Super télescope européen : le rêve devient réalité

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Le E-ELT (European Extremely Large Telescope) promet d'être, en 2024, le plus grand télescope optique et infrarouge de la planète. La coupole du télescope mesurera 90 m de hauteur, et abritera le télescope de 39 mètres de diamètre. Document ESO.

Le E-ELT (European Extremely Large Telescope) promet d’être, en 2024, le plus grand télescope optique et infrarouge de la planète. La coupole du télescope mesurera 90 m de hauteur, et abritera le télescope de 39 mètres de diamètre. Document ESO.

Ils en ont rêvé des décennies durant, cette fois, c’est fait : les astronomes, et singulièrement les astronomes européens, auront leur télescope super géant. Le E-ELT – European Extremely Large Telescope – est désormais en construction…
Après des années de report – faute de financement assuré – après de nombreux communiqués de presse annonçant son « lancement imminent », après, finalement, un lancement officiel en 2014, le super télescope, financé pour environ un milliard d’euros, prend forme, en pièces détachées, un peu partout en Europe… Après l’arasement de la montagne qui va accueillir l’instrument au Chili, le Cerro Armazones, après le tracé de la route de 25 kilomètres, depuis le Cerro Paranal, qui mènera jusqu’à l’observatoire, après les premiers contrats pour la fabrication des premiers instruments d’observation, Micado, Harmoni, Metis et Maory, l’Observatoire Européen Austral (ESO) vient de signer l’un des contrats principaux du E-ELT : 400 millions d’euros aux entreprises italiennes Astaldi et Cimolai pour la fabrication de la monture du télescope et de la coupole !

Le Cerro Armazones, une montagne de 3000 mètres de haut isolée dans le désert d'Atacama, a été découverte par les astronomes au début des années 1980, lorsque l'Europe cherchait un site pour installer son Very Large Telescope (VLT). Ce site astronomique exceptionnel a d'abord été retenu par les Américains pour leur TMT, avant qu'ils ne décident d'installer leur télescope géant à Hawaii. Revenu à l'Europe, le Cerro Armazones a été arasé, et est désormais relié par une route au Cerro Paranal, où se trouve le VLT. Photo ESO/G.Hudepohl.

Le Cerro Armazones, une montagne de 3000 mètres de haut isolée dans le désert d’Atacama, a été découverte par les astronomes au début des années 1980, lorsque l’Europe cherchait un site pour installer son Very Large Telescope (VLT). Ce site astronomique exceptionnel a d’abord été retenu par les Américains pour leur TMT, avant qu’ils ne décident d’installer leur télescope géant à Hawaii. Revenu à l’Europe, le Cerro Armazones a été arasé, et est désormais relié par une route au Cerro Paranal, où se trouve le VLT. Photo ESO/G.Hudepohl.

Reste désormais à signer le plus prestigieux contrat pour un télescope : celui du polissage de son immense miroir mosaïque… Ira t-il à la Reosc, comme une majorité de miroirs astronomiques géants contemporains ? La société française, qui a déjà poli les six miroirs de 8,2 m du réseau VLT (Very Large Telescope) et des télescopes Gemini North et South et la mosaïque du miroir de 10,4 m du télescope Grantecan, a signé en 2015 un contrat de fabrication de l’un des miroirs adaptatifs de l’E-ELT.
Ce « contrat du siècle » pour le miroir de 39,3 mètres, composé de 798 segments de 1,4 mètre chacun, devrait être signé dans quelques mois.

Le miroir principal du E-ELT doit compter, en tout, 798 miroirs hexagonaux de 1.4 mètre de diamètre. Les premiers tests sont menés par les opticiens - ici sur quatre segments - avant la signature prochaine du "contrat astronomique du siècle". Photo ESO.

Le miroir principal du E-ELT doit compter, en tout, 798 miroirs hexagonaux de 1.4 mètre de diamètre. Les premiers tests sont menés par les opticiens – ici sur quatre segments – avant la signature prochaine du “contrat astronomique du siècle”. Photo ESO.

Quant au télescope super géant… Il devrait voir le ciel pour la première fois depuis sa montagne haute de 3000 mètres en 2024, si le financement total du projet est assuré. Dans le domaine optique et infrarouge, on aura jamais fait plus grand, plus massif, plus puissant… L’immense coupole qui abritera le E-ELT et qui reprend avec bonheur le design des coupoles d’observatoires d’antan, mesurera 90 mètres de haut et 85 mètres de diamètre, un véritable monument… Le télescope, quant à lui, pèsera 3000 tonnes. Son optique adaptative lui permettra de corriger en temps réel et en permanence la turbulence atmosphérique, et les images du ciel qu’il offrira seront quinze fois plus précises que celles que donne aujourd’hui le télescope spatial Hubble, ou qu’offrira son successeur, le futur télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope) et son miroir de 6,5 mètres.
Au fond, le E-ELT n’a qu’un seul défaut, aujourd’hui : le télescope super géant européen est en retard sur la concurrence. En cause, la valse-hésitation du Brésil à entrer dans l’ESO, avec sa dot de 300 millions d’euros, qui manquent toujours cruellement au projet… A l’origine du projet, au début des années 2000, le E-ELT devait entrer en service, juste après le JWST, au tournant des années 2020. Le JWST doit commencer à observer le ciel en 2019, et les concurrents du E-ELT, le Giant Magellan Telescope (GMT, 22 mètres) et le Thirty Meter Telescope (TMT, 30 mètres), vers 2022.
La première lumière du E-ELT est prévue pour 2024, dans huit ans, si tout va bien. Avec ces différents et nouveaux télescopes, sur Terre et dans l’espace, les deux grands domaines de l’astronomie contemporaine, la cosmologie et l’exoplanétologie, vont dans tous les cas connaître une révolution au cours de la prochaine décennie.
Et quels que soient le nombre et l’ordre d’arrivée de ces futurs géants, le cosmos leur offrira des champs infinis à arpenter, à explorer, à révéler.
Serge Brunier

Le blog de Mathieu Grousson : Particule X, ou comment les statistiques jouent avec nos nerfs

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Les écrans de contrôle du détecteur CMS (crédit : Cern)

Les écrans de contrôle du détecteur CMS (crédit : Cern)

Quel est le sens du mystérieux signal observé au LHC en 2015 et rendu public le 15 décembre dernier ? Est-ce le signe qu’une nouvelle particule inconnue a commencé à se manifester au sein des détecteurs géants du Cern ? Ou bien s’agit-il d’une simple fluctuation statistique des données sans la moindre signification physique ? Pour l’heure, il est impossible de répondre. Et seule l’analyse de données supplémentaires permettra de conclure. Dans le meilleur des cas d’ici l’été. A moins que la nature ne se montre spécialement joueuse, s’ingéniant à brouiller les cartes.

Le meilleur des cas correspond naturellement à celui où l’excès observé constituerait le début d’un véritable signal. Un simple doublement des données par rapport à celles enregistrées l’année dernière permettrait alors d’annoncer une découverte. Ce qui, au train où vont les choses, pourrait advenir courant juillet, voire dès le mois de juin.

A l’inverse, si le signal rendu public avant Noël s’avérait n’être qu’un mirage, il faudrait sans doute plus qu’un doublement des données pour pouvoir l’affirmer. En effet, même en admettant que les données de 2016 ne contiennent aucune trace de l’excès à 750 GeV, l’addition des données de 2015 et 2016 continuerait de faire apparaître un petit quelque chose laissant croire à la possibilité d’un signal.

Les physiciens devront peut-être patienter au-delà de 2016 pour annoncer une révolution… ou rien du tout

Certes, comme l’indique un expérimentateur, « si on augmente la statistique d’un facteur deux et que le signal observé diminue, c’est presque mort… » Mais tout est dans le presque. Car deux autres cas sont possibles. Imaginons que véritable signal il y ait, mais que celui-ci se soit manifesté en 2015 associé à une légère fluctuation positive. Dans ce cas, l’ajout de données supplémentaires devrait voir sa signifiance statistique augmenter, mais à un rythme moindre que ne le laisse présager les informations collectées l’année dernière. Et ce, d’autant plus qu’il faut également envisager la possibilité d’une fluctuation basse d’un véritable signal dans le lot de données à venir !

Comme le précise une autre spécialiste, « la seule façon de distinguer les trois dernières possibilités est tout simplement d’accumuler plus de données qu’un simple doublement par rapport à 2015. » Combien exactement ? D’aucuns avancent qu’un facteur 10 sera peut-être nécessaire, ce qui pourrait alors conduire les physiciens du Cern à devoir patienter au-delà de 2016 pour annoncer une révolution… ou rien du tout.

« Personnellement, j’aimerais bien que l’on puisse annoncer une conclusion définitive au plus tard lors de la Conférence internationale de physique des hautes énergies qui se tiendra du 3 au 10 août à Chicago », confie un responsable de l’expérience CMS. Et d’ajouter, stoïque : « Mais l’échelle de temps des physiciens n’est pas celle des médias. Nous savons ce que nous avons à faire et sommes parfaitement capables d’attendre plus longtemps s’il le faut. » Sans doute. Même si, comme le confie l’une de ses collègues, « à la vérité, on balise tous de voir ce truc disparaître !! »

— Mathieu Grousson

 

Mathieu Grousson est un journaliste collaborateur de Science & Vie spécialiste de la physique fondamentale. Suivez son blog “Particule X” :

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S&V 1152 - LHC boson de Higgs

  • La matière va enfin parler S&V n°1129 (2011). Moment clou : tout le monde a les yeux rivés sur le LHC, qui confirmera enfin l’existence du boson de Higgs, des décennies après sa théorisation.

S&V 1129 - boson de Higgs LHC

  • LHC, l’accélérateur de l’extrême S&V n°1013 (2002). L’impatience règne chez les physiciens : en cours de construction à cheval entre la France et la Suisse, le grand collisionneur de hadrons est le plus grand outil scientifique jamais réalisé, qui repoussera les frontières de la physique.

S&V 1013 - LHC

S’occuper des enfants a rendu les humains intelligents

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En demandant beaucoup de soins parentaux, les enfants auraient stimulé l'intelligence humaine. - Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

En demandant beaucoup de soins parentaux, les enfants auraient stimulé l’intelligence humaine. – Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

L’idée a de quoi surprendre. Si notre espèce est dotée d’une intelligence extraordinaire par rapport aux autres primates, nous le devons… à nos enfants ! Les nourrissons humains, particulièrement dépendants, demandent des soins parentaux complexes et prolongés, qui ne sont pas sans épuiser leurs géniteurs. Et c’est cela qui aurait stimulé chez les adultes une intelligence assez affutée pour s’occuper correctement des petits.

Cette hypothèse à première vue hardie est défendue par les universitaires américains Steven Piantadosi et Celeste Kidd (Université de Rochester, New York). Et leur démonstration est imparable ! Détaillée dans la revue PNAS, elle se base sur la comparaison entre différentes espèces de primates (singes).

Il existe en effet un lien quasi linéaire entre le degré d’intelligence d’une espèce et l’âge du sevrage de leurs petits, comme l’illustre ce graphe.

Plus l'âge du sevrage d'un petit est élevé, plus les adultes de son espèce sont intelligents - Ph. Piantadosi & Kill / PNAS

Plus l’âge du sevrage d’un petit est élevé, plus les adultes de son espèce sont intelligents – Ph. Piantadosi & Kill / PNAS

Au sommet droit du plan, on trouve l’orang-outan et le chimpanzé, dont l’intelligence est très élaborée, proche de la nôtre : leurs petits ne gagnent leur indépendance que vers l’âge de trois ans ! À l’autre extrémité du plan, des espèces comme les ouistitis (marmoset) et les talapoins : leurs petits sont sevrés en quelques mois, et les adultes sont considérés comme peu intelligents.

Comment cet état des choses se serait-il imposé au cours de l’évolution ? Pour l’expliquer, Piantadosi et Kidd ont élaboré un modèle fonctionnant selon un cercle vertueux de facteurs qui se renforcent en boucle.

La contrainte de l’accouchement explique pourquoi les bébés humains naissent si dépendants

À la base du raisonnement, une considération : la taille du cerveau d’un nouveau-né, chez les mammifères dont nous sommes, ne peut pas augmenter indéfiniment puisque le bébé doit être expulsé à travers le bassin de sa mère lors de l’accouchement. Du coup, l’accouchement a lieu à un stade précoce du développement de l’enfant, qui se poursuit après la naissance.

En conséquence, le cercle suivant s’installe :

  1. Les bébés humains naissent particulièrement tôt dans leur développement, du fait de leur gros cerveau. Ils sont donc particulièrement peu développés et dépendants.
  2. S’occuper de ces enfants demande donc une intelligence accrue, et ainsi un cerveau encore plus grand.
  3. L’accroissement de la taille du cerveau rend les bébés encore plus vulnérables à la naissance, et encore plus demandeurs de soins.

 

Sur cette base, les chercheurs de Rochester ont démontré à l’aide de leur modèle informatique, que le temps passant, la sélection naturelle favorise deux grands types de singes : d’un côté, le cas des plus petits singes, qui naissent avec un cerveau petit mais déjà bien développé ; de l’autre, le cas du chimpanzé et de l’homme, où l‘intelligence comme le cerveau sont très développés et les petits très dépendants. Au fil de l’évolution, ces espèces au grand cerveau évolueront vers des cerveaux encore plus grands et des petits encore plus dépendants.

La chercheuse Celeste Kidd, auteure de l'étude, au Baby Lab de l'université de Rochester (New York), où elle étudie la cognition des enfants. - Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

La chercheuse Celeste Kidd, auteure de l’étude, au Baby Lab de l’université de Rochester (New York), où elle étudie la cognition des enfants. – Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

Le besoin de soins parentaux expliquerait à lui seul l’évolution de l’intelligence humaine

Ainsi, de manière très étonnante, la pression de la sélection naturelle en faveur de soins parentaux toujours plus élaborés suffirait à elle seule à expliquer l’extraordinaire intelligence humaine actuelle ! Sans besoin de faire intervenir d’autres facteurs tels que l’alimentation ou l’usage d’outils.

Cela expliquerait également, d’après les auteurs de l’étude, pourquoi cette intelligence supérieure ne serait apparue que chez les mammifères (qui s’occupent de leurs petits) et non chez les autres classes de vertébrés comme les poissons, les reptiles ou les oiseaux, pourtant présents sur la planète des millions d’années avant leur apparition.

—Fiorenza Gracci

 

> Lire aussi :

 

> Lire également dans les Grandes Archives de S&V :

  • Voici le premier cerveau éprouvetteS&V n°1154 (2013). Ce fut la grande première, le premier mini-cerveau recréé à partir de cellules souches. A l’époque, ces embryons de cerveau équivalaient à celui d’un embryon de 9 semaines. En deux ans, les méthodes se sont simplifiées et les chercheurs arrivent à cultiver des cerveaux de 19 à 2 semaines.

1154

  • D’où venons-nous ? S&V n°1113 (2010). Les nouvelles découvertes fossiles bouleversent complètement l’histoire des origines humaines. Ardi, Orrorin, Toumaï… voici comment elles recomposent le puzzle de notre phylogénétique.

S&V 1113 - d'ou venons nous

Au sommaire de Science & Vie n°1185

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ARCHÉOLOGIE

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La quête de l’invention de l’alphabet se joue sur de multiples registres, de la neurologie à l’archéologie, tous très actifs sur le plan de la recherche. Outre 3 questions complémentaires posées à deux des spécialistes que nous avons contactés, nous vous proposons une bibliographie (articles, livres et liens vidéos) tant sur le volet archéologique que neuroscientifique.

 

> 3 questions à Philippa Steele, responsable du projet CREW de l’université de Cambridge

http://www.classics.cam.ac.uk/directory/philippa-steele

Quelles questions restent en suspens autour de l’émergence de l’écriture ?

P.S. : Il en existe deux principaux groupes. Le premier concerne la façon dont les anciens systèmes d’écriture sont liés, apparentés. Quels éléments peut-on étudier pour élucider ces relations ? Comment et pourquoi des écritures passent-elles d’un groupe à l’autre ? Quel type de contact est nécessaire pour permettre un emprunt de ce genre ? Le second concerne les contextes entourant ces écritures, et ce qu’il peut nous dire des sociétés qui les utilisent. Comment le contexte social joue sur leur développement et leur maintient ? Tenter de nouvelles approches des supports matériels des écritures permet d’éclairer de façon nouvelle les sociétés et les hommes qui les ont produits –et la place que tenait alors l’écriture.

 

Quelles sont les relations et les différences entre les premiers systèmes alphabétiques ?

P.S. : La plupart des premiers systèmes d’écriture avaient entre eux des relations complexes. Par exemple, le système alphabétique phénicien (qui sera transmis aux Grecs et sera à l’origine de la majorité des alphabets existant aujourd’hui) à ses débuts était fait de lettres « linéaires » – dans le sens où elles sont composées de lignes. Cependant, l’alphabet ougaritique n’est, lui, pas linéaire mais cunéiforme –avec des signes « en coin » imprimés dans la glaise.

Ce qui est très étonnant, c’est que tant l’ougaritique que le phénicien utilisent le même ordre pour leurs signes/lettres ; on le sait car les scribes ont laissé quelques abécédaires… Mais pourquoi deux écritures aussi différentes (linéaire et cunéiforme) se référaient-elles au même ordre ? C’est un des mystères que nous allons étudier.

 

Pourquoi développer deux séquences alphabétiques canoniques – l’ABC et l’HLḤM ?

P.S. : Ils couvraient, en partie, des zones différentes. On sait qu’à Ougarit, notamment, ces deux ordres ont coexisté, même si l’abécédaire était majoritaire. L’halaḥam était lui plus commun dans les écritures dites sudarabiques –même si des découvertes comme celle de cet ostracon montrent qu’il devait être plus répandu… Toutefois, pourquoi et comment ces deux ordres se sont transmis reste une énigme. Des découvertes et de nouvelles analyses de documents déjà connus pourront apporter de nouvelles pistes.

 

> 3 questions à Robert Hawley, spécialiste de l’ougaritique

http://www.orient-mediterranee.com/spip.php?article734

Quelle est la pertinence de l’article récent de Ben Haring ?

R.H. : N’étant pas égyptologue moi-même, je ne suis pas capable d’évaluer la lecture matérielle de l’ostracon proposée dans l’article. Mais si l’interprétation et la datation présentées se confirment (il faut attendre la réaction des égyptologues), cette trouvaille risque d’être très importante, non seulement pour éclaircir l’histoire de l’alphabet, mais aussi et surtout pour mieux comprendre l’histoire d’un des véhicules de sa transmission : en l’occurrence l’ordre HLḤM, attesté (mais très sporadiquement) aussi au Levant et à Ougarit au XIIIe s. avant J.-C.

 

Quel est le lien entre notre ordre alphabétique et le halaḥama ?

R.H.  : L’ordre halaḥama a été retrouvé au XIIIe s. av. J.-C. à Beth Semesh et Ougarit  sous forme cunéiforme, puis sous forme linéaire au Ier millénaire dans le sud de l’Arabie, et plus tard en Ethiopie. Ce qui est curieux pour Ougarit, car ce n’était pas l’ordre classique employé sur place –qui était l’ABG (équivalent local de notre ABC) comme on le voit dans les nombreux exercices d’écriture retrouvés. Le retrouver sur l’ostracon montre que ce second ordre, aujourd’hui moins répandu, avait peut-être une distribution plus large que celle de l’ordre « classique » à cette époque. A Ougarit, ces deux séquences/alphabets sont en tout cas bien cousines. Certaines des lettres sont les mêmes : la moitié environ ont la même forme, d’autres sont tournées dans un autre sens ; et il y a 6 ou 7 signes complémentaires. Toutefois, l’ordre change.

 

Les textes de Serabiṭ el-Khadim et de Wadi el-Hol témoignent-ils de la « mise en place » de l’alphabet ?

R.H.  : Oui et non. « Oui » dans la mesure où ces deux corpus pourraient effectivement nous donner un petit aperçu des différents types d’expériences ou d’innovations (jeux ?) graphiques entreprises alors avec l’alphabet qui naît au cours du IIe millénaire avant notre ère. Mais « non », dans la mesure où l’alphabet à Serabiṭ el-Khadim et à Wadi el-Hol n’a pas encore vraiment fait l’objet d’une « mise en place » au sein d’une société ; il reste une expérience graphique extrêmement marginalisée sur les plans social et intellectuel par rapport aux pratiques lettrées des élites des centres de pouvoir, d’érudition et de vie savante dans les grandes villes. C’était probablement d’ailleurs justement ce contexte socialement marginalisé qui a fourni aux inventeurs de l’alphabet la marge de manœuvre nécessaire pour mener leurs expériences innovatrices. Pour ce qui est du passage d’une expérience graphique socialement marginalisée au véhicule graphique d’un patrimoine littéraire parrainé par les élites de tout un royaume, il fallait attendre le XIIIe s. à Ougarit, quand la chancellerie de ce royaume adopte un alphabet (cunéiforme) comme véhicule graphique privilégié, non seulement pour l’administration du royaume, mais aussi pour les belles lettres.

 

À VOIR ET À ÉCOUTER

> Robert Hawley fait un point sur les débuts de l’alphabet lors d’une conférence vidéo en octobre 2015 consacrée au thème « Écriture, pouvoir, légitimité », visible ici :

http://www.orient-mediterranee.com/spip.php?article2739&lang=fr

 

À LIRE

> Sur l’étude des témoignages écrits des premiers alphabets :

Les trois ouvrages suivant, en français, brossent une histoire écrite par des spécialistes des débuts de l’écriture et des hypothèses entourant les débuts de l’alphabet. Précieux pour refaire un point sur les différents systèmes d’écriture (pictographique, idéographique, alphabétique, etc.) et leur différentes formes (hiéroglyphique, cunéiforme, etc.) :

Des signes pictographiques à l’alphabet, sous la direction de Rina Viers, éditions Karthala, 380 p., 28€.

La Naissance des écritures, du cunéiforme à l’alphabet, collectif, aux éditions du Seuil, 512 p., 65€.

Histoire de l’écriture de l’idéogramme au multimédia, sous la direction de Anne-Marie Christin. Une somme incontournable rééditée en 2012 aux éditions Flammarion, 413 p., 35€.

 

> Un très bon survol sur les origines de l’écriture est disponible ici:

http://oi.uchicago.edu/sites/oi.uchicago.edu/files/uploads/shared/docs/oimp32.pdf

 

> Les Hors-Série de Science & Vie ont consacré leur numéro de juin 2002 (n°219) à ce thème: Sumer, Egypte, Chine, Mayas… comment est née l’écriture

> Les Cahiers de Science & Vie ont fait de même en octobre 2008 (n°107): Ecritures cunéiforme, hiéroglyphique, maya, chinoise, arabe, indienne… Les origines de l’écriture

> Sur l’hypothèse de Ben Haring qui fait d’un ostracon retrouvé dans une tombe égyptienne le premier témoignage d’un texte utilisant l’ordre alphabétique intrigue les égyptologues. La présentation de l’étude du chercheur est présentée (en anglais) sur le site de l’université de Leyde : http://news.leiden.edu/news-2015/the-earliest-known-abcedary.html

 

> Les plus anciennes inscriptions alphabétiques et l’écriture dite protosinaïtique, découvertes à Serabit el-Khadim et Wadi el-Hol, sont présentées ici ainsi que l’hypothèse de l’égyptologue Orly Goldwasser : http://www.academia.edu/6916402/How_the_Alphabet_Was_Born_from_Hieroglyphs

Pour un point archéologique sur le site lui-même, voir: http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1995_num_139_4_15537)

Le développement de l’écriture alphabétique est évoqué ici: https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/l_ecriture_alphabetique_au_proche-orient_ancien.asp

 

> Le développement ultérieur de l’alphabet est notamment rappelé par la BNF :

http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/alphabets/01.htm

Une page sur le protosinaïtique:

http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/phenicie/01.htm)

 

> La prestigieuse université de Cambridge vient de lancer en avril 2016 le projet CREW (« Contexts of and relations between early writing systems », contextes et relations entre les systèmes d’écriture précoces), dirigé par Philippa Steele. Le but : étudier, pendant cinq ans, les anciennes inscriptions du monde égéen, méditerranéen et levantin au IIe et Ier millénaire av. J.-C. pour mieux comprendre comment ils se sont influencés et les effets du contexte sur leur développement :

http://www.classics.cam.ac.uk/Research/projects/contexts-of-and-relations-between-early-writing-systems-crews

https://crewsproject.wordpress.com/2016/04/03/welcome-to-crews/

 

> Concernant le volet neuroscientifique

L’ouvrage Les Neurones de la lecture, de Stanislas Dehaene, éditions Odile Jacob, 480 p., 29 €: C’est la référence. L’ouvrage détaille également le concept des « Proto-lettres » du neurobiologiste Marc Changizi.

Un compte-rendu est publié ici: http://www.risc.cnrs.fr/cr-pdf/1186.pdf

Le neuroscientifique donne actuellement une série de cours (visibles en ligne) au Collège de France sur le thème « Représentation cérébrale des structures linguistiques »:

http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-2016.htm

 


GRAND CHANTIER

Pêche aux trésors dans le Léman

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« Je suis issu d’une famille de pêcheurs exerçant depuis plus de 100 ans. J’ai toujours baigné dans la profession. Enfant, je passais mes vacances sur les marchés où mes parents, poissonniers, vendaient leurs poissons d’eau de mer. Quand je n’aidais pas à la vente, je préparais le poisson à l’entrepôt. Je me sentais plus en vacances lorsque j’étais en classe ! À 16 ans, j’ai récupéré la licence de pêcheurs de mes grands-parents par affiliation, un système de transmission qui n’existe plus de nos jours. Je suis alors devenu le plus jeune pêcheur d’Europe, le tribunal m’ayant même accordé l’émancipation pour monter mon entreprise. En 2000, j’ai racheté l’ancien chantier naval de Meillerie, un village portuaire de la rive française du lac Léman, pour le réhabiliter en pêcherie.

Dans les mailles du…

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5 000 ans d’histoire et de culture à découvrir

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La Vie, en partenariat avec Le Monde, vous invite à découvrir l’Iran, du 7 au 18 novembre 2016 ou du 27 février au 10 mars 2017, en compagnie de Jean-Claude Voisin, docteur en histoire et en archéologie, ancien directeur de l’Institut français de Téhéran (de 2008 à 2012), qui vit en Iran une partie de l’année et travaille au renforcement des liens entre les entreprises iraniennes et françaises. À l’heure où ce pays est réintégré dans le concert des nations, ce voyage – de Téhéran à Chiraz en passant par Hispahan – sera l’occasion d’admirer ses richesses culturelles…

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Observez la planète Mars au plus près de la Terre

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Le télescope spatial, équipé d'un miroir de 2,4 mètres de diamètre, a été orienté vers la planète Mars le 12 mai. Des nuages voilent par endroits le grand désert martien. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Le télescope spatial, équipé d’un miroir de 2,4 mètres de diamètre, a été orienté vers la planète Mars le 12 mai. Des nuages voilent par endroits le grand désert martien. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Cette nuit, ou, si la météo n’est pas clémente, dans les dernières nuits de mai et les premières nuits de juin, dès la nuit tombée, cherchez, au dessus de l’horizon sud est, une étoile très brillante et orangée, à l’éclat fixe… C’est la planète rouge, au plus près de la Terre pour quelques semaines, que le ciel nous offre de contempler.
La planète bleue et la planète rouge dansent un lent et régulier ballet autour de leur étoile, au fil de leurs orbites respectives : la Terre, qui tourne en un an autour du Soleil, sur une orbite presque circulaire, Mars, qui tourne en 688 jours sur une orbite légèrement elliptique. La première est distante de 147 à 152 millions de kilomètres du Soleil, la seconde, de 206 à 249 millions de kilomètres. Au rythme de cette ronde céleste, les deux planètes se rapprochent l’une de l’autre, jusqu’à s’aligner exactement avec le Soleil, tous les 26 mois environ.
En 2016, c’est ce dimanche 22 mai que les deux astres sont en « opposition » comme disent les astronomes, à une distance de 75,2 millions de kilomètres l’un de l’autre.

La distance entre la Terre et Mars varie de 55 millions de kilomètres, lors des oppositions les plus favorables, à un peu plus de 400 millions de kilomètres, lorsque les deux planètes sont en conjonction, de part et d'autre du Soleil. Vue depuis la Terre, la planète rouge présente donc un diamètre apparent qui varie de façon spectaculaire au fil des mois. Photos Nasa/ESA/STSCI.

La distance entre la Terre et Mars varie de 55 millions de kilomètres, lors des oppositions les plus favorables, à un peu plus de 400 millions de kilomètres, lorsque les deux planètes sont en conjonction, de part et d’autre du Soleil. Vue depuis la Terre, la planète rouge présente donc un diamètre apparent qui varie de façon spectaculaire au fil des mois. Photos Nasa/ESA/STSCI.

La planète rouge se trouve actuellement dans la constellation du Scorpion, ou elle éclipse de son éclat l’étoile supergéante rouge Antarès. Antarès, la « rivale de Arès » le nom du dieu de la guerre des Grecs, le Mars des Romains, donc. Le spectacle de ce rubis dans le ciel, en pleine Voie lactée, est rehaussé par la présence, à sa gauche, de la planète Saturne, à la luminosité plus faible.
A l’œil nu, bien sûr, Mars se présente sous l’aspect d’une étoile, mais d’une étoile bien particulière : son éclat est bien supérieur à celui des plus brillantes étoiles, et surtout, il est fixe. En effet, Mars et les autres planètes visibles à l’œil nu ne scintillent pas, ou en tout cas bien moins que les véritables étoiles. La scintillation des étoiles est due à la turbulence atmosphérique, qui les fait bouger de façon erratique dans le ciel. Les planètes sont bien sûr elles aussi sujettes à la turbulence, mais, contrairement aux étoiles, elles ne sont pas ponctuelles, mais présentent un diamètre apparent. Celui-ci est toujours supérieur aux effets de la turbulence ; à l’œil nu, leur éclat demeure fixe, quand les étoiles, ponctuelles, s’agitent et scintillent…

La planète Mars photographiée le 16 mai, avec un télescope d'amateur de 250 mm de diamètre. Les principales formations martiennes apparaissent sur cette image remarquable de netteté, ainsi que des voiles de brouillard, au limbe de la planète, où se lève le Soleil. Photo Stéphane Gonzales.

La planète Mars photographiée le 16 mai, avec un télescope d’amateur de 250 mm de diamètre. Les principales formations martiennes apparaissent sur cette image remarquable de netteté, ainsi que des voiles de brouillard, au limbe de la planète, où se lève le Soleil. Photo Stéphane Gonzales.

Il faut un instrument astronomique pour percevoir quelque chose à la surface de la petite planète rouge. Une lunette grossissant 50 fois montrera bien le disque orangé de la planète, et quelques très vagues taches, mais des télescopes de 100 mm à 400 mm de diamètre, grossissant 200 x à 500 x, révéleront les principales formations martiennes, ainsi que ses nuages. La rotation de la planète sur elle-même, qui s’effectue en 24 h 37 min, peut même être suivie en l’observant pendant une heure ou deux…
Le rapprochement entre la Terre et Mars de 2016 n’est pas exceptionnel. Au fil des décennies et au rythme de l’orbite elliptique de Mars, les oppositions martiennes sont plus ou moins rapprochées.

La planète rouge, vue en région parisienne avec un télescope de 260 mm de diamètre. Les meilleurs astronomes amateurs réalisent désormais des images planétaires d'une qualité stupéfiante, comparable à celle des télescopes géants professionnels dans les années 1980, grâce à de nouvelles techniques de prise de vues. Ici, Mars est filmée à grande vitesse par une caméra spécialisée. Puis un logiciel sélectionne automatiquement les meilleures images du film et les composite. Cette technique permet de corriger les effets de la turbulence atmosphérique. Photo Gérard Thérin.

La planète rouge, vue en région parisienne avec un télescope de 260 mm de diamètre. Les meilleurs astronomes amateurs réalisent désormais des images planétaires d’une qualité stupéfiante, comparable à celles des télescopes géants professionnels dans les années 1980, grâce à de nouvelles techniques de prise de vues. Ici, Mars est filmée à grande vitesse par une caméra spécialisée. Puis un logiciel sélectionne automatiquement les meilleures images du film et les composite. Cette technique permet de corriger les effets de la turbulence atmosphérique. Photo Gérard Thérin.

En 2016, donc, Mars se trouve à 75,2 millions de kilomètres de la Terre, quelques jours durant. C’est moins que le rapprochement qui aura lieu le 27 juillet 2018, à seulement 57,7 millions de kilomètres, et qui verra l’éclat de la planète rouge surpasser celui de Jupiter, la plus grande des planètes…
Serge Brunier

Deux firmes lancent un vêtement-interface de nouvelle génération

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La veste connectée de Google et Levi's contient des fibres conductrices amalgamées aux fibres textiles. Capture d'écran (Google).

La veste connectée de Google et Levi’s contient des fibres conductrices amalgamées aux fibres textiles. Capture d’écran (Google).

Le projet avait été annoncé par Google il y a environ un an, aujourd’hui il est arrivé au stade de la commercialisation : une veste en jean de la marque Levi’s pouvant servir d’interface entre vous et votre smartphone. Il ne s’agit pas d’électrodes en métal plaquées quelque part sur la veste,  c’est un véritable tissu communicant dont les fibres, amalgamées à ceux de la célèbre toile denim (“de Nîmes”), sont tissées en même temps que les fibres de coton.

Les deux firmes lancent ainsi un galop d’essai, dont la sortie commerciale est prévue en 2017 (prix non communiqué), qui devrait servir de test pour de futures interfaces vestimentaires plus complexes…

Une interface encore assez modeste

La veste-interface, premier avatar du Project Jacquard de Google, est somme toute assez modeste : la manche gauche de celle-ci permet, moyennant un balayage vers le haut, vers le bas ou un tapotage, d’interagir avec l’app de navigation, celui de musique ou les fonctions essentielles du téléphone (appel, raccrochage).

Le bouton de manchette, lumineux, sert de signal visuel, et la connexion avec le portable se fait sans fil – les petits composants électroniques assurant cette connexion étant dissimulés dans une des doublures de la veste.

Derrière la veste-interface d’autres projets attendent

Trois gestes donc, les mêmes que ceux utilisés sur les écrans tactiles, qui ne sauraient suffire à exploiter toute la complexité du pilotage d’un smartphone, surtout quand celui-ci se fait sans voir l’écran. Mais ce n’est qu’un test grandeur nature pour savoir si “ça prend” ou pas. Après le flop des Google Glass, dont l’aspect intrusif et risqué pour la vie privée n’avaient pas été véritablement anticipés, le géant du Net avance désormais à petits pas.

Il n’empêche, Google mise assurément sur les interfaces gestuelles, au-delà du seul Project Jacquard. Il y a par exemple Soli, une puce extra-plate de quelques millimètres carrés, pouvant être insérée dans n’importe quel support numérique ou objet connecté. Elle est capable de détecter jusqu’à un mètre de distance les gestes des doigts et des mains en trois dimensions, grâce à un radar, qu’elle traduit aussitôt en commandes (déplacer le curseur, cliquer, monter le son, faire bouger un objet virtuel).

Cela prendra-t-il ?

Mais les utilisateurs sont-ils prêts à apprendre une nouvelle manière de communiquer avec les objets par des gestes, nécessairement plus complexes et variés que ceux pour les écrans tactiles et le système clavier-souri ? Une acceptation difficile à anticiper : les interfaces vocales, pourtant assez efficaces et naturelles, n’ont jamais dépassé le stade d’une utilisation “de niche”.

Surtout, ces nouvelles interfaces posent quelques problèmes : comment réagira votre smartphone lorsqu’un ami vous tapotera ou saisira par la manche de votre veste-interface pour vous parler ? Cela déclenchera-t-il un appel aussi impromptu qu’inutile ?

Écran tactile et système souri-clavier : indépassables ?

Et dans une foule (le métro, le bus, un bar, la queue d’un cinéma, etc.) : qu’arrivera-t-il à votre pauvre smartphone quand des personnes frôleront involontairement vos bras ? Appels, déclenchement d’apps, etc.

Bref, Google – et d’autres firmes plus petites travaillant sur les mêmes technologies – attend de voir si le public se saisit à pleines mains des interfaces gestuelles. L’écran tactile et le vieux système souri-clavier pourraient bien finalement représenter un optimum technologique indépassable…

–Román Ikonicoff

 

Lire également :

 

> Voir aussi dans les Grandes Archives de Science & Vie :

“Objets connectés – Vers les interfaces gestuelles ?” – S&V n°1177 – 2015 – Achetez ce numéro en ligne. Les grandes firmes de la Toile, en particulier Google, se sont lancées dans les interfaces gestuelles, afin de dépasser le stade de l’écran tactile et de la souri-clavier. Ces technologies sont séduisantes, mais seront-elles adoptées par les utilisateurs ?

Capture interfaces

S&V 1157 - impression 3D

Le blog de Mathieu Grousson : Pourquoi le LHC doit absolument découvrir quelque chose

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Si le LHC ne découvre pas rapidement quelque chose, c’est toute la physique qui pourrait vaciller (crédit : Cern)

Si le LHC ne découvre pas rapidement quelque chose, c’est toute la physique qui pourrait vaciller (crédit : Cern)

Nouvelle physique, physique au-delà du modèle standard, continent inexploré de l’infiniment petit… les physiciens des particules ne cessent de le répéter : l’actuelle théorie des constituants élémentaires de la matière, le modèle standard, ne suffit pas. Il a beau constituer « le fondement complet et probablement définitif de la biologie, de la chimie, de la science des matériaux et de la plupart des phénomènes astrophysiques », tel que nous le rappelait récemment Franck Wilczek, à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) et prix Nobel de physique 2004, les spécialistes de l’infiniment petit n’entendent pas s’en contenter.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette certitude que le modèle standard ne peut en aucun cas constituer la « fin de l’histoire » n’a rien d’une lubie. C’est même d’une certaine manière une absolue nécessité. Et pas seulement parce que de nombreuses questions concernant la matière et l’Univers sont actuellement en suspend (voir « Le X est-il soluble dans la matière noire ? »). Mais tout simplement du fait que le modèle standard lui-même, malgré ses incroyables succès, porte en lui de la manière la plus flagrante les germes de son incomplétude.

Le fameux Boson de Higgs devrait être 100 millions de milliards de fois plus lourd !

Dans le langage des spécialistes, celle-ci porte un nom : le problème dit « de la hiérarchie ». Sa manifestation la plus évidente concerne le Boson de Higgs, cette particule introduite dans les équations du modèle standard en 1964 avec le rôle de conférer une masse aux particules qui en possèdent une, et découvert au LHC en 2012. Ainsi, sur le papier, la masse du Higgs tend naturellement vers la masse de Planck, soit environ 1019 GeV. Mais sa valeur mesurée avec toute la précision requise ne fait pas le moindre doute : 125 GeV, soit 100 millions de milliards de fois moins. Une véritable catastrophe !

 

Le boson introduit par Peter Higgs dans le modèle standard confère leur masse aux particules, tout en minant de l’intérieur tout l’édifice (crédit : Cern)

Le boson introduit par Peter Higgs dans le modèle standard confère leur masse aux particules, tout en minant de l’intérieur tout l’édifice (crédit : Cern)

 

Cette tendance du Higgs au gonflement constitue une telle aberration qu’elle a sauté aux yeux des physiciens dès les années 70, lors de l’élaboration du modèle standard. Tout comme le fait que ce dernier ne contienne aucun ingrédient permettant d’y faire face. Pour être parfaitement précis, il existe bien un moyen : régler « à la main », c’est-à-dire sans raison valable, la valeur d’une suite sans fin de termes mathématiques afin qu’ils s’annulent les uns les autres. Or une telle procédure relève presque de l’hérésie, tant la physique, depuis des siècles, s’est donnée pour tâche – et elle y parvient ! – d’expliquer les phénomènes de l’univers matériel sur la base de puissants principes.

Par exemple, la relativité générale d’Einstein repose sur le caractère fini de la vitesse de la lumière. De même, c’est par des considérations très générales de symétrie mathématique que Paul Dirac a été conduit à postuler l’existence de l’antimatière… découverte quelques années plus tard. Jusqu’au modèle standard, dont l’ossature est entièrement fondée sur le postulat que les lois qui régissent l’univers particulaire respectent une symétrie abstraite dite « symétrie de jauge ». D’un mot, se contenter d’une procédure de « réglages fins » dans le but de tirer la masse du Higgs vers une valeur raisonnable signifierait rien moins que renoncer à ce qui fait la force de la physique depuis au moins Galilée : ramasser en quelques principes simples l’infinie variétés des phénomènes. Une extrémité à laquelle peu de physiciens sont prêts à se résoudre.

 

Les équations de la physique (ici celles du modèle standard) résultent de puissants principes de symétrie. L’absence de découverte au LHC pourrait remettre en cause ce sacro-saint principe (crédit : Cern)

Les équations de la physique (ici le modèle standard) résultent de puissants principes de symétrie. L’absence de découverte au LHC pourrait remettre en cause ce sacro-saint principe (crédit : Cern)

 

Ainsi, la majorité d’entre eux considèrent que le problème de hiérarchie doit trouver une solution à travers l’ajout d’un nouveau principe général à leur théorie. Principe dont les conséquences, sur le papier, seraient l’ajout de nouveaux termes mathématiques dans les équations, contrebalançant le plus naturellement du monde la « catastrophe du Higgs ». Supersymétrie, technicouleur, Little Higgs, dimensions supplémentaires… d’une façon ou d’une autre, c’est exactement ce à quoi visent la plupart des théories dites « au-delà du modèle standard » imaginées depuis 40 ans. Or toutes prévoient la survenue de phénomènes nouveaux à observer, en particulier sous la forme de nouvelles particules élémentaires encore à découvrir. D’où le LHC. CQFD !

En l’absence d’une découverte, c’est tout l’édifice théorique des 40 dernières années qui serait mis à mal

Si bien que la fébrilité qui règne actuellement au sein de la communauté des physiciens des particules n’a rien d’une coquetterie. Et elle n’est pas simplement liée au risque de voir l’accélérateur géant du Cern, ce monstre de technologie à 10 milliards d’euros, ne rien découvrir. Mais à celui, sous-jacent, que cette possible absence signe l’arrêt de mort d’une conception quadri-séculaire dans la façon d’envisager le regard que la science porte sur le monde.

Et l’on comprend alors d’autant mieux l’excitation sans précédent qui s’est emparée de la planète physique depuis le 15 décembre dernier, date à laquelle les expérimentateurs du Cern ont annoncé avoir détecté un signal qui, s’il est confirmé, pourrait être le signe que leur fantastique machine a enfin mis la main sur une particule à même de remettre la physique fondamentale sur ses pieds (voir Science & Vie daté mai, en kiosque du 20 avril au 25 mai, n°1184).

Mais si tant est que cette possible particule soit réelle, ce que les physiciens peuvent déjà déduire de ses propriétés est-il de nature à les rassurer ? A dire vrai, le « X » semble n’être une conséquence évidente d’aucune des théories proposées pour pallier les manques du modèle standard. Autrement dit, ce serait plutôt un « truc en plus ». D’où les efforts des théoriciens depuis cinq mois pour tenter par tous les moyens de l’accommoder à la sauce des différents modèles existants.

 

Si elle est découverte au LHC, la supersymétrie (ici une simulation dans un détecteur) renouvèlerait la quête de l’infiniment petit (crédit : Cern)

Si elle est découverte au LHC, la supersymétrie (ici une simulation dans un détecteur) renouvellerait la quête de l’infiniment petit (crédit : Cern)

 

C’est par exemple le cas de Benjamin Allanach, à Cambridge, au Royaume-Uni, pour qui le X peut être intégré au cadre de la supersymétrie, à condition de modifier la stabilité de certaines particules prévues par cette théorie. De leur côté, plusieurs théoriciens ont proposé des versions de cette même théorie impliquant une multitude de bosons de Higgs, dont certains seraient aussi légers qu’un proton, quand la particule de Higgs découverte en 2012 est plus de 100 fois plus massive. Et il en existe d’autres !

Bref, d’un côté les physiciens sont peut-être en passe d’avoir mis la main sur la particule à même de sauver la physique… mais en l’absence d’une confirmation, le signal observé pourrait tout aussi bien se déliter dans les prochaines semaines. De l’autre, si le X existe bel et bien, il aurait échappé aux spéculations de deux ou trois générations de théoriciens depuis quatre décennies, sans pour autant les condamner définitivement au rebut. Une seule certitude : le « drame » actuellement en train de se jouer sur la scène de la physique est amené à figurer dans les annales de l’histoire des sciences. Et nous sommes aux premières loges !

— Mathieu Grousson

 

Mathieu Grousson est un journaliste collaborateur de Science & Vie spécialiste de la physique fondamentale. Suivez son blog “Particule X” :

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> En savoir plus :

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> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

S&V 1152 - LHC boson de Higgs

  • La matière va enfin parler S&V n°1129 (2011). Moment clou : tout le monde a les yeux rivés sur le LHC, qui confirmera enfin l’existence du boson de Higgs, des décennies après sa théorisation.

S&V 1129 - boson de Higgs LHC

  • LHC, l’accélérateur de l’extrême S&V n°1013 (2002). L’impatience règne chez les physiciens : en cours de construction à cheval entre la France et la Suisse, le grand collisionneur de hadrons est le plus grand outil scientifique jamais réalisé, qui repoussera les frontières de la physique.

S&V 1013 - LHC