Super télescope européen : le rêve devient réalité

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Le E-ELT (European Extremely Large Telescope) promet d'être, en 2024, le plus grand télescope optique et infrarouge de la planète. La coupole du télescope mesurera 90 m de hauteur, et abritera le télescope de 39 mètres de diamètre. Document ESO.

Le E-ELT (European Extremely Large Telescope) promet d’être, en 2024, le plus grand télescope optique et infrarouge de la planète. La coupole du télescope mesurera 90 m de hauteur, et abritera le télescope de 39 mètres de diamètre. Document ESO.

Ils en ont rêvé des décennies durant, cette fois, c’est fait : les astronomes, et singulièrement les astronomes européens, auront leur télescope super géant. Le E-ELT – European Extremely Large Telescope – est désormais en construction…
Après des années de report – faute de financement assuré – après de nombreux communiqués de presse annonçant son « lancement imminent », après, finalement, un lancement officiel en 2014, le super télescope, financé pour environ un milliard d’euros, prend forme, en pièces détachées, un peu partout en Europe… Après l’arasement de la montagne qui va accueillir l’instrument au Chili, le Cerro Armazones, après le tracé de la route de 25 kilomètres, depuis le Cerro Paranal, qui mènera jusqu’à l’observatoire, après les premiers contrats pour la fabrication des premiers instruments d’observation, Micado, Harmoni, Metis et Maory, l’Observatoire Européen Austral (ESO) vient de signer l’un des contrats principaux du E-ELT : 400 millions d’euros aux entreprises italiennes Astaldi et Cimolai pour la fabrication de la monture du télescope et de la coupole !

Le Cerro Armazones, une montagne de 3000 mètres de haut isolée dans le désert d'Atacama, a été découverte par les astronomes au début des années 1980, lorsque l'Europe cherchait un site pour installer son Very Large Telescope (VLT). Ce site astronomique exceptionnel a d'abord été retenu par les Américains pour leur TMT, avant qu'ils ne décident d'installer leur télescope géant à Hawaii. Revenu à l'Europe, le Cerro Armazones a été arasé, et est désormais relié par une route au Cerro Paranal, où se trouve le VLT. Photo ESO/G.Hudepohl.

Le Cerro Armazones, une montagne de 3000 mètres de haut isolée dans le désert d’Atacama, a été découverte par les astronomes au début des années 1980, lorsque l’Europe cherchait un site pour installer son Very Large Telescope (VLT). Ce site astronomique exceptionnel a d’abord été retenu par les Américains pour leur TMT, avant qu’ils ne décident d’installer leur télescope géant à Hawaii. Revenu à l’Europe, le Cerro Armazones a été arasé, et est désormais relié par une route au Cerro Paranal, où se trouve le VLT. Photo ESO/G.Hudepohl.

Reste désormais à signer le plus prestigieux contrat pour un télescope : celui du polissage de son immense miroir mosaïque… Ira t-il à la Reosc, comme une majorité de miroirs astronomiques géants contemporains ? La société française, qui a déjà poli les six miroirs de 8,2 m du réseau VLT (Very Large Telescope) et des télescopes Gemini North et South et la mosaïque du miroir de 10,4 m du télescope Grantecan, a signé en 2015 un contrat de fabrication de l’un des miroirs adaptatifs de l’E-ELT.
Ce « contrat du siècle » pour le miroir de 39,3 mètres, composé de 798 segments de 1,4 mètre chacun, devrait être signé dans quelques mois.

Le miroir principal du E-ELT doit compter, en tout, 798 miroirs hexagonaux de 1.4 mètre de diamètre. Les premiers tests sont menés par les opticiens - ici sur quatre segments - avant la signature prochaine du "contrat astronomique du siècle". Photo ESO.

Le miroir principal du E-ELT doit compter, en tout, 798 miroirs hexagonaux de 1.4 mètre de diamètre. Les premiers tests sont menés par les opticiens – ici sur quatre segments – avant la signature prochaine du “contrat astronomique du siècle”. Photo ESO.

Quant au télescope super géant… Il devrait voir le ciel pour la première fois depuis sa montagne haute de 3000 mètres en 2024, si le financement total du projet est assuré. Dans le domaine optique et infrarouge, on aura jamais fait plus grand, plus massif, plus puissant… L’immense coupole qui abritera le E-ELT et qui reprend avec bonheur le design des coupoles d’observatoires d’antan, mesurera 90 mètres de haut et 85 mètres de diamètre, un véritable monument… Le télescope, quant à lui, pèsera 3000 tonnes. Son optique adaptative lui permettra de corriger en temps réel et en permanence la turbulence atmosphérique, et les images du ciel qu’il offrira seront quinze fois plus précises que celles que donne aujourd’hui le télescope spatial Hubble, ou qu’offrira son successeur, le futur télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope) et son miroir de 6,5 mètres.
Au fond, le E-ELT n’a qu’un seul défaut, aujourd’hui : le télescope super géant européen est en retard sur la concurrence. En cause, la valse-hésitation du Brésil à entrer dans l’ESO, avec sa dot de 300 millions d’euros, qui manquent toujours cruellement au projet… A l’origine du projet, au début des années 2000, le E-ELT devait entrer en service, juste après le JWST, au tournant des années 2020. Le JWST doit commencer à observer le ciel en 2019, et les concurrents du E-ELT, le Giant Magellan Telescope (GMT, 22 mètres) et le Thirty Meter Telescope (TMT, 30 mètres), vers 2022.
La première lumière du E-ELT est prévue pour 2024, dans huit ans, si tout va bien. Avec ces différents et nouveaux télescopes, sur Terre et dans l’espace, les deux grands domaines de l’astronomie contemporaine, la cosmologie et l’exoplanétologie, vont dans tous les cas connaître une révolution au cours de la prochaine décennie.
Et quels que soient le nombre et l’ordre d’arrivée de ces futurs géants, le cosmos leur offrira des champs infinis à arpenter, à explorer, à révéler.
Serge Brunier

Le blog de Mathieu Grousson : Particule X, ou comment les statistiques jouent avec nos nerfs

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Les écrans de contrôle du détecteur CMS (crédit : Cern)

Les écrans de contrôle du détecteur CMS (crédit : Cern)

Quel est le sens du mystérieux signal observé au LHC en 2015 et rendu public le 15 décembre dernier ? Est-ce le signe qu’une nouvelle particule inconnue a commencé à se manifester au sein des détecteurs géants du Cern ? Ou bien s’agit-il d’une simple fluctuation statistique des données sans la moindre signification physique ? Pour l’heure, il est impossible de répondre. Et seule l’analyse de données supplémentaires permettra de conclure. Dans le meilleur des cas d’ici l’été. A moins que la nature ne se montre spécialement joueuse, s’ingéniant à brouiller les cartes.

Le meilleur des cas correspond naturellement à celui où l’excès observé constituerait le début d’un véritable signal. Un simple doublement des données par rapport à celles enregistrées l’année dernière permettrait alors d’annoncer une découverte. Ce qui, au train où vont les choses, pourrait advenir courant juillet, voire dès le mois de juin.

A l’inverse, si le signal rendu public avant Noël s’avérait n’être qu’un mirage, il faudrait sans doute plus qu’un doublement des données pour pouvoir l’affirmer. En effet, même en admettant que les données de 2016 ne contiennent aucune trace de l’excès à 750 GeV, l’addition des données de 2015 et 2016 continuerait de faire apparaître un petit quelque chose laissant croire à la possibilité d’un signal.

Les physiciens devront peut-être patienter au-delà de 2016 pour annoncer une révolution… ou rien du tout

Certes, comme l’indique un expérimentateur, « si on augmente la statistique d’un facteur deux et que le signal observé diminue, c’est presque mort… » Mais tout est dans le presque. Car deux autres cas sont possibles. Imaginons que véritable signal il y ait, mais que celui-ci se soit manifesté en 2015 associé à une légère fluctuation positive. Dans ce cas, l’ajout de données supplémentaires devrait voir sa signifiance statistique augmenter, mais à un rythme moindre que ne le laisse présager les informations collectées l’année dernière. Et ce, d’autant plus qu’il faut également envisager la possibilité d’une fluctuation basse d’un véritable signal dans le lot de données à venir !

Comme le précise une autre spécialiste, « la seule façon de distinguer les trois dernières possibilités est tout simplement d’accumuler plus de données qu’un simple doublement par rapport à 2015. » Combien exactement ? D’aucuns avancent qu’un facteur 10 sera peut-être nécessaire, ce qui pourrait alors conduire les physiciens du Cern à devoir patienter au-delà de 2016 pour annoncer une révolution… ou rien du tout.

« Personnellement, j’aimerais bien que l’on puisse annoncer une conclusion définitive au plus tard lors de la Conférence internationale de physique des hautes énergies qui se tiendra du 3 au 10 août à Chicago », confie un responsable de l’expérience CMS. Et d’ajouter, stoïque : « Mais l’échelle de temps des physiciens n’est pas celle des médias. Nous savons ce que nous avons à faire et sommes parfaitement capables d’attendre plus longtemps s’il le faut. » Sans doute. Même si, comme le confie l’une de ses collègues, « à la vérité, on balise tous de voir ce truc disparaître !! »

— Mathieu Grousson

 

Mathieu Grousson est un journaliste collaborateur de Science & Vie spécialiste de la physique fondamentale. Suivez son blog “Particule X” :

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