Pour se débarrasser d’une musique qui obsède, il faut mâcher du chewing-gum

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Selon les chercheurs de l'université de Reading, mâcher du chewing-gum atténue le syndrome du "ver d'oreille" (Pascua Theus Wikicommons CC BY-SA 2.5)

Selon les chercheurs de l’université de Reading, mâcher du chewing-gum atténue le syndrome de l’air obsédant ou « ver d’oreille » (Pascua Theus Wikicommons CC BY-SA 2.5)

C’est un phénomène on ne peut plus banal mais qui semble beaucoup intéresser certains scientifiques : les « vers d’oreille », ces musiques qui viennent involontairement tourner en boucle dans la tête sans qu’on puisse s’en débarrasser. Car une équipe de chercheurs tout ce qu’il y a de sérieux aurait trouvé la parade après moult expériences et hypothèses théoriques : il faut mâcher du chewing-gum. Une étude publiée dans la revue The Quarterly Journal of Experimental Psychology digne d’un poisson d’avril (n’était la date d’aujourd’hui) mais qui en réalité a son sens et ses raisons.

D’abord, la description de l’expérience. 98 volontaires ont été soumis à trois séries de tests par l’équipe du Dr Phil Beaman de l’École de psychologie et des sciences cliniques du langage de l’université de Reading (Angleterre), spécialistes du phénomène cognitif du « ver d’oreille » (earworm en anglais).

Trois expériences avec des musiques obsédantes

Dans le premier test, 44 volontaires ont écouté pendant 30 secondes le refrain (chœurs) de la chanson « Play Hard » de David Guetta, Flo Rida et Akon. Ce, deux fois de suite. Puis on leur a donné comme consigne d’essayer de ne pas penser à la chanson pendant trois minutes, puis de penser à ce qu’ils veulent (chanson incluse) pendant encore 3 minutes. Durant ce laps de temps, chaque fois que la chanson faisait irruption dans leur pensée, ils devaient appuyer sur la touche « q » d’un clavier. La moitié des participants recevaient un chewing-gum pour mâcher durant la seconde phase, l’autre moitié n’en avait pas (groupe de contrôle). Le même test était ensuite recommencé en inversant le rôle des deux groupes.

Dans le test n°2, 18 volontaires étaient soumis à la même procédure, mais sans la deuxième période de 3 minutes et en leur demandant de distinguer entre la survenue de la pensée qu’ils avaient entendu la chanson (touche « q ») et celle où ils l’entendaient réellement jouer dans leur tête (touche « p »). Enfin, dans le dernier test, 36 volontaires devaient écouter non plus « Play Hard » mais « Payphone » de Maroon 5, durant un plus long laps de temps (2 minutes). Ensuite 2 minutes à essayer de ne pas penser à la musique, puis un tiers des participants recevaient un chewing-gum, un tiers devait taper sur le bureau avec l’index de chaque main et un tiers ne faisait rien (groupe de contrôle).

Les techniques de « reprogrammation » cognitive allient la pensée consciente à des mouvements mécaniques

Les résultats, via le décompte des touches de clavier tapées, ont été sans appel : à chaque fois le groupe qui mâchait un chewing-gum était moins envahi par la chanson écoutée (entre 35% et 50% en moins), même si dans le dernier test, ceux qui devaient taper avec leur index obtenaient un meilleur score que le groupe de contrôle… Il va sans dire que cette batterie de tests très sérieusement menée, avec leurs résultats, semble bien exagérée au regard d’un phénomène aussi peu intéressant. Et la solution trouvée toucherait presque au ridicule (le prix IgNobel pourrait sans doute être décerné aux chercheurs). Quelle est la petite musique qui trottait dans la tête des chercheurs en concevant cette expérience ?

En réalité, elle s’inscrit dans le domaine de la psychologie et de la thérapie cognitives concernant les pensées intrusives, les troubles obsessionnels ou de l’anxiété, des pathologies qui peuvent tant envahir la pensée et la vie qu’elles handicapent cruellement ceux qui en souffrent. Or depuis quelques années, ce domaine a donné naissance à des nouveaux traitements qui soignent des atteintes psychologiques par une « reprogrammation » des circuits cognitifs et cérébraux en alliant un travail conscient sur la mémoire (des images, des sons, etc.) à des techniques purement motrices comme le mouvement saccadé des yeux ou, dans le cas présent, la mastication.

Une technique qui n’a pas (encore) d’explication scientifique… mais qui marche

Ainsi, en 1987, la psychologue américaine Francine Shapiro avait découvert par hasard qu’en suivant des yeux les mouvements saccadés des oiseaux en vol (elle était dans un parc) tout en évoquant des pensées douloureux, elle ressentait un certain soulagement. En approfondissant cet « insight » elle a développé la technique de Désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux (EMDR) qui aujourd’hui est utilisée pour soigner le syndrome de stress post traumatique, notamment des soldats revenant du front – mais pas seulement.

Dans le cas de l’équipe de l’université de Reading, ce sont des témoignages de personnes souffrant immensément des airs obsédants qui leur ont mis la puce à l’oreille (ou plutôt le chewing-gum) : c’est l’un des témoignages qui a attiré leur attention sur le rôle apaisant de la gomme à mâcher… Quant aux fondements biologiques de cette recette cognitive, elle demeure inconnue (comme dans le cas de l’EMDR). Mais finalement, les découvertes scientifiques sont parfois des idées ridicules… qui marchent. Une pomme qui tombe, des yeux qui bougent, un chewing-gum que l’on mâche. (Et le 1er avril est déjà loin)…

Román Ikonicoff

 

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  • La formule qui décrypte le monde – S&V n°1142 – 2012 – Depuis quelques années, la recherche en sciences cognitives s’est affinée. Outre les recherches expérimentales sur la plasticité cérébrale et la volatilité des représentations mentales du corps, des modèles théoriques émergent, en particulier autour d’une formule, la célèbre formule de Bayes, qui semble consubstantielle à tout traitement par le cerveau des informations provenant de la réalité extérieure.

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  • Libre arbitre : notre cerveau décide avant nous – S&V n°1057 – 2005 – L’un des grands apprentissages issues des sciences cognitives est l’importance des mécanismes inconscients et hyper-rapides dans notre être au monde. Au point de questionner notre libre arbitre.

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Libérons-nous de nos peurs 

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Faut-il chasser toutes nos peurs ? Sans doute pas, car ce sont aussi nos signaux d’alerte. La peur, le plus souvent, nous protège du danger, parce qu’elle nous fait fuir ou reculer. Mais la recherche en psychologie progresse aussi chaque jour davantage. Nous connaissons mieux aujourd’hui le mécanisme intérieur qui régule nos émotions, génère ce stress qui parfois nous paralyse au quotidien, avec toutes les manifestations physiques qui l’accompagnent : oppression, palpitations, chaleur… C’est justement à partir de ces sensations qu’un praticien français propose à ceux qui le consultent de travailler sur eux-mêmes. La méthode Tipi, que nous présente ici Étienne Séguier, fait partie de ces nouvelles thérapies courtes qui n’entendent pas d’abord chercher à expliquer le nœud du problème mais à soulager rapidement. Voire guérir. Celle-ci semble faire ses preuves (nous avons demandé à un connaisseur de l’évaluer). Elle n’est pas pour autant « la » méthode. Car en la matière, il faut raison garder. Tipi reste un outil qui ne conviendra pas à tous, mais qui peut aider des personnes à mieux vivre, voire à revivre. Et c’est déjà formidable ! Si l’esprit, le cerveau et le fonctionnement des réseaux émotionnels gardent encore une large part de mystère, si l’on peine à expliquer le pourquoi et le comment, chacune de ces voies thérapeutiques nouvelles lève un coin du voile. Nous redonnant confiance en la créativité et la perspicacité de l’humain.
Élisabeth Marshall, Rédatrice en chef de la vie.

 

Comment réagissons-nous face aux perturbations émotionnelles qui se présentent dans notre existence ? La plupart du temps, nous cherchons à les soulager d’une manière ou d’une autre. Si nous éprouvons de la colère, nous tâchons de la maîtriser, par exemple en serrant les poings. Si nous sommes paralysés par la peur, nous tentons de prendre une large respiration ou bien de nous raisonner pour réagir. Ces attitudes apportent un bienfait à court terme, mais à la longue nous pouvons avoir le sentiment de…

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Les derniers germanistes

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Les critiques continuent de pleuvoir contre le projet de réforme de l’école française, adopté par le Conseil supérieur des programmes et qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2016. Depuis plusieurs jours, les défenseurs de la langue allemande montent ainsi au créneau. Parmi eux, l’ancien Premier ministre et professeur d’allemand Jean-Marc Ayrault. Dans un courrier daté du 2 avril et adressé à la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem, il fait part de son « inquiétude quant aux conséquences de certaines mesures annoncées sur l’enseignement de la langue allemande. » Le principal sujet de discorde concerne la suppression des classes européennes, dans lesquelles la langue vivante est renforcée d’au moins deux heures hebdomadaires, et bilangues, où l’on enseigne dès la sixième deux langues étrangères, souvent l’anglais et l’allemand. Seule exception, les classes bilangues assurant la continuité de l’apprentissage d’une langue vivante autre que l’anglais depuis l’école primaire seront maintenues. C’est un faible compromis au vu du nombre réduit de ces classes, concentrées majoritairement en Alsace et en Lorraine. Néanmoins, au-delà de cette décision, le spectre d’un relâchement de la relation franco-allemande est présent. Depuis le traité de l’Élysée en 1963, la France et l’Allemagne entretiennent en effet des liens étroits en matière d’éducation, l’objectif étant de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre d’élèves français apprenant l’allemand, et vice-versa.

Mais le déclin de l’allemand en France ne date pas d’aujourd’hui. Pendant la période 1870-1914, elle est la première langue étrangère étudiée, devant l’anglais, avec plus d’un élève sur deux qui la pratique. La tendance s’inverse dès 1915, un an après le début de la Première guerre mondiale. Cette baisse se poursuit dans les années suivantes, et un siècle plus tard, la part des élèves qui font de l’allemand en LV1 n’est plus que de 6,5 % (dans le secondaire). L’Allemagne n’est pas un pays qui attire les jeunes et la culture allemande n’est plus vraiment valorisée en tant que telle. Enfin, le modèle économique allemand, malgré ses succès, ne fait pas le poids dans les imaginations face aux success stories de la Silicon Valley.

Jean-Marc Ayrault n’est pas le seul à se soucier de la situation préoccupante de l’apprentissage de l’allemand dans les écoles françaises.

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