Toutes les 8 minutes un enfant est victime d’un mauvais dosage de médicaments

Standard
L'imprécision des dosettes est l'une des principales cause d'erreur de dosage (Ph. Kate Hiscock via Flickr CC BY 2.0)

L’imprécision des dosettes est l’une des principales cause d’erreur de dosage (Ph. Kate Hiscock via Flickr CC BY 2.0)

Il s’agit d’une étude américaine, mais elle pourrait refléter un problème nous concernant également : entre 2002 et 2012 aux États-Unis, 696 937 enfants âgés de moins de 6 ans ont été victimes d’un mauvais dosage de médicaments, à cause d’erreurs d’administration par ses parents, soit 65 358 cas par an, ou encore un enfant toutes les 8 minutes. En termes démographiques, cela représente par an 26 cas pour 10 000 enfants de moins de 6 ans.

Un quart des cas concerne des enfants de moins de 1 an, et pour la grande majorité (93,5%) il s’agit d’empoisonnements très légers : un simple coup de fil à un centre anti-poison a suffi à évaluer et résoudre le problème. Néanmoins, 4,4% des enfants ont dû être amenés en consultation dans un centre de soin, 0,4% ont été hospitalisés, 0,3% l’ont été dans une unité de soins intensifs. Enfin, 25 enfants sont morts.

L’étude, la première de ce genre et de cette ampleur concernant la médication des enfants à la maison et non pas à l’hôpital ou dans un centre de soins, dresse un tableau exhaustif des erreurs commises par les parents selon le type de médicament et sa forme d’administration, et indique les raisons et les conséquences de cette confusion.

Pediatrics

L’étude sur les erreurs de dosage de médicaments chez les enfants

Ainsi, 27 % des cas sont des surdosages dus à une double administration. Selon la description donnée par les auteurs de l’article, c’est la cas par exemple quand il y a plusieurs enfants : alternant son attention entre les uns et les autres, le parent peut en venir à donner deux fois sa dose à l’enfant sur un court intervalle de temps. Également, le double dosage résulte souvent, disent les auteurs, de l’administration d’une dose par chacun des parents si ceux-ci sont pressés et distraits, comme le matin à l’heure de préparer tout le monde à la nouvelle journée.

L’étude sur les erreurs de dosage est percutante. Mais nous concerne-t-elle ? Hélas, tout porte à le croire

Plus généralement, l’étude nous apprend que 82% des erreurs de dosage concernent les médicaments liquides (les sirops) pour des raisons de « dosette » : celle-ci est souvent livrée avec le produit, sous forme de bouchon doseur, de seringue ou de cuillère en plastique. Sur les bouchons et seringues, les indications de mesure sont parfois peu lisibles, ce qui entraine des sur- ou des sous-dosages.

Mais la palme du fauteur de trouble revient à la cuillère. Celle d’origine est souvent perdue ou cassée, si bien que les parents se servent de leur propres cuillères. Outre le fait que les tailles des cuillères à café ou à soupe peuvent varier dans des proportions de 50%, source d’erreur grave,  il arrive souvent que les parents se servent d’une cuillère à café au lieu d’une cuillère à soupe (et vice-versa) si les indications de posologie ne sont pas claires – ce qui arrive souvent quand le produit est livré avec la sienne propre. Toutes erreurs confondues, les médicaments à doser avec des cuillères ont 2 fois plus de risques d’engendrer de mauvais dosages.

Concernant le type de médicament, en haut de la liste on trouve les analgésiques (paracétamol, ibuprofène), dans 25,2% des cas, puis les antitussifs (24,6%), les antihistaminiques et médicaments contre l’asthme, et enfin les stimulants ou calmants pour les cas de troubles du déficit de l’attention (TDA et TDA/H).

La revue Prescrire avait alerté l’Agence nationale de sécurité du médicament en juin 2012

L’étude, qui s’est basé sur les données de 55 centres anti-poisons sur tout le territoire américain mis en commun dans la base de données National Poison Database System, est percutante. Mais nous concerne-t-elle ? En effet, nous pourrions nous dire que nous ne sommes pas comme les Américains, que nous ne confondons pas les petites et grandes cuillères… Hélas, d’autres pays ont mené des études sur ce même problème mais en milieu hospitalier (et de moins grande envergure), et les conclusions sont du même acabit.

Le plus significatif, bien que limité à un seul centre de soin, est une étude australienne publiée dans l’International Journal of Pharmacy Practice en 2014, qui montre que 44% des adultes (parents, soignants) administrent de mauvaises doses. Et même dans l’Hexagone, où l’on ne dispose pas d’études systématique et de grande ampleur sur le problème du mauvais dosage chez les enfants, d’autres indicateurs signaleraient qu’il s’agit peut-être d’un problème de santé publique.

Ainsi, en juin 2012, la revue Prescrire a donné l’alerte et présenté un dossier sur le (mauvais) conditionnement des médicaments pour enfant depuis 1980 (5 000 types de médicaments). Prescrire en a conclu que la mesure des médicaments liquides (buvables ou injectables) par des doseurs est « imprécise et/ou inadaptée et souvent sources d’erreurs de préparations ». Et que « dans le domaine de l’automédication pour les enfants, l’insuffisance de qualité des dispositifs doseurs est trop fréquente. » Pointant en particulier la mauvaise qualité des mesures indiquées sur les gobelets doseurs et la source d’erreur que constitue l’utilisation de la cuillère.

Prescrire a également adressé des propositions à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et à l’Agence européenne du médicament pour améliorer ces conditionnements, car aucune mesure importante pour lutter contre le mauvais dosage chez les enfants ne figurait dans la Loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, votée fin 2011 et toujours en vigueur.

Román Ikonicoff

 

 > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

S&V1163

  • Le guide des médicaments utiles, inutiles ou dangereux – S&V n°1027 – 2003 – Les contraintes économiques et les perspectives financières qui guident les choix des laboratoires pharmaceutiques ne sont pas toujours compatibles avec l’intérêt public, d’où la nécessité d’une intervention de l’Agence de sécurité du médicament.

S&V1127

  • Les Français malades de leurs médicaments – S&V n°964 – 1998 – La surconsommation et l’automédication sont deux maux qui poursuivent les Français depuis les années 1990. En particulier l’automédication – montée en flèche depuis les années 2010 grâce à internet – pénalise également les enfants.

S&V964

 

 

 

Alma dévoile la naissance d’un système planétaire

Standard
Le disque protoplanétaire qui entoure l'étoile naissante HL Tauri, observé par le réseau interférométrique Alma. Le disque s'étend sur plus de vingt milliards de kilomètres. Les divisions sombres dans le disque témoignent peut-être de la présence de planètes en formation autour de HL Tauri. Image ESO.

Le disque protoplanétaire qui entoure l’étoile naissante HL Tauri, observé par le réseau interférométrique Alma. Le disque s’étend sur plus de vingt milliards de kilomètres. Les divisions sombres dans le disque témoignent peut-être de la présence de planètes en formation autour de HL Tauri. Image ESO.

Cette image est tellement nette, symétrique, que l’on croirait une simulation : mais non, ce disque parfait, légèrement incliné, sillonné d’anneaux clairs et de divisions obscures montre, pour la première fois avec une surréaliste précision, la naissance d’un système planétaire… C’est le réseau interférométrique international Alma qui a permis d’obtenir cette image, deux fois plus précise que les photographies prises par le télescope spatial Hubble. Ce qu’elle montre ? Le disque de gaz et la poussières qui entoure une étoile naissante de la constellation du Taureau, HL Tauri. Surprise : les spécialistes de l’évolution stellaire ne s’attendaient pas à découvrir un disque aussi évolué autour d’un astre aussi jeune, HL Tauri étant âgée de un million d’années seulement. Mais surtout, ils ne s’attendaient pas à découvrir ces structures concentriques, qui signent probablement la naissance de planètes autour de l’étoile ! Les chercheurs pensent en effet depuis des décennies que les planètes se forment, autour de leur étoile, en grossissant, par effet boule de neige, sur leur trajectoire, à partir de petits objets, les planétésimaux. Ces objets, d’abord de la taille de météorites, puis d’astéroïdes, en accrétant la matière rencontrée sur leur trajectoire, grossissent progressivement jusqu’à devenir des planètes. Dans le même temps, leur orbite est balayée, nettoyée : c’est cela qu’a probablement photographié Alma.

HL Tauri, en haut de l'image, appartient à un groupe d'étoiles en formation, voilées dans un immense nuage de gaz et de poussière interstellaire, dans la constellation du Taureau. En bas et à droite de l'image, apparaît une autre étoile naissante, V1213 Tauri. Photo Nasa/ESA/STSCI.

HL Tauri, en haut de l’image, appartient à un groupe d’étoiles en formation, voilées dans un immense nuage de gaz et de poussière interstellaire, dans la constellation du Taureau. En bas et à droite de l’image, apparaît une autre étoile naissante, V1213 Tauri. Photo Nasa/ESA/STSCI.

Photographier, au sens « enregistrer les photons », car cette image n’a rien d’une photographie. D’abord, elle a du, contrairement à une image directe, faite avec un télescope et sa caméra, passer par un logiciel de reconstruction d’images : Alma est un interféromètre et ne prend donc pas d’images directes : ses dizaines d’antennes enregistrent les signaux – deux à deux – venus du ciel, puis une « carte » est reconstituée : c’est l’image que nous avons sous les yeux. Plus le nombre d’antennes est important, plus elle recouvrent la surface du télescope virtuel que le réseau dessine, plus la carte, donc l’image, est fiable. Ici, entre 25 et 30 antennes du réseau – qui en compte en tout soixante six – ont été utilisées.

Ensuite, l’image de HL Tauri a été prise à 1,28 millimètre de longueur d’onde, quand l’œil humain, par comparaison, est sensible à la lumière visible, entre 0,3 et 0,7 micromètre.

Une trentaine d'antennes du réseau Alma ont été utilisées pour observer HL Tauri. Afin d'obtenir la meilleure image possible, le réseau a été utilisé dans sa configuration extrême, certaines antennes étant séparées par 15 kilomètres. Alma se trouve à 5000 mètres d'altitude sur le plateau de Chajnantor, au Chili. Photo ESO.

Une trentaine d’antennes du réseau Alma ont été utilisées pour observer HL Tauri. Afin d’obtenir la meilleure image possible, le réseau a été utilisé dans sa configuration extrême, certaines antennes étant séparées par 15 kilomètres. Alma se trouve à 5000 mètres d’altitude sur le plateau de Chajnantor, au Chili. Photo ESO.

L’avantage énorme, décisif, du réseau Alma, par rapport aux grands télescopes optiques et infrarouges, comme Hubble dans l’espace ou le Very Large Telescope européen, par exemple, c’est que, aux longueurs d’onde millimétriques, les étoiles sont pratiquement invisibles, alors que leur environnement est très lumineux. C’est cela qui rend l’image de HL Tauri enregistrée par Alma si fascinante : on n’avait jamais vu d’aussi bien, d’aussi près, un système planétaire, à part le système solaire, bien sûr… Mais observer aux grandes longueurs d’onde a un coût. La résolution (la finesse de détails) d’un télescope dépend de son diamètre et de la longueur d’onde observée. Ici, à 1,28 millimètre de longueur d’onde, le télescope virtuel dessiné par la trentaine d’antennes du réseau Alma mesurait quinze kilomètres ! L’image de HL Tauri, qui se trouve à 450 années-lumière de la Terre, a une résolution de 0,035 seconde d’arc, ce qui correspond à 750 millions de kilomètres. Le disque proto planétaire qui entoure l’étoile naissante mesure environ vingt quatre milliards de kilomètres de diamètre.
Dans les mois et années qui viennent, les astronomes qui utilisent Alma vont améliorer encore cette image fascinante de HL Tauri. D’abord, en augmentant le nombre d’antennes utilisées, ensuite en diminuant la longueur d’onde observée, avec, qui sait, à la clé, la découverte d’un embryon planétaire circulant autour de l’étoile naissante…
Serge Brunier