Le blog de Mathieu Grousson : Quid de ce modèle standard que la particule X a le pouvoir de bousculer ?

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Toutes les prédictions du modèle standard (ici les courants neutres observés au Cern en 1973) ont été confirmées expérimentalement (crédit : Cern)

Au-delà du modèle standard… voilà où la particule X, si tant est que son existence soit confirmée, projetterait les physiciens de l’infiniment petit, et nous avec. Mais au fait, lorsqu’on dit modèle standard, de quoi parle-t-on au juste ? Le dépasser, certes, mais dépasser quoi ?

Rien moins que l’édifice théorique le plus compact jamais conçu : 12 particules de matière et quatre forces qui, excusez du peu, rendent aujourd’hui compte de tous les phénomènes observés à ce jour en physique microscopique.

Précisément, les particules de matière appartiennent à deux grandes familles. La première compte six représentants appelés quarks. Du plus léger au plus lourd, les quarks up, down, étrange, charmé, beauté et top. Entrant notamment dans la composition des protons et des neutrons, les quarks forment le gros œuvre de la matière. Les six autres particules de matière constituent la famille des leptons. Son représentant vedette est l’électron qui, avec les protons et les neutrons, forment les atomes. A côté de lui, deux autres particules lui ressemblent comme deux gouttes d’eau, si ce n’est qu’elles sont plus lourdes et instables, ce sont le muon et le tau. Les trois autres leptons sont les neutrinos dits électronique, muonique et tauique. Des particules si insaisissables qu’elles peuvent traverser des milliards de mètres de matière sans être arrêtées.

Quant aux forces, il s’agit de l’interaction forte, l’interaction faible, l’électromagnétisme et la gravitation. Seuls les quarks sont sensibles à l’interaction forte, véhiculée par huit particules appelées gluons. Elle est responsable de la cohésion des quarks pour former les protons et les neutrons, ou bien de la cohésion des noyaux atomiques. La force électromagnétique est véhiculée par une unique particule, le photon. Toutes les particules y sont sensibles, sauf les neutrinos. C’est par exemple elle qui lie les électrons aux noyaux atomiques. Enfin, la force faible est portée par trois particules : les bosons W+, Wet Z. Toutes les particules de matière y sont sensibles. D’intensité plus faible que les deux précédentes, elle est responsable de certaines désintégrations radioactives. C’est ainsi elle qui permet au Soleil de brûler en convertissant son hydrogène en hélium.

La gravitation fait bande à part

La gravitation, elle, est un peu à part. En effet, elle n’a aucune influence à l’échelle des particules élémentaires : la force de gravitation entre deux électrons est 1040 fois plus faible que leur interaction électrique. D’une certaine manière c’est heureux, dans la mesure où les physiciens n’étant jamais parvenus à dériver une théorie quantique et relativiste de la gravitation, cette dernière reste en marge du modèle standard.

Car le modèle standard, finalement, c’est ça : la conséquence du mariage réussi de la théorie quantique et de la relativité d’Einstein dans sa version dite « restreinte », c’est-à-dire en l’absence de gravité. Son acte de naissance est déposé par Paul Dirac en 1928, alors que ce dernier propose une équation intégrant à la fois les contraintes de la mécanique quantique et de la relativité restreinte pour décrire l’électron.

Les physiciens s’attellent alors à développer une théorie capable de rendre compte de l’interaction électromagnétique entre plusieurs particules chargées, dite « électrodynamique quantique ». Mais patatras, toute tentative conduit à des équations dont les solutions divergent à l’infini, c’est-à-dire sans la moindre signification physique. En un mot, la toute nouvelle théorie quantique et relativiste de la matière est en pratique inutilisable.

Faire disparaître le problème des infinis

La solution se fait attendre jusqu’à la fin des années 40, sous la forme d’un artifice mathématique appelé renormalisation, mis au point Richard Feynman, Julian Schwinger et Sin-Itiro Tomonaga. Personne ne comprend alors vraiment le sens de cette étrange procédure, mais grâce à elle, les infinis disparaissent comme par enchantement. Comme s’en souvient Gerardus t’Hooft, prix Nobel de physique 1999 pour sa contribution au modèle standard, « le fait que l’électrodynamique quantique soit renormalisable apparaissait tel un accident ou un miracle. La communauté était extrêmement sceptique. »

Mais qu’importe, car grâce à la renormalisation, les physiciens disposent enfin d’une théorie quantique et relativiste de l’interaction électromagnétique à la précision diabolique : ses prédictions les plus fiables sont en accord parfait avec l’expérience jusqu’à la douzième décimale !

Cela dit, les spécialistes sont encore loin du modèle standard. Ainsi, au début des années 30, Enrico Fermi proposa une première théorie de l’interaction faible. Mais comme dans le cas de l’électrodynamique quantique, des quantités infinies ingérables apparaissaient sur le papier. Quant à l’interaction forte, à partir des années 50, de plus en plus de particules différentes y étant soumises ont été découvertes : les hadrons. Et personne ne voit comment les organiser dans un cadre clair.

Quand les quarks entrent en scène

Le début du dénouement survient en 1961, quand Murray Gell-Mann remarque qu’il est possible de considérer les dizaines de hadrons découverts dans des accélérateurs de plus en plus puissants comme la composition de trois particules élémentaires qu’il dénomme quarks. Belle inspiration, en 1967, l’accélérateur du SLAC montre que les protons sont des particules composites, vraisemblablement constituées de quarks.

Le monde des particules soumises à l’interaction forte simplifié, David Gross et Frank Wilczek, à Princeton, et David Politzer, à Harvard, proposent en 1973 une théorie appelée chromodynamique quantique qui décrit comment les quarks interagissent via l’interaction forte en échangeant des gluons. C’est un succès !

Reste l’interaction faible. Dès la fin des années 50, Julian Schwinger avance que les interactions faible et électromagnétique pourraient être décrites au sein d’une unique théorie. Ce que Sheldon Glashow formalise mathématiquement quelques années plus tard.

C’est vite dit, dans la mesure où, pour que cet édifice respecte une symétrie mathématique fondamentale indispensable à la cohérence de toute théorie quantique des champs, les trois particules qui véhiculent  l’interaction faible (les W et le Z) doivent être, sur le papier, de masse nulle. Or, d’après ce qu’ils ont observé des propriétés de l’interaction faible, les physiciens savent que les particules qui la transmettent sont massives.

Le boson de Higgs sauve la situation

Encore une fois, la situation paraît désespérée. Elle le demeure jusqu’en 1967. Steven Weinberg et Abdus Salam incorporent alors un ingrédient supplémentaire à la théorie de Sheldon Glashow. Ce sera le boson de Higgs qui, en étant responsable de l’introduction de nouveaux termes mathématiques dans la théorie, annule les effets désastreux causés par la masse du W et du Z.

Néanmoins, les physiciens ne parlent pas encore du modèle standard. D’une part, un long travail attend les expérimentateurs pour valider la description que donne la théorie quantique des champs des interactions fondamentales entre particules élémentaires. D’autre part, plusieurs questions théoriques titillent encore les physiciens. Par exemple, certaines symétries mathématiques liées à l’interaction faible suggèrent l’existence d’un quatrième quark. On sait en effet aujourd’hui que chaque génération de quarks doit en compter deux. Leur nombre est donc forcément pair. Mais à cette époque, les physiciens n’en connaissent que trois.

Le triomphe du modèle standard

Pour régler le problème, Sheldon Glashow, Luciano Maiani et Jean Iliopoulos couchent le quark charmé sur le papier en 1970. Comme l’indique ce dernier, « le quark charmé était nécessaire pour des raisons de symétrie, voire des raisons esthétiques. » Mais, il n’a, à cette période, d’autre existence que dans la tête des théoriciens. Le coup de tonnerre survient quatre ans plus tard. Quasi simultanément, le SLAC et l’accélérateur de Brookhven annoncent la découverte d’une nouvelle particule, appelée J/Psi, dont il s’avère rapidement qu’elle est constituée d’un quark charmé et de son antiparticule. Non seulement la découverte du J/Psi plaide en faveur de la théorie électrofaible, le quark charmé ayant été postulé pour que soit satisfaite l’une de ses symétries. Mais en plus, la durée de vie de la particule est en parfait accord avec ce que prévoit la chromodynamique quantique, soit la théorie décrivant l’interaction forte entre les quarks. Comme le résume Alvaro de Rujula, à la division de physique théorique du CERN, « la découverte du J/Psi fut un grand moment de révélation, le premier succès majeur du modèle standard. » Et d’ajouter : « la suite n’est que constatation expérimentale ».

Pour Carlo Rovelli, au Centre de physique théorique, à Luminy, « le modèle standard est un triomphe absolu. Avec lui, nous disposons d’une théorie qui décrit exactement tout ce que nous observons et qui n’est remise en cause par aucune observation. » Ce qui constitue également la plus ardente source d’incompréhension pour les physiciens, alors que les manquements du modèle standard sont désormais connus de tous (voir : Le X est-il soluble dans la matière noire ? et Pourquoi le LHC doit absolument découvrir quelque chose). D’où l’impérieuse nécessité de découvrir rapidement de nouvelles pistes permettant de le dépasser !

— Mathieu Grousson

 

Mathieu Grousson est un journaliste collaborateur de Science & Vie spécialiste de la physique fondamentale. Suivez son blog “Particule X” :

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Vidéo : la plus grande éponge jamais observée

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Dans les abysses de l’archipel de Hawaï, des océanologues américains ont fait une découverte qui les a laissés bouche bée : une éponge gigantesque, de la taille d’un minibus.

Comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessus, tournée en direct, la surprise de Daniel Wagner (NOAA, Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique), qui dirigeait l’exploration, a été grande.

Son équipe observait depuis le bateau Okeanos Discoverer les images transmises par le véhicule sous-marin télécommandé Deep Discoverer. A une profondeur comprise entre 1000 et 5000 mètres, ce robot balisait le fond marin du nord-ouest des Hawaï, dans l’aire marine protégée de Papahānaumokuākea.

L’énorme spécimen repéré par le véhicule a pu être mesuré à l’aide d’un double rayon laser : il fait 3,5 mètres de large, sur 2 mètres de haut et 2 mètres d’épaisseur ! Il n’appartient à aucune espèce connue de la science.

La plus grande éponge jamais observée mesure 3,5 mètres - Crédit : NOAA

La plus grande éponge jamais observée, d’une espèce inconnue, mesure 3,5 mètres – Crédit : NOAA

La plus grande éponge jamais observée auparavant datait de la fin du XIXe siècle

Cependant, sa taille bat déjà tous les records : la plus grande éponge jamais observée auparavant, un exemplaire d’Aphrocallistes vastus  atteignait les 3,4 x 1,10 x 0,5 mètres. Elle fut décelée en 1887 dans des eaux de basse profondeur (<25 mètres) au large de la côte ouest du Canada.

Une autre caractéristique de ces animaux (les éponges forment l’embranchement des Porifera, des animaux très simples qui se limitent à filtrer l’eau de mer) est qu’elles peuvent vivre très longtemps : la littérature scientifique rapportait en 2008 un exemplaire de Xestospongia muta vivant depuis 2300 ans ! Elle se trouve encore une fois dans des eaux peu profondes, dans l’archipel de Keys, en Floride.

De cette nouvelle espèce des abysses, on ignore encore l’âge et l’identité. Mais, déjà, les chercheurs supposent que les fonds marins, encore très peu explorés, pourraient receler une grande quantité de ces créatures aux dimensions et à la durée de vie hors du commun.

–Fiorenza Gracci

 

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