S’occuper des enfants a rendu les humains intelligents

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En demandant beaucoup de soins parentaux, les enfants auraient stimulé l'intelligence humaine. - Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

En demandant beaucoup de soins parentaux, les enfants auraient stimulé l’intelligence humaine. – Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

L’idée a de quoi surprendre. Si notre espèce est dotée d’une intelligence extraordinaire par rapport aux autres primates, nous le devons… à nos enfants ! Les nourrissons humains, particulièrement dépendants, demandent des soins parentaux complexes et prolongés, qui ne sont pas sans épuiser leurs géniteurs. Et c’est cela qui aurait stimulé chez les adultes une intelligence assez affutée pour s’occuper correctement des petits.

Cette hypothèse à première vue hardie est défendue par les universitaires américains Steven Piantadosi et Celeste Kidd (Université de Rochester, New York). Et leur démonstration est imparable ! Détaillée dans la revue PNAS, elle se base sur la comparaison entre différentes espèces de primates (singes).

Il existe en effet un lien quasi linéaire entre le degré d’intelligence d’une espèce et l’âge du sevrage de leurs petits, comme l’illustre ce graphe.

Plus l'âge du sevrage d'un petit est élevé, plus les adultes de son espèce sont intelligents - Ph. Piantadosi & Kill / PNAS

Plus l’âge du sevrage d’un petit est élevé, plus les adultes de son espèce sont intelligents – Ph. Piantadosi & Kill / PNAS

Au sommet droit du plan, on trouve l’orang-outan et le chimpanzé, dont l’intelligence est très élaborée, proche de la nôtre : leurs petits ne gagnent leur indépendance que vers l’âge de trois ans ! À l’autre extrémité du plan, des espèces comme les ouistitis (marmoset) et les talapoins : leurs petits sont sevrés en quelques mois, et les adultes sont considérés comme peu intelligents.

Comment cet état des choses se serait-il imposé au cours de l’évolution ? Pour l’expliquer, Piantadosi et Kidd ont élaboré un modèle fonctionnant selon un cercle vertueux de facteurs qui se renforcent en boucle.

La contrainte de l’accouchement explique pourquoi les bébés humains naissent si dépendants

À la base du raisonnement, une considération : la taille du cerveau d’un nouveau-né, chez les mammifères dont nous sommes, ne peut pas augmenter indéfiniment puisque le bébé doit être expulsé à travers le bassin de sa mère lors de l’accouchement. Du coup, l’accouchement a lieu à un stade précoce du développement de l’enfant, qui se poursuit après la naissance.

En conséquence, le cercle suivant s’installe :

  1. Les bébés humains naissent particulièrement tôt dans leur développement, du fait de leur gros cerveau. Ils sont donc particulièrement peu développés et dépendants.
  2. S’occuper de ces enfants demande donc une intelligence accrue, et ainsi un cerveau encore plus grand.
  3. L’accroissement de la taille du cerveau rend les bébés encore plus vulnérables à la naissance, et encore plus demandeurs de soins.

 

Sur cette base, les chercheurs de Rochester ont démontré à l’aide de leur modèle informatique, que le temps passant, la sélection naturelle favorise deux grands types de singes : d’un côté, le cas des plus petits singes, qui naissent avec un cerveau petit mais déjà bien développé ; de l’autre, le cas du chimpanzé et de l’homme, où l‘intelligence comme le cerveau sont très développés et les petits très dépendants. Au fil de l’évolution, ces espèces au grand cerveau évolueront vers des cerveaux encore plus grands et des petits encore plus dépendants.

La chercheuse Celeste Kidd, auteure de l'étude, au Baby Lab de l'université de Rochester (New York), où elle étudie la cognition des enfants. - Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

La chercheuse Celeste Kidd, auteure de l’étude, au Baby Lab de l’université de Rochester (New York), où elle étudie la cognition des enfants. – Ph. J. Adam Fenster/University of Rochester

Le besoin de soins parentaux expliquerait à lui seul l’évolution de l’intelligence humaine

Ainsi, de manière très étonnante, la pression de la sélection naturelle en faveur de soins parentaux toujours plus élaborés suffirait à elle seule à expliquer l’extraordinaire intelligence humaine actuelle ! Sans besoin de faire intervenir d’autres facteurs tels que l’alimentation ou l’usage d’outils.

Cela expliquerait également, d’après les auteurs de l’étude, pourquoi cette intelligence supérieure ne serait apparue que chez les mammifères (qui s’occupent de leurs petits) et non chez les autres classes de vertébrés comme les poissons, les reptiles ou les oiseaux, pourtant présents sur la planète des millions d’années avant leur apparition.

—Fiorenza Gracci

 

> Lire aussi :

 

> Lire également dans les Grandes Archives de S&V :

  • Voici le premier cerveau éprouvetteS&V n°1154 (2013). Ce fut la grande première, le premier mini-cerveau recréé à partir de cellules souches. A l’époque, ces embryons de cerveau équivalaient à celui d’un embryon de 9 semaines. En deux ans, les méthodes se sont simplifiées et les chercheurs arrivent à cultiver des cerveaux de 19 à 2 semaines.

1154

  • D’où venons-nous ? S&V n°1113 (2010). Les nouvelles découvertes fossiles bouleversent complètement l’histoire des origines humaines. Ardi, Orrorin, Toumaï… voici comment elles recomposent le puzzle de notre phylogénétique.

S&V 1113 - d'ou venons nous

Au sommaire de Science & Vie n°1185

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ARCHÉOLOGIE

S&V_1185_ALPHABET_mini

 

La quête de l’invention de l’alphabet se joue sur de multiples registres, de la neurologie à l’archéologie, tous très actifs sur le plan de la recherche. Outre 3 questions complémentaires posées à deux des spécialistes que nous avons contactés, nous vous proposons une bibliographie (articles, livres et liens vidéos) tant sur le volet archéologique que neuroscientifique.

 

> 3 questions à Philippa Steele, responsable du projet CREW de l’université de Cambridge

http://www.classics.cam.ac.uk/directory/philippa-steele

Quelles questions restent en suspens autour de l’émergence de l’écriture ?

P.S. : Il en existe deux principaux groupes. Le premier concerne la façon dont les anciens systèmes d’écriture sont liés, apparentés. Quels éléments peut-on étudier pour élucider ces relations ? Comment et pourquoi des écritures passent-elles d’un groupe à l’autre ? Quel type de contact est nécessaire pour permettre un emprunt de ce genre ? Le second concerne les contextes entourant ces écritures, et ce qu’il peut nous dire des sociétés qui les utilisent. Comment le contexte social joue sur leur développement et leur maintient ? Tenter de nouvelles approches des supports matériels des écritures permet d’éclairer de façon nouvelle les sociétés et les hommes qui les ont produits –et la place que tenait alors l’écriture.

 

Quelles sont les relations et les différences entre les premiers systèmes alphabétiques ?

P.S. : La plupart des premiers systèmes d’écriture avaient entre eux des relations complexes. Par exemple, le système alphabétique phénicien (qui sera transmis aux Grecs et sera à l’origine de la majorité des alphabets existant aujourd’hui) à ses débuts était fait de lettres « linéaires » – dans le sens où elles sont composées de lignes. Cependant, l’alphabet ougaritique n’est, lui, pas linéaire mais cunéiforme –avec des signes « en coin » imprimés dans la glaise.

Ce qui est très étonnant, c’est que tant l’ougaritique que le phénicien utilisent le même ordre pour leurs signes/lettres ; on le sait car les scribes ont laissé quelques abécédaires… Mais pourquoi deux écritures aussi différentes (linéaire et cunéiforme) se référaient-elles au même ordre ? C’est un des mystères que nous allons étudier.

 

Pourquoi développer deux séquences alphabétiques canoniques – l’ABC et l’HLḤM ?

P.S. : Ils couvraient, en partie, des zones différentes. On sait qu’à Ougarit, notamment, ces deux ordres ont coexisté, même si l’abécédaire était majoritaire. L’halaḥam était lui plus commun dans les écritures dites sudarabiques –même si des découvertes comme celle de cet ostracon montrent qu’il devait être plus répandu… Toutefois, pourquoi et comment ces deux ordres se sont transmis reste une énigme. Des découvertes et de nouvelles analyses de documents déjà connus pourront apporter de nouvelles pistes.

 

> 3 questions à Robert Hawley, spécialiste de l’ougaritique

http://www.orient-mediterranee.com/spip.php?article734

Quelle est la pertinence de l’article récent de Ben Haring ?

R.H. : N’étant pas égyptologue moi-même, je ne suis pas capable d’évaluer la lecture matérielle de l’ostracon proposée dans l’article. Mais si l’interprétation et la datation présentées se confirment (il faut attendre la réaction des égyptologues), cette trouvaille risque d’être très importante, non seulement pour éclaircir l’histoire de l’alphabet, mais aussi et surtout pour mieux comprendre l’histoire d’un des véhicules de sa transmission : en l’occurrence l’ordre HLḤM, attesté (mais très sporadiquement) aussi au Levant et à Ougarit au XIIIe s. avant J.-C.

 

Quel est le lien entre notre ordre alphabétique et le halaḥama ?

R.H.  : L’ordre halaḥama a été retrouvé au XIIIe s. av. J.-C. à Beth Semesh et Ougarit  sous forme cunéiforme, puis sous forme linéaire au Ier millénaire dans le sud de l’Arabie, et plus tard en Ethiopie. Ce qui est curieux pour Ougarit, car ce n’était pas l’ordre classique employé sur place –qui était l’ABG (équivalent local de notre ABC) comme on le voit dans les nombreux exercices d’écriture retrouvés. Le retrouver sur l’ostracon montre que ce second ordre, aujourd’hui moins répandu, avait peut-être une distribution plus large que celle de l’ordre « classique » à cette époque. A Ougarit, ces deux séquences/alphabets sont en tout cas bien cousines. Certaines des lettres sont les mêmes : la moitié environ ont la même forme, d’autres sont tournées dans un autre sens ; et il y a 6 ou 7 signes complémentaires. Toutefois, l’ordre change.

 

Les textes de Serabiṭ el-Khadim et de Wadi el-Hol témoignent-ils de la « mise en place » de l’alphabet ?

R.H.  : Oui et non. « Oui » dans la mesure où ces deux corpus pourraient effectivement nous donner un petit aperçu des différents types d’expériences ou d’innovations (jeux ?) graphiques entreprises alors avec l’alphabet qui naît au cours du IIe millénaire avant notre ère. Mais « non », dans la mesure où l’alphabet à Serabiṭ el-Khadim et à Wadi el-Hol n’a pas encore vraiment fait l’objet d’une « mise en place » au sein d’une société ; il reste une expérience graphique extrêmement marginalisée sur les plans social et intellectuel par rapport aux pratiques lettrées des élites des centres de pouvoir, d’érudition et de vie savante dans les grandes villes. C’était probablement d’ailleurs justement ce contexte socialement marginalisé qui a fourni aux inventeurs de l’alphabet la marge de manœuvre nécessaire pour mener leurs expériences innovatrices. Pour ce qui est du passage d’une expérience graphique socialement marginalisée au véhicule graphique d’un patrimoine littéraire parrainé par les élites de tout un royaume, il fallait attendre le XIIIe s. à Ougarit, quand la chancellerie de ce royaume adopte un alphabet (cunéiforme) comme véhicule graphique privilégié, non seulement pour l’administration du royaume, mais aussi pour les belles lettres.

 

À VOIR ET À ÉCOUTER

> Robert Hawley fait un point sur les débuts de l’alphabet lors d’une conférence vidéo en octobre 2015 consacrée au thème « Écriture, pouvoir, légitimité », visible ici :

http://www.orient-mediterranee.com/spip.php?article2739&lang=fr

 

À LIRE

> Sur l’étude des témoignages écrits des premiers alphabets :

Les trois ouvrages suivant, en français, brossent une histoire écrite par des spécialistes des débuts de l’écriture et des hypothèses entourant les débuts de l’alphabet. Précieux pour refaire un point sur les différents systèmes d’écriture (pictographique, idéographique, alphabétique, etc.) et leur différentes formes (hiéroglyphique, cunéiforme, etc.) :

Des signes pictographiques à l’alphabet, sous la direction de Rina Viers, éditions Karthala, 380 p., 28€.

La Naissance des écritures, du cunéiforme à l’alphabet, collectif, aux éditions du Seuil, 512 p., 65€.

Histoire de l’écriture de l’idéogramme au multimédia, sous la direction de Anne-Marie Christin. Une somme incontournable rééditée en 2012 aux éditions Flammarion, 413 p., 35€.

 

> Un très bon survol sur les origines de l’écriture est disponible ici:

http://oi.uchicago.edu/sites/oi.uchicago.edu/files/uploads/shared/docs/oimp32.pdf

 

> Les Hors-Série de Science & Vie ont consacré leur numéro de juin 2002 (n°219) à ce thème: Sumer, Egypte, Chine, Mayas… comment est née l’écriture

> Les Cahiers de Science & Vie ont fait de même en octobre 2008 (n°107): Ecritures cunéiforme, hiéroglyphique, maya, chinoise, arabe, indienne… Les origines de l’écriture

> Sur l’hypothèse de Ben Haring qui fait d’un ostracon retrouvé dans une tombe égyptienne le premier témoignage d’un texte utilisant l’ordre alphabétique intrigue les égyptologues. La présentation de l’étude du chercheur est présentée (en anglais) sur le site de l’université de Leyde : http://news.leiden.edu/news-2015/the-earliest-known-abcedary.html

 

> Les plus anciennes inscriptions alphabétiques et l’écriture dite protosinaïtique, découvertes à Serabit el-Khadim et Wadi el-Hol, sont présentées ici ainsi que l’hypothèse de l’égyptologue Orly Goldwasser : http://www.academia.edu/6916402/How_the_Alphabet_Was_Born_from_Hieroglyphs

Pour un point archéologique sur le site lui-même, voir: http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1995_num_139_4_15537)

Le développement de l’écriture alphabétique est évoqué ici: https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/l_ecriture_alphabetique_au_proche-orient_ancien.asp

 

> Le développement ultérieur de l’alphabet est notamment rappelé par la BNF :

http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/alphabets/01.htm

Une page sur le protosinaïtique:

http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/phenicie/01.htm)

 

> La prestigieuse université de Cambridge vient de lancer en avril 2016 le projet CREW (« Contexts of and relations between early writing systems », contextes et relations entre les systèmes d’écriture précoces), dirigé par Philippa Steele. Le but : étudier, pendant cinq ans, les anciennes inscriptions du monde égéen, méditerranéen et levantin au IIe et Ier millénaire av. J.-C. pour mieux comprendre comment ils se sont influencés et les effets du contexte sur leur développement :

http://www.classics.cam.ac.uk/Research/projects/contexts-of-and-relations-between-early-writing-systems-crews

https://crewsproject.wordpress.com/2016/04/03/welcome-to-crews/

 

> Concernant le volet neuroscientifique

L’ouvrage Les Neurones de la lecture, de Stanislas Dehaene, éditions Odile Jacob, 480 p., 29 €: C’est la référence. L’ouvrage détaille également le concept des « Proto-lettres » du neurobiologiste Marc Changizi.

Un compte-rendu est publié ici: http://www.risc.cnrs.fr/cr-pdf/1186.pdf

Le neuroscientifique donne actuellement une série de cours (visibles en ligne) au Collège de France sur le thème « Représentation cérébrale des structures linguistiques »:

http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-2016.htm

 


GRAND CHANTIER

Pêche aux trésors dans le Léman

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« Je suis issu d’une famille de pêcheurs exerçant depuis plus de 100 ans. J’ai toujours baigné dans la profession. Enfant, je passais mes vacances sur les marchés où mes parents, poissonniers, vendaient leurs poissons d’eau de mer. Quand je n’aidais pas à la vente, je préparais le poisson à l’entrepôt. Je me sentais plus en vacances lorsque j’étais en classe ! À 16 ans, j’ai récupéré la licence de pêcheurs de mes grands-parents par affiliation, un système de transmission qui n’existe plus de nos jours. Je suis alors devenu le plus jeune pêcheur d’Europe, le tribunal m’ayant même accordé l’émancipation pour monter mon entreprise. En 2000, j’ai racheté l’ancien chantier naval de Meillerie, un village portuaire de la rive française du lac Léman, pour le réhabiliter en pêcherie.

Dans les mailles du…

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5 000 ans d’histoire et de culture à découvrir

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La Vie, en partenariat avec Le Monde, vous invite à découvrir l’Iran, du 7 au 18 novembre 2016 ou du 27 février au 10 mars 2017, en compagnie de Jean-Claude Voisin, docteur en histoire et en archéologie, ancien directeur de l’Institut français de Téhéran (de 2008 à 2012), qui vit en Iran une partie de l’année et travaille au renforcement des liens entre les entreprises iraniennes et françaises. À l’heure où ce pays est réintégré dans le concert des nations, ce voyage – de Téhéran à Chiraz en passant par Hispahan – sera l’occasion d’admirer ses richesses culturelles…

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