"Cuisiner et s’alimenter, c’est faire un choix de société"

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D’après vous, cuisiner et manger « en conscience » nous mène à l’écologie…

Une simple pomme contient l’univers tout entier : graine, soleil, pluie, terre, abeilles, pommier, verger et main experte du paysan qui l’a cueillie, déposée dans un panier, transportée puis vendue avec fierté. Si c’est une pomme issue de culture intensive, ayant subi plus de 30 traitements chimiques et cueillie par une machine, mise en cageot en usine puis négociée à bas prix en supermarché, on a plutôt envie d’oublier ! Pourtant peut-on vraiment se nourrir sans prêter attention à sa nourriture ? Qu’est-ce que j’ingère quand je mange ? À quoi est-ce que je participe ? Quel homme, quelle terre derrière les étiquettes ? Il n’est pas congruent de déplorer la pauvreté et l’injustice sociale, de désirer une autre économie et de se faire complice du monde de l’argent en cherchant à payer toujours moins cher.

Manger serait donc un acte politique ?

Oui tout comme cuisiner. Cuisiner soi-même ou acheter des produits transformés, c’est faire un…

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Hypothèse de la Terre rare : le retour

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L'équipe de l'astronome Jason Wright a étudié cent mille galaxies observées par le télescope spatial Wise, en quête d'une civilisation galactique. Image prise par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

L’équipe de l’astronome Jason Wright a étudié cent mille galaxies observées par le télescope spatial Wise, en quête d’une civilisation galactique. Image prise par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

La nouvelle, annoncée par le très sérieux Astrophysical Journal Supplement Series, pourrait prêter à sourire, si elle ne ramenait à une interrogation métaphysique profonde, une question que posa, un soir d’été de l’an 1950, le physicien et Prix Nobel de physique Enrico Fermi. Fermi, discutant avec trois collègues de l’existence possible dans le cosmos d’autres êtres intelligents, leur demanda « où sont-ils ? ».
En creux, ce que posait Fermi, à l’époque, c’est que, dans un Univers peuplé de milliards de milliards d’étoiles et existant depuis des milliards d’années, si il existait d’autres civilisations avancées, nous le saurions déjà… Dans son article de l’Astrophysical Journal, l’équipe de l’astronome Jason Wright, du Pennsylvania State University, a voulu répondre scientifiquement à la question de Fermi en étudiant cent mille galaxies observées par le télescope spatial infrarouge Wise. Cent mille galaxies… Soit, environ, dix millions de milliards d’étoiles, et autant de planètes…
L’idée de Jason Wright et ses collaborateurs, c’est que si, dans l’une ou l’autre de ces galaxies, une « super civilisation » très en avance sur la nôtre existait, elle aurait exploré et conquis une grande partie de ses systèmes stellaires et serait détectable par son émission d’énergie, comme l’humanité, à l’échelle d’une planète, est détectable par le rayonnement qu’elle produit, sous forme de lumière et de chaleur. Or, aucune des cent mille galaxies étudiées n’a montré le moindre excès de rayonnement. Rien. Pour les auteurs, cela signifie qu’il n’existe pas, parmi ces dix millions de milliards de planètes, une « civilisation galactique » alors que, notre propre civilisation technologique étant âgée de seulement quelques siècles dans un cosmos âgé de 13,8 milliards d’années, on pourrait imaginer des espèces extraterrestres intelligentes maîtrisant la technologie depuis des millions, des dizaines de millions, voire des centaines de millions d’années…

Le 16 novembre 1974, une impulsion radio d'un mégawatt a été émise par l'antenne géante d'Arecibo, à Puerto Rico, en direction de l'amas d'étoiles d'Hercule. Ce message destiné à d’hypothétiques extraterrestres, a été écris par les astronomes Frank Drake et Carl Sagan, infatigables promoteurs de la recherche de civilisations extraterrestres. L'amas d'Hercule se trouvant à 22 000 années-lumière, le message d'Arecibo a déjà parcouru environ 0,2 % du trajet... Photo S.Brunier.

Le 16 novembre 1974, une impulsion radio d’un mégawatt a été émise par l’antenne géante d’Arecibo, à Puerto Rico, en direction de l’amas d’étoiles d’Hercule. Ce message destiné à d’hypothétiques extraterrestres, a été écris par les astronomes Frank Drake et Carl Sagan, infatigables promoteurs de la recherche de civilisations extraterrestres. L’amas d’Hercule se trouvant à 22 000 années-lumière, le message d’Arecibo a déjà parcouru environ 0,2 % du trajet… Photo S.Brunier.

« Où sont-ils ? » aurait demandé Fermi à la lecture de l’article de Jason Wright. Le paradoxe de Fermi n’a jamais, ces soixante dix dernières années, trouvé de solution, sauf bien sûr à supposer que si il n’y a nulle trace d’extraterrestres, c’est qu’ils ne désirent pas se montrer. Alternative moraliste introduite au cours des années 1970, en pleine angoisse d’holocauste atomique entre les deux grandes puissances : les civilisations technologiques, véritables éphémères à l’échelle cosmique, s’autodétruisent au bout de quelques siècles ou millénaires.
Il existe bien sûr une dernière explication, bien plus radicale, au paradoxe de Fermi : il n’y a pas d’autres civilisations dans l’Univers, ou alors en nombre tellement rare que, dans l’espace et dans le temps, les chances de les croiser sont proches de zéro, et la question de leur existence, académique. C’était la position, en particulier, du paléontologue, auteur de la théorie des équilibres ponctués, Stephen Jay Gould, qui considérait l’apparition de l’homme sur Terre non pas comme un aboutissement évolutif, mais comme l’improbable avatar d’une succession de hasards. Pour lui, les chances que l’évolution, en repartant de l’origine de la vie sur Terre, donne de nouveau naissance à quelque chose ressemblant de près ou de loin à l’espèce humaine et ses velléités de conquête galactique étaient infiniment proches de zéro.

Le Allen Telescope Array est un réseau de 42 antennes de 6 mètres de diamètre installé en Californie, destiné pour moitié à la recherche astronomique, pour moitié à l'écoute d'hypothétiques civilisations extraterrestres. L'écoute radio du ciel a débuté en 1960, avec le projet Ozma imaginé par Frank Drake. Puis SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) a pris le relais, d'abord avec des fonds publics, puis privés. Plus d'un demi siècle d'écoutes, sans résultat jusqu'ici. Dernièrement, le Allen Telescope Array a été pointé vers des exoplanètes situées dans la zone dite « habitable » de leur étoile. Silence radio, encore. Photo S.Brunier.

Le Allen Telescope Array est un réseau de 42 antennes de 6 mètres de diamètre installé en Californie, destiné pour moitié à la recherche astronomique, pour moitié à l’écoute d’hypothétiques civilisations extraterrestres. L’écoute radio du ciel a débuté en 1960, avec le projet Ozma imaginé par Frank Drake. Puis SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) a pris le relais, d’abord avec des fonds publics, puis privés. Plus d’un demi siècle d’écoutes, sans résultat jusqu’ici. Dernièrement, le Allen Telescope Array a été pointé vers des exoplanètes situées dans la zone dite « habitable » de leur étoile. Silence radio, encore. Photo S.Brunier.

Dès les années 1960, avec le programme SETI et ses nombreuses séquelles, les astronomes ont tenté d’apporter une réponse à Fermi en écoutant le ciel, à la recherche de signaux extraterrestres. Sans résultat. Il faut dire qu’à l’époque, chercher la vie ailleurs dans l’Univers était courageux et audacieux : aucun autre système planétaire n’avait été découvert dans la Galaxie ! On pouvait donc à bon droit penser qu’après tout le système solaire était une rareté cosmique, et les extraterrestres, inexistants. Dans les années 1990, passée la mode hystérique des extraterrestres et des OVNIS – portée par des films comme Rencontres du troisième type, E.T, Contact… – passées les opérations de communication baroques, comme les messages adressés aux extraterrestres par les sondes Pioneer et Voyager, ou encore l’émission radio du radiotélescope d’Arecibo en direction de l’amas d’Hercule, le silence des espaces infinis a fini par lasser et irriter les pourvoyeurs de fonds, et le sénateur américain William Proxmire a sonné la fin de la récréation en décrétant « qu’avant de chercher de la vie intelligente dans l’Univers, il serait bon d’en trouver ici, à Washington ».
Taris les financements publiques, l’écoute des civilisations extraterrestres a continué, bien sûr, mais en mode mineur, discrètement…
Au début du XXI e siècle, l’espoir est revenu : les astronomes ont commencé à découvrir des centaines de planètes au delà du système solaire puis ont acquis la certitude qu’il existait, au bas mot, mille milliards de planètes dans la Voie lactée, notre galaxie… En inventant les très anthropocentriques notions de « super terres » et de « zone habitable », les astronomes ont commencé à fantasmer sur le nombre possible de planètes « habitables » existant dans la Galaxie… un milliard, dix milliards, cinquante milliards… Des chiffres aussi vertigineux que loufoques, tant il est vrai qu’une seule planète habitée est connue aujourd’hui dans la Galaxie, la nôtre, que cette planète a des caractéristiques très spéciales et que, comme les astronomes commencent à le comprendre aujourd’hui progressivement, cette planète spéciale se trouve dans un système planétaire qui l’est tout autant… Mieux : personne ne sait comment la vie est apparue sur Terre, un processus apparemment tellement complexe et aléatoire qu’il n’est par reproductible en laboratoire, et qu’il n’est advenu probablement qu’une seule fois dans toute l’histoire de la Terre, en témoigne LUCA, (le dernier ancêtre commun universel, en Anglais), qui montre que toutes les espèces vivantes terrestres ont un, et un seul, ancêtre…

C'est Frank Drake, l'astronome qui a commencé à écouter le ciel dans l'espoir d'enregistrer des communications extraterrestres, l'astronome Carl Sagan et son épouse artiste Linda Sagan qui ont conçus les plaques d'aluminium doré embarquées à bord des sondes Pioneer 10 et 11. Ces deux sondes, lancées en 1972 et 1973 sont actuellement toujours dans le système solaire, à seulement 16 et 14 milliards de kilomètres du Soleil environ. Les plaques racontent en image la Terre, ses habitants, et la position de notre planète dans la Galaxie. Bien sûr personne ne les lira jamais, elles n'étaient pas destinées aux extraterrestres mais aux Terriens, afin qu'ils soutiennent l'exploration scientifique du cosmos. Photo Nasa.

C’est Frank Drake, l’astronome qui a commencé à écouter le ciel dans l’espoir d’enregistrer des communications extraterrestres, l’astronome Carl Sagan et son épouse artiste Linda Sagan qui ont conçus les plaques d’aluminium doré embarquées à bord des sondes Pioneer 10 et 11. Ces deux sondes, lancées en 1972 et 1973 sont actuellement toujours dans le système solaire, à seulement 16 et 14 milliards de kilomètres du Soleil environ. Les plaques racontent en image la Terre, ses habitants, et la position de notre planète dans la Galaxie. Bien sûr personne ne les lira jamais, elles n’étaient pas destinées aux extraterrestres mais aux Terriens, afin qu’ils soutiennent l’exploration scientifique du cosmos. Photo Nasa.

Projeter, à partir d’un seul cas connu, lorsque celui-ci est reconnu comme extrêmement particulier, les propriétés d’une galaxie entière est pour le moins audacieux, mais comme la communication concernant l’existence d’autres formes de vie dans l’Univers est vendeuse, tout le monde ou presque s’y est mis.
Dans cette symphonie hyper optimiste, où la Nasa annonce sans rire que l’on découvrira probablement la vie ailleurs dans les 20 ans qui viennent, où certains chercheurs particulièrement inspirés vont même jusqu’à évoquer l’existence de planètes « super habitables », une petite musique, inaudible encore, commence à s’élever…
C’est que, d’abord, et contrairement à ce que le principe de Copernic, ou principe de banalité nous invite naturellement à penser, le système solaire, avec son agencement de petites planètes rocheuses près du Soleil et de géantes gazeuses au loin, n’est pas du tout normal. Des observations commencent à émerger des données statistiques qui indiquent au contraire que cet agencement est fortuit, et du à un gigantesque jeu de billard cosmique dans le système solaire naissant…
A l’origine du système solaire, proposent les astronomes Allessandro Morbidelli, Kevin Walsh et Sean Raymond, en France et l’équipe de Gregory Laughlin aux Etats-Unis, deux planètes géantes en formation, Jupiter et Saturne, auraient totalement chamboulé la construction « normale » d’un système planétaire autour d’une étoile comme le Soleil… Jupiter, freinée par le disque de matière où se formaient les planètes, aurait dérivé lentement vers le Soleil, expulsant toutes les planètes qui s’y agrégeaient, les fameuses « super terres » que l’on rencontre partout dans la Galaxie, puis, sous l’influence gravitationnelle d’une autre géante en formation, Saturne, serait revenue à sa place actuelle…
Un incroyable virement de bord, qui a donné à cette théorie son nom en Anglais « The grand tack ». De ce grand coup de baume cosmique, quatre planètes rocheuses atypiques seraient nées : Mercure, Vénus, la Terre et Mars… Cette hypothèse qui donne le tournis n’est pas née de l’imagination trop fertile de théoriciens, mais de simulations et d’observations très sérieuses, du système solaire, d’une part, des systèmes planétaires d’autre part. Les découvertes s’accumulant, les astronomes commencent à pouvoir caractériser et classer les systèmes planétaires de la Galaxie…

Il y a peut-être plus de mille milliards de planètes dans notre seule galaxie, la Voie lactée. Combien d'entre elles sont habitées par une civilisation technologique comme la notre ? Pour tenter de répondre à cette question, les astronomes écoutent le ciel depuis soixante ans pour tenter de capter un message extraterrestre. En vain jusqu'ici... Photo S.Brunier

On a longtemps cru que le Soleil et son cortège de planètes étaient le fruit normal de l’évolution stellaire. Mais c’est un portrait différent du système solaire qui émerge progressivement des observations et des statistiques. Il existe probablement plus de mille milliards de planètes dans notre seule galaxie, la Voie lactée. Parmi elles, combien de terres habitées ? Photo S.Brunier

Et là, surprise : le nôtre est atypique, on a encore pas découvert de cousin au système solaire dans le ciel, mais au contraire deux grands types de systèmes, très différents : des systèmes peuplés de géantes, comme Jupiter, il y en a très peu, un peu plus de 10 % environ, et dans la plupart des cas, ces géantes circulent sur des orbites très elliptiques ou sur des orbites très proches de leur étoile : rien qui ressemble de près ou de loin au système solaire. L’autre grand type de systèmes, c’est le système planétaire à « super terres », ces objets qui n’ont rien de terrestre et n’existent pas dans le système solaire, et circulent très près de leur étoile. Les systèmes hybrides, peuplés à la fois de « super terres » et de planètes géantes, on en connaît pas encore.
Quant à l’architecture de notre propre système, qui, des décennies durant, nous semblait si naturelle – les petites planètes rocheuses près du Soleil, les planètes géantes gazeuses au loin, le tout sur des orbites quasi circulaires – elle n’est due qu’au « grand tack », le couple Jupiter-Saturne interdisant la formation près du Soleil de « super terres », et laissant la place à la formation des quatre petites planètes rocheuses que l’on connaît. La présence d’eau à la surface de la Terre est aussi, d’après les auteurs du « grand tack » à mettre à l’actif de ce grand coup de billard cosmique…
Il est trop tôt pour proposer des propriétés statistiques fiables et complètes du millier de milliards de planètes de notre galaxie, mais ce qui émerge clairement, c’est que le principe de banalité, ou principe de Copernic, qui postule que nous vivons dans une région banale de l’Univers, ne s’applique pas à la Terre et à ses habitants. C’est la première fois dans l’histoire de la recherche astronomique que ce principe de banalité se révèle faux. L’espèce humaine – oui, nous allons en revenir à Fermi, forcément… – et la vie terrestre en général, n’est pas apparue sur une planète banale. Il semble que l’on puisse d’ores et déjà exclure l’architecture du système solaire de, au moins, 95 % des étoiles de la Galaxie… Et ce n’est pas tout. Nous ne connaissons, bien sûr, quasiment rien des caractéristiques des exoplanètes, mais il est probable que celles de la nôtre, présence d’une lune de grande masse dans son orbe, existence d’une importante tectonique, présence d’un champ magnétique intense, ne soient pas fréquentes.
Dans les années qui viennent, grâce aux observations, en particulier, du télescope spatial Gaia, et des instruments qui scannent inlassablement les étoiles en recherche de leurs petites compagnes planétaires, nous saurons si la Terre est un astre rare dans le cosmos…
Si cette rareté, qui semble émerger progressivement des données, se confirme, a t-elle un lien avec le fait que la Terre soit, aussi, la seule planète habitée connue dans l’Univers ?
Personne ne le sait. Des chercheurs hyper optimistes pensent que la vie existe sur Mars, sous les glaces d’Europe, d’Encelade, de Titan, bref partout. Hypothèses qui seront bientôt testées, en particulier sur Mars. Et ailleurs ? Détecter des « Terre » habitées autour d’autres étoiles est l’un des objectifs majeurs de la recherche contemporaine. Découvrir des marqueurs biologiques sur une planète située à des dizaines, des centaines, des milliers d’années-lumière, si la vie existe ailleurs dans la Galaxie, est un défi immense, qu’aucun télescope ne peut relever et que probablement aucun télescope de la prochaine génération ne relèvera, sauf à croire que la vie est un phénomène naturellement émergent et que la plus proche planète habitée se trouve extrêmement près de nous. On en revient au principe de Copernic… Mais aussi au paradoxe de Fermi.
En effet, depuis que le physicien italo-américain a interrogé le ciel, celui-ci a été écouté presque sans discontinuer pendant un demi siècle… Et nous savons désormais qu’il existe au bas mot mille milliards de planètes dans la Galaxie… Si la vie est un processus normal et banal de l’évolution chimique des planètes, il devrait exister des milliards ou des dizaines de milliards de planètes habitées dans la Voie lactée. Et si l’évolution converge naturellement vers des espèces de plus en plus complexes et intelligentes, il devrait exister des milliers, des dizaines de milliers de civilisations technologiques, que nous devrions détecter. Ce n’est pas le cas. Pas plus que le satellite Wise n’a détecté de signes d’une civilisation galactique, parmi dix millions de milliards d’étoiles. Depuis soixante ans, la question de Fermi résonne, de plus en plus assourdissante, dans un espace pascalien, infini et silencieux.

Serge Brunier

C’est enfin prouvé : un nouveau-né ressent autant la douleur qu’un adulte.

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Les nouveaux-nés et enfants en bas-âge ressentent la douleur comme les adultes (Ph. Meagan via Flickr CC BY 2.0)

Les nouveaux-nés et enfants en bas-âge ressentent la douleur comme les adultes (Ph. Meagan via Flickr CC BY 2.0)

Qu’on le croie ou pas, jusque-là aucune étude scientifique ne prouvait de manière claire que les nouveaux-nés, dont le cerveau est encore en cours de développement, ressentaient la douleur comme nous, les adultes. Heureusement, c’est chose faite : une équipe de 14 chercheurs de l’université de Oxford (Royaume-Uni) vient de publier un article qui devrait profondément modifier les pratiques médicales néonatales, empreintes encore de la croyance que les bébés ne sont pas totalement « équipés » pour ressentir la douleur.

L’article en question révèle ainsi que les nouveaux-nés activent quasiment les mêmes zones cérébrales que les adultes quand on leur pique le pied avec un objet pointu (modérément, bien sûr) : de fait, en comparant les clichés IRMf (imagerie à résonance magnétique fonctionnelle) de 10 adultes et 10 nouveaux-nés soumis à ce traitement, les chercheurs ont constaté qu’un réseau de 18 régions cérébrales s’active chez les bambins, contre 20 chez les adultes.

18 régions cérébrales de la douleur s’activent chez le nouveau-né

Néanmoins, les deux régions non activées – l’amygdale et le cortex orbitofrontal – sont celles qui permettent aux adultes d’interpréter le stimulus douloureux: les chercheurs en concluent que la seule chose qui différentie l’adulte du bébé dans l’expérience de la douleur, ce sont certaines émotions liées à la prise de conscience et l’interprétation de l’origine de celle-ci. Mais la douleur elle-même est ressentie de la même manière.

Comparaison des régions cérébrales activées en cas de douleur, chez les adultes et chez les nouveaux-nés (Crédit : Goksan et al.)

Comparaison des régions cérébrales activées en cas de douleur, chez les adultes et chez les nouveaux-nés. Les couleurs indiquent les régions cérébrales concernées (Crédit : Goksan et al.)

Certes, les parents n’ont pas attendu ces résultats pour tenter d’empêcher à tout prix leurs bébés de subir des agressions physiques douloureuses, mais le résultat des chercheurs vise avant tout le milieu médical et hospitalier : en effet dans le domaine néonatal, il prévaut depuis longtemps la conviction que les bébés ne ressentent pas la douleur aussi intensément que les adultes (par manque d’études spécifiques sur la question), attribuant les comportement physiques des bébés face à des situations de douleur physique comme des réactions réflexes n’équivalant pas vraiment à un ressenti douloureux. Ce qui s’est répercuté dans les protocoles de soin.

 La douleur du nouveau-né, une lacune de la médecine moderne

Ainsi, comme le font remarquer les chercheurs, dans les préconisations de l’organisme de Santé publique britannique (National Health Service ou NHS) il est écrit que dans la chirurgie néonatale en cas d’ankyloglossie – malformation du frein lingual qui empêche la langue bouger – « il est plus important pour les petits bébés d’être caressés et nourris que [de recevoir] des antalgiques. »

Les chercheurs signalent également que lorsqu’un nouveau-né donne des signes physiques de douleur (accélération du rythme cardiaque), les médecins et infirmières recourent le plus souvent à l’administration d’eau sucrée, laquelle diminue les symptômes physiques liées à la douleur mais pas la douleur elle-même. Cette étude devrait donc mettre fin à l’une des lacunes les plus douloureuses de la médecine, et atténuer peut-être l’intensité des souffrances non exprimées, que jusque-là, nous ne savions pas déchiffrer.

Román Ikonicoff

 

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  • Dès 3 mois, le bébé est apte au langage – S&V n°1025 – 2003. Considérés durant le Moyen-age (et après) au mieux comme de petits hommes (homoncules), au pire comme des êtres pas tout à fait humains, les bébés, et leurs incroyables capacités, sont peu à peu redécouverts par la science moderne…1025
  •   Test : que savez-vous de la douleur ? – S&V n°1085 – 2008. Tout le monde ressent la douleur – sauf cas exceptionnel de syndrome d’insensibilité congénitale à la douleur (ICD) – mais nous nous interrogeons rarement sur notre manière de la ressentir et de la combattre. Un test pour évaluer nos connaissances sur ce phénomène.

1085

  • Douleur & anthropologie : on souffre selon sa culture – S&V n°1034 – 2003. Tous les êtres humains crient-ils quand ils ont mal ? La douleur a une base physiologique commune à tous… Mais son ressenti négatif dépend aussi d’un facteur psychologique et culturel. Un tour du monde des différentes relations que les humains entretiennent avec elle.

1034

 

 

Quelle force fait tourner les planètes sur elles-mêmes ?

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La rotation des planètes découle de l'époque de la formation du système solaire (vue d'artiste d'un système planétaire en formation). Crédit : NASA

La rotation des planètes découle de l’époque de la formation du système solaire, comme illustré par cette vue d’artiste (Crédit : NASA)

Une force… qui n’en est pas une : l’inertie ! Alors que les planètes ne sont mues que par l’attraction gravitationnelle de leurs voisines et de leur étoile, qui les enferme dans une trajectoire elliptique autour du Soleil, leur rotation sur elles-mêmes n’est entretenue par aucune force : elle est le reliquat du mouvement qui les animait… aux premières heures du système solaire ! Pour comprendre ce phénomène, les astrophysiciens nous ramènent 4,5 milliards d’années en arrière. A l’époque, les planètes en formation orbitent avec des milliards de cailloux qui ne cessent de les percuter.

C’est l’ère du grand ménage : les toutes jeunes planètes, Mars, la Terre, Vénus… grossissent en prenant dans leurs filets gravita­tionnels tous les corps qui croisent leur orbite. Les lois qui régissent le système solaire sont alors les mêmes que celles qui permettent de décrire le comportement des boules sur une table de billard : à chaque collision avec un astéroïde, la trajectoire des futures planètes se modifie ; dès que l’impact n’est pas exactement centré, elles se mettent à tourbillonner sur elles-mêmes… jusqu’à ce que leur rotation se stabilise.

Les planètes dans un jeu de billard spatial

Cette stabilisation tient à ce que, dans un système solaire, plus les corps gravi­tent loin du centre, plus ils vont vite. De choc en choc, la Terre est donc davantage poussée par l’extérieur et se met à tourner sur elle-même. Ce jeu de billard spatial ani­me du même mouvement tous les corps du système solaire, jusqu’à ce que les derniers cailloux aient été absorbés ou désagrégés.

Finalement, vu de leur pôle Nord, toutes les planètes tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre… sauf Vénus. La chaleur et l’attraction du Soleil tout proche ont tellement perturbé sa trajectoire que cela a inversé sa rotation. Si ce n’est cette exception, toutes les planètes sont restées, par inertie, sur leur lancée et dansent au même rythme depuis 4,5 milliards d’années !

M.F.

D’après S&V n°1123

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de Science &Vie :

  • Les dix énigmes du Système solaire – S&V n°1066. New Horizons, Spirit, Opportunity, Solar B, Venus Express… Les sondes envoyées par l’homme doivent dissiper les derniers mystères de notre système solaire…

S&V 1066 couv

  • Pluton : une sonde va enfin lui rendre visite – S&V n°1060 – 2006. En juillet 2015, la sonde Ne Horizons atteindra Pluton et sa lune Charon. Il aura fallu neuf années à la sonde pour arriver à la dernière des « neuf » planètes connues (Pluton est en réalité une planète naine). Retour sur l’histoire de ce projet, jusqu’à son envol en 2006.

1060

 

 

 

D’où vient l’élasticité de certains matériaux ?

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C'est grâce à la forte élasticité de la perche que l'athlète peut se propulser aussi haut (Ph. Lan Nguyen Wikimedia Commons CC-BY 3.0 - détail)

C’est grâce à la forte élasticité de la perche que l’athlète peut se propulser aussi haut (Ph. Lan Nguyen Wikimedia Commons CC-BY 3.0 – détail)

Certains matériaux, dites-vous ? En réalité, tous les solides sont élastiques : le bois, les métaux, les céramiques, même le diamant. Surpris ? Il faut savoir que l’élasticité est la capacité d’un matériau à revenir à sa forme d’origine après qu’on lui a imposé une déformation mécanique en le tordant, en l’étirant ou en le compressant. Elle provient de la force électrostatique qui lie chaque atome à ses voisins.

Si, dans la réalité, les liaisons interatomiques sont des partages d’électrons entre les atomes, elles peuvent être assimilées à de petits ressorts qui résistent lorsqu’on essaie de déplacer les atomes de leur position d’équilibre. C’est pourquoi l’élasticité varie énormément d’un matériau à l’autre : l’énergie de liaison (la résistance des ressorts) n’est pas la même selon la distance entre les atomes, leur taille ou le nombre d’électrons qu’ils peuvent mettre en commun. Ainsi, l’aluminium est plus élastique que le fer.

L’élasticité est une propriété des chaines d’atomes composant les solides

Dernier facteur, leur disposition : la cohésion est meilleure lorsque les atomes sont rangés. Mais au-delà d’une certaine déformation, les liaisons cèdent… soit le matériau casse, soit il quitte le domaine élastique pour se déformer de manière “plastique”, c’est-à-dire non-réversible : lorsque la contrainte disparaît, il ne revient pas à sa forme initiale. La limite d’élasticité est souvent très basse. Pour les métaux, il faut que la déformation reste inférieure à environ 0,1 % de la taille initiale de l’échantillon. Un élastomère peut, lui, atteindre 1 000 % de sa taille initiale avant de casser, car il est constitué de gigantesques molécules organiques, très longues chaînes d’atomes recroquevillées sur elles-mêmes qui se déplient quand on les étire.

Mais pour qu’elles puissent revenir à leur position d’origine, il faut qu’elles restent reliées entre elles, sinon elles glissent les unes sur les autres comme des spaghettis sur une fourchette. Pour diminuer la plasticité et augmenter l’élasticité du caoutchouc, on crée, en y incorporant du soufre, des ponts entre les molécules. Un procédé chimique découvert par hasard en 1839 par Charles Goodyear… qui n’a pourtant rien à voir avec la firme du même nom.

B.R.

D’après S&V n°1126

 

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  • Voici les matériaux surnaturels – S&V n°1133 – 2012. Durant des millénaires, l’humanité s’est servie des matériaux offerts par la nature. Mais peu à peu, en apprenant à jouer sur leur composition d’abord, puis sur leur structure microscopique, nous sommes devenus des spécialistes de l’art de créer de nouveaux matériaux aux propriétés inédites.

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  • Diamants de synthèse : l’artifice atteint des sommets – S&V n°1053 – 2005. Un diamant ne se forme pas par magie mais il faut des conditions de température et de pression extrêmes pour y arriver, ce que les scientifiques savent de mieux en mieux faire dans les laboratoires.

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Les adeptes des jeux vidéos ont plus de matière grise et une meilleure connectivité cérébrale

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La pratique assidue des jeux vidéos accroît la matière grise dans certaines structures du cerveau. - Ph. MartijnVanDalen via Flickr / CC BY SA 2.0

La pratique assidue des jeux vidéos accroît la matière grise dans certaines structures du cerveau. – Ph. MartijnVanDalen via Flickr / CC BY SA 2.0

Toutes ces heures  passées à jouer devant l’ordinateur n’auront pas été vaines. Du moins pour le cerveau : car une équipe de neuroscientifiques chinois et australiens a relevé, chez les gamers accomplis, des modifications dans le cerveau qui touchent la matière grise.

On savait déjà que les jeux vidéos renforçaient les performances demandant une bonne attention visuelle et une bonne coordination spatiale. A présent, il semble que ces meilleures prestations viennent du fait que l’entraînement aux jeux vidéos renforce certaines structures du cerveau.

Comme ils l’expliquent dans la revue Scientific Reports, les chercheurs ont examiné par IRM (imagerie par résonance magnétique) les cerveaux de 27 experts en jeux vidéos d’action (League of Legends ou Defence of the Ancient 2), ayant chacun à son actif plus de 6 ans de pratique et ayant gagné au moins un tournoi régional ou national. En parallèle, ils ont soumis au même examen  30 joueurs débutants, dont l’expérience au jeu était inférieure à un an.

Au niveau de l’insula, les jeux vidéos procurent une matière grise plus volumineuse et une connectivité accrue

Voici leurs résultats : chez les gamers confirmés, l’imagerie a permis de déceler un épaississement de la matière grise et une meilleure connectivité entre certaines aires cérébrales, c’est à dire un épaississement de la matière blanche (constituée par les axones des neurones). Des changements que les chercheurs attribuent à la pratique des jeux vidéos d’action, qui nécessitent une bonne coordination sensori-motrice (entre sensations et mouvement) et un très bon niveau d’attention.

En effet, l’augmentation de la matière grise constatée intervient dans une région du cortex cérébral appelée insula, située au fond du sillon latéral, un repli du cerveau qui se trouve en profondeur au niveau de l’oreille. C’est justement là que se déploient deux  circuits cérébraux cruciaux : le premier, antérieur, soutient l’attention et le second, postérieur, la coordination sensori-motrice.

Or, la pratique des jeux vidéos a rendu la matière grise de l’insula plus volumineuse, et a renforcé les connexions à la fois au sein de chacun des deux circuits, et entre les deux circuits. Autrement dit, dans le cerveau des joueurs accomplis, le circuit de l’attention travaille en contact étroit avec celui des réponses sensorimotrices, qui coordonne les mouvements de l’œil et de la main. C’est ce qui expliquerait la rapidité de réaction dont ils font preuve.

La pratique structure le cerveau

Cette découverte va dans le sens de nombreuses autres recherches montrant comment, grâce à la plasticité neuronale, c’est à dire le caractère malléable de notre cerveau, la pratique d’un métier (chauffeur de taxi, traducteur-interprète, danseur…) ou d’un loisir (piano…) forge des structures particulières qui permettent d’acquérir la spécialisation nécessaire. Et cette spécialisation passe par des modifications cérébrales qui peuvent se lire par IRM.

Fiorenza Gracci

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives :

  • A chaque métier son cerveau – S&V n°1555, 2013.  Chauffeur de taxi, musicien, parfumier… Chacun développe un type de cerveau particulier.

S&V 1155 - cerveau des metiers

HR 8799 : Un système planétaire dévoilé par le LBT

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L'étoile HR 8799 se situe à 130 année-lumière de la Terre, dans la constellation de Pégase. Masquée ici par le système d'optique adaptative du Large Binocular Telescope (LBT), elle est entourée de quatre planètes géantes. Photo LBTO.

L’étoile HR 8799 se situe à 130 années-lumière de la Terre, dans la constellation de Pégase. Masquée ici par le système d’optique adaptative du Large Binocular Telescope (LBT), elle est entourée de quatre planètes géantes. Photo LBTO.

Année après année, les astronomes progressent dans leur connaissance des systèmes planétaires de notre galaxie, la Voie lactée. Non seulement ils découvrent de plus en plus de planètes, deux mille environ au premier mai 2015, mais, en plus, leur vision de ces astres lointains s’améliore. Grâce à des télescopes spatiaux, aux images d’une pureté cristalline ? Non : les avancées en imagerie sont essentiellement réalisés par les optiques adaptatives de plus en plus performantes installées sur les télescopes géants.
Une optique adaptative est, grossièrement, constituée d’un miroir déformable qui corrige les effets de la turbulence atmosphérique au foyer d’un grand télescope. La correction, ultrarapide – jusqu’à mille fois par seconde – est pilotée par un ordinateur qui étudie en temps réel l’image déformée par la turbulence d’une étoile située dans le même champ que l’astre étudié.
La dernière observation réalisée par le Large Binocular Telescope (LBT) témoigne de ces progrès : l’optique adaptative installée sur l’un de ses deux miroirs de 8,4 m de diamètre a permis aux astronomes du mont Graham, en Arizona, de prendre une image inédite du système de HR 8799.

A gauche, le système de HR 8799 vu par le télescope Gemini North en 2008, à droite, les planètes ont bougé, et une quatrième planète apparaît, sur l'image du LBT. Photo Gemini North/LBTO.

A gauche, le système de HR 8799 vu par le télescope Gemini North en 2008, à droite, les planètes ont bougé, et une quatrième planète apparaît, sur l’image du LBT. Photo Gemini North/LBTO.

Cette étoile de la constellation de Pégase compte au moins quatre planètes, que le LBT a superbement enregistrées. Si les photographies de planètes tournant autour d’autres étoiles que le Soleil sont si rares – une douzaine, tout au plus, alors que l’on connaît l’existence d’au moins deux mille exoplanètes – c’est que leur distance extraordinaire, un million de fois supérieure au moins à celle des planètes du système solaire, les rend pour la plupart invisibles, même avec les plus puissants télescopes du monde.

Le Large Binocular Telescope est un paire de jumelles géantes, constituée de deux miroirs de 8,4 mètres de diamètre. Un seul de ces miroirs a été utilisé pour l'observation du système planétaire de HR 8799. Photo S. Brunier.

Le Large Binocular Telescope est une paire de jumelles géante, constituée de deux miroirs de 8,4 mètres de diamètre. Un seul de ces miroirs a été utilisé pour l’observation du système planétaire de HR 8799. Photo S. Brunier.

Seules exceptions : les planètes géantes, jeunes, tournant très loin de leur étoile. Le système de HR 8799 est à cet égard un parfait exemple : l’étoile et ses planètes se sont formées voici une trentaine de millions d’années seulement. D’abord, ces quatre planètes, à peine formées, sont encore très chaudes et brillantes. Ensuite, elles sont extrêmement massives – 7 à 10 fois plus massives que Jupiter, c’est à dire plus de mille fois plus massives que la Terre ! – et d’une taille plus grande que celle de Jupiter. Enfin, elles tournent à une distance de leur étoile comparable à celle d’Uranus et Neptune pour les plus proches, deux fois plus loin pour les plus lointaines.
C’est dans ces conditions d’observation idéales que les plus grands télescopes du monde se sont tournés vers le système de HR 8799. La toute dernière image, prise par le LBT, est de loin la meilleure. L’équipe internationale de A. Maire, A Skemer, P. Hinz et leurs collaborateurs a utilisé l’un des deux miroirs de 8,4 m de cette gigantesque paire de jumelles, avec une optique adaptative et une caméra infrarouge, observant à 3,8 micromètres de longueur d’onde, un domaine où le télescope spatial Hubble aurait été impuissant. Rappelons que la vision humaine se situe autour de 0,5 micromètre. Dans le domaine de l’observation des exoplanètes, les télescopes géants terrestres surpassent de loin le télescope spatial Hubble, dont le miroir est bien trop petit pour être utilisé à de telles longueurs d’onde de façon efficace.

Le télescope spatial Hubble avait aperçu quelques planètes du système de HR 8799 en 1998. Depuis, elles ont effectué une partie de leur orbite autour de l'étoile. Les télescopes terrestres géants sont bien plus efficaces que Hubble pour l'observation directe des exoplanètes. Photos Nasa/STSCI/LBTO.

Le télescope spatial Hubble avait aperçu quelques planètes du système de HR 8799 en 1998. Depuis, elles ont effectué une partie de leur orbite autour de l’étoile. Les télescopes terrestres géants sont bien plus efficaces que Hubble pour l’observation directe des exoplanètes. Photos Nasa/STSCI/LBTO.

L’image du LBT est impressionnante à plus d’un titre. D’abord, les quatre planètes du système sont parfaitement visibles, ensuite, on voit distinctement qu’elles se sont déplacées sur leur orbite depuis de plus anciennes observations, effectuées par le télescope Gemini North, à Hawaii.
Un exploit technique donc, et une formidable avancée scientifique pour les chercheurs qui étudient les autres mondes…
Mais cette magnifique image nous dit autre chose, aussi. C’est que les astronomes ne sont pas près d’observer des planètes comparables à la nôtre autour d’autres étoiles… En effet les astres observés avec le LBT, HR 8799 b, c, d, e, sont presque des mini étoiles. Ils brillent par eux mêmes, ils sont presque aussi lumineux en infrarouge que l’étoile qui les éclaire : bref, ils sont relativement faciles à observer.
Existe-t-il, autour de l’étoile HR 8799, des planètes plus proches de leur étoile, de type terrestre, comme la Terre, Vénus ou Mars ? On ne le sait pas et de telles planètes, si elles existent, sont hors de portée des plus puissants télescopes actuels, et même de la prochaine génération de télescopes…

Sur ce montage de l'image de HR 8799 prise par le LBT, une planète terrestre fictive a été rajoutée. La distance à l'étoile est respectée. L'observation d'un tel astre est hors de portée de la génération de télescope actuelle, et même de la prochaine génération de télescopes géants, qui mesureront 20 à 40 mètres de diamètre. Photo LBTO.

Sur ce montage de l’image de HR 8799 prise par le LBT, une planète terrestre fictive a été rajoutée. La distance à l’étoile est respectée. L’observation d’un tel astre est hors de portée de la génération de télescope actuelle, et même de la prochaine génération de télescopes géants, qui mesureront 20 à 40 mètres de diamètre. Photo LBTO.

La Terre, par exemple, a une très faible signature infrarouge, elle est plus de dix fois plus petite que les géantes de HR 8799 et elle tourne, bien sûr, beaucoup plus près du Soleil que les planètes de HR 8799. La Terre tourne à 150 millions de kilomètres (une unité astronomique) du Soleil. Projetée à la distance de HR 8799, cette distance représente un angle de 0,025 seconde d’arc, soit la résolution – la capacité de percevoir des détails – d’un télescope de 40 mètres de diamètre à la longueur d’onde observée par le LBT… Pour apercevoir la Terre à une telle longueur d’onde, il faudrait donc utiliser un télescope d’une centaine de mètres… Si ils essayaient de la détecter dans le domaine visible, où elle brille bien plus qu’en infrarouge, les astronomes seraient confrontés à deux problèmes : d’abord, la lumière éblouissante de l’étoile, ensuite l’éclat sidéralement faible de la Terre à une telle distance : sa magnitude visuelle avoisinerait 32 ou 33 : impossible de détecter un astre aussi faible à côté d’une étoile un milliard de fois plus brillante littéralement collée contre lui.
Ces images de mondes lointains font rêver. Rêver de futures images d’une lointaine petite planète bleue, aussi. Mais un beau rêve qui risque de demeurer, pour de nombreuses décennies encore, un fantasme.
Serge Brunier