Des microbes résistants aux antibiotiques trouvés chez une population indigène isolée d’Amazonie

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Une jeune fille Yanomami - Ph. Arch_Sann via Flickr - CC BY 2.0

Une jeune fille Yanomami – Ph. Arch_Sann via Flickr – CC BY 2.0

Dans l’intestin des habitants d’un village des montagnes vénézuéliennes, des chercheurs ont retrouvé des microbes dotés de résistance aux antibiotiques.  Y compris aux molécules synthétiques utilisées comme médicaments en médecine occidentale.

Il est extrèmement rare, à notre époque, de trouver des êtres humains qui n’ont pas été influencés par la médecine occidentale. Ainsi, lorsqu’un petit village d’indigènes Yanomami a été découvert en 2008 par un survol en hélicoptère des montagnes du sud du Vénézuela, les chercheurs se sont bousculés pour pouvoir étudier leur état de santé « naturelle ».

Les habitants de ce petit village reculé, caché dans la jungle épaisse (dont le nom et l’emplacement on été tenus secrets) n’ont jamais consommé aucun médicament de synthèse, donc aucun antibiotique tueur de microbes. Pour les microbiologistes, ils représentent ainsi les sujets idéaux pour étudier le microbiote, c’est à dire l’ensemble de bactéries peuplant l’organisme humain (dans l’intestin, mais aussi sur la peau, dans la cavité buccale, etc.), qui participent à la fois à la digestion et à la défense contre les pathogènes.

Le microbiote recèle peut-être la clé pour soigner les pathologies chroniques

S’il intéresse les scientifiques, c’est que de plus en plus de recherches mettent en lumière son rôle clé dans une panoplie de maladies chroniques et métaboliques, diabète et obésité en tête (mais aussi divers troubles intestinaux comme la maladie de Crohn). En 2012, une équipe chinoise avait pour la première fois prouvé que la présence ou l’absence, dans le microbiote intestinal, de certaines espèces de bactéries, était associée au diabète de type 2.

En effet, notre microbiote se retrouve perturbé par la manière dons nous nous alimentons, nous lavons et nous soignons dans les sociétés au mode de vie occidental. En particulier, l’usage des médicaments antibiotiques, en tuant les bactéries responsables d’infections, élimine également les « bonnes » bactéries et déséquilibre la composition du microbiote.

60 gènes conférant une résistance aux antibiotiques recensés chez ces indigènes

Surtout, l’usage des antibiotiques, consommés en grande quantité depuis leur arrivée en masse sur le marché au cours du XXe siècle (au départ ils étaient prescrits sans ordonnance !) a ouvert la porte au développement de résistances chez les bactéries. Ce qui suscite beaucoup d’inquiétudes actuellement, face au constat que les souches bactériennes résistantes se multiplient, tandis que l’on manque de nouvelles molécules d’antibiotiques pour les combattre.

Or, en prélevant des échantillons dans les fèces et la bouche de 11 personnes parmi ces Yanomamis, l’équipe du microbiologiste Gautam Dantas de l’université Washington à St Louis (Missouri) a trouvé presque 60 gènes uniques destinés à défendre les bactéries contre 8 molécules antibiotiques en tout… Les résultats sont publiés dans la revue Science Advances.

Plus remarquable encore : certains de ces gènes leur confèrent même une résistance contre les antibiotiques les plus récents mis au point par l’industrie pharmaceutique : en particulier le gène codant l’enzyme cblA β-lactamase permet de résister à 5 antibiotiques de dernière génération, et le gène codant pour des protéines qui se lient à la pénicilline, qui résiste à la ceftazidime, un antibiotique de la classe des céphalosporines.

Les bactéries développeraient des armes contre les antibiotiques avant même d’y être exposées

Que signifie cette découverte ? Les auteurs s’inquiètent : elle montre que les bactéries s’arment naturellement contre des substances toxiques pour elles, même sans jamais être venues en contact avec celles-ci, en développant des outils de défense qui pourraient leur servir à l’avenir, en cas de rencontre. Les mécanismes de la résistance aux antibiotiques pourraient être encore plus affûtés qu’on ne le pensait, et ainsi la lutte contre ceux-ci plus difficile que prévu.

Par ailleurs, l’équipe de Maria Dominguez-Bello (Ecole de médecine de l’université de New York) a étudié la richesse du microbiote des Yanomamis. Elle a analysé des échantillons de fèces, de peau et de muqueuse buccale de 34 personnes parmi les 54 habitants du village isolé. Résultat : elle a découvert une richesse en espèces bactériennes jamais constatée ailleurs, en particulier dans l’intestin.

Un microbiote plus riche

Leur microbiote intestinal a une composition semblable, d’après les comparaisons effectuées, à celle d’une population d’Amérindiens ruraux de Colombie (les Guahibo) et une autre d’éleveurs du Malawi (Afrique), mais elle est beaucoup plus riche. En revanche, elle se distingue nettement de celui des d’Américains industrialisés par la présence de grandes quantités de Prevotella, Helicobacter, Oxalobacter et Spirochaeta, très réduites voire totalement absentes chez les humains industrialisés.

Si l’on ne connaît pas encore les bénéfices associés à ce mix particulièrement riche et divers d’espèces bactériennes chez les Yanomami, le personnel médical qui les a examinés a constaté qu’ils étaient tous en bonne santé : aucun cas de diabète, d’hypertension, de maladie cardiaque ou autoimmune. Seuls venaient les embarrasser des parasites et des petites infections respiratoires chez les enfants… à qui des médicaments ont donc été administrés.

Fiorenza Gracci

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives :

  • Microbes terrestres, voici le vrai microcosmos – S&V n°1161, 2014. De la toundra aux forêts en passant par les fonds marins, la surface de la Terre regorge de microbes aussi précieux qu’inconnus. Leur mille activités jouent un rôle clé dans les écosystèmes, sans même qu’on s’en aperçoive.

S&V 1161 - microbes terrestres

  • Il y a un lien entre flore intestinale et diabète – S&V n°1143, 2012. Les premiers grands projets de séquençage du microbiote commencent immédiatement à mettre en lumière la relation entre sa composition et la présence de maladies chroniques, comme le diabète.

S&V 1143 - microbiote diabete

  • Antibiotiques, comment mater la résistance – S&V n°991, 2000. C’est une guerre continue qui oppose les bactéries aux antibiotiques, où de nouvelles armes s’inventent sans cesse. Au milieu de cette bataille, la santé humaine est en jeu.
 S&V 991 - resistance antibiotiques

Smartphones : ils sont capables de donner l’alerte en cas de séisme

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Quelques secondes suffisent pour s'éloigner d'une zone à risque... ou pour se faire écraser. D'où l'intérêt d'un système d'alerte en temps réel (Ph. Hey Paul via Flickr CC BY 2.0)

Quelques secondes suffisent pour s’éloigner d’une zone à risque… ou pour se faire écraser. D’où l’intérêt d’un système d’alerte en temps réel (Ph. Hey Paul via Flickr CC BY 2.0)

Quand un gros séisme se déclenche, la différence entre la vie et la mort est une affaire de secondes : se précipiter à l’extérieur, se cacher sous une table… Or voilà que des géologues américains ont eu l’idée d’utiliser les smartphones personnels comme réseau de capteurs de séismes, en particulier dans les zones où aucun système de surveillance n’est installé, capables d’offrir aux populations ces quelques secondes d’anticipation.

Avec deux simulations grandeur nature, les chercheurs de l’U.S Geological Survey, l’instance gouvernemental chargé de l’étude et la surveillance du risque sismique sur ce vaste territoire, ont prouvé que les accéléromètres et les GPS qui affublent nos téléphones portables (et tablettes, smartwatches, etc.) peuvent constituer un système antisismique, low-cost mais efficace.

La propagation d’un séisme est loin d’être instantanée

En effet, quand un séisme se déclenche en sous-sol (hypocentre), il génère en surface (épicentre) des ondes de compression, tremblements horizontaux (P), et de cisaillement, vibrations verticales (S), qui se propagent en cercles vers les régions proches. Comme ces ondes ont des vitesses de propagation limitées, 6 km/s pour les premières et 4 km/s pour les secondes, et qu’elles atteignent leur maximum après le début du tremblement, les humains possèdent quelques précieuses secondes – au maximum une minute – pour réagir.

Surtout, des capteurs situés près de l’épicentre peuvent avertir les zones plus lointaines de l’arrivée prochaine des ondes S et P. C’est un peu l’idée des chercheurs : utiliser les capteurs des smartphones de populations subissant de plein fouet un séisme pour générer très vite et de manière automatique (via un logiciel d’analyse situé dans un serveur) des messages d’alerte aux populations voisines.

Carte montrant les régions où un système d'alerte aux séismes est installé (cercles bleus) au regard de l'étendue des régions à risque sismique (crédit : Adanced Sciences)

Carte montrant les régions où un système d’alerte aux séismes est installé (cercles bleus) au regard de l’étendue des régions à risque sismique (Sciences Advances/AAAS)

L’idée est simple, mais encore faut-il pouvoir rendre efficace un tel système d’alerte à partir de capteurs d’accélération et de GPS de piètre qualité, comparés à ceux des systèmes d’alerte dédiés, coûtant des millions de dollars et installés seulement dans des régions spécifiques d’un nombre réduit de pays (États-Unis, Japon, Mexique, Russie).

C’est justement sur ce point que les chercheurs ont prouvé que la qualité pouvait être remplacée par la quantité : quelques centaines (peut-être milliers) de volontaires qui téléchargeraient sur leurs smartphones un logiciel spécifique communiquant les données de position et d’accélération à un serveur de contrôle, cela suffirait statistiquement pour extraire un signal clair de la survenue d’un séisme, et ce, en temps réel ou quasiment (quelques secondes de calcul).

Pour preuve : Fukushima et la faille de San Andreas

De fait, deux simulations ont servi de preuve : la première a été une reconstitution seconde par seconde du tremblement de terre de magnitude 9 de Tohoku en mars 2011 (catastrophe de Fukushima). Les chercheurs ont repris des milliers de données GPS émis anonymement par des smartphones pour montrer que leur modèle de calcul (et logiciel) parvenait à identifier très rapidement le signal sismique – et lançait l’alerte sur des vastes régions avant la survenue des tremblements les plus destructeurs.

La seconde simulation concernait un séisme fictif de magnitude 7 survenant sur la faille de Hayward, qui traverse la baie de San Francisco en Californie (appartenant au redoutable système de faille de San Andreas). Générant eux-mêmes les données (accélérations et GPS), les chercheurs ont ensuite montré que l’alerte pouvait être donnée 5 secondes avant l’arrivée des ondes destructrices dans les villes de San Francisco, San José, etc. Le temps qu’il faut pour se jeter sous une table ou sortir d’une maison… Autant de vies sauvées.

Román Ikonicoff

 

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

Google, le nouvel Einstein – S&V n°1138 – 2012 – Depuis une dizaine d’années, la plupart des données qui circulent dans la Toile sont conservées dans les serveurs des grandes firmes d’internet. Grâce à cela, nous possédons une mémoire détaillée des activités humaines et des évènements passés et présents… que les scientifiques exploitent pour pister des épidémies, découvrir de nouvelles lois, soigner des maladies. La science des Big Data est en route. 1138

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