Hypothèse de la Terre rare : le retour

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L'équipe de l'astronome Jason Wright a étudié cent mille galaxies observées par le télescope spatial Wise, en quête d'une civilisation galactique. Image prise par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

L’équipe de l’astronome Jason Wright a étudié cent mille galaxies observées par le télescope spatial Wise, en quête d’une civilisation galactique. Image prise par le télescope spatial Hubble. Photo Nasa/ESA/STSCI.

La nouvelle, annoncée par le très sérieux Astrophysical Journal Supplement Series, pourrait prêter à sourire, si elle ne ramenait à une interrogation métaphysique profonde, une question que posa, un soir d’été de l’an 1950, le physicien et Prix Nobel de physique Enrico Fermi. Fermi, discutant avec trois collègues de l’existence possible dans le cosmos d’autres êtres intelligents, leur demanda « où sont-ils ? ».
En creux, ce que posait Fermi, à l’époque, c’est que, dans un Univers peuplé de milliards de milliards d’étoiles et existant depuis des milliards d’années, si il existait d’autres civilisations avancées, nous le saurions déjà… Dans son article de l’Astrophysical Journal, l’équipe de l’astronome Jason Wright, du Pennsylvania State University, a voulu répondre scientifiquement à la question de Fermi en étudiant cent mille galaxies observées par le télescope spatial infrarouge Wise. Cent mille galaxies… Soit, environ, dix millions de milliards d’étoiles, et autant de planètes…
L’idée de Jason Wright et ses collaborateurs, c’est que si, dans l’une ou l’autre de ces galaxies, une « super civilisation » très en avance sur la nôtre existait, elle aurait exploré et conquis une grande partie de ses systèmes stellaires et serait détectable par son émission d’énergie, comme l’humanité, à l’échelle d’une planète, est détectable par le rayonnement qu’elle produit, sous forme de lumière et de chaleur. Or, aucune des cent mille galaxies étudiées n’a montré le moindre excès de rayonnement. Rien. Pour les auteurs, cela signifie qu’il n’existe pas, parmi ces dix millions de milliards de planètes, une « civilisation galactique » alors que, notre propre civilisation technologique étant âgée de seulement quelques siècles dans un cosmos âgé de 13,8 milliards d’années, on pourrait imaginer des espèces extraterrestres intelligentes maîtrisant la technologie depuis des millions, des dizaines de millions, voire des centaines de millions d’années…

Le 16 novembre 1974, une impulsion radio d'un mégawatt a été émise par l'antenne géante d'Arecibo, à Puerto Rico, en direction de l'amas d'étoiles d'Hercule. Ce message destiné à d’hypothétiques extraterrestres, a été écris par les astronomes Frank Drake et Carl Sagan, infatigables promoteurs de la recherche de civilisations extraterrestres. L'amas d'Hercule se trouvant à 22 000 années-lumière, le message d'Arecibo a déjà parcouru environ 0,2 % du trajet... Photo S.Brunier.

Le 16 novembre 1974, une impulsion radio d’un mégawatt a été émise par l’antenne géante d’Arecibo, à Puerto Rico, en direction de l’amas d’étoiles d’Hercule. Ce message destiné à d’hypothétiques extraterrestres, a été écris par les astronomes Frank Drake et Carl Sagan, infatigables promoteurs de la recherche de civilisations extraterrestres. L’amas d’Hercule se trouvant à 22 000 années-lumière, le message d’Arecibo a déjà parcouru environ 0,2 % du trajet… Photo S.Brunier.

« Où sont-ils ? » aurait demandé Fermi à la lecture de l’article de Jason Wright. Le paradoxe de Fermi n’a jamais, ces soixante dix dernières années, trouvé de solution, sauf bien sûr à supposer que si il n’y a nulle trace d’extraterrestres, c’est qu’ils ne désirent pas se montrer. Alternative moraliste introduite au cours des années 1970, en pleine angoisse d’holocauste atomique entre les deux grandes puissances : les civilisations technologiques, véritables éphémères à l’échelle cosmique, s’autodétruisent au bout de quelques siècles ou millénaires.
Il existe bien sûr une dernière explication, bien plus radicale, au paradoxe de Fermi : il n’y a pas d’autres civilisations dans l’Univers, ou alors en nombre tellement rare que, dans l’espace et dans le temps, les chances de les croiser sont proches de zéro, et la question de leur existence, académique. C’était la position, en particulier, du paléontologue, auteur de la théorie des équilibres ponctués, Stephen Jay Gould, qui considérait l’apparition de l’homme sur Terre non pas comme un aboutissement évolutif, mais comme l’improbable avatar d’une succession de hasards. Pour lui, les chances que l’évolution, en repartant de l’origine de la vie sur Terre, donne de nouveau naissance à quelque chose ressemblant de près ou de loin à l’espèce humaine et ses velléités de conquête galactique étaient infiniment proches de zéro.

Le Allen Telescope Array est un réseau de 42 antennes de 6 mètres de diamètre installé en Californie, destiné pour moitié à la recherche astronomique, pour moitié à l'écoute d'hypothétiques civilisations extraterrestres. L'écoute radio du ciel a débuté en 1960, avec le projet Ozma imaginé par Frank Drake. Puis SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) a pris le relais, d'abord avec des fonds publics, puis privés. Plus d'un demi siècle d'écoutes, sans résultat jusqu'ici. Dernièrement, le Allen Telescope Array a été pointé vers des exoplanètes situées dans la zone dite « habitable » de leur étoile. Silence radio, encore. Photo S.Brunier.

Le Allen Telescope Array est un réseau de 42 antennes de 6 mètres de diamètre installé en Californie, destiné pour moitié à la recherche astronomique, pour moitié à l’écoute d’hypothétiques civilisations extraterrestres. L’écoute radio du ciel a débuté en 1960, avec le projet Ozma imaginé par Frank Drake. Puis SETI (Search for Extra Terrestrial Intelligence) a pris le relais, d’abord avec des fonds publics, puis privés. Plus d’un demi siècle d’écoutes, sans résultat jusqu’ici. Dernièrement, le Allen Telescope Array a été pointé vers des exoplanètes situées dans la zone dite « habitable » de leur étoile. Silence radio, encore. Photo S.Brunier.

Dès les années 1960, avec le programme SETI et ses nombreuses séquelles, les astronomes ont tenté d’apporter une réponse à Fermi en écoutant le ciel, à la recherche de signaux extraterrestres. Sans résultat. Il faut dire qu’à l’époque, chercher la vie ailleurs dans l’Univers était courageux et audacieux : aucun autre système planétaire n’avait été découvert dans la Galaxie ! On pouvait donc à bon droit penser qu’après tout le système solaire était une rareté cosmique, et les extraterrestres, inexistants. Dans les années 1990, passée la mode hystérique des extraterrestres et des OVNIS – portée par des films comme Rencontres du troisième type, E.T, Contact… – passées les opérations de communication baroques, comme les messages adressés aux extraterrestres par les sondes Pioneer et Voyager, ou encore l’émission radio du radiotélescope d’Arecibo en direction de l’amas d’Hercule, le silence des espaces infinis a fini par lasser et irriter les pourvoyeurs de fonds, et le sénateur américain William Proxmire a sonné la fin de la récréation en décrétant « qu’avant de chercher de la vie intelligente dans l’Univers, il serait bon d’en trouver ici, à Washington ».
Taris les financements publiques, l’écoute des civilisations extraterrestres a continué, bien sûr, mais en mode mineur, discrètement…
Au début du XXI e siècle, l’espoir est revenu : les astronomes ont commencé à découvrir des centaines de planètes au delà du système solaire puis ont acquis la certitude qu’il existait, au bas mot, mille milliards de planètes dans la Voie lactée, notre galaxie… En inventant les très anthropocentriques notions de « super terres » et de « zone habitable », les astronomes ont commencé à fantasmer sur le nombre possible de planètes « habitables » existant dans la Galaxie… un milliard, dix milliards, cinquante milliards… Des chiffres aussi vertigineux que loufoques, tant il est vrai qu’une seule planète habitée est connue aujourd’hui dans la Galaxie, la nôtre, que cette planète a des caractéristiques très spéciales et que, comme les astronomes commencent à le comprendre aujourd’hui progressivement, cette planète spéciale se trouve dans un système planétaire qui l’est tout autant… Mieux : personne ne sait comment la vie est apparue sur Terre, un processus apparemment tellement complexe et aléatoire qu’il n’est par reproductible en laboratoire, et qu’il n’est advenu probablement qu’une seule fois dans toute l’histoire de la Terre, en témoigne LUCA, (le dernier ancêtre commun universel, en Anglais), qui montre que toutes les espèces vivantes terrestres ont un, et un seul, ancêtre…

C'est Frank Drake, l'astronome qui a commencé à écouter le ciel dans l'espoir d'enregistrer des communications extraterrestres, l'astronome Carl Sagan et son épouse artiste Linda Sagan qui ont conçus les plaques d'aluminium doré embarquées à bord des sondes Pioneer 10 et 11. Ces deux sondes, lancées en 1972 et 1973 sont actuellement toujours dans le système solaire, à seulement 16 et 14 milliards de kilomètres du Soleil environ. Les plaques racontent en image la Terre, ses habitants, et la position de notre planète dans la Galaxie. Bien sûr personne ne les lira jamais, elles n'étaient pas destinées aux extraterrestres mais aux Terriens, afin qu'ils soutiennent l'exploration scientifique du cosmos. Photo Nasa.

C’est Frank Drake, l’astronome qui a commencé à écouter le ciel dans l’espoir d’enregistrer des communications extraterrestres, l’astronome Carl Sagan et son épouse artiste Linda Sagan qui ont conçus les plaques d’aluminium doré embarquées à bord des sondes Pioneer 10 et 11. Ces deux sondes, lancées en 1972 et 1973 sont actuellement toujours dans le système solaire, à seulement 16 et 14 milliards de kilomètres du Soleil environ. Les plaques racontent en image la Terre, ses habitants, et la position de notre planète dans la Galaxie. Bien sûr personne ne les lira jamais, elles n’étaient pas destinées aux extraterrestres mais aux Terriens, afin qu’ils soutiennent l’exploration scientifique du cosmos. Photo Nasa.

Projeter, à partir d’un seul cas connu, lorsque celui-ci est reconnu comme extrêmement particulier, les propriétés d’une galaxie entière est pour le moins audacieux, mais comme la communication concernant l’existence d’autres formes de vie dans l’Univers est vendeuse, tout le monde ou presque s’y est mis.
Dans cette symphonie hyper optimiste, où la Nasa annonce sans rire que l’on découvrira probablement la vie ailleurs dans les 20 ans qui viennent, où certains chercheurs particulièrement inspirés vont même jusqu’à évoquer l’existence de planètes « super habitables », une petite musique, inaudible encore, commence à s’élever…
C’est que, d’abord, et contrairement à ce que le principe de Copernic, ou principe de banalité nous invite naturellement à penser, le système solaire, avec son agencement de petites planètes rocheuses près du Soleil et de géantes gazeuses au loin, n’est pas du tout normal. Des observations commencent à émerger des données statistiques qui indiquent au contraire que cet agencement est fortuit, et du à un gigantesque jeu de billard cosmique dans le système solaire naissant…
A l’origine du système solaire, proposent les astronomes Allessandro Morbidelli, Kevin Walsh et Sean Raymond, en France et l’équipe de Gregory Laughlin aux Etats-Unis, deux planètes géantes en formation, Jupiter et Saturne, auraient totalement chamboulé la construction « normale » d’un système planétaire autour d’une étoile comme le Soleil… Jupiter, freinée par le disque de matière où se formaient les planètes, aurait dérivé lentement vers le Soleil, expulsant toutes les planètes qui s’y agrégeaient, les fameuses « super terres » que l’on rencontre partout dans la Galaxie, puis, sous l’influence gravitationnelle d’une autre géante en formation, Saturne, serait revenue à sa place actuelle…
Un incroyable virement de bord, qui a donné à cette théorie son nom en Anglais « The grand tack ». De ce grand coup de baume cosmique, quatre planètes rocheuses atypiques seraient nées : Mercure, Vénus, la Terre et Mars… Cette hypothèse qui donne le tournis n’est pas née de l’imagination trop fertile de théoriciens, mais de simulations et d’observations très sérieuses, du système solaire, d’une part, des systèmes planétaires d’autre part. Les découvertes s’accumulant, les astronomes commencent à pouvoir caractériser et classer les systèmes planétaires de la Galaxie…

Il y a peut-être plus de mille milliards de planètes dans notre seule galaxie, la Voie lactée. Combien d'entre elles sont habitées par une civilisation technologique comme la notre ? Pour tenter de répondre à cette question, les astronomes écoutent le ciel depuis soixante ans pour tenter de capter un message extraterrestre. En vain jusqu'ici... Photo S.Brunier

On a longtemps cru que le Soleil et son cortège de planètes étaient le fruit normal de l’évolution stellaire. Mais c’est un portrait différent du système solaire qui émerge progressivement des observations et des statistiques. Il existe probablement plus de mille milliards de planètes dans notre seule galaxie, la Voie lactée. Parmi elles, combien de terres habitées ? Photo S.Brunier

Et là, surprise : le nôtre est atypique, on a encore pas découvert de cousin au système solaire dans le ciel, mais au contraire deux grands types de systèmes, très différents : des systèmes peuplés de géantes, comme Jupiter, il y en a très peu, un peu plus de 10 % environ, et dans la plupart des cas, ces géantes circulent sur des orbites très elliptiques ou sur des orbites très proches de leur étoile : rien qui ressemble de près ou de loin au système solaire. L’autre grand type de systèmes, c’est le système planétaire à « super terres », ces objets qui n’ont rien de terrestre et n’existent pas dans le système solaire, et circulent très près de leur étoile. Les systèmes hybrides, peuplés à la fois de « super terres » et de planètes géantes, on en connaît pas encore.
Quant à l’architecture de notre propre système, qui, des décennies durant, nous semblait si naturelle – les petites planètes rocheuses près du Soleil, les planètes géantes gazeuses au loin, le tout sur des orbites quasi circulaires – elle n’est due qu’au « grand tack », le couple Jupiter-Saturne interdisant la formation près du Soleil de « super terres », et laissant la place à la formation des quatre petites planètes rocheuses que l’on connaît. La présence d’eau à la surface de la Terre est aussi, d’après les auteurs du « grand tack » à mettre à l’actif de ce grand coup de billard cosmique…
Il est trop tôt pour proposer des propriétés statistiques fiables et complètes du millier de milliards de planètes de notre galaxie, mais ce qui émerge clairement, c’est que le principe de banalité, ou principe de Copernic, qui postule que nous vivons dans une région banale de l’Univers, ne s’applique pas à la Terre et à ses habitants. C’est la première fois dans l’histoire de la recherche astronomique que ce principe de banalité se révèle faux. L’espèce humaine – oui, nous allons en revenir à Fermi, forcément… – et la vie terrestre en général, n’est pas apparue sur une planète banale. Il semble que l’on puisse d’ores et déjà exclure l’architecture du système solaire de, au moins, 95 % des étoiles de la Galaxie… Et ce n’est pas tout. Nous ne connaissons, bien sûr, quasiment rien des caractéristiques des exoplanètes, mais il est probable que celles de la nôtre, présence d’une lune de grande masse dans son orbe, existence d’une importante tectonique, présence d’un champ magnétique intense, ne soient pas fréquentes.
Dans les années qui viennent, grâce aux observations, en particulier, du télescope spatial Gaia, et des instruments qui scannent inlassablement les étoiles en recherche de leurs petites compagnes planétaires, nous saurons si la Terre est un astre rare dans le cosmos…
Si cette rareté, qui semble émerger progressivement des données, se confirme, a t-elle un lien avec le fait que la Terre soit, aussi, la seule planète habitée connue dans l’Univers ?
Personne ne le sait. Des chercheurs hyper optimistes pensent que la vie existe sur Mars, sous les glaces d’Europe, d’Encelade, de Titan, bref partout. Hypothèses qui seront bientôt testées, en particulier sur Mars. Et ailleurs ? Détecter des « Terre » habitées autour d’autres étoiles est l’un des objectifs majeurs de la recherche contemporaine. Découvrir des marqueurs biologiques sur une planète située à des dizaines, des centaines, des milliers d’années-lumière, si la vie existe ailleurs dans la Galaxie, est un défi immense, qu’aucun télescope ne peut relever et que probablement aucun télescope de la prochaine génération ne relèvera, sauf à croire que la vie est un phénomène naturellement émergent et que la plus proche planète habitée se trouve extrêmement près de nous. On en revient au principe de Copernic… Mais aussi au paradoxe de Fermi.
En effet, depuis que le physicien italo-américain a interrogé le ciel, celui-ci a été écouté presque sans discontinuer pendant un demi siècle… Et nous savons désormais qu’il existe au bas mot mille milliards de planètes dans la Galaxie… Si la vie est un processus normal et banal de l’évolution chimique des planètes, il devrait exister des milliards ou des dizaines de milliards de planètes habitées dans la Voie lactée. Et si l’évolution converge naturellement vers des espèces de plus en plus complexes et intelligentes, il devrait exister des milliers, des dizaines de milliers de civilisations technologiques, que nous devrions détecter. Ce n’est pas le cas. Pas plus que le satellite Wise n’a détecté de signes d’une civilisation galactique, parmi dix millions de milliards d’étoiles. Depuis soixante ans, la question de Fermi résonne, de plus en plus assourdissante, dans un espace pascalien, infini et silencieux.

Serge Brunier