L’interdit de l’inceste a-t-il un fondement biologique ?

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Le cichlidé émeraude est la une espèce de poisson dont la reproduction est basée sur l'inceste (Ph. Christie via Flickr CC BY 2.0).

Le cichlidé émeraude est une espèce de poisson dont la reproduction est basée sur l’inceste (Ph. Christie via Flickr CC BY 2.0).

S’il est statistiquement établi que les mariages entre proches consanguins – l’endogamie – engendrent des conséquences génétiques néfastes chez leurs enfants, il n’est pas certain que ce phénomène soit à l’origine de la prohibition de l’inceste commune à toutes les sociétés humaines, comme le proposait au XIXe siècle l’anthropologue Lewis Morgan. Il se pourrait même que les effets indésirables liés à l’inceste découlent de sa prohibition. C’est pourquoi le problème que vous soulevez, tel celui de la poule et de l’œuf, ne peut recevoir de solution univoque.

Pour comprendre, il faut d’abord revenir sur un phénomène biologique nommé “dépression de consanguinité”, qui explique pourquoi la proximité génétique de parents tels que des frères et sœurs peut porter préjudice à leur progéniture.

L’inceste présente un risque génétique pour les individus…

Chez tous les êtres issus d’une reproduction sexuée, c’est la fusion des gamètes mâles et femelles (spermatozoïdes et ovocytes chez les humains) qui assure la transmission du patrimoine génétique nécessaire au développement de l’embryon. Cette transmission est en partie aléatoire, mais elle permet que chaque cellule non reproductrice des descendants contienne un double jeu de chromosomes porteurs chacun des mêmes gènes, les uns dans la version provenant des spermatozoïdes, les autres de l’ovocyte.

Ces différentes versions sont appelées “allèles”, et l’on distingue les allèles “récessifs” des allèles “dominants”, les premiers ne s’exprimant qu’en l’absence des seconds. Si certains de ces allèles s’avèrent être porteurs de mutations dommageables (ils sont alors dits “délétères”), ils sont récessifs pour la plupart ; les êtres dotés d’allèles délétères dominants ayant peu de chance de pouvoir se reproduire, ces allèles disparaissent au cours du temps.

…Mais il peut présenter des avantages pour les espèces

Sauf exception, il faut donc pour qu’un allèle délétère entre en activité qu’il ne soit pas couplé à un allèle sain dominant. Or, c’est justement la situation vers laquelle la consanguinité tend à mener : quand le père et la mère sont issus d’une même famille, les risques pour que leurs enfants héritent d’allèles délétères identiques sont accrus, et donc les risques que ces enfants ne soient pas viables ou très malades.

Faut-il en conclure que la prohi­­bi­­tion de l’inceste a bien un fon­­dement biologique qui pousse à l’exogamie, c’est-à-dire à la recher­­che d’un compagnon hors de son groupe d’appartenance ? Pas si simple. Car en 2007, des travaux d’une équipe de l’université de Bonn sur des poissons, les cichlidés émerau­des (S&V n° 1077, p. 72), a souligné la fragilité de ce dogme, et pas seulement chez ces poissons : chez l’homme, la dépression de consanguinité est relativement faible et pour certains groupes indiens et pakistanais, l’accouplement consanguin s’est avéré être, in fine, un vecteur de fertilité assez important pour compenser l’excès de mortalité juvénile qu’il engendrait.

L’interdiction de l’inceste aurait autant une origine plus culturelle que naturelle

Sur le long terme, même une dépression de consanguinité forte sans contreparties immédiates peut représenter un atout biologique : en favorisant l’expression des allèles délétères récessifs, et donc l’élimination des individus porteurs, elle réduit leur fréquence dans la population. Paradoxalement, on peut donc considérer que les conséquences funestes des rapports consanguins chez les humains résultent en grande partie de la prohibition de l’inceste, qui a empêché ce processus de “nettoyage” génétique.

Les pratiques incestueuses des pharaons que les découvertes sur les parents de Toutankhamon ont remises sur le devant de la scène (S&V n° 1111, p. 20) se joignent à cette idée pour suggérer que notre rapport à l’inceste a une origine culturelle, au moins autant que naturelle.

V.Gu.

D’après S&V n°1114

 

> Lire aussi :

 

 

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Inceste : un petit poisson brise le tabou – S&V n°1077 – 2007. En 2007 les scientifiques découvrent le comportement incestueux du cichlidé émeraude, petit poisson des eaux d’Amérique du Sud. La croyance au fait que l’inceste serait néfaste pour les espèces en prend un coup : il aurait des avantages reproductifs qui lui permettent de passer la barrière statistique de la sélection naturelle, d’où l’existence de cette espèce de poisson.

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  • L’ADN de Toutankhamon a parlé – S&V n°1111 – 2010. Inceste en Égypte Ancienne. En couplant analyse génétique et imagerie médicale, des chercheurs ont levé un voile sur la généalogie du célèbre pharaon : sa mère était la sœur de son père, donc sa tante.

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  • Les nouveaux mystères de l’ADN – S&V n°1145 – 2013 – Depuis la découverte de la structure de l’ADN, en 1953, les biologistes ne cessent de s’étonner de la sophistication de cette minuscule machinerie qui contient toutes les informations pour faire fonctionner un organisme vivant. C’est un véritable langage, dont les paroles sont des protéines, qui est loin d’avoir été parfaitement déchiffré.

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Un smartphone suffit pour fabriquer son clone numérique (avatar) en 3D

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Les visages filmés en qualité même moyenne par un smartphone permet de reconstruire son avatar (A. E. Ichim et al., EPFL)

Les visages filmés par un smartphone permettent de reconstruire son avatar en 3D (A. E. Ichim et al., EPFL)

Les petites trouvailles numériques cachent parfois des forêts de calculs et d’obstacles surmontés par des chercheurs passionnés… En l’occurrence, trois informaticiens de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL, Suisse) ont développé un système pour ordinateur qui peut recréer votre visage en 3D, et l’animer avec vos expressions, à partir d’une vidéo prise avec votre smartphone.

Une invention qui pourrait populariser l’utilisation d’avatars virtuels, jusque-là limitée aux joueurs en ligne, dans des applications (mobiles) de réseau social et sur certains sites de la Toile…

 Un avatar doit nous ressembler, avec un minimum d’informations

Sachant qu’un avatar n’est pas censé être une copie numérique de très haute ressemblance avec son modèle humain, ce qui serait trop lourd à animer en temps réel dans un jeu ou une interaction dans un espace virtuel, l’algorithme conçu par les chercheurs est une réussite d’économie et d’intelligence.

Car créer un visage en trois dimensions animé d’expressions à partir d’une vidéo filmée à la main (tremblements, mouvements) sous des éclairages loin d’être optimaux et avec une définition relativement médiocre, cela demande des ressources de calculs dignes d’un laboratoire d’informatique. Or le système peut tourner sur un ordinateur usuel (muni d’un microprocesseur de type Intel Core i7 2.7 Ghz et d’une carte graphique NVIDIA GeForce GT 650M 1024MB).

 Deux vidéos suffisent pour réaliser l’avatar

De plus, un avatar doit tenir dans un fichier numérique suffisamment léger pour être transmis d’une machine à une autre rapidement et son animation doit pouvoir être effectuée via la transmission d’un faible nombre d’instructions-clés. Pour cela, il faut réduire considérablement les informations décrivant le visage (données statiques) et ses expressions (données dynamiques).

Concrètement, l’algorithme requiert de se filmer d’une part en effectuant un balayage semi-circulaire du smartphone (bras étendu), d’autre part en mimant une série d’expressions, comme le montre la figure :

Les deux types de vidéos nécessaires pour créer son avatar (A. E. Ichim et al., EPFL).

Les deux types de vidéos nécessaires pour créer son avatar.

De fait, l’algorithme travaille avec quelques principes ingénieux : une mise à plat du visage, une réduction des informations graphiques (mappage par des polygones), l’inclusion de rides et d’expressions également géométrisées. Pour la capture vidéo, qui ne dure pas plus d’une minute et peut être effectué par un appareil à 8 mpx (de type iPhone 5), l’algorithme intègre un système d’identification et de suivi du visage (face tracking) qui permet compenser les désalignements et tremblements du visage filmé.

Le visage filmé est d’abord mis à plat

L’algorithme se sert de la première vidéo – visage neutre capté dans un mouvement semi-circulaire – pour effectuer une “mise à plat” du visage, sa géométrisation et une homogénéisation de la lumière reflétée par celui-ci. Le calcul passe ainsi par une phase graphique intermédiaire où est représentée une “carte d’albédo” du visage :

Du visage réel au visage numérique

Du visage réel au visage numérique : l’image intermédiaire est la “carte d’albédo” du visage

La première vidéo sert à reconstruire une vue "à plat" du visage avec notamment une homogénéisation des éclairages

La première vidéo sert à reconstruire une vue “à plat” du visage avec notamment une homogénéisation des éclairages

Cette carte d’albédo est ensuite “collée” à une surface 3D prédéfinie afin de lui redonner un relief, tout en la “vectorisant”, c’est à dire en redessinant le visage à l’aide de polygones, ce qui diminue le poids de l’image (un polygone remplace des milliers de pixels).

 Les détails les plus significatifs du visage (rides, textures) sont numérisés

La seconde vidéo sert à numériser les expressions du visage et quelques autres détails significatifs, comme les rides et la texture de la peau. Là encore, la règle est la réduction du nombre d’informations : seuls quelques-uns de ces détails, les plus marqués, sont intégrés au modèle. Finalement, le visage de l’avatar est une version géométrique minimale, mais reconnaissable, du visage réel…

Un petit nombre d'informations sur l'expression du visage réel permet de reconstruire cette expression sur l'avatar

Un petit nombre d’informations sur l’expression du visage réel permet de reconstruire cette expression sur l’avatar

L’avatar pourra alors être animé en temps réel dans un espace virtuel via une connexion Wi-Fi ou 4G, soit à partir des expressions réelles du visage de l’utilisateur (traduites par un second logiciel de capture et d’analyse du mouvement ou motion capture), soit en couplant cet algorithme avec un programme de reconnaissance de la parole, afin d’animer le visage au rythme de la parole de l’utilisateur.

Minimiser les flux vidéo dans une Toile en très forte croissance

Selon les chercheurs, toute cette procédure de fabrication de l’avatar, automatisée à partir des vidéos, ne prend que quelques dizaines de minutes – auxquelles il faut additionner une quinzaine de minutes pour la prise en main du logiciel (à partir du manuel d’aide) et l’affinage des paramètres par l’utilisateur. Un système qui, par sa faible consommation de ressources et sa facilité d’utilisation, pourrait servir dans des applications en ligne qui requièrent une “présence” sans pour autant être capables de gérer des flux vidéo, nécessairement lourds.

De fait, le remplacement des flux vidéo par des systèmes à avatar dans des applications en ligne est, selon les chercheurs, une des solutions pour alléger les transmissions numériques qui connaissent actuellement – et pour les années à venir – une croissance exponentielle pouvant à terme poser des problèmes de saturation des réseaux et de coût énergétique.

— Román Ikonicoff

 

> Lire également :

 

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Ou va Internet ? – S&V n°1144 – 2013. Cela fait déjà quelques années que l’on s’interroge sur les capacités du réseau à résister à la pression d’une croissance exponentielle… Mais avec l’arrive de l’internet des objets, la question devient plus aiguë.

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Sourire, œil en coin… et talons hauts : ces détails qui nous séduisent

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La voirie a tort de s’obstiner à garnir les routes de dos-d’âne pour réfréner l’ardeur des automobilistes : une jolie fille montée sur échasses, opportunément déposée à l’entrée du village, dévoile un pouvoir tout aussi dissuasif. « Nous avons constaté, de manière très scientifique, que les conducteurs hommes ralentissent quand ils aperçoivent une fille en talons hauts qui marche sur le bas-côté ! », explique Nicolas Guéguen, professeur en sciences du comportement à l’université de Bretagne-Sud. Si le talon haut contribue (modestement) à la sécurité routière, il participe surtout à la conduite de stratégies de séduction.

Nicolas Guéguen et ses collaborateurs ont calculé précisément son impact : si 46,7% des hommes…

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