Ils éliminent la dépression en 24 h : de nouveaux médicaments inspirés de la kétamine efficaces chez les rats

Standard

Les antidépresseurs actuels ont une efficacité limitée - Ph. v1ctor via Flickr / CC BY 2.0

Les antidépresseurs actuels ont une efficacité limitée – Ph. v1ctor via Flickr / CC BY 2.0

S’ils se montraient efficaces chez l’homme, ces nouveaux médicaments déclencheraient une révolution inespérée dans le traitement de la dépression. Car les antidépresseurs prescrits actuellement par les médecins mettent des semaines à agir et ne sont pas toujours efficaces.

Les neuroscientifiques de l’université du Maryland (à Baltimore, États-Unis) ne cachent pas leur enthousiasme devant les effets spectaculaires de ces molécules. Appelées GABA-NAM, elles ont éliminé, en 24 heures, les symptômes de la dépression sur des rats élevés en laboratoire de manière à reproduire cette terrible maladie psychiatrique.

Un rat peut-il véritablement être déprimé ? Si on ne peut le savoir, il est cependant possible d’induire chez lui les symptômes de la dépression. Par exemple, à travers un stress chronique, qui génère, comme chez l’homme, des comportements dépressifs. L’équipe de Scott Thomas a utilisé un protocole de “stress chronique imprévisible”. Pendant 5 semaines, chaque jour, 18 rats ont été soumis de manière aléatoire à un évènement stressant : nage forcée dans l’eau froide, lumières clignotantes, coupure de l’éclairage, exposition à un bruit blanc, confinement dans un tube, restriction alimentaire ou hydrique.

Les rats “déprimés” consommaient moins de sucre et interagissaient moins avec d’autres rats

Ensuite, l’équipe à vérifié que les rats ainsi stressés manifestaient effectivement des symptômes dépressifs, via deux méthodes. La première est le test d’interaction sociale : placés devant un autre rat (inconnu) pendant 2,5 minutes, les rats stressés restaient plus en retrait que les rats non soumis au traitement. Ce résultat est censé reproduire le manque d’intérêt pour les interactions sociales souvent manifesté par les personnes dépressives.

Une deuxième vérification est de mesurer un des symptômes de la dépression appelé anhédonie, soit la perte de l’attrait pour les sensations normalement agréables, représentées ici par de l’eau sucrée (contenant 1 % de saccharose — le sucre de table). Placée à côté d’une bouteille d’eau non sucrée, celle-ci était préférée à 80 % par les rats non stressés. Mais le stress chronique supprimait cette préférence : les animaux se dirigeaient au hasard (50 % – 50 %) vers l’une ou l’autre bouteille.

Il est possible d'induire certains symptômes de la dépression chez le rat, en laboratoire. — Ph. Jean-Etienne Minh-Duy Poirrier via Wikimedia Commons / CC BY SA 2.0

Il est possible d’induire certains symptômes de la dépression chez le rat, en laboratoire. — Ph. Jean-Etienne Minh-Duy Poirrier via Wikimedia Commons / CC BY SA 2.0

 

En un jour, les médicaments GABA-NAM exercent un effet antidépresseur chez les rats

Or, les deux nouveaux médicaments testés (appelés pour l’instant L-655,708 et MRK-016) ont fait complètement disparaître les symptômes dépressifs chez les rats stressés. Et ce, seulement 24 heures après leur injection ! Comme le décrivent les chercheurs dans la revue Neuropsychopharmacology, les animaux traités recommençaient à interagir avec un rat inconnu dans le test d’interaction sociale et à préférer boire de l’eau sucrée, récupérant leurs scores d’avant le protocole de stress chronique.

Une telle efficacité et rapidité d’action a de quoi surprendre, quand on sait que les antidépresseurs actuellement sur le marché mettent des semaines, voire des mois à produire une amélioration chez les malades. De plus, seules 40 à 60 % des personnes traitées en tirent des bénéfices, et seules 30 à 40 % sont véritablement soignées par ces médicaments.

C’est donc une authentique révolution qui pourrait venir de ces nouvelles molécules, si elles s’avéraient aussi efficaces chez des patients humains que chez les rats.

Le mode de fonctionnement de ces nouveaux composés est inspiré de la kétamine

Une révolution qui leur vient de leur mode d’action original. Les antidépresseurs actuels (les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine — SSRI) agissent en augmentant certaines stimulations excitatrices dans le cerveau. Elles sont véhiculées par un neuromédiateur appelé sérotonine, qui a une action excitatrice sur les neurones, et dont les SSRI prolongent la présence dans les synapses.

A l’inverse, les nouvelles molécules (baptisées GABA-NAM), agissent sur le neuromédiateur inhibiteur GABA (acide γ-aminobutyrique), en réduisant sa stimulation. Inhiber son inhibition… revient ainsi à augmenter l’activité excitatrice des neurones du cerveau, et ainsi à restaurer son fonctionnement normal.

Ce mode de fonctionnement a été inspiré par la kétamine, une molécule psychotrope utilisée en anesthésie et en vétérinaire, dont on avait découvert en 2010 qu’une seule dose produit, dans le cerveau, un effet antidépresseur remarquablement rapide, efficace et durable. Seul hic : elle produit également des hallucinations et des états psychotiques, si bien qu’elle est utilisée comme une drogue sur le marché illégal.

Scott Thomas et son équipe ont donc tenté de ne garder que les effets positifs de la kétamine. Ils ont recherché des molécules semblables, mais plus sélectives : L-655,708 et MRK-016 ont la propriété de n’agir que sur une forme particulière de récepteurs du GABA, porteurs de la subunité α5, que l’on retrouve précisément dans les zones cérébrales associées à la dépression. C’est à dire le cortex préfrontal et l’hippocampe, faisant partie du circuit cérébral de la récompense, qui est dysfonctionnel chez les personnes déprimées.

L’idée était bonne : dans l’hippocampe du cerveau des rats présentant les symptômes de la dépression, les neuroscientifiques ont observé une réduction de la transmission des signaux excitateurs entre neurones… qui était restaurée 24 heures après l’administration des médicaments GABA-NAM.

Avant que des tests soient menés sur l’homme, l’équipe de Scott Thomas doit multiplier les recherches pour mieux cerner le mécanisme d’action de ces molécules et cibler les plus efficaces et les plus sûres. Et cela pourra prendre des années…

—Fiorenza Gracci

 

> Sur le même thème :

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de Science&Vie :

S&V 1171 - suicide

S&V 1162 - depression aspirine

  • Dépression, une maladie qui dérange — S&V n°1047, 2004. Avec son nombre impressionnant de malades, sa multitude de symptômes et ses causes toujours inexpliquées, la dépression est décidément une maladie très particulière. A laquelle la médecine commence à peine à donner des réponses efficaces.

S&V 1047 - depression

 

Scoutisme, les raisons d’un succès

Standard

J’adore camper, dormir sous une toile de tente. On se sent libre, on respire. Quand je rentre de camp, je me sens à l’étroit dans l’appartement. » Six ans de guidisme au compteur : Apolline a toqué à la porte des « bleus » à 11 ans, conquise par les récits de son frère aîné. Comme elle, environ 140 000 jeunes partiront cet été sac au dos. Un nombre qui peut sembler faible en regard des 300 000 guides et scouts des années 1960 et des 8 millions de 8 à 17 ans en France (selon l’Insee en 2013). « Sans doute, le scoutisme a-t-il répondu à des objectifs d’émancipation sociale, quand il est davantage perçu comme “vintage rétro” actuellement, reconnaît Elsa Bouneau, présidente de la Fédération du scoutisme français et des…

Cet article est réservé aux abonnés de La Vie, afin de le lire

ABONNEZ-VOUS

4€/mois SANS ENGAGEMENT

Accédez à des contenus numériques exclusivement réservés aux abonnés ainsi qu’à vos numéros en version PDF sur ordinateur, smartphone et tablette.


Scoutisme, les raisons d’un succès

Standard

J’adore camper, dormir sous une toile de tente. On se sent libre, on respire. Quand je rentre de camp, je me sens à l’étroit dans l’appartement. » Six ans de guidisme au compteur : Apolline a toqué à la porte des « bleus » à 11 ans, conquise par les récits de son frère aîné. Comme elle, environ 140 000 jeunes partiront cet été sac au dos. Un nombre qui peut sembler faible en regard des 300 000 guides et scouts des années 1960 et des 8 millions de 8 à 17 ans en France (selon l’Insee en 2013). « Sans doute, le scoutisme a-t-il répondu à des objectifs d’émancipation sociale, quand il est davantage perçu comme “vintage rétro” actuellement, reconnaît Elsa Bouneau, présidente de la Fédération du scoutisme français et des…

Cet article est réservé aux abonnés de La Vie, afin de le lire

ABONNEZ-VOUS

4€/mois SANS ENGAGEMENT

Accédez à des contenus numériques exclusivement réservés aux abonnés ainsi qu’à vos numéros en version PDF sur ordinateur, smartphone et tablette.