Initiation au mystère des Chartreux

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Entre les sapins du Charmant Som et du Grand Som, au coeur du parc naturel régional du Massif de la Chartreuse, vous les avez peut-être croisés un jour. Chaque lundi, deux par deux, crampons aux pieds, leur robe de laine blanche frôlant le sol, les chartreux sont de sortie. Le reste du temps, les pères sont en solitude et en silence dans leur monastère niché dans le vallon. Seuls quelques frères sortent parfois pour l’intendance ou pour assurer la préparation de leur fameuse liqueur. La « route du Désert » de Saint-Pierre-de-Chartreuse – nom officiel de la voie goudronnée qui serpente jusqu’à eux entre les montagnes – est coupée à l’endroit où des panneaux « zone de silence » apparaissent entre les arbres.


À pied, on peut braver l’interdit et monter jusqu’aux imposantes portes perçant la haute muraille surplombée par la falaise : las, elles ne s’ouvriront pas. Si les chemins de terre à la lisière de la forêt permettent de longer le domaine, le randonneur aura beau lorgner, il n’apercevra guère qu’une ou deux silhouettes au loin. La Grande Chartreuse est un lieu mystérieux.


Dans la Grande Chartreuse


Pourtant, dans les familles dauphinoises, on se souvient qu’il n’en a pas toujours été ainsi. « Mon père avait visité les lieux quand il était jeune », confie Philip Boyer avec malice. L’homme aux cheveux blancs et à la mise impeccable est un privilégié : lui connaît bien le monastère isérois et ses occupants. S’il n’en arpente pas souvent les couloirs, Philip Boyer est le dépositaire d’un trésor bien plus grand : l’esprit des Chartreux, qu’il est chargé de transmettre aux visiteurs du musée dont il est le directeur. Pourtant, ce musée aurait pu ne jamais exister… « Si mon père a pu arpenter les couloirs de la Grande Chartreuse, c’est tout simplement parce que les chartreux n’y habitaient plus », raconte-t-il.


(…)

“Le jour où je suis née grand-mère”

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« Elle est si petite et elle est déjà tout ! », c’est la pensée émue qui m’a traversée la première fois que j’ai tenu Louisa, puis Marta deux ans après, dans le creux de mes bras. Nourrisson au souffle paisible, regard venu d’éternité, petit corps chaud lové dans mes bras devenus alcôve : ce jour où je suis « née grand-mère » m’a bouleversée. 


Si mes propres enfants m’avaient éveillée à la patience, aux capacités de puiser en moi des forces insoupçonnées pour renoncer (par exemple !) au sommeil, mes petites-filles ont réveillé ma part d’émerveillement. Croiser un regard confiant, caresser des joues veloutées, sentir une petite tête chaude, s’étonner de la précision des doigts, de la force du poing qui enserre, de la vitalité de ce petit être… je n’avais jamais perçu tout cela avec une telle densité. Sans responsabilité aucune de conduire leur éducation, ni même de leur fixer les règles de la vie, j’étais là au contraire pour recevoir et apprendre de leurs faits et gestes, élargir mon monde avec elles et m’étonner de la plénitude que j’y puisais. 


De l’art d’être grand-père


Est-ce un hasard si ma première petite-fille est née trois mois jour pour jour avant que ma propre mère ne quitte cette terre ? J’y ai vu comme un relais de la vie. Celle-ci me faisait le cadeau d’une transmission à l’heure où il me fallait définitivement renoncer à ma propre enfance. Et de fait, c’est avec Louisa que j’ai ressenti la première fois comme la fugace conviction que désormais tout était accompli, la vie s’était frayé un chemin et je n’avais plus rien à craindre… Il fallait cependant trouver le mot juste, les quelques syllabes qui résument et baptisent cette responsabilité qui m’était donnée. Grand-mère ? Bonne-maman (pas que des confitures !) ? Mamé, Mamoune, Maminette ?… J’en passe et des meilleurs. 


Choisir son appellation contrôlée de grand-mère est un vrai défi. Comment identifier ce lien si particulier, sans céder à l’air du temps tout en se distinguant par un zeste d’originalité ? J’ai finalement opté pour le très classique « mamie ». J’aime cet alliage musical d’un son maternel et du mot amie, « m’amie », car mes petites filles sont celles que j’aime et dont j’accompagne en amie les premiers pas dans la vie. Déjà, je me réjouis de la nouvelle expérience à venir cet automne dans notre famille, avec celle (ou celui ?) qui grandit doucement dans le sein de sa mère et qui sera bientôt mon troisième maître en « grand-maternité » !

Grands-parents, on vous attend !

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On ne les a jamais autant attendus et ils ne nous ont jamais autant étonnés ! Après les deux mois de confinement et les recommandations de se tenir en retrait, jugées infantilisantes, les grands-parents peuvent de nouveau accueillir leurs petits-enfants. Oublié le blues qui a gagné bon nombre d’entre eux au printemps et exit l’angoisse d’être privés de visites cet été, ils retrouvent le sourire et de leur enthousiasme ! 


L’après Covid-19 : “Nous, grand-parents investis, voulons être entendus”


Bonheur de rouvrir grandes les portes de la maison, de voir entrer un souffle de jeunesse et des rires, ardeur à ressortir les jouets, à réparer la cabane abandonnée les mois d’hiver dans le grand jardin?. Un bonheur auquel les enfants eux-mêmes aspiraient, vaccinés du bitume pour de longs mois, las d’avoir leurs parents sur le dos et bien envieux de retrouver leurs grands-parents 100% disponibles pour prendre soin d’eux et de leur témoigner une tendresse particulière. 


De l’art d’être grand-père


Et enfin, grand soulagement des parents épuisés et impatients de bénéficier de soutiens logistiques après deux mois et demi de galère pour tenir les impératifs : faire l’école à la maison en même temps que télétravailler, préparer les repas midi et soir, nettoyer la maison deux fois par semaine plutôt qu’une, tout en trouvant le temps de jouer et distraire les enfants? L’exercice fut périlleux. Tant mieux qu’il soit terminé ! 


Confinée chez sa grand-mère : “Je n’aurais pas supporté de ne pas la voir”


L’heure est à imaginer un autre monde, et les grands-parents qui ont su déployer des talents d’imagination pour rester en lien avec leurs familles et continuer à rendre service, même à distance, entendent bien prendre leur part à cette réflexion. Ils nous l’expliquent ici dans ce dossier. Certains tirent déjà les enseignements de ces expériences vécues, qui montrent l’importance des solidarités familiales au quotidien. D’autres indiquent les ingrédients indispensables pour valoriser les relations intergénérationnelles, un des enjeux pour notre société de demain justement. 


Malgré la crise sanitaire, les trésors d’inventivité des grands-parents pour garder le lien


Cette génération pivot, que décrit Armelle Le Bigot Macaux, la présidente de l’École des grands-parents européens (EGPE), n’a donc pas dit son dernier mot. Et elle est de nouveau prête à remplir ses devoirs de vacances !

Malgré la crise sanitaire, les trésors d’inventivité des grands-parents pour garder le lien

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En temps normal, chaque mardi soir à 16h30, Pascale Cousin et son mari Dominique sont postés devant la porte de l’école, où ils retrouvent leurs petits-enfants et les amènent dans leur maison, à une vingtaine de kilomètres de Lille. Le rendez-vous est inscrit sur les agendas de ce couple retraité, qui se rend disponible pour les accueillir et permettre aux parents d’avoir un mardi soir en amoureux. Pour les enfants, c’est pâtisserie, couture, travaux manuels, jardinage, jeux de société, histoires et confidences… Le mercredi, en fin d’après-midi, vient le moment de se séparer. « La maison est alors sens dessus dessous, mais on s’en fiche, on a le bonheur de les avoir ! Certains grands-parents trouvent que leurs petits-enfants font trop de bruit, salissent, fatiguent. Pour moi, ils sont la vie, et on sait qu’on se reposera après leur départ », confie joyeusement celle qui est devenue grand-mère à 61 ans, au début de sa retraite, et compte aujourd’hui quatre…

De l’art d’être grand-père

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« Ce n’est que maintenant que nous comprenons, mon épouse Marie-France et moi-même, avec une plus grande lucidité, que la vie est trop brève, parfois trop compliquée, pour qu’il ne faille puiser chez nos six petits-enfants des réserves de bonheur et de pleine satisfaction. Notre tribu joue maintenant dans la cour des grands, celle des 13 à 28 ans, avec une seule fille au milieu des garçons. 


Penser à leur prime enfance, c’est toujours dérouler en méandres capricieux, inattendus, le fil d’un rapport aux tendres sentiments qui passent avant tout par l’enchantement et la spontanéité de l’enfance….

L’après Covid-19 : “Nous, grand-parents investis, voulons être entendus”

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Que retenez-vous de ces semaines de confinement pendant lesquelles les grands-parents ont été tenus de rester à l’écart de leurs familles ?


Mon bilan est mitigé. Le fait d’avoir été coupés de nos petits-enfants a été dramatique. Cette situation a fait ressurgir les drames de la solitude et notre exclusion de la société. Mais il y a un élément positif : dans ce moment survenu brutalement, soudain les grands-parents ont pu être très créatifs. Il y a eu une explosion d’imagination à tous les niveaux pour maintenir le contact avec leurs petits-enfants, notamment avec les nouvelles technologies. Ceux qui n’étaient jusqu’alors pas très affûtés avec les applications numériques s’y sont collés avec un grand bonheur. Cette créativité formidable a permis de soulager nos propres enfants, pour lesquels cela a été bien souvent lourd d’avoir à gérer leurs ados et leurs enfants toute la journée.


On a mis dans le même placard presque deux…

Confinée chez sa grand-mère : “Je n’aurais pas supporté de ne pas la voir”

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« Ma grand-mère et moi ne vivons pas loin l’une de l’autre, à quelques kilomètres à peine, à Plérin, dans les Côtes-d’Armor. Nous nous entendons à merveille. Je savais que j’allais être seule pendant le confinement – je suis professeure des écoles – et je ne voulais pas les laisser seuls, elle et son compagnon. Il me semblait qu’il valait donc mieux vivre ensemble plutôt que chacune de notre côté. Je n’aurais pas supporté de ne pas la voir pendant deux mois !


Être à ses côtés était pour moi l’assurance de passer un confinement zen et moins angoissé. Nous avions déjà vécu ensemble trois ans durant mes années de fac à Saint-Brieuc. Mais à ce moment-là, j’étais en cours toute la journée. Là, c’était différent. Nous avons pris le temps de revenir à l’essentiel et de faire des choses que nous aimons toutes les deux : de la couture, car j’ai beaucoup à apprendre d’elle, de la confection de tisanes à base de pétales de roses, de soucis, de lilas après nous être renseignées sur leurs bienfaits, des essais culinaires, du jardinage… Les deux mois ne m’ont pas semblé longs, car nous avons partagé beaucoup.


J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu dans une bulle magique faite de rires et de bienveillance, un cocon réconfortant.


J’ai par exemple réussi à faire regarder la série Friends à ma mamie et son compagnon ! L’après-midi, nous écoutions des vieilles chansons françaises à tue-tête en dansant. Et nous avons fait du tri dans ses placards pour vendre ses vêtements sur le site Vinted, qu’elle ne connaissait pas. Ils ont eu du succès, elle ne s’y attendait pas ! J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu dans une bulle magique faite de rires et de bienveillance, un cocon réconfortant. Seule chez moi, j’aurais explosé. Là, j’avais la gentillesse de ma grand-mère. Elle est une personne en or, ouverte et à l’écoute. Notre lien, déjà fort, l’est devenu encore plus. Elle est un peu comme ma deuxième maman. Quand je suis rentrée, j’étais heureuse de retrouver mon chez moi, mais triste de me retrouver face à moi-même. Ça serait à refaire, je dirais oui tout de suite. Ça restera un souvenir inoubliable. »

L’après Covid-19 : “Nous, grand-parents investis, voulons être entendus”

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Que retenez-vous de ces semaines de confinement pendant lesquelles les grands-parents ont été tenus de rester à l’écart de leurs familles ?


Mon bilan est mitigé. Le fait d’avoir été coupés de nos petits-enfants a été dramatique. Cette situation a fait ressurgir les drames de la solitude et notre exclusion de la société. Mais il y a un élément positif : dans ce moment survenu brutalement, soudain les grands-parents ont pu être très créatifs. Il y a eu une explosion d’imagination à tous les niveaux pour maintenir le contact avec leurs petits-enfants, notamment avec les nouvelles technologies. Ceux qui n’étaient jusqu’alors pas très affûtés avec les applications numériques s’y sont collés avec un grand bonheur. Cette créativité formidable a permis de soulager nos propres enfants, pour lesquels cela a été bien souvent lourd d’avoir à gérer leurs ados et leurs enfants toute la journée.


On a mis dans le même placard presque deux…

Quête et enquêtes au menu de l’été pour les enfants et ados

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Notre balade temporelle débute au Moyen Âge, en compagnie du jeune porcher Taram qui vit au royaume enchanté de Prydain et rêve d’exploits. Sa truie Hen Wren prédit l’avenir et attire la convoitise du maléfique Arawn, seigneur de la Terre des Morts… L’histoire vous dit quelque chose ? Les deux premiers tomes ont en effet inspiré le Walt Disney Taram et le chaudron magique, sorti en 1985. Pour la première fois, la suite des Chroniques de Prydain, saga du fascinant Lloyd Alexander, auteur américain aux mille vies, est traduite en français. Magie et sorcellerie, bravoure et félonie, philosophie : tous les ingrédients sont réunis !


« Rappelle-toi les temps heureux. Ta mémoire est ton grenier. Elle te gardera vivante. » Tant attendu, voici le dernier ouvrage de l’auteur de littérature jeunesse Timothée de Fombelle ! Dans Alma. Le vent se lève, de sa plume évocatrice, l’auteur nous projette dans une…

Moteur(s) ! Le retour du drive-in

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Parfois, un moustique se collait au pare-brise, un insecte cinéphile ramené par la bise du soir, et s’écrabouillait au coin des beaux yeux de Michèle Morgan. Le romantisme était un brin entaché, mais il pouvait renaître après un salvateur coup de balai d’essuie-glace, comme une touche de pinceau à cils pour se refaire une beauté.


C’était épatant, le cinémascope en plein air. À condition d’aimer la bande sonore de la pluie quand les gouttes faisaient des claquettes sur la tôle, d’endurer les jappements du chien, les chamailleries des enfants nichés sur la banquette arrière. Et de ne pas s’offusquer quand les gargouillements de l’estomac, lourd de hamburgers mal digérés, donnaient la réplique aux comédiens qui, à l’autre bout du capot, déroulaient leurs tirades dans la nuit étoilée. Qu’importent la buée et les reflets sur les vitres, les nuées de moucherons et de miettes de casse-croûte, la moiteur, ou même les voix nasillardes des acteurs crachouillées par le haut-parleur, relié à un câble électrique, que l’on se procurait à la caisse…


Au point mort en France


« C’est une nouveauté qui est bien agréable ! », s’enthousiasmait, en 1967, une spectatrice, avec thermos de rigueur et chignon d’époque, devant la caméra des actualités télévisées. À la sortie de Toulon, sur la RN 97, le drive-in (ou ciné-parc) de la Farlède, dans le Var, fut le premier inauguré en France. À l’entrée d’un chemin de terre, cette pancarte annonçait la première étape du rituel : « Éteignez vos phares SVP ».


Trois ans plus tard, en 1970, un écran de 600 m2, le plus grand d’Europe, est déployé à Rungis, dans la banlieue sud de Paris. Les automobiles se parquent en un arc-en-ciel de dominos métallisés, à l’arrêt sur des petites buttes, appelées « vagues », édifiées pour surélever les voitures et améliorer la vision. Tarifs : 4 francs par voiture, et 6 à 8 francs par passager – sans compter le manque à gagner des resquilleurs, planqués dans le coffre. Une envie de grignoter ? On allume ses veilleuses et un serveur, alerté par l’œillade, s’empresse d’accourir pour ravitailler le client avec un ice-cream. Une averse ? Un pare-brise souple à ventouse peut être fixé à la hâte sur le toit…


 En France, les drive-in n’ont jamais réussi à s’implanter. Je n’en éprouve aucun chagrin ! 

– Francis Bordat, historien du cinéma


« Tous ces rituels sont très poétiques, évidemment, mais je ne perçois très sincèrement que des gênes ajoutées à mon plaisir de regarder un film ! Et d’abord, comment supporter ce pare-brise entre l’écran et moi ? » Pour un peu, Francis Bordat claquerait la portière au nez de notre rêve en technicolor. Professeur émérite de civilisation américaine à l’université Paris-Ouest, cet historien, spécialiste du cinéma américain, comprend toutefois le retour au premier plan du drive-in, à l’occasion de la crise sanitaire. « Cet enfermement cellulaire dans un habitacle d’automobile convient bien évidemment au contexte des pandémies. Mais je pense que cet engouement est absolument conjoncturel, même s’il flatte un goût du repli sur soi. En France, les drive-in n’ont jamais réussi à s’implanter. Je n’en éprouve aucun chagrin ! » Fin de la séance. On rembobine. Retour dans la France de la fin des sixties, où les ciné-parcs, éphémères, disparaîtront rapidement du paysage.


Succes-story à l’américaine


Le « drive-in theater » est né outre-Atlantique, en 1933. Cette année-là, son concepteur, Richard Milton Hollingshead, un industriel, ouvre le premier « cinéma en plein air pour voiture » à Camden, dans le New Jersey, après avoir effectué les mises au point techniques dans son jardin, avec son projecteur Kodak. « À la différence de la France, où il n’a jamais été qu’une curiosité, le drive-in est profondément enraciné dans la culture américaine. Le phénomène est aujourd’hui marginal, il en reste environ 320 aux États-Unis, notamment dans les régions rurales, sur un total de quelque 50.000 écrans », précise Michel Etcheverry, professeur d’anglais à la Sorbonne et spécialiste du cinéma anglo-saxon. « Quand on me parle de nostalgie, il s’agit forcément d’une nostalgie par procuration ! Elle renvoie à un imaginaire américain fantasmé, illustré par des scènes de films comme Grease, avec Olivia Newton-John et John Travolta, Christine, de John Carpenter, ou American Graffiti, de George Lucas. » Cette profonde « américanité » du drive-in explique, selon lui, son « relatif insuccès » en dehors du continent nord-américain.


Les banlieues résidentielles tentaculaires avalent les familles de classes moyennes, l’essentiel du public des drive-in.


Le drive-in, en effet, raconte une histoire de l’Amérique, dans ses mutations économiques et l’évolution de ses mœurs. Encore peu fréquenté durant les années 1930, il a pris son essor dans les années 1940 et 1950 : une période de prospérité soutenue par l’industrie automobile – les constructeurs de Détroit, dans le Michigan, règnent en maître –, le secteur du bâtiment et la construction immobilière. Avec leurs enfilades de maisons identiques, les banlieues résidentielles tentaculaires, survolées par la caméra de Tim Burton dans Edward aux mains d’argent, avalent les familles de classes moyennes. Une lower middle-class qui constituera, avec la working-class (« classe ouvrière »), l’essentiel du public des drive-in. Ces périphéries n’abritent pas encore les centres commerciaux et les complexes multisalles des années 1970 qui, avec la complicité de la télévision et de la vidéocassette, signeront le déclin du ciné-parc.


À son apogée, entre 1954 et 1965, le drive-in, symbole de l’Amérique de l’abondance et des vastes espaces – sa construction requiert entre 5 et 10 ha – représentera le quart des recettes d’exploitation du cinéma ; on dénombrera 4.700 drive-in en 1958 ! Il s’inscrit dans le sillage de la traînée de liberté dessinée par la voiture, devenue un mode de vie durant les Trente Glorieuses. « Cette culture de la bagnole commencera à dépérir avec le mouvement hippie : le combi Volkswagen remplacera les Cadillac chromées ! », résume Francis Bordat, qui a codirigé avec Michel Etcheverry l’ouvrage Cent ans d’aller au cinéma, paru en 1995 aux Presses universitaires de Rennes.


On s’y rend également pour intégrer un groupe social, retrouver sa bande, et à l’occasion faire le coup de poing. 

– Michel Etcheverry, spécialiste du cinéma anglo-saxon


Lieu de consommation et rituel de passage


Pour l’heure, en cet âge d’or, le drive-in est un authentique lieu de consommation, où rien n’interdit de lorgner le film tout en scrutant les voisins de parking. « Sur place, le spectateur pouvait disposer d’appareils pour réchauffer les biberons, de cafétérias, de laveries automatiques, parfois même de minigolfs et de piscines », rappelle Michel Etcheverry. Quand les enfants du baby-boom, les bébés explosifs de 1945, basculent dans la fureur de vivre, provoquant l’émergence d’une turbulente culture de la jeunesse, le drive-in s’impose comme un rituel de passage. « Le drive-in, où l’on se rend en voiture, le seul espace d’intimité où l’on peut échapper à l’autorité parentale, a participé de l’éducation sexuelle des adolescents, surtout dans les années 1960. Certains moralistes ont d’ailleurs dénoncé ce dévergondage dans ce qu’ils appelaient les “passion pits” (“lieux de luxure”). On s’y rend également pour intégrer un groupe social, retrouver sa bande, et à l’occasion faire le coup de poing. »


La programmation est particulièrement favorable aux flirts entre teenagers, aux élans des cœurs et aux soubresauts des corps. Les drive-in sont en effet l’un des lieux privilégiés pour frémir devant les films issus de ce que l’on qualifie de « cinéma d’exploitation » : la série B, la série Z… Ou carrément les nanars. « Les drive-in sont des salles de seconde exclusivité, où l’on peut découvrir les films, souvent mal fichus, de ce cinéma indépendant qui n’avait pas besoin de respecter le code Hays, le code de censure hollywoodien appliqué jusqu’en 1968 », explique Régis Dubois, auteur de l’ouvrage Drive-in & Grindhouse cinema. 1950’s-1960’s, paru chez Imho. Pour ce fin connaisseur, ces réalisations audacieuses et grisantes, notamment les productions de Roger Corman, révèlent « le côté obscur de l’Amérique ».


C’est un cinéma de la marge, parfois injustement déprécié, dont les titres de films et les affiches bariolées donnent aujourd’hui encore envie de fuguer sur l’asphalte : l’Attaque de la femme de 50 pieds, l’Attaque des crabes géants, le Fantôme de l’espace… Science-fiction, horreur, rock’n’roll, beach movies (« films de plage »), courses de motards : ces films diffusent la contre-culture, entre beach boys, beatniks et bikers. Ils annoncent Easy Rider (1969), de Dennis Hopper, et participent à l’émergence du mouvement cinématographique le « Nouvel Hollywood ». « Ces films ne méritent souvent pas plus que quelques coups d’œil. Mais comme ils sont choquants, ou qu’ils font peur, la jeune fille qui vous accompagne aura tendance à se blottir dans vos bras ! »


Un concept hors-cadre


Pourtant, et même si l’on entend ronronner le moteur de la Cadillac en arrière-fond de ses propos, Régis Dubois avoue son scepticisme devant l’engouement actuel pour le drive-in. « Pour que le concept perdure, il faudrait peut-être imaginer un décorum spécifique, recréer une ambiance rétro-fifties autour des projections ? » En France, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) a déploré, dans un communiqué diffusé en mai, que ces séances alternatives « détournent les spectateurs, les médias, l’administration locale et nationale du seul combat à mener : la réouverture des salles, seul lieu structurant et pérenne de la culture cinématographique ». Et des voix se sont parfois élevées pour dénoncer un divertissement qui oblige à embrayer sur l’automobile, en pleine transition écologique.


À Châlons-en-Champagne, c’est une messe qui a été célébrée au mois de mai en drive-in par l’évêque.


De nombreuses expériences ont cependant été menées à travers l’Hexagone, comme ailleurs dans le monde. Le drive-in a même débordé le cadre cinématographique. Au Danemark, un match de football à huis clos, entre le FC Midtjylland et l’AC Horsens, a été organisé à la manière d’un drive-in : les supporters, en voitures, étaient alignés devant un écran géant, adjacent au stade. À Châlons-en-Champagne, c’est une messe qui a été célébrée au mois de mai en drive-in par l’évêque, sur le parking du Parc des expositions. À Albi, dans le Tarn, un concert, retransmis sur l’autoradio grâce à la station régionale « 100% radio », s’est déroulé en formule drive-in, avec klaxons et appels de phare en guise d’applaudissements.


Reportage à Châlons, où la “messe en voiture“ fait le plein


Directeur du cinéma Lux, à Caen, Gautier Labrusse est un partisan de ces événements « hors les murs », proposés non pas en concurrence mais en complément de l’activité des salles. Il organise depuis plusieurs années des séances de drive-in et des projections en plein air, dans les quartiers ou à la campagne, en liaison avec les services culturels des communes. « Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche de médiation et d’éducation à l’image, d’entraide et d’accès de tous à la culture », explique-t-il. Par le passé, du « cinéma piscine » a été proposé aux nageurs adeptes de l’aqua-cinéphilie, invités à se plonger dans un film, les pieds dans l’eau ! On s’en voudrait de taire l’invention d’un « pédalo-ciné » : pas de méprise, le principe ne consiste pas à embarquer sur un pédalo mais à enfourcher des vélos en poste fixe et à pédaler pour fournir l’électricité nécessaire à la projection.


Jusqu’à la réouverture des salles, le 22 juin, des séances de drive-in, en partenariat avec Caen Événements, ont rassemblé jusqu’à 150 voitures. Les films étaient projetés sur un écran gonflable de 140 m2, et le son retransmis sur la fréquence d’une radio locale, Radio 666. Ces dernières semaines, avec le drive-in, le ciné a pris l’air. Profitera-t-il des beaux jours pour s’offrir un été buissonnier ? Ou ne s’agissait-il que d’un écran de fumée ? Le scénario n’est peut-être pas totalement écrit.


À lire
Cent ans d’aller au ciné. Le spectacle cinématographique aux États-Unis (1896-1995), de Francis Bordat et Michel Etcheverry, Presses universitaires de Rennes, 1995, 22,99 €.
Drive-in & Grindhouse Cinéma. 1950’s-1960’s, de Régis Dubois, Imho, 2017, 60 €. 


>>À lire


Cent ans d’aller au ciné. Le spectacle cinématographique aux États-Unis (1896-1995), de Francis Bordat et Michel Etcheverry, Presses universitaires de Rennes, 1995, 22,99 €.


Drive-in & Grindhouse Cinéma. 1950’s-1960’s, de Régis Dubois, Imho, 2017, 60 €.