La chauve-souris sous toutes les coutures

Standard


“Souche à virus”, bête légendaire : qui est l’animal qui a mis le monde sous cloche ?


On la dit du côté du diable et des sorcières, on craint qu’elle ne s’accroche aux cheveux… Bien que proches de nous, les chauves-souris ne sont perçues souvent qu’au travers d’un monde d’idées préconçues. C’est peu dire que la désignation de cet animal comme réservoir à virus du Sars-CoV-2 mais aussi des différentes épidémies qui parcourent le globe depuis le début des années 2000, ne va pas aider à rétablir sa réputation négative. Pourtant, ce chiroptère gagne à être connu, ne serait-ce que pour ses caractéristiques assez exceptionnelles. Le point avec le concours d’experts scientifiques.


1. Les chauves-souris sont-elles des réservoirs à virus ?


« Incontestablement, répond avec franchise Jean-François Julien, chiroptérologue au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Même si dans la longue histoire des zoonoses, elles ne viennent qu’en troisième position derrière les bovins et animaux domestiques, puis les rongeurs (rats, souris…), les chauves-souris ont un taux de portage du coronavirus estimé à 10 % dans les espèces testées. » Pour ce naturaliste qui les observe en France et dans le monde depuis plus de 30 ans, il y a trois raisons essentielles à cela : « D’abord leur proximité avec l’homme, ensuite celle avec le reste du monde animal, et enfin leur caractère grégaire. Ce sont des êtres sociaux qui vivent groupés et ont une forte tendance à se disperser un peu partout. »


Et c’est ainsi que, depuis le début du XXe siècle, la liste des épidémies causées par ces petits mammifères volants, notamment en raison du commerce d’espèces sauvages – car pour être transmis à l’homme, il faut que le virus transite de la chauve-souris à l’homme par une seconde espèce réservoir – commence à être longue : le Sars-CoV-1 en 2003 (chauve-souris + civette), le Mers-CoV en 2012 (chauve-souris + dromadaire) et enfin, le Sars-CoV-2 (chauve-souris + pangolin ?).


2. Quel est leur nombre exact et sont-elles en voie d’extinction ?


Même si elles se comptent en millions, il est presque impossible de les évaluer précisément. « Il y a deux ans, fait remarquer Jean-François Julien, je vous aurais répondu entre 1300 et 1350 espèces dans le monde, dont 35 en France métropolitaine. Aujourd’hui, je vous dirais davantage : 1500 au moins, soit un quart des mammifères connus, car on en découvre de nouvelles tous les ans. » Leur poids et leur taille peuvent aller ainsi de 2 g et 2,8 cm, pour la minuscule chauve-souris bourdon de Thaïlande, à plus de 1kg et 1,50m d’envergure, pour le spectaculaire renard volant des Philippines !


Pourtant, leur présence est de plus en plus menacée dans plusieurs endroits du globe. En Afrique et en Asie, par la déforestation, en Amérique du Nord, par une maladie dite du syndrome du museau blanc (un champignon qui s’attaque au métabolisme de l’animal) et en France et en Europe, par l’érosion de la biodiversité. Ainsi une étude récente de sciences participatives menée sous l’égide du Muséum national d’histoire naturelle a montré une diminution de 30% des espèces communes de chauves-souris en 10 ans en France. Plusieurs raisons à cela : l’impact du réseau autoroutier, les éoliennes, la pollution lumineuse, l’usage des pesticides en agriculture.


3. Sont-elles dangereuses ?


« La légende selon laquelle elle s’accrocherait à nos cheveux, est une pure invention, constate Jean-François Julien. Si vous faites allusion au fait que certaines d’entre elles sont hématophages (buveuses de sang), en clair, des vampires, il en existe trois espèces qu’on ne trouve qu’en Amérique du Sud : Mexique, Argentine et Brésil. Mais il est vrai que là-bas, en raison de la déforestation, elles pullulent. Elles puisent beaucoup de sang dans le bétail. » Et des chercheurs brésiliens redoutent même qu’elles puissent un jour s’attaquer à l’homme et lui transmettre la rage.


4. Faut-il les éradiquer ?


En Chine et même au Pérou, on a vu récemment des communautés villageoises, effrayées par la propagation coronavirus Sars-CoV2, se livrer à des destructions massives de chauves-souris, notamment dans des grottes où elles logeaient. « Généraliser de tels comportements, ce serait jouer aux apprentis sorciers. Comme on l’avait fait au temps de la rage avec les renards, pointe sans hésiter Jean-François Julien. Car, au lieu de résoudre un problème, vous créez un déséquilibre dans les écosystèmes. » Ainsi, leur mode d’alimentation permet à la fois de réguler la présence de nombreux moustiques – porteurs, eux aussi, de maladies infectieuses – et de diminuer les parasites présents dans certaines cultures agricoles. D’ailleurs, en France, elles sont placées sous la loi de protection de la nature du 10 juillet 1976, complété par un arrêté ministériel de 2007, qui interdit de les capturer, les sanctions pouvant aller jusqu’à un an de prison et 15.000€ d’amende.


L’écologue Serge Morand, chercheur du CNRS qui vit en Asie du Sud-Est, apporte une autre grille de compréhension : « Un pays riche en biodiversité peut être riche aussi en maladies infectieuses. Mais attention, la destruction de la biodiversité augmente les risques de pandémie. Si on se livre à la déforestation ou si on urbanise trop, les animaux sauvages perdent leur habitat et cela favorise leurs contacts avec les animaux domestiques et les humains ».


C’est ce qui était déjà arrivé avec le virus Nipah en 1998 en Malaisie, où, rappelle-t-il, l’habitat des chauves-souris avait été détruit pour permettre des plantations de palmiers à huile. Poussant les chauves-souris à migrer près des villages où elles avaient contaminé des cochons d’élevage destinés à l’exportation, diffusant ainsi une épidémie jusqu’à Singapour… Et nos deux écologues de tomber d’accord sur la vraie solution : « Intensifier la surveillance sanitaire, et cela au niveau mondial. » Comme dans le système préconisé par le concept One World, One Health (« Un seul monde, une seule santé ») où médecins, vétérinaires et écologues travailleraient enfin de concert.


5. Qu’ont-elles à nous apprendre ?


Depuis 2017, un consortium universitaire baptisé Bat-1K cherche à mieux comprendre le système immunitaire et la résistance au vieillissement des chauves-souris. Ainsi, grâce à un baguage, on a appris récemment qu’une chauve-souris pesant à peine 7 g pouvait vivre jusqu’à 41 ans ! D’où les grands espoirs d’Éric Petit, chercheur à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) de Rennes et membre du groupe chiroptères à l’association Bretagne vivante, qui suit de près les travaux du consortium Bat-1K menés et initiés par sa collègue irlandaise Emma Teeling, de l’université de Dublin.


« L’objet est d’arriver à un séquençage des génomes de toutes les espèces connues de chauves-souris, d’où le nom de Bat – « chauve-souris », en anglais – et de 1K comme one thousand, c’est-à-dire un millier d’espèces, explique-t-il. Décrites comme des réservoirs à virus, les chauves-souris sont aussi des mammifères qui ont développé un système immunitaire leur permettant de résister à de très nombreux virus et microparasites. D’après les premières observations du consortium, elles généreraient une sorte de mécanisme cellulaire permanent qui les aiderait à combattre l’inflammation et ainsi de vivre longtemps et en bonne santé. Le Graal de la santé humaine. » Aussi, une fois passée la phase aiguë de la pandémie due au Sars-CoV-2, tous ces chercheurs espèrent que les peurs anciennes ou nouvelles suscitées par les chauves-souris s’estomperont et laisseront place à la fois à une meilleure connaissance de ce petit mammifère volant et surtout de son utilité écologique. Et Éric Petit de conclure : « Leur véritable ennemi, c’est l’ignorance. »


À consulter

La SFEPM. Le site de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères : www.sfepm.org