“Le RSA apporterait aux jeunes précaires une vraie stabilité”

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De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la mise en place d’un revenu de solidarité active pour les jeunes à partir de 18 ans. Qu’en pensez-vous ?


Ce débat est aujourd’hui porté, à juste titre, par les organisations syndicales, les personnels sociaux et les associations de solidarité, y compris par des acteurs comme le Secours catholique, ATD Quart Monde ou les Apprentis d’Auteuil. Tous demandent l’ouverture des minima sociaux pour les jeunes à partir de 18 ans. En effet, ces derniers ont été durement touchés par la crise : un sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Qu’ils soient étudiants, en formation ou en recherche d’emploi, ils n’ont souvent pas d’autre solution que d’utiliser le système D, avec des petits boulots ou du travail au noir, pour subsister.


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Or, avec la crise sanitaire, ces petits boulots se sont considérablement restreints, notamment dans le domaine de la restauration. Certes, une aide de 200 euros a été versée en juin, trois mois après le début de la crise, à des étudiants qui avaient perdu un revenu lié à leur stage. Mais, outre le fait qu’elle était insuffisante, cette prime n’a concerné qu’une toute petite partie de la jeunesse. Les plus précaires, ceux qui ne touchent pas d’aide personnalisée au logement (APL) et qui sont hébergés par des tiers ou dans des centres d’hébergement d’urgence, n’en ont pas bénéficié. Il y a des failles dans notre protection sociale.


Comment expliquer cette situation ?


Notre système de protection sociale n’a pas été suffisamment rénové. Il est encore fondé sur des principes où l’on enchaînait assez facilement la période de prise en charge par la famille avec un emploi stable qui garantissait la sécurité sociale et l’accès aux droits. Il n’a pas pris en compte le fait que la jeunesse était une période à risques, comme l’est la dépendance pour les personnes très âgées, pour lesquelles on a été capable d’aménager des droits, même s’il reste encore beaucoup à faire. Avec la démocratisation de l’enseignement supérieur et l’allongement des études, de plus en plus de jeunes tardent à entrer sur un marché du travail… où ils ne sont pas toujours les bienvenus. Dans les années 1970, on pouvait trouver du travail à 20 ans. Il fallait attendre 22 ans, dans les années 1990. L’âge du « premier emploi stable » (CDI ou CDD de plus d’un an) est aujourd’hui de 27-28 ans. L’État considère que c’est à la famille d’assurer les ressources des enfants, par le biais de ce qu’on appelle l’obligation alimentaire. Sauf que ce système marche pour les familles qui ont des moyens, ou qui reçoivent des aides de l’État, selon le quotient familial. Mais ça ne fonctionne plus dès que la famille ne paie pas d’impôt sur le revenu, ce qui représente plus de la moitié de nos concitoyens.


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Il y aurait donc une reproduction des inégalités liée à notre système de protection sociale ?


Tout à fait. Un enfant d’une famille pauvre a beaucoup moins de chances de s’en sortir que les autres, car il ne bénéficie pas des mêmes protections. C’est ce qui explique qu’il y ait si peu d’étudiants issus des classes populaires à l’université. Sans compter le fait que beaucoup de jeunes, qu’ils viennent de l’Aide sociale à l’enfance (Ase) ou qu’ils aient une orientation sexuelle qui déplaît à leurs parents, sont en rupture familiale. Beaucoup d’entre eux se retrouvent dans une grande précarité. Toutes les aides qui peuvent alors leur être apportées, telles que la Garantie jeunes, ne sont que provisoires et ne leur permettent pas de construire sereinement leur avenir. Le RSA, lui, leur apporterait une vraie stabilité et leur permettrait d’avoir accès à un logement social ou à des prêts bancaires, car ils bénéficieraient d’un revenu régulier. De plus, la Garantie jeunes n’est pas un droit, elle n’est qu’un dispositif aléatoire qui fluctue en fonction des décisions budgétaires de chaque gouvernement. Être bénéficiaire des minima sociaux permet aussi d’avoir accès plus facilement aux transports en commun.


Toutes les aides actuelles ne sont que provisoires et ne leur permettent pas de construire sereinement leur avenir.


Il existe pourtant un RSA jeune pour ceux qui sont chargés de famille. Quel bilan peut-on en tirer ?


Certes, cette allocation a le mérite d’exister, mais elle ne concerne qu’une toute petite partie de la jeunesse. S’il s’agit d’inciter les jeunes à faire des enfants, pourquoi pas, mais est-ce vraiment le bon moyen de les aider à s’insérer dans le monde du travail ? Il existe aussi un RSA jeune actif, mais dont les conditions d’obtention sont draconiennes : il faut avoir travaillé 18 mois au cours des deux ou trois années précédentes. C’est le meilleur moyen de faire en sorte que ça ne marche pas. Exiger le RSA pour les 18-25 ans, ce n’est pas seulement leur assurer un revenu minimum. C’est aussi mettre en place un accompagnement vers un projet d’insertion sociale et professionnelle et leur ouvrir des formations adaptées pour les aider à trouver un emploi. Ce que font très bien les missions locales depuis 40 ans. On sait que, globalement, le RSA a été un échec sur cette question de l’accompagnement. Mettre en place un tel dispositif pour les jeunes profiterait à tous les bénéficiaires de ce revenu. Nous devons sortir d’une logique d’assistanat.


Y a-t-il bon espoir que le gouvernement évolue sur cette question ?


En Suède ou au Danemark, comme dans un quart des pays européens, ce système d’aide bénéficie à tous les jeunes de plus de 18 ans. Cela devrait nous servir d’exemple. De fait, cette mesure représenterait un coût financier pour l’État : environ 5 milliards d’euros. Mais il faut la voir comme un investissement pour l’avenir et donc comme une source d’économie face aux dépenses générées par des aides conjoncturelles qui n’aboutissent à rien. On gagnerait beaucoup à travailler sur des mesures structurelles, qui adapteraient le système de protection sociale à la question de la jeunesse. Il faut bien comprendre que le chômage de masse et l’exclusion des jeunes ont aussi un coût. Et il est bien plus élevé que le RSA lui-même.

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