L’Europe a procédé à la simulation grandeur nature d’une cyber-attaque massive à l’échelle continentale

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L'Europe cherche à se doter d'une infrastructure opérationnelle pour contrer les cyber-attaques (Ph. Lockheed Martin)

L’Europe cherche à se doter d’une infrastructure opérationnelle pour contrer les cyber-attaques (Ph. Lockheed Martin)

Jeudi 30 octobre, des banques, des ministères, des institutions, des grandes entreprises ainsi que des réseaux électriques et de communications de 29 pays européens essuyaient des milliers d’attaques sur leurs systèmes et infrastructures informatiques, dans une simulation grandeur nature orchestrée par l’Agence européenne de cyber-sécurité (European Network and Information Security Agency ou ENISA). Inscrit dans le programme « Cyber-Europe 2014« , exceptionnel par sa complexité et son étendu, ce « crash-test » mené sur quasiment tout le territoire européen et sollicitant plusieurs centres de gestion de crise informatique (des « QG ») a simulé une cyber-attaque afin de mesurer la réactivité et la capacité des différentes cibles, quelques 600 acteurs du privé et du public, à coopérer et à échanger des informations en vue de résister à la désorganisation.

L’exercice, qui n’a pas affecté le fonctionnement normal d’Internet car il a été effectué sur des systèmes préalablement isolés de l’espace virtuel usuel, a mis en scène plus de 2000 types d’attaques. Notamment les attaques par déni de service (DoS), consistant à bloquer des serveur de fichiers ou de distribution de mails en les inondant de requêtes, ou par pénétration et prise en main de serveurs gérant les réseaux d’électricité ou de communications (téléphone, échange de données), ou encore par « défacement » (ou défiguration) de sites web c’est-à-dire leur modification malintentionnée ou leur détournement.

Le risque d’une cyber-attaque massive a crû exponentiellement ces dernières années

Il s’agit en fait de la deuxième phase du programme Cyber-Europe 2014, la première ayant été réalisée le 28 avril dernier pour tester la capacité technique des acteurs à détecter les incidents et à en atténuer les effets. Dans la phase deux menée la semaine dernière, l’enjeu était la rapidité de ces acteurs à coopérer et mettre au point des tactiques de défense communes. Enfin, la troisième et dernière phase, prévue pour janvier 2015, examinera l’impact politique d’une cyber-attaque massive et la capacité des acteurs européens à mettre en place des processus de décisions homogènes et des stratégies de riposte. Un programme dont la complexité dépasse tout ce qui a déjà été fait en termes de préparation à une cyber-guerre « pan-européenne ».

Pourquoi une tel exercice maintenant ? D’une part, à cause de l’augmentation exponentielle des attaques informatiques ciblant des pays particuliers, orchestrés en sous-main par d’autres pays, d’autre part à cause de l’inexistence à l’échelle européenne d’une stratégie commune de cybersécurité. Ainsi, personne n’a oublié l’attaque en 2010 des systèmes iraniens impliqués dans leur programme nucléaire par Stuxnet, un « malware »qui a pris le contrôle des centrifugeuses pour l’enrichissement du combustible et les a mis hors d’usage (son origine demeure inconnue même si les États-Unis et Israël sont fortement soupçonnés).

Mais depuis 2010, les attaques ont gagné en fréquence : des entreprises et des institutions de nombreux pays ont été visés dont les États-Unis (l’entreprise Lockheed Martin, Gmail, etc.), le Japon, la Corée du Sud, des pays latino-américains. Derrière ces attaques, sont souvent pointées la Chine, la Russie ou la Corée du Nord, mais la cyber-guerre semble mondiale (comme le démontre le cas Stuxnet) et ses acteurs, insaisissables… Selon le Global Security Mag spécialisé dans la sécurité physique et logicielle, le taux de cyber-attaques aurait ainsi crû de 25% depuis deux ans, le nombre de vol ou de fuites de données aurait augmenté de 61 % et les pertes mondiales dues à la cybercriminalité et à l’espionnage représenteraient entre 300 milliards et 1000 milliards de dollars.

Du coté de l’Europe, le programme « Cyber-Europe 2014″, dont les conclusions et préconisations seront rendues courant 2015, prépare le débat à la Commission européenne sur une directive sur le « niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l’information« , qui sera votée en 2015. Elle obligerait les États à instaurer notamment des plans d’urgence en cas d’attaques massives, en coordination avec les instances européennes.

R.I.

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Cyberguerre, pourquoi elle ne ressemble à rien de connu – S&V n°1159 – 2014 – C’est une guerre qui ne fait ni bruit, ni fumées, ni flammes… Son champ de bataille ce sont les réseaux et les systèmes informatiques, mais elle peut désorganiser les structures d’un État et créer le chaos – bien réel celui-là.

S&V1159

  • Les virus ont-ils gagné ? – S&V n°1141 – 2012 – Tout a commencé en 1982, quand un informaticien a conçu un programme se propageant tout seul aux ordinateurs connectés au sien, pour impressionner ses amis… Quel est l’état du monde des virus et autres « malwares » 30 ans plus tard ?

S&V1141

  • Le temps du cybercombat – S&V n°937 – 1995 – Science & Vie s’interrogeait déjà voici 20 ans sur cette nouvelle manière de miner les structures d’un état et d’une société.

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400 kg de cuivre refroidis à 0,006 degrés au-dessus du zéro absolu : un jalon vers une nouvelle physique ?

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L'enceinte de refroidissement de l'expérience CUORE utilise du plomb vieux de 2000 ans (CUORE collaboration)

L’enceinte de refroidissement de l’expérience CUORE utilise du plomb vieux de 2000 ans (CUORE collaboration)

Une équipe de physiciens des particules a réussi à refroidir 400 kg de cuivre à 0,006 degrés au dessus du zéro absolu, soit exactement à – 273,144 °C : une température probablement inusitée dans tout l’Univers pour un objet macroscopique. Ce record inédit s’inscrit dans le projet CUORE (Cryogenic Underground Observatory for Rare Events), un détecteur en construction au Laboratori Nazionali del Gran Sasso (Rome, Italie) destiné à mettre en lumière un phénomène encore inobservé pouvant ouvrir vers une nouvelle physique des particules. Le test de refroidissement du cuivre est venu confirmer, le 21 octobre dernier, le bon fonctionnement de l’appareillage. Un exploit obtenu à l’aide d’un appareillage contenant 270 lingots de plomb récupéré dans l’épave d’un navire romain du Ier siècle av. J.-C.

Malgré le recours à un matériau vieux de plus de 2000 ans repêché en mer, le projet CUORE (« cœur » en italien) est à l’avant-garde de la recherche en physique fondamentale, ayant pour objectif à l’horizon 2015 d’explorer la physique au-delà du modèle de comportement des particules élémentaires connu depuis des décennies, ou Modèle standard (MS), dont la dernière brique a été posée en 2012 avec la mise en évidence au Large Hadrons Collider (LHC) du célèbre boson de Higgs – particule « donnant » la masse aux particules matérielles.

Le froid poussé doit permettre la découverte des nouveaux phénomènes physiques

Comme souvent en physique des particules, la découverte de phénomènes élémentaires s’obtient en créant des conditions physiques extrêmes, soit en générant des densités d’énergie (ou de température) phénoménales, comme cela se fait dans les accélérateurs de particules du type LHC, soit au contraire en créant des espaces à très basse énergie – si basses que la majorité des réactions habituelles des particules élémentaires sont « gelées » et où ne se manifestent que des phénomènes invisibles autrement.

Le projet CUORE s’inscrit dans cette dernière perspective et a pour but de déceler un phénomène de désintégration nucléaire particulier, soit un processus de transformation d’une particule en une autre avec éjection de particules secondaires très énergétiques, ce que la nature fait couramment et que l’homme a appris à contrôler : la radioactivité qui chauffe l’eau des centrales nucléaires est produite par ces particules secondaires éjectées lors d’une désintégration.Parmi les différentes sortes de désintégration, il en existe une nommée Bêta consistant en la transformation d’un neutron en proton (les deux sortes de particules présentes dans le noyau d’un atome) avec éjection d’une particule quasiment indétectable, le neutrino, car ayant une très faible masse lui permettant de traverser incognito toute matière comme du beurre.

Une expérience qui demande le plus grand isolement possible

En l’occurrence, CUORE vise à mettre en évidence une double désintégration bêta, c’est-à-dire la transformation simultanée dans un noyau atomique de deux neutrons en deux protons. Cette transmutation est censée émettre deux neutrinos mais – c’est là qu’on entre dans l’inconnu – un physicien italien mort prématurément à 32 ans en 1938, Ettore Majorana, avait postulé l’existence d’une telle désintégration sans éjection des deux neutrinos, postulat jamais encore vérifié (l’autre a déjà été observée).

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Les principes de la désintégration radioactive

Selon le principe de conservation – le célèbre « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » attribué à Lavoisier – une telle absence de neutrinos serait la conséquence, selon Majorana, du fait que les deux s’annihilent l’un l’autre car ils sont leur propre anti-particule. Or si l’on sait que l’antimatière existe – les positrons des tomographes TEP utilisés en imagerie médicale sont les anti-particules des électrons – et qu’elle réagit avec la matière par une annihilation créatrice d’énergie lumineuse (photons), le Modèle standard ne considère pas comme possible qu’une particule de matière puisse être simultanément sa propre anti-particule. Si tel était le cas, le Modèle standard (MS) devrait être complété par un modèle alternatif, créant ainsi un super-modèle plus large. Une sorte de Graal pour les physiciens, qui ont déjà extrait tout le jus du MS et cherchent à aller plus loin.

Ettore Majorana a élaboré l'hypothèse qui sera testée par CUORE en 2015 (Ph. Kanijoman via Flickr CC BY 2.0)

Ettore Majorana a élaboré l’hypothèse qui sera testée par CUORE en 2015 (Ph. Kanijoman via Flickr CC BY 2.0)

CUORE prétend donc être en mesure d’abriter une réaction de double désintégration bêta sans éjection de neutrinos, si cela existe, mais pour ce faire il doit créer un espace aussi « propre » que possible, sans aucune autre réaction non voulue, afin de capter… l’inexistence de neutrinos émis. En refroidissant l’enceinte à -273,144 soit quasiment au zéro absolu (température absolument inatteignable par la matière, comme l’est la vitesse de la lumière), on se place dans les conditions physiques où les neutrinos, si volubiles, peuvent être détectés par les capteurs. L’idée est alors de placer dans l’enceinte un matériau (du dioxyde de tellure TeO2) dont les atomes sont supposés se désintégrer selon le mécanisme de Majorana. L’expérience devrait être menée courant 2015. Et l’on en arrive au navire romain…

Le plomb repêché dans l’épave romaine a un taux de radioactivité quasi-nul

En 1988, un plongeur avait découvert à 2 km de la cote d’Oristano (Sardaigne) sous 28 mètres de fond un navire de quelque 36 m de long. L’Istituto nazionale di fisica nucleare (duquel dépend le Laboratori Nazionali del Gran Sasso en charge de CUORE) avait cofinancé et participé aux fouilles et datations du navire sous l’égide du Museo archeologico nazionale de Calgari (Sardaigne). Dans le navire se trouvaient 1000 lingots de plomb de 46 cm sur 9 cm pesant chacun 33 kg. Les datations et études des archives ont situé la date de son échouage entre l’an 80 et l’an 50 avant Jésus-Christ. Une époque mouvementée où la République de Rome cédait la place à un nouveau régime politique, celui de l’Empire.

Des luttes fratricides entre factions d’une république agonisante faisaient rage, sur terre et par mers. Selon les archéologues le navire retrouvé, de la classe des navis oneraria, sortes de cargos servant au transport de marchandises, affublé de l’adjectif magna à cause de sa taille (les plus courant ne dépassaient pas les 30 mètres), aurait été coulé volontairement pour ne pas tomber entre les mains de frères ennemis.

Le navire romain repêché en mer et Ettore Majorana, perdu en mer, ouvriront peut-être la porte à une nouvelle physique

Les physiciens de l’Istituto nazionale di fisica nucleare participant à l’étude du navire ont su voir tout l’intérêt que ce plomb vieux de 2000 ans pouvait avoir pour leur discipline : quand on l’extrait du sol, le plomb est légèrement radioactif à cause de la radioactivité des roches qui l’entouraient – une radioactivité induite. En effet, quand les atomes de plomb sont irradiés, certains deviennent radioactifs (isotope 210) puis se désintègrent : tous les 22 ans, la moitié des isotopes radioactifs du plomb disparaît (temps de demi-vie). Hors de son milieu naturel, il perd lentement sa radioactivité. Ayant été extrait voici 2000 ans, le taux d’atomes radioactifs a été donc divisé presque par 2 puissance 100, ce qui signifie qu’aujourd’hui sa radioactivité est quasiment nulle.

Le Musée d’archéologie a donc offert aux physiciens 270 de ces lingots qui, une fois nettoyés des incrustations, sont venus ceindre l’enceinte intérieure de CUORE – un cylindre de plus de 2 mètres de hauteur conçu à la manière des « poupées russes » refroidi par de l’hélium liquide et diverses technologies de pompage de la chaleur. Le plomb sert alors à isoler l’intérieur du dispositif des particules étrangères et autres radiations cosmiques pouvant perturber la mesure de la double désintégration bêta (CUORE est par ailleurs enfoui à 1400 mètres de la surface terrestre). Ce vieux plomb étant lui-même débarrassé de sa radioactivité, il ne perturbe pas l’expérience.

Le test du refroidissement des 400 kg de cuivre dans CUORE, qui ont été maintenus à -273,144 degrés pendant 15 jours, présage donc une belle réussite de l’expérience sur les neutrinos. Mettra-t-on en lumière la prédiction de Majorana ? Nul ne le sait encore. Mais peut-être, le célèbre physicien mort mystérieusement en mer en 1938 (suicide ? meurtre ?) a rejoint l’équipage du navis oneraria magna pour préparer  la célébration de l’expérience.

R.I

 > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

S&V1137

  • Pourquoi le boson de Higgs n’est pas la fin de l’histoire – S&V n°1147 – 2013 – Après la découverte du boson de Higgs, qui est venu compléter et confirmer le modèle standard des particules, certains s’interrogeaient sur la suite : est-ce la fin de la recherche en physique des particules ? Que non !

S&V1147

  • Antimatière: est-ce la clé de l’Univers ? – S&V n°1105 – 2009 – L’antimatière pose un problème aux physiciens. Il n’existe pour l’heure pas de théorie expliquant son absence de l’Univers. L’étude des neutrinos pourrait apporter des réponses.

S&V1105