Grothendieck : disparition d’un génie des maths

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Le grand mathématicien Alexandre Grothendieck est mort le 13 novembre

Le grand mathématicien Alexandre Grothendieck est mort le 13 novembre

Le grand mathématicien Alexandre Grothendieck est mort jeudi 13 novembre à l’hôpital de Saint-Girons en Ariège. Méconnu du grand public, c’est néanmoins l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, peut-être comparable à Évariste Galois autant pour son génie que pour son destin tragique. Heureusement Grothendieck a eu tout le temps d’exprimer son génie (contrairement à Galois qui est mort à l’âge de 20 ans) avant de se retirer progressivement de la scène mathématique au début des années 1970 et de mourir à l’âge de 86 ans à Lasserre (Pyrénées-Atlantiques), isolé…

Cet isolement, Grothendieck l’a voulu – dans la mesure où le mal-être peut être vu comme un choix libre. De fait, le mathématicien avait depuis longtemps délaissé les sphères de l’abstraction mathématique pour celles, plus improbables, de la mystique. Car la fin des années soixante et le début des soixante-dix, si agitées par le renouveau culturel, ont marqué pour Grothendieck le début de la rupture avec le milieu académique : en 1966 il reçoit la médaille Fields – le Nobel des mathématiciens – mais refuse de se rendre à Moscou pour la recevoir en guise de protestation contre le régime soviétique. Un acte atypique de la part d’un mathématicien.

Alexandre Grothendieck dans les années 1960.

Alexandre Grothendieck dans les années 1960.

Pacifiste, il démissionne aussi de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES), un organisme créé en 1958 quasiment pour lui, après avoir appris qu’il était financé en partie par le ministère de la Défense. Écologiste, il crée le bulletin Survivre et vivre qu’il distribue à l’entrée de colloques et congrès de mathématiques. Mais il s’emballe de plus en plus dans une militance que certains qualifieront (non sans quelque raison) de naïve, délaisse la recherche, se brouille avec ses maîtres, collègues et disciples.

Grothendieck glisse peu à peu de l’abstraction mathématique à la mystique

Il se retrouve bientôt mis au ban : malgré l’aide d’amis restés fidèles il ne tiendra qu’un an au Collège de France, mais il sera finalement intégré comme chercheur au CNRS en 1984 « dans des conditions humiliantes« , comme nous le confiait Pierre Cartier en 1995 lors de l’enquête de notre magazine sur lui. Là, il écrira un livre jamais publié mais accessible sur internet, Récoltes et semailles, où il parle de son parcours et règles ses comptes avec l’establishment. Sa dernière manifestation publique date de 1988, quand il refuse le prestigieux prix Crafoord (et ses 500 000 dollars). Puis en 1991, il disparaît…

Certains des témoins que nous avions rencontrés en 1995, des mathématiciens et amis de Grothendieck, savaient ou pouvaient savoir où il se trouvait, mais il était hors de question pour eux de trahir celui qui ne voulait plus avoir de contact avec l’humanité – et certains racontaient l’invasion de son esprit par les délires, ses dialogues avec les anges… D’autres avançaient des hypothèses sur les raisons de sa chute psychologique, dont une enfance détruite par la guerre, l’exile et la mort : né à Berlin en 1928 d’une mère hambourgeoise protestante et journaliste, Hanka Grothendieck, et d’un père russe juif anarchiste, Sascha Schapiro, compagnon de Lénine pendant la révolution russe de 1917 avant de tomber en disgrâce dans les années vingt. Puis il y a eu la fuite de la famille d’Allemagne vers la France en 1933 pour échapper au nazisme, la déportation du père en 1940 dans le camp de concentration du Vernet d’Ariège puis son transfert à Auschwitz et son assassinat en 1942, l’internement de Grothendieck et de sa mère au camp de Rieucros (Ariège) comme « étrangers indésirables » car la mère et le père avaient participé à la Guerre civile espagnole dans les Brigades internationales… Tout est raconté dans Récoltes et semailles et dans d’autres sources historiques.

La « chasse » aux manuscrits mathématiques inconnus de Grothendieck est ouverte.

Aujourd’hui, s’il est possible que s’organise une « chasse au trésor » des manuscrits mathématiques que le génie aurait pu garder par devers lui ces dernières années, ce qu’il a semé jusqu’aux années 1970 aura encore de quoi tenir en haleine les mathématiciens pendant longtemps.

Manuscrit de Grothendieck

Manuscrit de Grothendieck

Car Alexandre Grothendieck a été de loin le principal artisan de la rénovation de la géométrie algébrique, un domaine des mathématiques qu’il a tant poussé vers l’abstraction qu’aujourd’hui elle ne garde que peu de liens avec la géométrie. Les mathématiques étant une discipline collective, contrairement aux apparences, il ne faut pas oublier que derrière Grothendieck d’autres grands mathématiciens de l’époque ont contribué à cette entreprise gigantesque, comme Emily Noether, André Weil, Émile Picard, Andreï Kolmogorov, puis Jean Dieudonné, Henri Cartan, Pierre Cartier, Jean-Pierre Serre…

Il est difficile de se faire une idée de ce que recouvre la discipline – un coup d’œil à la page « géométrie algébrique » de Wikipédia vous en convaincra – si ce n’est qu’elle délaisse la « matière » géométrique au profit d’une pensée abstraite des relations qu’entretiennent entre eux les objets géométriques – et les objets mathématiques en général – par-delà de toute inscription dans une topologie particulière. En revanche il est facile de s’imaginer le vide qu’a prématurément laissé Grothendieck dans la recherche mathématique des années 1970, et celui qu’il laisse aujourd’hui à une humanité qui l’a rejeté quand les fantômes du passé l’ont rattrapé. Un vide teinté peut-être de regrets. Tout ce qu’il faut pour en faire héros tragique.

Román Ikonicoff

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

ss

de

  • Mathématiques : vers un langage universel – S&V n°1000 – 2001 – Le programme de Langlands vise notamment à unifier les mathématiques sous un seul langage, le plus abstrait possible. Un million de dollars à celui qui y parviendra…

gfg

 

 

Bonnes nouvelles de Philae : le robot de Rosetta a transmis ses premières images et données depuis la comète

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La première photo jamais prise sur une comète : "Tchouri" (67P/CG) photographiée par Philae / Ph. ESA/Rosetta/Philae/CIVA

La première photo jamais prise sur une comète : « Tchouri » (67P/CG) photographiée par Philae / Ph. ESA/Rosetta/Philae/CIVA

Depuis qu’il s’est décroché de la sonde Rosetta hier matin, les regards des astronomes européens sont tous rivés sur le module explorateur Philaé. Au centre de commandement de l’Agence spatiale européenne (ESOC) à Darmstadt (Allemagne), les responsables de la mission scrutent les signaux radio que ce petit robot a commencé à envoyer dès son atterrissage, à 17 heures (heure d’Europe centrale), sur la comète « Tchouri » (67P/CG), en orbite à 500 millions de kilomètres de la Terre. C’est une première dans l’histoire de la conquête spatiale, qui signe un succès phénoménal pour l’ESA.

Mais après les applaudissements et les félicitations pour la réussite de cet exploit inouï, les premières inquiétudes ont commencé à circuler hier soir : bien que Philae se soit posé pile à l’endroit prévu, une zone plane de la comète, il semblerait que les harpons censés l’arrimer à la roche n’aient pas été tirés correctement. Au moment de toucher le sol, le robot aurait ainsi rebondi deux fois, avant de se coincer sur le flanc d’une falaise.

 

La taille de la comète "Tchouri" (67P/CG), comparée à la ville de Paris. / Ph. ESA/Rosetta/Navcam

La taille de la comète « Tchouri » (67P/CG), comparée à la ville de Paris. / Ph. ESA/Rosetta/Navcam

 

Des bonds d’une incroyable lenteur, étant donné la très faible gravité de la comète : le premier a pris près de deux heures, à une vitesse de 38 centimètres/seconde ! Telle est la reconstruction la plus probable de l’atterrissage, qui ressort des analyses du premier paquet de données transmises par Philae, parvenu ce matin à 5 heures. La première photo de la comète confirme cette hypothèse : Philae est adossé à 1 mètre d’une paroi rocheuse, à un endroit qui n’est pas encore bien identifié, à environ 1 kilomètre du lieu d’atterrissage initial. L’engin est aussi penché, au lieu de se tenir droit au-dessus du sol. Ainsi, il n’est pas en mesure d’effectuer les forages prévus dans le sol de Tchouri.

La mission scientifique de Philae promet de donner ses fruits

De quoi compromettre la mission ? Loin de là : ses instruments de mesure sont intacts, sa batterie dispose encore de 50 heures d’autonomie, ses antennes sont bien dégagées et communiquent avec la Terre via une connexion radio relayée par la sonde Rosetta. Celle-ci orbite en effet au-dessus de la comète Tchouri, et à certaines heures de la journée se trouve en position de recevoir les signaux de Philae, qu’elle transmet ensuite au centre de commandement terrestre, où elles arrivent avec 28 minutes de décalage.

 

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Schéma de Philae avec tous ses instruments de mesure. / Ph. ESA/ATG medialab.

« C’est une moisson de données qui est déjà parvenue aux chercheurs », affirme avec enthousiasme Marc Pircher, directeur du centre spatial de Toulouse (CNES) au cours d’une conférence de presse ce matin. Des données, Philae devrait en transmettre des flots au cours des 2 jours à venir, avant que sa batterie ne s’épuise. Ensuite, ses panneaux solaires permettront peut-être de la recharger. Pour l’instant, l’ensoleillement sur la comète ne dure qu’une heure trente par jour (terrestre), mais celle-ci va s’approcher du soleil dans les mois qui suivent.

Truffé d’instruments de mesure destinés à sonder la composition du sol de la comète, son magnétisme et la présence de composés organiques, la mission de ce petit robot est de récolter sur Tchouri un maximum d’informations qui pourraient éclairer sur l’origine à la fois des planètes du système solaire, et de la vie qu’abrite la planète bleue. « Mis à part les forages qui sont suspendus pour le moment, toutes ces mesures sont possibles, et c’est franchement extraordinaire », se félicite Marc Pircher.

Fiorenza Gracci

 

> Pour en savoir plus :

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

  • Rosetta enfin à l’abordage - S&V n°1164. Tout sur le parcours de Rosetta, les défis qu’a relevés cette mission, ses objectifs scientifiques, et les réponses qu’on attend des comètes…

S&V 1164 Rosetta

  • Les dix énigmes du Système solaire – S&V n°1066. Spirit, Opportunity, Solar B, Venus Express… Rosetta est loin d’âtre seule. Les sondes envoyées par l’homme doivent dissiper les derniers mystères de notre système solaire…

S&V 1066 couv

  • Rosetta part se poser sur une comète – S&V n°1024. La mission Rosetta se prépare. A l’époque, la sonde visait la comète Wirtanen, mais le lancement a été repoussé, et la comète Tchoury chosie à la place.

S&V 1024 Rosetta

 

 

 

 

Bonnes nouvelles de Philae : le robot de Rosetta a transmis ses premières images et données depuis la comète Tchouri

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La première photo jamais prise sur une comète : "Tchouri" (67P/CG) photographiée par Philae / Ph. ESA/Rosetta/Philae/CIVA

La première photo jamais prise sur une comète : « Tchouri » (67P/CG) photographiée par Philae / Ph. ESA/Rosetta/Philae/CIVA

Depuis qu’il s’est décroché de la sonde Rosetta hier matin, les regards des astronomes européens sont tous rivés sur le module explorateur Philaé. Au centre de commandement de l’Agence spatiale européenne (ESOC) à Darmstadt (Allemagne), les responsables de la mission scrutent les signaux radio que ce petit robot a commencé à envoyer dès son atterrissage, à 17 heures (heure d’Europe centrale), sur la comète « Tchouri » (67P/CG), en orbite à 500 millions de kilomètres de la Terre. C’est une première dans l’histoire de la conquête spatiale, qui signe un succès phénoménal pour l’ESA.

Mais après les applaudissements et les félicitations pour la réussite de cet exploit inouï, les premières inquiétudes ont commencé à circuler hier soir : bien que Philae se soit posé pile à l’endroit prévu, une zone plane de la comète, il semblerait que les harpons censés l’arrimer à la roche n’aient pas été tirés correctement. Au moment de toucher le sol, le robot aurait ainsi rebondi deux fois, avant de se coincer sur le flanc d’une falaise.

 

La taille de la comète "Tchouri" (67P/CG), comparée à la ville de Paris. / Ph. ESA/Rosetta/Navcam

La taille de la comète « Tchouri » (67P/CG), comparée à la ville de Paris. / Ph. ESA/Rosetta/Navcam

 

Des bonds d’une incroyable lenteur, étant donné la très faible gravité de la comète : le premier a pris près de deux heures, à une vitesse de 38 centimètres/seconde ! Telle est la reconstruction la plus probable de l’atterrissage, qui ressort des analyses du premier paquet de données transmises par Philae, parvenu ce matin à 5 heures. La première photo de la comète confirme cette hypothèse : Philae est adossé à 1 mètre d’une paroi rocheuse, à un endroit qui n’est pas encore bien identifié, à environ 1 kilomètre du lieu d’atterrissage initial. L’engin est aussi penché, au lieu de se tenir droit au-dessus du sol. Ainsi, il n’est pas en mesure d’effectuer les forages prévus dans le sol de Tchouri.

La mission scientifique de Philae promet de donner ses fruits

De quoi compromettre la mission ? Loin de là : ses instruments de mesure sont intacts, sa batterie dispose encore de 50 heures d’autonomie, ses antennes sont bien dégagées et communiquent avec la Terre via une connexion radio relayée par la sonde Rosetta. Celle-ci orbite en effet au-dessus de la comète Tchouri, et à certaines heures de la journée se trouve en position de recevoir les signaux de Philae, qu’elle transmet ensuite au centre de commandement terrestre, où elles arrivent avec 28 minutes de décalage.

 

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Schéma de Philae avec tous ses instruments de mesure. / Ph. ESA/ATG medialab.

« C’est une moisson de données qui est déjà parvenue aux chercheurs », affirme avec enthousiasme Marc Pircher, directeur du centre spatial de Toulouse (CNES) au cours d’une conférence de presse ce matin. Des données, Philae devrait en transmettre des flots au cours des 2 jours à venir, avant que sa batterie ne s’épuise. Ensuite, ses panneaux solaires permettront peut-être de la recharger. Pour l’instant, l’ensoleillement sur la comète ne dure qu’une heure trente par jour (terrestre), mais celle-ci va s’approcher du soleil dans les mois qui suivent.

Truffé d’instruments de mesure destinés à sonder la composition du sol de la comète, son magnétisme et la présence de composés organiques, la mission de ce petit robot est de récolter sur Tchouri un maximum d’informations qui pourraient éclairer sur l’origine à la fois des planètes du système solaire, et de la vie qu’abrite la planète bleue. « Mis à part les forages qui sont suspendus pour le moment, toutes ces mesures sont possibles, et c’est franchement extraordinaire », se félicite Marc Pircher.

Fiorenza Gracci

> Pour en savoir plus :

 

> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

  • Rosetta enfin à l’abordage - S&V n°1164. Tout sur le parcours de Rosetta, les défis qu’a relevés cette mission, ses objectifs scientifiques, et les réponses qu’on attend des comètes…

S&V 1164 Rosetta

  • Les dix énigmes du Système solaire – S&V n°1066. Spirit, Opportunity, Solar B, Venus Express… Rosetta est loin d’âtre seule. Les sondes envoyées par l’homme doivent dissiper les derniers mystères de notre système solaire…

S&V 1066 couv

  • Rosetta part se poser sur une comète – S&V n°1024. La mission Rosetta se prépare. A l’époque, la sonde visait la comète Wirtanen, mais le lancement a été repoussé, et la comète Tchoury chosie à la place.

S&V 1024 Rosetta

 

 

 

 

Rosetta, jour J : le robot Philae va se poser sur la comète « Tchouri »

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Vue d'artiste de l'atterrisseur Philae se posant sur la comète Tchoury - Ph. © ESA/ATG medialab

L’atterrisseur Philae se posant sur la comète Tchouri (vue d’artiste) – Ph. © ESA/ATG medialab

Une opération jamais réalisée auparavant a lieu aujourd’hui à 500 millions de kilomètres de la Terre. Après dix ans de voyage, quatre tours autour du Soleil et 6 milliards et demi de kilomètres parcourus, la sonde spatiale Rosetta est en passe de compléter sa mission aujourd’hui : déposer un robot sur la comète « Tchouri ». Baptisée d’après ses découvreurs ukrainiens en 1969, la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko est un bolide de roche et de glace de 4 kilomètres de long tournant à 55 000 kilomètres/heure autour du soleil, entre les orbites de Mars et Jupiter.

D’après les astronomes, les comètes comme Tchouri, âgées de 4,6 milliards d’années, recèlent des secrets sur la formation du Système solaire et sur l’origine de la vie sur Terre. Depuis leur naissance, bien avant celle des planètes, elles orbitent immuablement dans la ceinture de Kuiper, à 30 fois la distance Terre-Soleil, sans que rien n’y personne ne les ait contaminées. C’est ainsi que dans les années Quatre-vingt, l’Agence spatiale européenne (ESA) s’est lancée dans la mission Rosetta, d’un coût de 1,3 milliard d’euros. Le 2 mars 2004, la sonde décollait de Guyane à bord d’une fusée Ariane 5.

Rosetta a transmis sur Terre les premiers signaux de son atterrisseur Philae

Dix ans plus tard, c’est un petit robot d’un mètre cube, Philae, qui aura la charge d’explorer la comète Tchouri à l’aide d’une panoplie d’instruments de mesure. Ce matin à 10 heures (heure d’Europe centrale), Philae s’est décroché avec succès de Rosetta, qui plane à 30 km au-dessus de la comète depuis l’été dernier, entamant sa lente descente. L’atterrissage est prévu pour 7 heures plus tard (17 heures en Europe centrale).

Sa vitesse en ce moment ne dépasse pas le 1 mètre/seconde, car la comète possède une gravité de cent mille fois inférieure à celle de notre planète ! Cette opération est d’une délicatesse inouïe vu la forme très accidentée de la comète, sur laquelle les scientifiques ont choisi un site approximativement plat baptisé Agilkia. Aussitôt posé, Philae devrait s’y harponner pour éviter d’être emporté dans l’espace.

Une fois au sol, Philae disposera de 50 heures pour recueillir un maximum d’informations et de données, à l’aide de ses 10 instruments scientifiques. Il réalisera des forages du sol de Tchouri, mesurera son champ magnétique, analysera les composés chimiques présents sur place à l’aide rayons X, identifiera les composés organiques susceptibles d’être à l’origine de la vie sur Terre… Toutes ces informations seront relayées par Rosetta et transmises sur Terre, avec 28 minutes de délai. A midi, sous un tonnerre d’applaudissements, l’ESA a confirmé avoir commencé à recevoir les premiers signaux en provenance de Philae, alors qu’il s’approche du sol de sa comète.

Fiorenza Gracci

> Pour en savoir plus :

 

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  • Rosetta enfin à l’abordage - S&V n°1164. Tout sur le parcours de Rosetta, les défis qu’a relevés cette mission, ses objectifs scientifiques, et les réponses qu’on attend des comètes…

S&V 1164 Rosetta

  • Les dix énigmes du Système solaire – S&V n°1066. Spirit, Opportunity, Solar B, Venus Express… Rosetta est loin d’âtre seule. Les sondes envoyées par l’homme doivent dissiper les derniers mystères de notre système solaire…

S&V 1066 couv

  • Rosetta part se poser sur une comète – S&V n°1024. La mission Rosetta se prépare. A l’époque, la sonde visait la comète Wirtanen, mais le lancement a été repoussé, et la comète Tchoury chosie à la place.

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Rosetta, jour J : le robot Philae va se poser sur la comète « Tchoury »

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Vue d'artiste de l'atterrisseur Philae se posant sur la comète Tchoury - Ph. © ESA/ATG medialab

L’atterrisseur Philae se posant sur la comète Tchoury (vue d’artiste) – Ph. © ESA/ATG medialab

Une opération jamais réalisée auparavant a lieu aujourd’hui à 500 millions de kilomètres de la Terre. Après dix ans de voyage, quatre tours autour du Soleil et 6 milliards et demi de kilomètres parcourus, la sonde spatiale Rosetta est en passe de compléter sa mission aujourd’hui : déposer un robot sur la comète « Tchoury ». Baptisée d’après ses découvreurs ukrainiens en 1969, la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko est un bolide de roche et de glace de 4 kilomètres de long tournant à 55 000 kilomètres/heure autour du soleil, entre les orbites de Mars et Jupiter.

D’après les astronomes, les comètes comme Tchoury, âgées de 4,6 milliards d’années, recèlent des secrets sur la formation du Système solaire et sur l’origine de la vie sur Terre. Depuis leur naissance, bien avant celle des planètes, elles orbitent immuablement dans la ceinture de Kuiper, à 30 fois la distance Terre-Soleil, sans que rien n’y personne ne les ait contaminées. C’est ainsi que dans les années Quatre-vingt, l’Agence spatiale européenne (ESA) s’est lancée dans la mission Rosetta, d’un coût de 1,3 milliard d’euros. Le 2 mars 2004, la sonde décollait de Guyane à bord d’une fusée Ariane 5.

Rosetta a transmis sur Terre les premiers signaux de son atterrisseur Philae

Dix ans plus tard, c’est un petit robot d’un mètre cube, Philae, qui aura la charge d’explorer la comète Tchoury à l’aide d’une panoplie d’instruments de mesure. Ce matin à 10 heures (heure d’Europe centrale), Philae s’est décroché avec succès de Rosetta, qui plane à 30 km au-dessus de la comète depuis l’été dernier, entamant sa lente descente. L’atterrissage est prévu pour 7 heures plus tard (17 heures en Europe centrale).

Sa vitesse en ce moment ne dépasse pas le 1 mètre/seconde, car la comète possède une gravité de cent mille fois inférieure à celle de notre planète ! Cette opération est d’une délicatesse inouïe vu la forme très accidentée de la comète, sur laquelle les scientifiques ont choisi un site approximativement plat baptisé Agilkia. Aussitôt posé, Philae devrait s’y harponner pour éviter d’être emporté dans l’espace.

Une fois au sol, Philae disposera de 50 heures pour recueillir un maximum d’informations et de données, à l’aide de ses 10 instruments scientifiques. Il réalisera des forages du sol de Tchoury, mesurera son champ magnétique, analysera les composés chimiques présents sur place à l’aide rayons X, identifiera les composés organiques susceptibles d’être à l’origine de la vie sur Terre… Toutes ces informations seront relayées par Rosetta et transmises sur Terre, avec 28 minutes de délai. A midi, sous un tonnerre d’applaudissements, l’ESA a confirmé avoir commencé à recevoir les premiers signaux en provenance de Philae, alors qu’il s’approche du sol de sa comète.

Fiorenza Gracci

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  • Rosetta enfin à l’abordage - S&V n°1164. Tout sur le parcours de Rosetta, les défis qu’a relevés cette mission, ses objectifs scientifiques, et les réponses qu’on attend des comètes…

S&V 1164 Rosetta

  • Les dix énigmes du Système solaire – S&V n°1066. Spirit, Opportunity, Solar B, Venus Express… Rosetta est loin d’âtre seule. Les sondes envoyées par l’homme doivent dissiper les derniers mystères de notre système solaire…

S&V 1066 couv

  • Rosetta part se poser sur une comète – S&V n°1024. La mission Rosetta se prépare. A l’époque, la sonde visait la comète Wirtanen, mais le lancement a été repoussé, et la comète Tchoury chosie à la place.

S&V 1024 Rosetta

 

 

 

Il a battu le record de vitesse en vélo (à fusée) : 333 km/h

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En quelques secondes, le cycliste a atteint 333 km/h (Capture d’écran – vidéo YouTube)

Vendredi 7 novembre sur le circuit de course Paul Ricard du Castellet (Var) : en moins de 5 secondes, François Gissy atteint 333 km/h sur son vélo grâce à un propulseur installé sur le porte-bagage, battant ainsi le record de vitesse sur ce type d’engin. Tout le mérite revient au casse-cou, un motard rompu à la vitesse, et au concepteur du système, l’ingénieur Arnold Neracher, des habitués des records insolites : le premier avait déjà battu le même type de record en 2013 à 263 km/h, tandis que le second s’est spécialisé depuis plus de 20 ans dans les engins insolites propulsés : voiture, jetpack (propulseur dorsal), etc.

De fait, Neracher conçoit des systèmes de propulsion alimentés au peroxyde d’hydrogène (H2O2), ou « eau oxygénée ». Pour le vélo, la substance était concentré à 90% (dans un solvant). Aujourd’hui utilisé comme désinfectant ou blanchisseur (en moins forte concentration), il fut jusqu’aux années 1960 un des ergols de l’industrie aéronautique, propulsant notamment des avions à réaction et des satellites – il sert également à la confection de bombes. Le nuage laissé par la combustion du peroxyde d’hydrogène, visible dans la vidéo de l’exploit, est de la vapeur d’eau mélangée à de l’oxygène – d’après la réaction de « dismutation » : 2 H2O2 -> 2 H2O + O2 + énergie.

En route vers un nouveau record à vélo : 400 km/h

Selon Gissy, interviewé par Corse-Matin, le vélo est de facture courante (armature, freins) sauf pour les pneus, qui requièrent des précautions : l’échauffement à de telles vitesses dilate l’air contenu et peut les faire exploser. Aussi, ils ont été testés par Michelin. Quant au pilote, il a dû adopter une position aérodynamique (couché sur le guidon) afin d’éviter que son corps ne joue le rôle de voile et que l’expérience ne se finisse en un envol et un dramatique crash.

On peut bien sûr se demander en quoi ce type d’expérience sert l’humanité, mais cela serait malvenu car d’une part, si en l’état elle ne lui sert pas, elle exprime néanmoins ce que l’humanité a de plus étonnant et particulier : la curiosité et l’envie de dépasser les limites. D’autre part, elle nous rappelle que la science et la technologie s’alimentent non seulement de grandes théories et de concepts mais également d’inventions et d’initiatives « gratuites ». En attendant, Gissy et Neracher pensent s’embarquer dans un nouveau défi : atteindre les 400 km/h…

Román Ikonicoff

 > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Ils ont réinventé le vélo ! – S&V n°1128 – 2011 – La pensée théorique sert aussi le quotidien : en étudiant les lois de la physique propres au vélo, les chercheurs imaginent comment l’améliorer… en le repensant entièrement.

sv1128

  • L’homme a-t-il atteint ses limites ? – S&V n°1091 – 2008 – Le corps humain, en particulier celui des sportifs, peut-il développer chaque fois plus de capacités physiques ? Certainement pas, disent les scientifiques. Mais avec l’aide de la technologie et beaucoup d’imagination, il n’y a pas de limite qui tienne.

sv1091

  • Vélo : toujours plus vite – S&V n°950 – 1996 – Quand on n’accole pas une fusée à son vélo, l’on peut aussi dépasser les limites du raisonnable… mais toujours avec l’aide de la technologie.

sv902

 

 

 

Et si l’Univers était un océan d’étoiles ?

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L'espace intergalactique pourrait être empli d'étoiles invisibles, projetées là par les incessantes collisions entre les galaxies. Photo Nasa/ESA/STSCI.

L’espace intergalactique pourrait être empli d’étoiles invisibles, projetées là par les incessantes collisions entre les galaxies. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Vous vous rappelez cette phrase culte du film « 2001, l’odyssée de l’espace », lorsque l’astronaute Dave Bowman, en pénétrant dans le monolithe, s’exclame « mon Dieu, c’est plein d’étoiles ! » ? Eh bien, c’est à peu près ce qu’ont pensé Michael Zemcov et Joseph Smidt en découvrant les données de leur expérience Ciber (Cosmic Infrared Background Experiment), de retour sur Terre…
Ciber est un petit télescope infrarouge à très grand champ, qui vole quelques minutes à quelques centaines de kilomètres d’altitude à bord de petites fusées sondes de la Nasa. Cet instrument très spécialisé a été conçu par des universités américaines, japonaises et coréennes pour tenter de lever le voile sur le rayonnement de fond cosmique infrarouge. Cette lueur infrarouge extrêmement faible, qu’il ne faut pas confondre avec le rayonnement de fond cosmologique, qui est le vestige le plus ancien du big bang, proviendrait des toutes premières générations d’étoiles et de galaxies, formées quelques centaines de millions d’années après le big bang. Elle a été détectée, entre autres, par le télescope spatial infrarouge Spitzer.
Sauf que pour les astronomes, cette lueur est un casse-tête. D’abord, elle est extraordinairement difficile à détecter : non seulement elle est très faible, mais en plus elle partage ses longueurs d’onde, si j’ose écrire, avec la lumière zodiacale, émise par le disque de poussières qui nous environne, vestige de la formation du système solaire. Et ce n’est pas tout : le rayonnement de fond cosmique infrarouge est constitué de plusieurs contributions, stellaire, galactique, extragalactique… Comment discriminer la lueur des premières étoiles dans ce brouillard infrarouge ?
C’est en tentant de répondre à cette question que Michael Zemcov, Joseph Smidt et leurs collègues ont fait une découverte fascinante, si elle se confirme par de futures observations… Dans l’imago mundi que nous nous sommes peu à peu construite, au fil des décennies, le cosmos est un espace immense et vide, en expansion, peuplé loin en loin de galaxies, elles-mêmes constituées d’étoiles. Cette image pourrait être partiellement fausse. Ce qu’aurait découvert Ciber, c’est que l’Univers est un océan d’étoiles…
En effet, une partie importante du fond cosmique infrarouge, observé par Ciber à 1,2 et 1,6 micromètre de longueur d’onde – l’œil humain est sensible entre 0,4 et 0,7 micromètre, pour fixer les idées – ne semble pas être « cosmologique », donc très lointaine, mais plus locale, il baignerait, en fait, les milliards de galaxies qui nous entourent.

Regroupées au sein d'amas plus ou moins denses depuis plus de douze milliards d'années, les galaxies se rencontrent et fusionnent régulièrement. Durant ces rencontres, de violentes marées gravitationnelles expulsent des dizaines de milliards d'étoiles qui se perdent dans l'espace intergalactique. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Regroupées au sein d’amas plus ou moins denses depuis plus de douze milliards d’années, les galaxies se rencontrent et fusionnent régulièrement. Durant ces rencontres, de violentes marées gravitationnelles expulsent des dizaines de milliards d’étoiles qui se perdent dans l’espace intergalactique. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Pour Michael Zemcov et Joseph Smidt, l’explication la plus simple est que ce rayonnement est dû à une infinité ou presque d’étoiles distribuées dans l’espace, mais en dehors des galaxies où elles se trouvent censément. Les chercheurs américains soupçonnent que, jusqu’ici, l’on aurait mal mesuré les conséquences des multiples rencontres et collisions que connaissent les galaxies, au sein de leurs amas, depuis leur origine voici plus de treize milliards d’années. On sait depuis longtemps, bien sûr, que ces violentes rencontres arrachent des étoiles aux galaxies, mais ces phénomènes apparaissaient jusqu’ici plus accidentels que systématiques. Pour Zemcov et Smidt, le cosmos pourrait être empli d’étoiles…
Mais pourquoi celles-ci n’auraient jamais été vues ? La raison est simple : on ne perçoit quasiment aucune étoile individuelle dans une galaxie lointaine. Quand on observe une galaxie, c’est l’accumulation de dizaines, ou de centaines de milliards d’étoiles situées à quelques années-lumière les unes des autres qui rend celle-ci visible. Seuls les plus puissants télescopes, et Hubble dans l’espace surtout, permettent d’identifier une à une des étoiles supergéantes, généralement mille à un million de fois plus brillantes que le Soleil. Mais la durée de vie de ces astres, quelques millions d’années, les fait disparaître rapidement : les milliards de milliards de milliards de milliards d’étoiles qui flotteraient, perdues, invisibles, entre les galaxies, seraient des naines rouges, ou des étoiles solaires, à la durée de vie dépassant dix milliards d’années. De tels astres, isolés dans un espace immense, à des milliers d’années-lumière les uns des autres, sont indétectables aujourd’hui. Le Soleil, à la distance de la toute proche galaxie d’Andromède, présenterait une magnitude apparente de 30 environ, nous sommes déjà à la limite des capacités du télescope Hubble… Plus loin, par exemple dans l’amas Virgo, à une cinquantaine de millions d’années-lumière, il aurait une magnitude de 36, dans l’amas Coma, 40 et à un milliard d’années-lumière, 45… Ces chiffres peuvent paraître abscons pour un non astronome, disons simplement qu’une étoile de magnitude 36 est mille milliards de fois plus pâle que la plus faible étoile visible à l’œil nu…

L'amas Abell 2744, situé à 3.5 milliards d'années-lumière, est riche de milliers de galaxies sur ces images prises par le télescope spatial Hubble. L'image du haut montre l'amas dans la lumière visible. Mais en ajoutant à l'image des poses prises dans l'infrarouge, le télescope spatial révèle un fond lumineux diffus, émis par des centaines de milliards d'étoiles naviguant entre les galaxies. Photo Nasa/ESA/STSCI.

L’amas Abell 2744, situé à 3.5 milliards d’années-lumière, est riche de milliers de galaxies sur ces images prises par le télescope spatial Hubble. L’image du haut montre l’amas dans la lumière visible. Mais en ajoutant à l’image des poses prises dans l’infrarouge, le télescope spatial révèle un fond lumineux diffus, émis par des centaines de milliards d’étoiles naviguant entre les galaxies. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Alors, il faudra probablement attendre les images profondes du LSST – Large Synoptic Survey Telescope – du JWST – James Webb Space Telescope – et de la future génération de télescopes géants de 20 à 40 mètres de diamètre, GMT, TMT et autres E-ELT, dans les années 2020 ou 2025, pour connaître la contribution des étoiles perdues au fond cosmique infrarouge. Cependant, une observation tout dernièrement réalisée avec le télescope spatial Hubble pourrait donner raison à Michael Zemcov et Joseph Smidt. En effet, le télescope spatial a observé, des centaines d’heures durant, l’amas de galaxies Abell 2744, situé à 3,5 milliards d’années-lumière, dans la constellation du Sculpteur. Et si, sur la photographie optique de l’amas, prise d’abord entre 0,4 et 0,8 micromètre de longueur d’onde, l’on ajoute une composante infrarouge, entre 1 et 1,6 micromètre, apparaît… une lueur diffuse, que les scientifiques attribuent à des centaines de milliards d’étoiles flottant entre les galaxies.
La vertigineuse découverte réalisée par Ciber est donc, à ce jour, partiellement confirmée par le télescope Hubble. Reste à savoir quel est le nombre d’étoiles qui flottent ainsi dans l’espace intergalactique ; il se pourrait que leur nombre total avoisine celui qui se trouve à l’intérieur même des galaxies… Un poudroiement de millions de milliards de milliards de soleils invisibles, ponctuant de loin en loin l’obscurité du cosmos.
Serge Brunier

Peut-on hacker (pirater) un avion en vol ?

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Selon certains spécialistes, une clé USB suffirait pour paralyser les systèmes de vol d'un avion (Ph. aafes49 via Flickr CC BY 2.0)

Selon certains spécialistes, une clé USB suffirait pour paralyser les systèmes de vol d’un avion (Ph. aafes49 via Flickr CC BY 2.0)

Selon un chercheur britannique spécialiste des réseaux et des systèmes radio, le risque qu’une « cyber-bombe » puisse être injectée dans le système de pilotage d’un avion, via une clé USB ou un ordinateur, doit désormais être pris en compte par les agences de sécurité aérienne. L’introduction d’un « malware » dans ce système pourrait entrainer son blocage et donc la perte de contrôle du vol par les systèmes informatiques embarqués.

Dans un article du quotidien The Guardian  paru le 4 novembre dernier, David Stupples, professeur à la City University de Londres et conseiller du gouvernement britannique dans le domaine de la cyber-guerre, considère en effet que les systèmes informatiques servant au pilotage de certains types d’avions modernes, comme l’A 320, l’A 350 ou encore le Boeing 787, ne sont pas étanches : ils peuvent être accessibles via l’infrastructure informatique dédiée aux passagers – celle qui permet de sélectionner les films ou de « plugger » une clé USB avec ses propres données.

L’arme absolue du hacker : un smartphone

Pour Stupples, et pour d’autres chercheurs travaillant dans le même domaine, il ne s’agit pas tant d’alerter sur une menace imminente que de faire prendre conscience aux constructeurs et aux agences d’aviation civile de l’ouverture d’une nouvelle brèche dans le front de la cyber-guerre, dont on sait qu’elle sera un terrain d’affrontements au cours du XXIe siècle. Comme un avion est piloté surtout par… des pilotes (deux par avion), l’idée est d’inclure dans leur formation et dans les procédures de vol le cas de figure d’une défaillance massive des systèmes informatiques de pilotage. Car toute situation critique et non prévue durant un vol peut entraîner une série de choix erronés conduisant à une catastrophe.

Stupples n’est pas le seul ni le premier à attirer l’attention sur ce nouveau type d’attaque, d’autres ont déjà exploré comment le piratage des systèmes d’un avion pouvait être réalisé à distance ou depuis la cabine par un spécialiste informatique. En particulier, il serait possible d’atteindre ces systèmes à distance via les communications relayées par des satellites, comme l’a exposé dans un document récent Ruben Santamarta, chercheur de la société de sécurité informatique IOActive. En 2013 déjà, un pilote et consultant en sécurité pour l’agence « n.runs AG » en Allemagne, Hugo Teso, avait carrément présenté une application pour smartphone capable selon lui d’obliger l’avion à exécuter certaines commandes de direction, d’altitude et de vitesse – testé il est vrai sur un simulateur de vol datant des années 1970.

Ces alertes, si elles restent encore ponctuelles, viennent néanmoins signifier que les cyber-attaques dont on prévoit l’augmentation dans les années à venir n’épargneront aucun secteur intégrant des systèmes informatiques complexes, soit toutes les activités humaines ou quasiment. Une nouvelle forme de guerre, certes plus propre et silencieuse que les anciennes, mais qui en fin de chaîne mettra toujours en danger la vie des populations.

Román Ikonicoff

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Objets connectés : tous piratables ! – S&V n°1163 – 2014 – Ordinateurs, tablettes, smartphones, mais aussi voiture, frigo, compteur électrique… Là où il y a de l’informatique, il y a l’ombre d’un pirate à l’affut.

sv1163

  • Cyberguerre, pourquoi elle ne ressemble à rien de connu – S&V n°1159 – 2014 – C’est une guerre qui ne fait ni bruit, ni fumées, ni flammes… Son champ de bataille ce sont les réseaux et les systèmes informatiques, mais elle peut désorganiser les structures d’un État et créer le chaos – bien réel celui-là.

S&V1159

  • Les virus ont-ils gagné ? – S&V n°1141 – 2012 – L’incroyable histoire des virus informatiques depuis leur naissance, en 1982, jusqu’à aujourd’hui… et demain.

S&V1141

 

 

 

 

La Station spatiale internationale a failli être détruite

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La Station spatiale internationale a dû être remorquée pour éviter la collision (ESA/NASA)

La Station spatiale internationale a dû être remorquée pour éviter la collision (ESA/NASA)

L’Agence spatiale européenne (ESA) a rendu public le 4 novembre un incident survenu le 27 octobre qui aurait pu être fatal à la Station spatiale internationale (ISS) et à ses 6 membres d’équipage : l’arrivée sur sa trajectoire d’un gros débris à 28 800 km/h. Ce n’est que grâce à une manœuvre urgente de remorquage effectuée par le Véhicule automatique de transfert (ATV) Georges Lemaître, un vaisseau cargo spatial conçu par l’ESA et amarré à la Station, qu’elle a pu se dégager de l’orbite et éviter la collision. « C’est la première fois que les équipes de la Station internationale esquivent des débris spatiaux avec une telle urgence » précise le communiqué de l’ESA. Bref, il s’en est fallu de très peu.

Le projectile qui a failli heurter la Station est un débris du satellite russe Cosmos-2251, « avoisinant la taille d’une main » selon l’ESA. Autant dire, une bombe qui aurait non pas endommagé mais pulvérisé la Station : à cette vitesse un objet de la taille et du poids d’un smartphone, disons 130 gr, possède la même énergie qu’une voiture d’environ une tonne, une citadine, roulant à 330 km/h (l’équation exacte est : Énergie = Masse x Vitesse²). La collision aurait été d’une violence inouïe !

Dégât occasionné par un débris d'à peine 3 mm de diamètre sur un cargo spatial (ESA-Stijn Laagland)

Dégât occasionné par un débris d’à peine 3 mm de diamètre sur un cargo spatial (ESA-Stijn Laagland)

 La station spatiale a réussi à se déporter de 1 km pour se mettre à l’abri

Toujours selon l’ESA, l’alerte a été donnée six heures avant l’heure estimée de la collision. Largement de quoi se mettre à l’abri ? Pas du tout. Dans l’espace il faut se débrouiller avec les moyens du bord disponibles, très restreints en matériaux mais surtout en énergie : faire bouger de son orbite un objet de 420 tonnes, poids de l’ISS,  en demande beaucoup car la force d’inertie (proportionnelle à la masse) s’oppose à tout changement de mouvement. La preuve : le véhicule ATV amarré à la station, qui a joué pour l’occasion le rôle de booster, a eu besoin de tout ce temps pour réussir à éloigner la Station spatiale à 1 km de la zone à risque – une distance minimale de sécurité étant donnée la méconnaissance de la trajectoire exacte du débris à cause de l’imprécision des radars et la complexité du calcul balistique.

Le cargo ATV-5 Georges Lemaître avant sa mise en service en 2014 (ESA–S.-Corvaja-2014)

Le cargo ATV-5 Georges Lemaître avant sa mise en service en 2014 (ESA–S.-Corvaja-2014)

Le cargo ATV-5 Georges Lemaître en approche de la Station spatiale (Photo : Roscosmos–O. Artemyev)

Le cargo ATV-5 Georges Lemaître en approche de la Station spatiale (Photo : Roscosmos–O. Artemyev)

 

 

 

 

 

 

 

 

Un satellite semblable à Cosmos-2251 (Rlandmann)

Un satellite semblable à Cosmos-2251 (Rlandmann)

 

 

 

 

 

 

 

Pour le remorquage, l’ATV a dû bruler son carburant pendant 4 minutes, ce qui représente dans « l’économie spatiale » une très grosse ressource : ce n’est que depuis 2012 que la Station dispose de ce type de moyen ! Une chance donc. Mais celle-ci pourrait ne pas se représenter : il y a dans l’orbite terrestre des dizaines de millions de débris spatiaux d’origine humaine dont 500 000 de plus de 1 cm de diamètre et 16 000 de plus de 10 cm, générés depuis le premier satellite artificiel, Spoutnik, en 1959. Ces derniers sont identifiés et suivis au radar depuis la Terre mais le comportement erratique de ces objets qui ne cessent de s’entre-choquer rend les calculs très longs – raison pour laquelle l’alerte a été donnée tardivement.

 

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Représentation de la collision entre Cosmos-2251 et Iridium-33 en 2009 : la collision ; 20 minutes après ; 50 minutes après (Image : Rlandmann/ESA)

Pas encore de solution au problème des débris artificiels

Comme Science & Vie le signalait en 2011, un rapport de l’Académie des sciences américaine a dressé un rapport accablant sur la dangerosité et le risque d’accident majeur causé par ces débris. D’ailleurs, celui qui a failli avoir raison de la Station spatiale résulte lui-même d’un tel accident : la collision en 2009 du satellite Cosmo-2251, déjà hors d’usage et de contrôle, avec un satellite en fonctionnement, l’Iridium-33 (voir Science & Vie n°1099).

Représentation des débris spatiaux en orbite basse, la même que celle de l'ISS (ESA)

Représentation des débris spatiaux en orbite basse, la même que celle de l’ISS (ESA)

Sachant que le nombre de débris ne cesse d’augmenter naturellement à cause des chocs entre plus gros débris – la Terre serait la seule planète de l’Univers en passe de créer artificiellement un anneau de poussières comme ceux de Saturne ! – , et qu’il n’existe encore aucun dispositif pour nettoyer notre espace proche, malgré quelques projets, les systèmes spatiaux orbitaux et les spationautes sont plus que jamais en danger.

Román Ikonicoff

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

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  • Que font les aiguilleurs de l’espace ? – S&V n°1099 – 2009 – Le satellite Iridium-33 a été détruit par sa collision avec le satellite russe Cosmos-2251 (hors d’usage). Comment font les « aiguilleurs de l’espace » pour prévenir ce genre d’accident ?

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  • ISS : la station peau de chagrin – S&V n°1104 – 2001 – Après le rêve d’une station spatiale en forme de gigantesque roue, à l’image de celle mise en scène dans le film « 2001 – Odyssée de l’espace », le projet de l’ISS a été revu à la baisse maintes fois… Ce qui ne l’a pas empêchée de devenir un véritable lieu de rencontre entre spationautes de 15 nations différentes, d’expérimentation scientifique et d’observation.

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Toutes les 8 minutes un enfant est victime d’un mauvais dosage de médicaments

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L'imprécision des dosettes est l'une des principales cause d'erreur de dosage (Ph. Kate Hiscock via Flickr CC BY 2.0)

L’imprécision des dosettes est l’une des principales cause d’erreur de dosage (Ph. Kate Hiscock via Flickr CC BY 2.0)

Il s’agit d’une étude américaine, mais elle pourrait refléter un problème nous concernant également : entre 2002 et 2012 aux États-Unis, 696 937 enfants âgés de moins de 6 ans ont été victimes d’un mauvais dosage de médicaments, à cause d’erreurs d’administration par ses parents, soit 65 358 cas par an, ou encore un enfant toutes les 8 minutes. En termes démographiques, cela représente par an 26 cas pour 10 000 enfants de moins de 6 ans.

Un quart des cas concerne des enfants de moins de 1 an, et pour la grande majorité (93,5%) il s’agit d’empoisonnements très légers : un simple coup de fil à un centre anti-poison a suffi à évaluer et résoudre le problème. Néanmoins, 4,4% des enfants ont dû être amenés en consultation dans un centre de soin, 0,4% ont été hospitalisés, 0,3% l’ont été dans une unité de soins intensifs. Enfin, 25 enfants sont morts.

L’étude, la première de ce genre et de cette ampleur concernant la médication des enfants à la maison et non pas à l’hôpital ou dans un centre de soins, dresse un tableau exhaustif des erreurs commises par les parents selon le type de médicament et sa forme d’administration, et indique les raisons et les conséquences de cette confusion.

Pediatrics

L’étude sur les erreurs de dosage de médicaments chez les enfants

Ainsi, 27 % des cas sont des surdosages dus à une double administration. Selon la description donnée par les auteurs de l’article, c’est la cas par exemple quand il y a plusieurs enfants : alternant son attention entre les uns et les autres, le parent peut en venir à donner deux fois sa dose à l’enfant sur un court intervalle de temps. Également, le double dosage résulte souvent, disent les auteurs, de l’administration d’une dose par chacun des parents si ceux-ci sont pressés et distraits, comme le matin à l’heure de préparer tout le monde à la nouvelle journée.

L’étude sur les erreurs de dosage est percutante. Mais nous concerne-t-elle ? Hélas, tout porte à le croire

Plus généralement, l’étude nous apprend que 82% des erreurs de dosage concernent les médicaments liquides (les sirops) pour des raisons de « dosette » : celle-ci est souvent livrée avec le produit, sous forme de bouchon doseur, de seringue ou de cuillère en plastique. Sur les bouchons et seringues, les indications de mesure sont parfois peu lisibles, ce qui entraine des sur- ou des sous-dosages.

Mais la palme du fauteur de trouble revient à la cuillère. Celle d’origine est souvent perdue ou cassée, si bien que les parents se servent de leur propres cuillères. Outre le fait que les tailles des cuillères à café ou à soupe peuvent varier dans des proportions de 50%, source d’erreur grave,  il arrive souvent que les parents se servent d’une cuillère à café au lieu d’une cuillère à soupe (et vice-versa) si les indications de posologie ne sont pas claires – ce qui arrive souvent quand le produit est livré avec la sienne propre. Toutes erreurs confondues, les médicaments à doser avec des cuillères ont 2 fois plus de risques d’engendrer de mauvais dosages.

Concernant le type de médicament, en haut de la liste on trouve les analgésiques (paracétamol, ibuprofène), dans 25,2% des cas, puis les antitussifs (24,6%), les antihistaminiques et médicaments contre l’asthme, et enfin les stimulants ou calmants pour les cas de troubles du déficit de l’attention (TDA et TDA/H).

La revue Prescrire avait alerté l’Agence nationale de sécurité du médicament en juin 2012

L’étude, qui s’est basé sur les données de 55 centres anti-poisons sur tout le territoire américain mis en commun dans la base de données National Poison Database System, est percutante. Mais nous concerne-t-elle ? En effet, nous pourrions nous dire que nous ne sommes pas comme les Américains, que nous ne confondons pas les petites et grandes cuillères… Hélas, d’autres pays ont mené des études sur ce même problème mais en milieu hospitalier (et de moins grande envergure), et les conclusions sont du même acabit.

Le plus significatif, bien que limité à un seul centre de soin, est une étude australienne publiée dans l’International Journal of Pharmacy Practice en 2014, qui montre que 44% des adultes (parents, soignants) administrent de mauvaises doses. Et même dans l’Hexagone, où l’on ne dispose pas d’études systématique et de grande ampleur sur le problème du mauvais dosage chez les enfants, d’autres indicateurs signaleraient qu’il s’agit peut-être d’un problème de santé publique.

Ainsi, en juin 2012, la revue Prescrire a donné l’alerte et présenté un dossier sur le (mauvais) conditionnement des médicaments pour enfant depuis 1980 (5 000 types de médicaments). Prescrire en a conclu que la mesure des médicaments liquides (buvables ou injectables) par des doseurs est « imprécise et/ou inadaptée et souvent sources d’erreurs de préparations ». Et que « dans le domaine de l’automédication pour les enfants, l’insuffisance de qualité des dispositifs doseurs est trop fréquente. » Pointant en particulier la mauvaise qualité des mesures indiquées sur les gobelets doseurs et la source d’erreur que constitue l’utilisation de la cuillère.

Prescrire a également adressé des propositions à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et à l’Agence européenne du médicament pour améliorer ces conditionnements, car aucune mesure importante pour lutter contre le mauvais dosage chez les enfants ne figurait dans la Loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, votée fin 2011 et toujours en vigueur.

Román Ikonicoff

 

 > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

S&V1163

  • Le guide des médicaments utiles, inutiles ou dangereux – S&V n°1027 – 2003 – Les contraintes économiques et les perspectives financières qui guident les choix des laboratoires pharmaceutiques ne sont pas toujours compatibles avec l’intérêt public, d’où la nécessité d’une intervention de l’Agence de sécurité du médicament.

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  • Les Français malades de leurs médicaments – S&V n°964 – 1998 – La surconsommation et l’automédication sont deux maux qui poursuivent les Français depuis les années 1990. En particulier l’automédication – montée en flèche depuis les années 2010 grâce à internet – pénalise également les enfants.

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