Les merveilles sous-marines de la côte Vermeille

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Le port de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) s’éloigne doucement, la houle faiblit un peu, et le sourd vrombissement du moteur couvre à peine le claquement des vagues sur la coque. Bordé à gauche par le bleu profond de la Méditerranée et à droite par la côte rocheuse qui marque l’extrémité des Pyrénées, le paysage se découvre lentement, sous un ciel sans nuage. Le bateau ne dépasse pas 8 noeuds, soit 15 km/h, la limite de vitesse fixée dans la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls. Les agents Jean-François Planque et Didier Fioramonti partent pour leur tournée d’observation quotidienne.


La première réserve marine de France a été créée en 1974, à l’initiative de biologistes, de plongeurs et de pêcheurs artisanaux inquiets de voir les ressources de la mer s’effondrer à cause de la généralisation des activités de plaisance et le développement de la pêche intensive. Plutôt qu’une mise sous cloche, il a été choisi, dans les 650 ha de mer de la réserve, qui s’étend jusqu’à 2 km du rivage, de concilier activités humaines et préservation du milieu naturel. Avec succès : « Nous avons obtenu trois distinctions internationales, dont le statut de Refuge mondial pour la mer, explique Jean-François Planque. Mais aussi l’inscription sur la liste verte de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), pour la qualité du travail que nous menons avec les pêcheurs et les plaisanciers. C’est une réserve d’État, mais l’évolution de la réglementation se fait avec les usagers eux-mêmes. » Jean-François salue le bateau d’une autre équipe, attelée à installer les 29 bouées d’amarrage qui évitent les dégâts causés par les ancres et limitent la fréquentation des lieux.


« Les poissons viennent nous voir »


Passé l’anse du Pin parasol, notre objectif se découvre : protégée de la tramontane par une haute falaise, chauffée au doux soleil de cette fin de printemps, l’eau du sentier sous-marin est calme et accueillante. Accessible depuis la mer ou la plage de Peyrefite, entre Banyuls et Cerbère, ce sentier est une curiosité locale particulièrement courue. Ou plutôt nagée ! Il permet d’appréhender la réserve dans sa diversité : sur 250 m de long et 50 m de large, matérialisé par des bouées, on y découvre cinq milieux typiques des fonds de la côte Vermeille, et surtout leurs habitants. « La chasse sous-marine étant interdite, les poissons n’ont pas peur de l’homme, explique Didier Fioramonti, qui guide gratuitement les vacanciers sur le sentier tout au long de l’été. Les plongeurs qui viennent d’ailleurs nous disent qu’ils n’ont jamais vu ça. Ici, on peut voir ce que fait la nature quand on la protège. »


À chacune des cinq stations du sentier, des panneaux immergés rappellent les espèces végétales et animales de chaque milieu, mais aussi les consignes de base. « On ne crie pas, on ne s’agite pas, et les poissons vont venir nous voir, assure notre guide en chaussant de longues palmes. Il ne faut pas non plus retourner les cailloux, pour ne pas perturber le développement des végétaux et des petits poissons qui se cachent en dessous. » Le plongeur, lesté d’une ceinture de 7 kg, masque et tuba sur la tête, se laisse glisser dans l’eau depuis le bateau et nous invite à le suivre. Cinq mètres plus bas, le fond est tapissé de posidonie, une herbe marine endémique de méditerranée, qui occupe 25% de la réserve. Ses feuilles, qui peuvent atteindre jusqu’à 1 m, agissent comme un poumon marin, stockant le gaz carbonique et libérant de grandes quantités d’oxygène. Elles hébergent également de nombreux poissons, qui s’y réfugient pour se reproduire et mettre leurs rejetons à l’abri.

DIDIER FIORAMONTI
DIDIER FIORAMONTI


Après un signe de la main pour capter notre attention, Didier descend en apnée. L’eau se remplit de discrets claquements de bouche émis par le plongeur. Immédiatement, une nuée de poissons curieux l’entoure. Au milieu des petites oblades, reconnaissables à leur tache noire sur la queue, une daurade royale de 50 cm passe d’un air sérieux, faisant miroiter ses écailles argentées dans un rayon de soleil. « C’est une eau très riche, nourrie par les courants marins et les alluvions des Pyrénées, indique le guide une fois revenu à la surface. On y trouve toute la chaîne alimentaire. » Après quelques coups de palmes, un nouveau milieu se découvre, composé de gros blocs de pierre et de crevasses profondes. Un corb glisse entre les rochers, suivi par un énorme mérou. Ce dernier est l’un des 608 relevés au dernier comptage, contre une dizaine il y a 40 ans. L’avenir de cette espèce protégée s’éclaircit dans les eaux de la côte Vermeille. Comme celui des 1 200 espèces animales et 500 espèces végétales recensées dans la réserve.


Un répit total pour la nature


Jean-François et Didier ont aujourd’hui une mission de la plus haute importance : redonner sa liberté à une grande cigale de mer, une espèce protégée. C’est l’un des trois derniers pêcheurs artisanaux de Banyuls qui l’a retrouvée dans ses casiers à langoustes et à homards et qui l’a confiée de bon coeur aux agents. L’endroit idéal pour la relâcher se situe à quelques centaines de mètres du sentier marin, au coeur de la réserve : la zone de protection renforcée, qui baigne le cap Rederis, offre 65 ha de répit total au milieu naturel. La pêche y est totalement interdite, comme la plongée et le mouillage.


Le moteur éteint, les vagues et les oiseaux marins remplissent l’espace sonore. Jean-François Planque lâche la barre pour ouvrir un vivier à l’arrière du bateau. Le crustacé de près de 30 cm y agite ses antennes. Penché par-dessus bord, l’agent pose délicatement l’animal à la surface de l’eau, pour le laisser rejoindre le fond. « Les gens pensent que dans la zone de protection renforcée il y a un trésor, mais il est partout, le trésor !, s’amuse Didier. Ici tout est protégé. Même sur le sentier, il n’y a qu’un mois et demi de dérangement par an, c’est peu. » Sous la surveillance quotidienne de ses agents, qui ont la compétence de police de l’environnement, la réserve sert de nurserie à une zone bien plus vaste : « On trouve maintenant des mérous et des larves de corail rouge jusqu’en Espagne, se réjouit Didier. La richesse de la réserve se diffuse. »


Préparer sa visite

Depuis Perpignan, prendre la voie rapide direction Argelès (N114), puis la route côtière D914.

L’accès au sentier marin, gratuit, se fait depuis la plage de Peyrefite. Pour l’observation, prévoir un masque ; tuba et palmes conseillés.

Le sentier est matérialisé et placé sous la surveillance d’un maître-nageur du 1er juillet au 31 août, de 11h à 19h. Vous n’avez pied que jusqu’à la première des cinq stations, le reste est ainsi déconseillé aux nageurs débutants.


Gardons nos réserves

Dans le périmètre de la réserve, les navires de plaisance doivent s’amarrer à l’une des bouées blanches, respecter les limitations de vitesse et garder leurs distances avec les navires de plongée et de pêche professionnelle. La pêche à la ligne est soumise à autorisation, comme la plongée sous-marine. Informations et demandes d’autorisation sur le site : www.ledepartement66.fr