Veufs à 30 ans : comment surmonter le choc ?

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Après le choc de la nouvelle, tout va très vite : déclarations, choix du caveau, organisation des obsèques… « Les choix que le jeune conjoint doit alors poser – fleurs, chants, tombe, etc.  lui font reprendre la main sur la fatalité », relève Isabelle Delaunay, spécialiste du veuvage précoce. Cette sociologue invite l’entourage à évoquer la cérémonie, par la suite : « Un veuf me témoignait sa fierté d’avoir accompagné sa femme “comme un ministre” : “Je l’avais bien habillée, parfumée, elle était belle, il y avait des fleurs partout… ” À l’opposé, j’ai rencontré une jeune concubine étrangère dont la belle-famille avait organisé une inhumation sans elle ! Plus on parle des obsèques, plus on restaure le survivant. »


Sur qui s’appuyer ? Elle-même choquée, la famille peut s’avérer malhabile à soutenir. Les proches aussi sont désemparés. Une mort prématurée renvoie chacun à ses peurs, à ses deuils non-faits, au sens…

“Le deuil est un processus naturel de cicatrisation intérieure“

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Vous avez choisi d’aborder un sujet largement occulté par notre société. Comment expliquez-vous notre malaise à l’égard de la fin de vie et de la mort ?


Depuis les années 1950, avec les progrès de la médecine, la fin de vie a été médicalisée et transférée à l’hôpital. On a alors perdu ce savoir ancestral de l’accompagnement du proche, qui mourait jusqu’alors à la maison, muni des sacrements, veillé par sa famille. La méconnaissance de la mort génère de la peur qui conduit à l’évitement, à une mise en distance protectrice. Le deuil est le corollaire de ce phénomène. Là aussi, on a perdu un savoir-être, un savoir-dire… d’où des réactions inappropriées – puisque fondées sur la peur – dont les veufs font les frais. Pourtant, d’après une étude récente, quatre Français sur dix sont dans un processus de deuil.


Quelles étapes le conjoint survivant va-t-il traverser ?


Le deuil est un processus…

Cultiver le plaisir d’écrire avec le Labo des histoires

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Où trouver le Labo des histoires ?

Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com

Petit à petit, le gypaète barbu refait son nid

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« Attention, zone de sensibilité majeure. » Sur la porte du refuge de Rosuel, sur la commune de Peisey-Nancroix (Savoie) le panneau est explicite pour les nombreux touristes, férus de nature, qui viennent tout au long de l’année. « Depuis le retour du gypaète barbu dans les Alpes, nous essayons de protéger sa tranquillité. Cette zone délimite un espace à éviter d’environ 1000 mètres de diamètre, à la fois pour les randonneurs et le survol par des deltaplanes, autour de ce site de reproduction d’un couple de gypaètes. Il n’y en a, en effet, que quatre dans le parc et ils sont d’autant plus précieux à protéger », témoigne Henri Suret, 58 ans, technicien de l’environnement et grand connaisseur, aussi passionnant qu’érudit, du mode de vie de ce rapace.


Il avait disparu des Alpes dans les années 1930, victime de fausses légendes selon lesquelles il égorge des agneaux ou il vole des…

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

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Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

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Où trouver le Labo des histoires ?

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

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Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
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Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com

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Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Où trouver le Labo des histoires ?

Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com

Cultiver le plaisir d’écrire avec le Labo des histoires

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
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Où trouver le Labo des histoires ?

Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Où trouver le Labo des histoires ?

Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com

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La nuit tombe sur l’automne. Devant leurs cahiers ouverts, ils ont l’air bien, présents et concentrés. Certains ont déjà huit heures de cours derrière eux. Mais la qualité d’attention et la plénitude du silence qui règnent un mardi soir, dans cette annexe de la Maison de la poésie, à deux pas du Centre Pompidou, à Paris, feraient rêver n’importe quel prof. Les cinq filles et trois garçons attablés dans ce bel atelier aux murs de pierres ont entre 14 et 24 ans. Ils font partie des 30.000 enfants et jeunes accueillis par le Labo des histoires en 2016, dans toute la France.


Fondée il y a tout juste cinq ans, l’association présidée par l’éditeur Philippe Robinet (Kero et Calmann-Lévy) propose gratuitement aux moins de 25 ans des ateliers d’écriture animés par des professionnels. « Vous voulez faire de la musique ? Vous avez les conservatoires. Du sport ? Tout le réseau des clubs et associations. Vous voulez écrire ? Vous êtes marri, pour parler poliment », argumente Charles Autheman, le délégué général du réseau national en pleine expansion, avec neuf antennes en France et outre-mer et d’autres à venir.


Les jeunes n’aiment pas écrire ?


« Les pratiques culturelles évoluent, mais à ceux qui clament que les jeunes n’aiment pas écrire, on voulait montrer le contraire », poursuit-il. Avec la conviction que la discipline artistique mérite des lieux « inspirants, valorisants pour les jeunes », la structure s’est installée dans de beaux écrins de culture, à la Maison de la poésie, à Paris, au théâtre de la Manufacture, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou à la Condition publique, à Roubaix (Nord), et l’équipe a vite décroché des soutiens solides. Celui du président de la République – le Labo a notamment reçu le label « La France s’engage » initié par François Hollande – mais aussi l’appui du Centre national du livre et de grandes fondations d’entreprises, dont celle de la SNCF.


Ce soir-là, c’est Martine Paulais, auteure de théâtre, de poésie et de fiction, spécialisée dans l’accompagnement à l’écriture, qui anime l’atelier. Parmi les « laborantins », comme on les appelle ici, certains ont commencé à écrire « tout petits ». Fanny a bouclé son « premier livre à 13 ans », quelques poèmes aussi, et souhaite partager sa passion. Alexandre, 15 ans, vient là chaque semaine depuis deux ans pour « s’exprimer et se faire plaisir » et apprécie particulièrement la « bonne humeur » à l’oeuvre dans ces rencontres. 

Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier.
Martine Paulais, auteure de théâtre et de nouvelles, anime un atelier. © Stéphanie Jayet pour La Vie


Au programme du jour, l’écriture de nouvelles en 55 mots, sous le haut patronage d’Hemingway (dont la micronouvelle en six mots fit couler l’encre de la théorie littéraire) et de Jacques Sternberg qui, dans ses Contes griffus, propose d’excellents spécimens du genre, comme le Miracle ramassé en 39 mots. 


« Pour réussir une nouvelle très courte, il nous faut un petit nombre de personnages, une situation et une chute », résume Martine Paulais. Au mur, un extrait reproduit sur deux mètres de haut du Livre de Perle, du romancier pour la jeunesse Timothée de Fombelle, et des aphorismes de circonstance (Diderot : « Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites » ; Cocteau : « Un chef-d’oeuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. »)


Bâtir un récit en 15 minutes


L’atelier va se jouer en trois rounds. Martine Paulais a prévu une série de situations délicates, puis des photos ou des images, et enfin une phrase d’amorce, sur laquelle Laurène, Pauline, Alexandre, Fanny, Alexis, Laure, Elio et Flore-Amélie vont devoir bâtir une histoire en 15 minutes. Inutile de retenir votre souffle et de vous en faire pour eux. Ils foncent, ils rayent et puis reviennent, ils tournent autour de leurs idées avec entrain : ils ont toujours un récit à livrer. « Quand on se concentre sur la contrainte, on oublie d’avoir peur d’écrire ! », note l’animatrice.


Laurène devait inventer autour de l’histoire d’un homme qui reçoit un poids sur le crâne. Elle lit : « Léo marchait dans la campagne lorsqu’un objet lourd et doré lui tomba sur la tête et l’assomma. Je sais que tu es fier d’avoir gagné cet oscar, Georges, mais je pense que ça n’était pas une bonne idée de le prendre avec toi en deltaplane. » Pauline a pioché Night Shadows, une gravure de Edward Hopper figurant un homme marchant seul dans la rue, en plongée. Elle se lance : « Deux heures qu’il guette en attendant qu’un piéton passe. Il est à sa fenêtre. Il s’est assuré que personne ne gêne ce qu’il a entrepris de faire. Un homme arrive. Enfin. L’ombre est idéale. Cette fois c’est la bonne. Il se positionne et mitraille. Plus tard, dans son salon, il accrochera la photo. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
© Stéphanie Jayet pour La Vie


Pauline a commencé les ateliers à l’âge de 9 ans. À 16 ans, elle teste les propositions des cafés et des théâtres, s’exerce à la poésie, aux carnets de voyage, aux critiques de spectacles. L’an dernier, elle a participé au cycle polar du Labo. Au troisième tour, les laborantins devront tous commencer leur texte par la première phrase d’une nouvelle tirée de la Femme sur la plage avec un chien, de William Boyd : « Le patient numéro 39 a été admis ce matin. »


Récits piégés, histoires à rebondissements, chroniques psychiatriques… Autour de la table, on s’enthousiasme. Et quand un récit est plus bancal, on analyse ensemble et, naturellement, les points positifs émergent : « Même si ce détail ne marche pas, ton histoire est vraiment bien construite », dit une jeune fille à un des garçons, plus jeune qu’elle. « On dirait le début d’un polar qu’on aurait bien envie de lire », entend-on d’un texte qui plante un univers mieux qu’il ne respecte la consigne. Marine Noé, la directrice du Labo parisien n’est pas surprise. « Les animateurs établissent un cadre invitant au respect, mais les enfants sont spontanément bienveillants, c’est très agréable », note-t-elle.


Expérience de liberté


L’association propose différentes formules : ateliers à la carte, masterclass pour découvrir l’univers d’un auteur en deux heures, cycles de dix séances dédiées à un genre : roman, scénario, paroles de chanson, etc. Les Labos de l’histoire interviennent aussi en milieu hospitalier, auprès des jeunes du service militaire adapté outre-mer, dans les librairies, les bibliothèques, les écoles et les collèges, en plus de leurs espaces propres. La motivation ne peut être la même quand on est volontaire et « commis d’office ». Mais la demande va croissant. Après être tombée un temps en désuétude, l’écriture (ré)créative inspire.


Nourri, entre autres, de l’expérience de l’écrivain américain Dave Eggers, fondateur du réseau d’ateliers 826 National, le Labo a senti le désir monter et a su proposer un programme vivant, varié et soigné avant même que l’université française se lance (avec la création du premier Master lettres et création littéraire, au Havre, en 2012). 


Aujourd’hui, l’association qui se déploie sur les grandes villes de France entend aussi répondre aux demandes de plus petites communes et de territoires ruraux. Elle s’apprête à lancer le Labo-mobile, une antenne itinérante que les collectivités locales accueilleront pour une ou deux semaines. Le but : que cet accompagnement gratuit puisse profiter au plus grand nombre. La carte de l’illettrisme recouvre celle de la pauvreté.


Au Labo, c’est entendu, passé ce prérequis de l’accessibilité, on ne vise ici rien d’autre que le plaisir. « Si leur niveau de grammaire ou d’orthographe progresse, s’ils se sentent mieux après, tant mieux. Mais c’est en plus. Notre but est d’offrir aux enfants et aux jeunes un moment agréable, de casser la routine, de leur ouvrir un espace d’inventivité, des trésors de savoir, rappelle Charles Autheman. Pour les jeunes, l’écriture, celle du journal intime comme du monde imaginaire, est souvent la première expérience de la liberté. Voilà ce qui nous paraît essentiel. »

Cultiver le plaisir d'écrire avec le Labo des histoires
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Le réseau national comprend neuf antennes en France et outre-mer, et il est en expansion. Pour tout renseignement sur les ateliers : http://labodeshistoires.com