On sait enfin à quoi servent les mouvements des yeux durant les rêves

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A quoi servent les mouvements des yeux pendant qu'on dort ? A zapper d'une scène à une autre d'un rêve, selon des chercheurs (Ph. Kick Photo via Flickr CC BY 2.0)

A quoi servent les mouvements des yeux pendant qu’on dort ? A zapper d’une scène à une autre d’un rêve, affirme une étude scientifique inédite (Ph. Kick Photo via Flickr CC BY 2.0).

Depuis leur découverte en 1937, les mouvements oculaires rapides (MOR) durant le sommeil ont fasciné les neurologues. Associés aux rêves et à la phase de sommeil paradoxal, et supposés vitaux pour la “maintenance” cérébrale, leur fonction exacte n’a jamais encore été pleinement comprise… Mais un travail récent d’une équipe de chercheurs français, israéliens et américains pourrait débloquer la situation.

Ces chercheurs ont en effet testé une nouvelle hypothèse, inédite, sur le sens des MOR, ce à l’aide d’électrodes implantées dans le cerveau de 19 patients humains captant directement l’activité des neurones impliquées. Et cette hypothèse semble validée : contrairement à l’idée admise, les MOR du dormeur seraient non pas le reflet d’un “scanning” des scènes visuelles rêvées, comme quand on examine visuellement un paysage, mais une action permettant de zapper d’une scène à l’autre. Une différence subtile mais essentielle pour comprendre l’économie cérébrale.

 L’activité de milliers de neurones analysée durant les rêves des volontaires

L’expérience a reposé sur 19 patients volontaires portant déjà des électrodes implantés dans leur cerveau, au nombre de 172, dans le cadre d’un traitement contre l’épilepsie. Grâce à elles, les chercheurs pu suivre l’activité de quelque 2000 neurones, soit de manière individuelle soit par groupe (en tout, 600 sources de mesure), durant des séances de sommeil et de veille de 7 heures en moyenne.

Les patients ont également été suivis par électro-oculographie, soit la mesure de l’activité de l’œil à l’aide d’électrodes collées à proximité, par électromyographie (mesure de l’activité musculaire) et par vidéo directe.

Une similitude avec les saccades oculaires en état de veille

De fait, les phases de MOR (de 2 à 5 par minute) existent aussi durant la phase d’éveil : il s’agit de saccades oculaires, parfois imperceptibles, servant aussi bien à “rafraîchir” l’image sur la rétine en évitant de saturer toujours les mêmes cellules (sinon, le flou s’installe), qu’à procéder à un calcul cérébral plus complexe : celui-ci est sensé délimiter ou segmenter des “périodes” durant le traitement de l’information visuelle.

En substance, on sait qu’en état de veille, chaque train de saccades ouvre et ferme une période de la scène visuelle aperçue, qui est alors traité en bloc par le cerveau. Ce mécanisme est interprété par les neurologues comme une remise à zéro de l’attention visuelle permettant de passer d’une période à l’autre – une sorte de zapping de l’attention visuelle.

Un “zapping” plutôt qu’un “scanning”

Aussi, en comparant les résultats des mesures des activités neuronales et des ondes cérébrales durant des phases de MOR en état d’éveil et en état de sommeil, les chercheurs en ont déduit que leur rôle dans les rêves est de même nature que durant la veille : délimiter les scènes rêvées par le dormeur et réaliser le passage de l’une à l’autre.

Plus précisément, lorsqu’un dormeur est en phase de rêve avec MOR (il y a aussi des phases de rêve sans MOR) cela correspond non pas à une étape où il “scanne” le paysage visuel de son rêve mais à celle où il change d’une imagerie ou scène à une autre – lesquelles peuvent ensuite se retrouver emmêlées et causalement liées dans le souvenir de la personne.

Plus près de la solution à l’énigme des rêves

Cette hypothèse demande à être validée par d’autres études, comme toute nouvelle hypothèse, mais en l’état elle dévoile les forts liens entre les “calculs” cognitifs complexes et le mouvement des yeux, liens déjà explorés notamment dans les techniques de thérapie cognitive dites EMDR où le mouvement des yeux est supposé permettre au système cognitif du patient de réorganiser la charge affective de ses souvenirs, par exemple dans les cas de trouble de stress post-traumatique (TSPT).

Surtout, elle ouvre aux neurologues une nouvelle piste, toute fraîche, pour résoudre enfin l’énigme sur le sens des rêves dans l’écosystème cérébral des nombreuses espèces de mammifères…

— Román Ikonicoff

 

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Comment l’alcool peut-il avoir un effet désinhibant ?

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L'alcool agit ssur plusieurs processus neurochimiques conjointement (Ph. Henrique Gomes via Flickr CC BY 2.0)

L’alcool agit sur plusieurs processus neurochimiques conjointement (Ph. Henrique Gomes via Flickr CC BY 2.0)

Il est encore difficile de dresser un schéma complet de ce mécanisme car l’alcool (éthanol) est une petite molécule qui, à la différence des autres drogues, n’agit pas sur une seule cible, mais sur de nombreux récepteurs neuronaux, ces capteurs par lesquels les neurones communiquent entre eux. Dès lors, l’alcool modifie l’action de vastes réseaux neuronaux. D’un point de vue général, l’alcool altère les processus cognitifs et moteurs.

L’hypothèse la plus probable est que le fait de s’enivrer altère l’activité des régions corticales frontales, explique Mickaël Naassila, directeur du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances à l’Inserm. Or, ces régions permettent l’analyse d’une situation et donc le contrôle de nos comportements.

L’alcool neutralise l’action de deux neuromodulateurs essentiels

Une fois ce frein levé, l’individu laisse libre cours à ses émotions, à ses envies, sans tenir compte des conséquences et du contexte social. L’inhibition du contrôle frontal favorise ainsi l’empathie, mais incite également à la prise de risque, au passage à l’acte, et même à la violence.

Au niveau des neurones, l’effet désinhibiteur de l’alcool peut s’expliquer, du moins en partie, par le fait qu’il neutralise l’action de deux neuromodulateurs essentiels à la perception de l’environnement et au maintien de la vigilance : la noradrénaline et la sérotonine. “En se fixant sur les récepteurs du GABA [le principal neurotransmetteur du système nerveux encéphalique], l’alcool exerce une activité inhibitrice sur la noradrénaline et la sérotonine, et en perturbe la sécrétion, explique le neurobiologiste Jean-Pol Tassin. Or, la noradrénaline permet justement d’être réactif face à un danger”. Quant à la sérotonine, elle joue un rôle important dans l’émotivité et l’humeur.

Et il favorise la sécrétion de “morphines endogènes”

De plus, l’alcool favorise la sécrétion de “morphines endogènes” qui se lient à d’autres récepteurs ayant eux aussi une action inhibitrice. Mais surtout, l’éthanol a pour effet de booster la libération de dopamine, impliquée dans le système de récompense et d’addiction, qui va provoquer un effet plaisant, parfois jusqu’à l’euphorie.

Désinhibé, euphorisé, le consommateur peut ressentir une sensation de toute-puissance… alors que ses systèmes de vigilance sont affaiblis. Et tel est bien le risque que constitue l’alcool, au volant ou ailleurs : on se sent sûr de soi alors que la vigilance est moindre !

E.C.

D’après S&V n° 1107

 

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