Ciel, mon ado ne croit plus !

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Au collège, Dieu n’était pas ma priorité et j’en avais marre de la messe. Je me cherchais, je voulais être comme tout le monde… », raconte Marion, 19 ans. Des Marion, tout le monde en connaît ! « C’est normal à cet âge de se remettre en question, de s’interroger sur ce qui a été transmis et ça ne concerne pas que la foi », souligne le père Christophe Danset, prêtre accompagnateur de la pastorale des jeunes dans un doyenné du Nord. « Le regard des autres pèse lourd à cet âge et assumer sa foi, c’est encore plus compliqué si on est en minorité, si elle crée ou amplifie une différence, ajoute Béatrice Lefèvre, responsable nationale de l’Aumônerie de l’Enseignement Public et de la pastorale des adolescents. D’où l’importance de travailler avec les jeunes sur l’effet de groupe. » 


Conscients de la complexité de la tâche, les adultes accompagnateurs ne sont pas complètement désarmés pour rejoindre les jeunes…

Platini, San-Antonio et les escargots de Bourgogne

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Déjeuner en paix ? Et puis quoi encore ? Quand la cuisine fait office de sas d’entrée et de sortie de la propriété familiale, de centre de commande pour un nombre fluctuant d’enfants et d’adultes au rythme de vie désynchronisé – certains travaillent, d’autres sont en vacances ou passent dire bonjour –, quand elle sert de vestiaire, de pharmacie, de buanderie, de comptoir, de salle de télévision et de salon de lecture (Le Bien public, tous les jours, l’Almanach ­Vermot et parfois – bingo ! – un San-Antonio ou un OSS 117 oubliés là par un oncle distrait), à quoi bon s’énerver ? On s’y fait. Surtout quand on a 10 ans et qu’on est en vacances chez ses grands-parents.


Alors, on observe les adultes en caressant le chien et en buvant sa grenadine, on les regarde entrer, sortir, on les écoute causer, se contredire, s’embrouiller ou commenter « les informations ». De temps en temps, on relance la machine sans qu’ils s’en rendent compte (« Pourquoi t’aimes pas Mitterrand, tonton ? »). Bref, on rigole bien et on apprend plein de choses. Mais on mange tout de même aussi vite que possible pour ressortir avec les cousins et s’entraîner à reproduire au fond de la cour ou sur le terrain municipal les exploits de Platini et Rocheteau. Il y aura toujours quelqu’un qui saura vous retrouver pour le dessert.


Attention à la pauchouse


Vu le mouvement et le nombre de personnes passant par là, l’intendance doit suivre. Mais on est en Bourgogne, en Côte-d’Or, au-dessus de Nuits-Saint-Georges : tout le monde ici a une conscience aiguë de ce qu’il mange et de ce qu’il convient de boire avec. On est bien élevé, mais malheur à celui ou celle qui aura failli dans ce domaine ! Dix ans après, on parlera encore, comme en passant, d’une pauchouse approximative ou de la tristesse d’un plateau de fromages ; et mon grand-père n’est pas du genre à oublier un passetoutgrain indigne qu’on lui aura servi sans y prendre garde.


Comment nourrir toute cette communauté sans fâcher personne ? C’est qu’il s’agit d’assurer à la fois la quantité – 8, 12, 15 personnes ou plus selon les saisons – et la qualité… Ici, les framboises n’arrivent pas d’Espagne ou de Pologne en barquettes de 125g mais par seaux entiers de chez le voisin, et la crème fraîche se sert à la louche.


Une douzaine, pas moins


Prenez les escargots, plat local s’il en est. La moindre des choses est d’en servir une douzaine à chaque convive pesant moins de 50kg, d’en prévoir une et demie pour la tranche 50-70kg, et deux pour les autres. Convertissez en coquilles – des vraies, pas ces déprimants godets en céramique qui se sont imposés un peu partout – et vous aurez une idée du tableau au moment de la préparation de ce grand classique. Tout est affaire d’organisation. Autour de la grande table centrale, sur laquelle s’étalent des plats vides gigantesques, des montagnes de coquilles et des monceaux de victuailles, ma grand-mère et quelques-unes de ses filles écrasent, mélangent, triturent et, les mains luisantes, bourrent les coquilles tout en bavardant et en commentant les écarts de l’une ou de l’autre (« Mais arrête avec le sel ! », « Mets-en encore, il faut que ça dépasse ! »).


L’exécution est délicate mais la philosophie générale est plutôt simple : du beurre, encore du beurre, toujours du beurre… la formule d’Auguste Escoffier, le « roi des cuisiniers », n’a d’ailleurs pas besoin d’être formulée ou discutée. Elle va de soi. À l’époque, la mauvaise conscience lipidique était encore un truc de Parisien. Parfois, quelqu’un entre dans la pièce, donne un coup de main pour une douzaine de coquilles. Lui aussi gardera pendant plusieurs jours les doigts imprégnés de sucs d’ail.


Je ne crois pas avoir jamais commandé d’escargots dans un restaurant. D’abord, parce qu’ils sont souvent proposés par six, ce qui aurait fait s’étouffer d’indignation (ou de rire) ma grand-mère. On n’a pas encore inventé le vin servi dans un dé à coudre ! Ensuite, parce que 90% des escargots qui sont servis aujourd’hui en France sont importés de Pologne ou de Roumanie. Chez nous, ils ont été décimés par les pesticides. Je n’ai rien contre les éleveurs d’escargots polonais ou roumains, et je salue même leur esprit d’entreprise. Simplement, l’idée de devoir importer l’essentiel d’un plat du terroir m’afflige. Peut-être aussi que j’idéalise les escargots de Bourgogne du début des années 1980. À moins que les escargots n’aient rien à voir là-dedans. Parce que, entre nous, San-Antonio, Mitterrand, Platini et Rocheteau, ça avait tout de même une autre gueule que les demi-sel d’aujourd’hui…

Platini, San-Antonio et les escargots de Bourgogne
© Gérard Dubois pour La Vie


La recette :



Ingrédients pour 8 douzaines d’escargots :
Pour le court-bouillon :

5L d’eau

2 bouteilles et demie de vin blanc

16 échalotes

10 gousses d’ail

2 carottes

1 bouquet de persil

2 brins de thym et 2 feuilles de laurier

sel et poivre
Pour le beurre d’escargot :

800g de beurre doux

150g d’échalotes hachées

50g d’ail haché

30g de sel

120g de persil haché


Préparation : 30 min
Cuisson : 3 h 30 + 8 min


Préparez le court-bouillon.

Plongez les escargots (dégorgés) dans l’eau bouillante durant 3h30. Écumez régulièrement.

Une fois cuits, décoquillez-les à l’aide d’une aiguille, enlevez l’extrémité noire et faites-les revenir à la poêle avec du beurre et des échalotes (sans faire rissoler !). Réservez. Lavez les coquilles et faites-les sécher.

Préparez le beurre d’escargot. Travaillez le mélange à la fourchette.

Mettez-en un peu dans le fond de la coquille, puis placez l’escargot. Remplissez jusqu’au bord et tassez.

Disposez les coquilles dans un plat allant au four, en les calant les unes contre les autres pour qu’elles ne se renversent pas.

Faites cuire 8 minutes à four bien chaud.

Servez bouillant avec un verre de bourgogne aligoté.

Alerte aux “chicoufs“ !

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Comme chaque été, d’importantes nuées de « chicoufs » ont été repérées aux alentours des marchands de glace et des châteaux de sable. « Je n’en avais jamais vu autant auparavant », témoignait récemment ce grand-père, assailli depuis le début des vacances par une flopée de « chicoufs » monstrueux qu’il avait tenté de repousser avec un râteau : leur peau était ravagée par des boutons d’acné, leur corps en éruption semblait gorgé d’hormones, la voix déraillait dans les octaves sous l’effet de la mue…


Le « chicouf » est ce diminutif par lequel les grands-parents, au bord du désespoir, désignent leurs petits-enfants déposés à la hâte par des parents implacables, soulagés de pouvoir se délester du fardeau. Les rejetons savent se montrer affectueux. Du moins dans un premier temps. Cette attitude sournoise est à l’origine de leur sobriquet, contraction de « chic »… ils arrivent, et de « ouf », ils repartent !


Les « chicoufs » prolifèrent l’été, comme les taons et les frelons asiatiques. Leur morsure n’est pas mortelle. Ils n’usent que les nerfs.  Le « chicouf » est « petit, mignon, bruyant, épuisant », précisent Hervé et Marie-Pascale Anseaume, auteurs du Guide de survie des jeunes grands-parents (Éditions Tut-Tut), paru en 2015.


Certaines espèces sont plus nuisibles que d’autres : celles qui se lèvent pour brailler à 6 heures du matin. Il n’existe aucun répulsif, si ce n’est la menace de devoir aider aux travaux des champs. Seules les zones sans couverture 4G – les « no wifi zones de la mort », comme les surnomment les « chicoufs » – sont relativement épargnées : abandonné sur un territoire sans réseau, le « chicouf » meurt en quelques jours après avoir avalé sa carte SIM prépayée par papa et maman.


 


Chic… ouf ! 


« Les grands-parents sont nombreux à avouer que la garde des petits-enfants, c’est souvent épuisant. Certains évoquent même la technique du “chicouf” : “Quand ils arrivent, on est heureux, on se dit : chic, explique Marguerite, grand-mère venue elle aussi au cinéma avec ses petits-enfants. Et quand ils repartent, on se dit : ouf !” »

France Bleu, 9 juillet 2017.


« “Chic, ils arrivent… Ouf, ils repartent !” À la veille des vacances, les grands-parents se réjouissent à l’idée d’accueillir leurs petits-enfants. À la fin, ils sont sur les genoux (…). Près de 67% des plus de 65 ans estiment non sans humour à propos de leurs petits-enfants qu’il vaut parfois mieux “les avoir en photo”, selon un sondage OpinionWay pour Belambra en 2015. »

Marianne, 29 octobre 2016.


« À Plougasnou, rencontre avec “les chicoufs” sur le marché (…). Il paraît que les petits-enfants feraient effet de cure de jouvence… mais au-delà d’une semaine, ils provoqueraient stress et anxiété et pousseraient certains grands-parents au burn-out ! »

Ouest-France, 19 avril 2017.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

Standard
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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.

C’était la galette des vacances

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La cloche de l’école, le bord du trottoir en équilibre, ce n’étaient pas encore les vacances. Le goûter, les images du chocolat Poulain, la préparation des sandwiches, ce n’étaient pas tout à fait les vacances non plus. Évidemment, le savoir-faire millimétré du chargement de voiture y ressemblait déjà un peu plus, mais c’était plus une promesse qu’un accomplissement. Le front posé sur la vitre, les phares des voitures en face, les péages, une chanson de variété assourdie par le bruit du moteur, et de temps en temps le tic-tac d’un clignotant, ce n’étaient toujours pas les vacances mais nous approchions du but. Encore un effort ; garder les paupières hautes. Un pont, puis un autre, venait ensuite l’ombre d’une abbaye, la forêt, le cimetière, encore un dernier pont. Tic-tac, tic-tac. Le véhicule entrait dans la cour, on découvrait la maison picarde, une unique fenêtre éclairée. Mais même le craquement de la porte d’entrée, ce n’était pas encore cela. Le seul vrai signal que les vacances débutaient, c’était une phrase faussement détachée et religieusement rituelle : « Bertil, il y a de la galette. »


Un moment hors du temps


Il est admis par tous que c’était celle de mon père. Peut-être parce que son allergie aux œufs lui interdisait les meringues (autre spécialité de sa belle-mère), peut-être simplement parce qu’il était souvent le premier à la réclamer. Mais tout le monde y avait droit, en arrivant à la ferme après quelques heures de route. « Quand quelqu’un venait, on faisait une galette », a résumé ma grand-mère des années plus tard, ponctuant ce constat de son expression favorite, presque sa philosophie de vie : « C’est comme ça. » Sur la table, toujours la même nappe à fleurs et toujours les verres Duralex sur leur plateau. Un jus de fruit ? un verre de cidre ? On s’embrassait, on se disputait les fauteuils, on inspectait discrètement les cartes postales récemment ajoutées autour du miroir. Souvenirs interstitiels, qu’aucune photo n’aura jamais figés. Qui aurait l’idée saugrenue d’immortaliser un moment hors du temps ?


Et la galette, donc. Sans effets, sans secrets : juste de la farine, du sucre, du beurre. Du sable à crumble étalé dans un plat, en somme. Une simplicité qui n’exonère pourtant pas d’un engagement total lors de la préparation : y aller à pleines mains, impossible de faire autrement. La seule vraie malice de la recette réside dans sa cuisson. La galette trop hâlée est rancunière ; elle a beau ne dissimuler aucune fève, on y perdrait facilement une couronne… Mais celui qui a l’art de la tirer du four à bois au bon moment, quand les bords commencent juste à dorer, la trouve moelleuse en son cœur et couverte d’une fine pellicule sablonneuse et sucrée qui fond délicieusement sur la langue, tandis que vers l’extérieur elle croque sous la dent.


L’origine de la recette s’est perdue, tout juste sait-on avec certitude que mon arrière-grand-mère la pratiquait déjà. Y a-t-il dans le minimalisme des ingrédients la mémoire d’un temps de guerre où il fallait faire simple et efficace ? Hypothèses tardives. La vérité, c’est que personne n’a jamais spécialement « pensé » la galette. Elle était la récompense des voyages, la parenthèse qui ouvrait des jours heureux et proprets à la Marcel Pagnol, aussi sûrement que les embrassades humides dans l’escalier signaient le retour à un quotidien d’école ou de travail.


Aventures et confidences


Une fois calés, on montait les valises dans les chambres en échafaudant des plans d’extension des cabanes, de courses de vélos rapiécés autour de la cour ou de chasses aux rats dans le jardin. Pendant ce temps, deux générations de mères refaisaient le monde « en bas ». Mon grand-père, ses fils et ses gendres faisaient volontiers un tour dehors, et je crois que le mur derrière l’étable, celui bordé de rhubarbe et de fraisiers, fut plus d’une fois baptisé dans la fraîcheur du soir…


Dans ce corps de ferme, mille aventures d’enfance ont été vécues, mille confidences échangées, et le goût de la galette fait partie du décor, au même titre que la couleur sang des briques picardes et le son de l’eau dans le déversoir derrière la maison.


Il y avait toujours des restes, et même des réserves empilées dans un grand ­Tupperware, entre des feuilles d’aluminium. La galette accompagnait les compotes et salades de fruits pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les souris aient raison des dernières parts. « Les parts !, s’exclame ma grand-mère avant de raccrocher le téléphone. N’oublie pas d’écrire qu’il faut couper les parts dès qu’on sort la galette du four, surtout ! Parce qu’après, on n’y arrive plus sans la casser… » Certains souvenirs, pourtant, sont comme les galettes sablées : ils ont beau durcir et s’effriter, ils sont encore meilleurs quand on revient les grignoter en douce.

C'était la galette des vacances
© Gérard Dubois pour La Vie



La recette :



Ingrédients, pour une galette :

200 g de farine

100 g de sucre

100 g de beurre


Préparation : 10 min
Cuisson : 20-25 min


Laissez ramollir le beurre avant de commencer (attention : il doit être mou, pas fondu).

Préchauffez le four à 180° C.

Mélangez la farine et le sucre dans un récipient, puis ajoutez le beurre mou et malaxez l’ensemble jusqu’à obtenir une pâte bien sablonneuse.

Étalez-la à la main dans un moule à tarte pour former une surface uniforme.

Laissez cuire environ 20-25 minutes, en surveillant attentivement. Quand la galette blondit et dore légèrement sur les bords, tirez-la du four.

Disposez-la dans un plat… et coupez immédiatement les parts.