Souvenirs : comment le cerveau s’y prend quand on veut oublier ?

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Des chercheurs ont montré comment le cerveau désactive les informations contextuelles d'un souvenir qu'on veut oublier (ici, clichés IRMf, Reigh LeBlanc via Foter.com CC BY-NC).

Des chercheurs ont montré comment le cerveau désactive les informations contextuelles d’un souvenir qu’on veut oublier (ici, clichés IRMf, Reigh LeBlanc via Foter.com CC BY-NC).

Comment fait-on pour oublier volontairement ? La question tient du paradoxe car comment effacer un souvenir précis sans l’évoquer et donc le renforcer dans notre cerveau ? Pourtant notre cerveau sait parfois faire ce tour de passe-passe quand on le lui demande. Et la recherche en psychologie expérimentale a montré que les souvenirs peuvent être atténués volontairement, par des techniques diverses, sans pour autant réussir à mettre au jour les mécanismes cognitifs sous-tendant ces processus.

Or, à grand renfort d’imagerie cérébrale portant sur 25 volontaires, des chercheurs américains de l’université de Princeton et de Dartmouth ont jeté quelque lumière sur la manière dont le cerveau organise l’oubli volontaire d’un souvenir. Comment ? En désactivant progressivement les informations secondaires (images, sons, odeurs, etc.) qui ont accidentellement accompagné ce souvenir, privant celui-ci de tout soutient contextuel. En d’autres termes, pour oublier l’arbre, il faut oublier la forêt qu’il cache…

Oublier des mots volontairement

L’expérience a consisté à soumettre les volontaires, chacun isolément, à une série d’exercices liés à la mémorisation de mots. En substance, il s’agissait de visionner à l’écran d’un ordinateur une liste de 16 mots en disant au volontaire de les mémoriser au mieux (3 secondes par mot) : « enseignant », « Chine », « enfant », etc.

Entre l’affichage de chaque mot, l’écran montrait 3 paysages (sans rapport avec le mot) pendant 1 seconde chacun… Et à la fin de l’exercice il lui était demandé, contrairement à l’instruction du début, d’oublier cette liste. Les processus cognitifs dans le cerveau du volontaire était suivi en temps réel par imagerie (IRMf) montrant l’activation des réseaux de neurones sollicités durant l’exercice.

Le cerveau torpille le paysage des souvenirs

Les chercheurs ont alors observé comment l’instruction d’oubli donné aux volontaires agissait sur ce réseau en atténuant l’activation des zones liées non pas au souvenir des mots eux-mêmes mais aux éléments contextuels (images) qui avaient accompagné la projection des mots, bien que ceux-ci n’avaient pas de rapport logique ou sémantique avec les mots.

Telle est donc la technique qu’utilise le cerveau pour surmonter le paradoxe d’un souvenir qu’on renforcerait en voulant l’oublier : ne pas s’attaquer de front au souvenir, mais plutôt torpiller son contexte.

Souvenez-vous de ceci mais oubliez cela !

En réalité, l’expérience était un peu plus complexe : chaque volontaire subissait 8 tests différents, chacun composé non pas d’une série de 16 mots (avec images) mais de deux séries, entrecoupées d’instructions d’oubli ou de mémorisation à la fin de chaque série – instructions données dans un ordre aléatoire afin que le volontaire ne puisse anticiper la tâche mentale à accomplir (se souvenir ou oublier).

Cela leur a permis de bien distinguer l’évolution dans le temps de l’activation des réseaux des informations contextuelles (images) dans le cas où la personne veut se souvenir des mots et dans le cas où il veut les oublier.

Un début d’éclaircissement du mécanisme

Dans tous les cas, les chercheurs ont observé que, statistiquement, l’activation des zones liées aux informations contextuelles (images) diminue quand le volontaire veut oublier et augmente quand il veut s’en rappeler.

Néanmoins, le mécanisme cognitif à la base de cette atténuation est méconnu. Notre système cognitif dirige-t-il l’attention sur d’autres informations de même nature que les informations contextuelles pour “assécher” celles-ci (principe de remplacement) ou bien arrive-t-il à diminuer leur activité sans invoquer d’autres pensées ? La route est encore longue pour percer le secret de la mémoire et de l’oubli…

–Román Ikonicoff

 

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