éducation, mais aussi à tout le périscolaire – modes de garde, accueil de loisir, etc. –, qui contribuent au développement de l’enfant et du citoyen de demain.


Dans l’Aisne rurale, les décrocheurs scolaires retrouvent le nord


La crise a aussi suscité un bel élan de solidarité…


Cette crise a multiplié les partenariats entre l’école, les parents, les collectivités, la caisse d’allocations familiales, les entreprises privées comme certaines crèches. L’État étant lointain, nous avons uni nos forces sur le terrain. Souvent, la réponse la plus adaptée vient des acteurs locaux, qui conjuguent réactivité, force et souplesse. Le tissu associatif aura toute sa place dans la reconstruction, notamment pour l’animation de proximité. Or, beaucoup d’associations, faute de trésorerie, risquent d’être fragilisées, voire de disparaître. Familles rurales expérimente déjà la création de « tiers lieux » adaptés aux besoins : espaces de coworking, crèche, aide à l’emploi, etc. Le lien social est capital. Il ne faudrait pas qu’à la crise sanitaire s’ajoute une crise sociale puis politique.

Dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance, loin de la classe, loin des parents

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« Est-ce que le COD est placé avant l’auxiliaire ? » Un stylo à la main, Inès (certains prénoms ont été modifiés) est assise devant une feuille de classeur sur laquelle elle a copié une dictée. « J’aime pas trop le français », reconnaît timidement cette élève de CM2 aux cheveux longs attachés en queue de cheval. « Pourtant tu as fait des progrès, encourage Sophie, installée à ses côtés. Simplement, tu ne peux pas écrire la terminaison du participe passé “au feeling”, comme tu dis : il faut réfléchir. » Gants bleus, masque blanc d’où dépassent des pendentifs moutarde, cette jeune assistante sociale s’est portée volontaire pour l’aide aux devoirs dans le contexte de la pandémie. Comme elle, plus de 200 membres du personnel du département de Saône-et-Loire ont accepté de venir en soutien dans les établissements de la protection de l’enfance ou en Éhpad.


Trouver des ordinateurs


La Cité de l’amitié, maison d’enfants à caractère social située à Blanzy, près de Montceau-les-Mines, accueille habituellement une trentaine d’enfants âgés de 5 à 18 ans, envoyés par l’Aide sociale à l’enfance (Ase) pour différentes raisons : carence éducative, maltraitance, troubles psychiques des parents ou des enfants. Dans le cadre du confinement, certains enfants sont retournés chez leurs parents, d’après une liste soumise à l’Ase et aux juges. Un soutien téléphonique a été instauré, quotidien ou bi-hebdomadaire, selon les situations. « Pour diminuer les risques de contamination, nous avons limité les va-et-vient, explique Audrey Kamzol, adjointe du directeur. Les droits de visite et d’hébergement ont été suspendus le temps du confinement. »


Déconfinement des écoliers : “Le jour d’après se construit dès aujourd’hui”


L’adjointe jette un coup d’œil par la fenêtre. Une fratrie doit revenir aujourd’hui, décision prise d’un commun accord avec tous les acteurs, après un mois de confinement familial devenu trop pénible. Pour éviter de propager le virus, les trois enfants sont restés 14 jours dans un gîte loué pour l’occasion. En l’absence de symptômes, ils peuvent réintégrer la structure, ce qui portera à 20 son effectif. Haut comme trois pommes, un bout de chou entre dans le bâtiment ; le masque passé derrière les oreilles lui tombe sur le menton. Sur son passage, la responsable le lui remet doucement. « On leur demande de porter un masque toute la journée, ce n’est pas facile », commente-t-elle.


Ma maman me manqueJe ne l’ai pas vue depuis le début du confinement. – Théo, 9 ans


Tous les enfants sont scolarisés dans la région, de la maternelle au lycée, ainsi qu’en lycée professionnel, institut médico-éducatif, unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) ou centre de formation. Problème : la structure ne disposait que de trois ordinateurs – réservés aux éducateurs –, avec un branchement en réseau, et, pour les enfants, d’un portable et d’un PC munis de contrôles parentaux. « Nous avons débloqué 10.000€ pour équiper les structures relevant de la protection de l’enfance et commandé 100 ordinateurs reconditionnés par une entreprise de l’économie sociale et solidaire de Gueugnon », précise Marie-Thérèse Frizot, vice-présidente du département de Saône-et-Loire, chargée de l’enfance et de la famille. Quatre écrans sont ainsi arrivés à la Cité de l’Amitié. « Ils sont utiles pour la continuité pédagogique, mais aussi d’un point de vue humain pour garder le lien avec les familles », complète l’élue.


Cahier de textes numérique


« Ma maman me manque, lâche en effet Théo. Je ne l’ai pas vue depuis le début du confinement. » Il garde le contact par téléphone ou par visioconférence – « C’est mieux par Skype, comme ça je peux la voir », poursuit-il, tandis que ses yeux pétillent. Ce garçon vif et avenant n’est pas prêt d’oublier son anniversaire confiné : il a eu 9 ans la semaine dernière. Sa mère a réussi à lui faire parvenir des Playmobil en cadeau. 


En classe avec des enfants différents


Toute de rose vêtue, Nala, qui porte des chaussons licorne, confirme : « Le truc qui m’a pas beaucoup plu, c’était de pas voir mes parents. Mais on s’est vu par Skype, j’ai vu mon chat Garfield qui a des yeux verts et j’ai entendu ma chienne aboyer. J’ai hâte de la revoir. » La fillette scolarisée en Ulis entortille une mèche de ses cheveux en bataille autour de son index et poursuit, intarissable : « La maîtresse explique bien ; toute la classe c’est mes amis. » Il lui tarde de reprendre son bus le matin pour les retrouver.


Théo s’installe, épaulé par un éducateur, dans le bureau exigu où ont été installés trois ordinateurs. « Comment on allume déjà ? Je crois qu’il faut aller là, sur la maison, ou bien sur l’étoile. » À tour de rôle, chacun se connecte sur le cahier de textes numérique de son établissement, pour obtenir leçons et exercices. Son travail terminé, le petit aux yeux bleus s’empare d’une feuille et crayonne un animal de son invention. « J’aime bien dessiner. Ça c’est un jeu de société que j’ai inventé », confie-t-il avant de glisser son trésor dans le casier à son nom.


Continuité pédagogique


La continuité pédagogique suppose toute une logistique d’impression et de distribution, a fortiori en collectif. Pour renvoyer les copies, Romain a téléchargé une application qui convertit une photo en document PDF : « Cela nous permet d’envoyer le flot de copies quotidien avec un minimum de manipulation », explique cet éducateur. À lui seul, Noé, scolarisé en CE1, en reçoit au moins six par jour. Casquette rouge sur la tête, il sort de la pochette orange l’épais dossier qui contient tout son travail scolaire. « Il a eu beaucoup de travail, comparé à d’autres », relève son éducateur. « L’écriture, c’est un peu compliqué, soupire l’enfant qui porte des lunettes et aimerait devenir joueur de foot ou militaire. Et j’aime pas du tout les maths. » Il tient à ce que son âne en plastique, offert par son frère, apparaisse sur les photos.


Le centre des Scouts et Guides de France de Jambville ouvre ses portes à des jeunes en difficulté


La structure a gardé le rythme : travail toute la matinée dès 9h30, prolongé l’après-midi pour ceux qui en ont besoin. « Ils gardent en mémoire qu’on n’est pas en vacances », précise Romain. Une gageure pour la plupart des familles. Installée sur le canapé de la salle de jeux avec deux autres jeunes filles, Océane a aussi bénéficié du soutien scolaire. « On a beaucoup de devoirs, relève cette élève de 4e. Le plus difficile pour moi, c’est les maths, avec les nombres décimaux. Je ne comprends pas toujours les vidéos sur Youtube. » L’aide personnalisée a évité à la collégienne de décrocher. Pour l’heure, c’est la récré : elles trient des centaines de perles à l’aide d’une pince à épiler. « On fait des animaux ; c’est ma tata qui m’a offert un livre dessus. » D’autres jouent dans la cour.


Ils gardent en mémoire qu’on n’est pas en vacances. – Romain, éducateur


« Est-ce que mes frères sont là ? », lance une fillette sur le seuil de la salle commune. Sur une réponse négative, elle repart en courant dehors. Raphaël, lui, dispose d’un ordinateur portable. Ce bon élève en 1re générale, à dominante scientifique, appartient à la première promotion du nouveau bac et attend une hypothétique reprise en juin. « On a bien avancé dans le programme ; j’ai pas l’impression d’avoir pris du retard », estime ce jeune de 16 ans et demi à la moustache naissante. Ses professeurs ont donné cours par vidéo. 


Contre les inégalités, huit mesures pour changer la donne 


« Quand je comprends pas, je demande à deux ou trois potes par Discord (un logiciel de communication par Internet, ndlr). Pour un, c’est difficile, il décroche. Il préfère avoir les profs. Mais quand on aura repris, ce sera bon pour lui. » Il ferme son ordinateur et se lève. Raphaël n’a pas encore tous les textes pour l’oral de français, pourtant il n’appréhende pas : « C’est difficile d’évaluer notre niveau, mais il y aura de l’indulgence. » Une évidence qui éviterait d’aggraver les inégalités, surtout celles qui touchent à l’enfance.

La démocratisation des données scientifiques, atout ou frein face au Covid-19 ?

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Elles accompagnent aujourd’hui les insomnies des scientifiques du monde entier. Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, aux États-Unis, a confié dans une interview les lire jusque très tard dans la nuit… Même le grand public et les journalistes se sont pris de passion pour les prépublications, ces articles déposés avant leur parution dans les revues scientifiques internationales par les chercheurs sur des sites de preprint.


L’un d’entre eux, Biorxiv (prononcer bio-archaïve, comme « archive » en anglais) est même devenu célèbre. Fondé en 2013 par John Inglis et Richard Sever, du prestigieux laboratoire de biologie Cold Spring Harbor, à New York, Biorxiv croule aujourd’hui sous les articles traitant du coronavirus. Le site en recevrait des dizaines par jour !


Voilà déjà quelques années que les sites de prépublication bouleversent la façon de communiquer des chercheurs. Habituellement, les scientifiques soumettent leurs résultats à une revue dite « à comité de lecture », comme les grands Nature ou The Lancet. Les articles sont discutés longuement par des experts, avant d’être publiés… ou refusés. Désormais, les chercheurs peuvent rendre publics directement leurs résultats sur les sites de preprint. Cela a pour eux de nombreux avantages, dont revendiquer le plus tôt possible la paternité d’une découverte ou bien engager des débats avec d’autres experts.


La « science ouverte »


Mais ces plateformes sont surtout de formidables accélérateurs de découvertes. Celles-ci s’inscrivent dans un mouvement général, véritable révolution copernicienne dans le monde de la science, qui a pour nom la « science ouverte » : l’idée que les articles, méthodes scientifiques ou bien données issues de la recherche doivent désormais être accessibles à tous. Dans certaines limites, bien sûr : pas question de divulguer les données secret-défense. Le but : permettre à qui le souhaite de les exploiter.


Tout a commencé en 1991 avec la création aux États-Unis du site de prépublication Arxiv pour les chercheurs en mathématiques, physique et informatique. Peu à peu, l’idée d’un accès ouvert au savoir – le mouvement open access – convainc de plus en plus de monde.


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Confinement et inégalités scolaires : la double fracture sociale

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« Au début, ça m’a fait peur », témoigne Pascale, mère solo d’une petite Lilou de 6 ans en grande section. « Je ne comprends pas toujours le langage des maîtresses… » À force de recherches sur Internet, elle a fini par saisir leur jargon : écriture cursive ou script, numération, phonèmes… En faisant ses courses, elle a aussi rencontré l’enseignante de sa fille, qui lui a montré comment identifier les syllabes en tapant dans les mains. « J’ai pris de l’assurance. J’ai le numéro de téléphone de l’école, mais je n’aurais jamais osé les appeler. Je ne voulais pas les embêter. »


Pascale a planifié les repas et les activités de l’après-midi : cuisine, pâte à sel, bricolage… En réalité, l’école à la maison n’est pas sa seule préoccupation. Elle n’a pas encore reçu le revenu de solidarité active (RSA), ni l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Faute de pouvoir payer par carte bancaire, elle a dû changer ses habitudes et se rendre à l’épicerie, non sans incidence sur son budget : « J’y fais un plein pour 150€, alors qu’en grande surface, avec ma carte de fidélité, je remplis mon frigo pour 60€. »


Relation dissymétrique


En France, en 2018, plus de 3,1 millions de mineurs vivaient sous le seuil de pauvreté selon l’Insee. « Les parents de milieux défavorisés, qui souvent n’ont pas fait de grandes études, se sentent illégitimes pour accompagner leurs enfants », souligne Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde, nommée au conseil scientifique mis en place par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Et combien plus démunis avec cette continuité pédagogique, qui donne du fil à retordre à tous : « Certains professeurs se sont montrés très investis, d’autres moins… Beaucoup d’enfants auront passé des journées entières derrière les écrans. »


Certaines entreprises privées de soutien scolaire ont vu les demandes augmenter de 300%.


Certains enseignants n’hésitent pas à décrocher leur téléphone pour maintenir le lien. « Sur 25 familles, je n’ai pas réussi à en joindre cinq, résume Nadia Dubois, professeure des écoles en réseau d’éducation prioritaire REP+ au Mans (72). Et deux autres seulement par boîtes vocales interposées, jamais en direct. » Parents et enfants apprécient cet appel. Environ un tiers sont allophones, arrivés l’été dernier de Tchétchénie, d’Afrique ou de Mayotte, parlant peu voire pas français, et sans emploi. Adresse courriel non valide, numéro de téléphone non attribué, répondeur… « Certaines ne répondent pas, sans doute parce qu’elles craignent l’intrusion ; elles ont peur d’être surveillées ou que nous déclenchions une procédure des services sociaux. » 


Le confinement augmente le risque de violences sur les enfants


La relation est par trop dissymétrique, observe Clarisse Dupart, psychologue à Clisson (44) : « Qui voudrait risquer de passer pour un parent “démissionnaire”, qui ne s’investit pas pour son enfant, ne sait pas s’y prendre, ne fait pas autorité ? » Alors, à la maison, les parents se mettent la pression et les tensions s’accumulent. « Ils peuvent apparaître défaillants aux yeux de leurs enfants, poursuit-elle. Des conflits surgissent et la violence risque de pointer : psychologique, verbale et parfois physique. »


Maintenir le lien


Néanmoins, la situation est loin d’être uniforme. « Certains parents sont très cadrants, nuance Caroline Pointe, qui enseigne en REP à Aubervillliers (93). Ils mettent leurs enfants au travail tous les matins. Parfois, faute d’imprimante, ils recopient eux-mêmes les exercices. Je suis admirative ! » De son côté, elle appelle chacun des 13 élèves de sa classe dédoublée une ou deux fois par semaine, durant trois quarts d’heure à une heure. 


À ceux qui maîtrisent mal le français, elle envoie un enregistrement audio. Mais tous les parents ne sont pas disponibles… « Souvent, ils ont un emploi dans des secteurs qui assurent le confort de nos vies, où le télétravail est peu répandu : caissiers, livreurs, conducteurs… », ajoute Paul Devin, inspecteur de l’Éducation nationale et secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat national des personnels d’inspection. Et eux ne pourront pallier leur absence en recourant à des entreprises privées de soutien scolaire, dont certaines ont vu les demandes augmenter de… 300% depuis le début du confinement.


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