Le blog de Mathieu Grousson : Pourquoi la découverte de la particule X ne ressemblerait à aucune autre

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La découverte du boson Z, en 1983 au Cern, était attendue par les physiciens. (photo : Cern)

Contrairement à celle de la particule X, la découverte du boson Z (ici sa trace enregistrée en 1983 au Cern), était attendu par les physiciens. (photo : Cern)

Pour l’heure, la particule X n’a pas encore fini de prendre forme dans les tréfonds du LHC, l’accélérateur géant de particules du Cern, près de Genève. Mais une chose est déjà certaine, si elle est bientôt confirmée, sa découverte fera l’effet d’une déflagration comme il en survient rarement en physique.

Certes, la découverte du boson de Higgs, en 2012 au LHC, a constitué un véritable triomphe de la pensée. Avec lui, les physiciens mettaient la main sur la dernière pièce manquante du modèle standard, l’actuelle théorie des particules élémentaires. Pour autant, cette particule qui donne leur masse à toutes les autres était prédite et attendue depuis 1964. L’inverse d’une surprise ! Idem avec les bosons W et Z, vecteurs de l’interaction faible, mis en évidence en 1983 au Cern, et qui ont valu à Simon van der Meer et Carlo Rubbia le Nobel l’année suivante. S’ils constituaient l’une des preuves les plus éclatantes de la validité du modèle standard, c’est plutôt leur absence qui aurait suscité l’étonnement. A l’inverse, le X n’était attendu par personne.

De ce point de vue, sa découverte ressemble davantage à celle du quark beauté, en 1977 au Fermilab, aux Etats-Unis. A l’époque, les physiciens avaient identifié l’ensemble des membres des deux premières générations de particules de matière, chacune constituée de deux quarks, un lepton lourd, tel l’électron, et un neutrino. Et rien n’indiquait qu’il en exista d’autres. Mais rapidement, le quark beauté s’est avéré être le premier représentant d’une troisième génération identique aux deux autres et aujourd’hui complète. Quand il apparaît clairement que le X n’entre dans aucune case prédéfinie.

Depuis plus de 40 ans, aucune détection de particule n’a bouleversé le monde des physiciens

Ainsi, il faut remonter à 1974 pour voir la détection d’une nouvelle particule mettre sans dessous-dessous la petite communauté des théoriciens pour lui forger une identité sur le papier. Les expérimentateurs du SLAC, l’accélérateur de l’Université de Stanford, et leurs collègues du Laboratoire national de Brookhaven, près de New York, venaient de mettre simultanément la main sur une mystérieuse particule baptisée J/psi. Cela dit, il n’a pas fallu longtemps pour réaliser que le J/psi était constitué d’un quark charmé et de son antiparticule. Or leur existence avait été prédite quatre ans plus tôt afin de parfaire l’élégance formelle des équations du modèle standard. Une découverte qui a permis de désigner ce dernier comme théorie des particules élémentaires en titre, et de reléguer ses concurrents d’alors dans les oubliettes de l’histoire.

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Samuel Ting, le découvreur du J/Psi, devant le graphe de la découverte, avec son équipe (photo : DR).

En fait, aux dires de nombreux physiciens, seule la mise en évidence du muon dans les rayons cosmiques, en 1936, par Carl Anderson, se rapproche de celle du X par son caractère stupéfiant. Ainsi, à l’annonce de la découverte, à une époque où les spécialistes pensaient avoir mis la main sur la totalité des particules élémentaires qui se résumait alors au proton, au neutron et l’électron, le physicien Isidor Isaac Rabi se serait exclamé : « Mais qui a commandé ça !? » Cela dit, soupçonné un temps d’être responsable de la cohésion des protons et des neutrons au sein du noyau atomique, le muon s’est vite avéré être un cousin obèse de l’électron.

Quatre ans plus tôt, Carl Anderson avait par ailleurs découvert une autre particule dans les rayons cosmiques : le positron, semblable en tous points à l’électron, mais muni d’une charge électrique opposée. L’existence de cette antimatière, miroir de la matière, était une conséquence immédiate de l’équation proposée par Paul Dirac en 1928, et imposa la vision d’un univers particulaire régi par des équations « élégantes ». Alors que le X nous parle d’un monde plus compliqué, plus inaccessible. Comme nous le confiait un physicien à propos du X pour paraphraser Rabi, « mais qui a fait les plans !? »

La particule X laisse béantes bon nombre de failles de la physique fondamentale

De fait, les centaines d’articles théoriques consacrés au X depuis le 15 décembre en sont la preuve : il n’est a priori la conséquence naturelle d’aucune théorie proposée depuis 40 ans pour résoudre les problèmes internes du modèle standard. De plus, il semble laisser béantes bon nombre de failles de la physique fondamentale. A l’inverse, en 1923, la découverte du photon, particule de lumière, par Arthur Compton, contribuait à dégager l’horizon que la mécanique quantique alors naissante était en train de révéler. Tout comme la découverte de l’électron, en 1897, marquait le début enthousiaste de l’ère de l’exploration de la structure intime de la matière.

A l’inverse, avec le X, les physiciens sont désormais fébriles : Quelle est sa nature ? Pourquoi ne ressemble-t-il à rien de connu ? De quels messages est-il finalement porteur ? Une chose est certaine, si son existence est confirmée, on peut s’attendre à un bouleversement dans notre connaissance de l’infiniment petit, dont les conséquences, à l’aune des découvertes passées, sont impossibles à mesurer.

— Mathieu Grousson

 

Mathieu Grousson est un journaliste collaborateur de Science & Vie spécialiste de la physique fondamentale. Suivez son blog “Particule X” :

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S&V 1152 - LHC boson de Higgs

  • La matière va enfin parler S&V n°1129 (2011). Moment clou : tout le monde a les yeux rivés sur le LHC, qui confirmera enfin l’existence du boson de Higgs, des décennies après sa théorisation.

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  • LHC, l’accélérateur de l’extrême S&V n°1013 (2002). L’impatience règne chez les physiciens : en cours de construction à cheval entre la France et la Suisse, le grand collisionneur de hadrons est le plus grand outil scientifique jamais réalisé, qui repoussera les frontières de la physique.

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Quand nous lisons sur un écran, nous pensons autrement !

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Lire sur un écran ou sur une feuille de papier, cela n'est pas pareil (Henry Hagnäs via Flickr CC BY 2.0)

Lire sur un écran ou sur une feuille de papier, cela n’est pas pareil (Henry Hagnäs via Flickr CC BY 2.0)

Notre interaction avec les smartphones, tablettes et ordinateurs modifie notre manière de penser, on s’en doutait… Car  la logique des interfaces numériques, même si elle est conçue pour s’adapter au mieux à notre comportement naturel, nous oblige également à nous adapter. Ce en termes de gestes mais également de raisonnement, comme le prouve une nouvelle étude expérimentale.

Menée par des chercheurs de l’université de Carnegie Mellon et du Darmouth College (États-Unis), l’étude clarifie et quantifie l’amplitude des changements cognitifs s’opérant en nous dans la simple tâche consistant à lire des informations sur un écran plutôt que sur du papier. Résultat : à l’écran nous nous attachons plus aux détails concrets du texte, sur le papier, nous intégrons mieux ses enjeux abstraits.

Une nouvelle lue à l’écran ou sur papier, quelle différence ?

L’expérience menée sur 300 volontaires âgés de 20 à 24 ans comportait plusieurs exercices testant leurs capacités d’assimilation d’informations lues. Il s’agissait concrètement de faire lire des textes inscrits soit sur un écran de tablette ou d’ordinateur (50% des volontaires), soit sur une feuille imprimée (les autres 50%), puis de mesurer le niveau de compréhension de chaque volontaire, par exemple au moyen d’un QCM (sur feuille) portant sur le contenu de ces textes.

Ainsi dans une des expériences, 81 volontaires devaient lire une nouvelle courte de l’auteur américain David Sedaris racontant les souvenirs d’une visite dans la maison familiale par un narrateur (fictif). Le choix de cette nouvelle a été dicté par la présence dans le récit de très riches détails mais également d’inférences plus profondes sur l’importance de cette visite dans la construction psychologique du personnage – un type de récit que l’on trouve également dans les premières pages de La recherche du temps perdu de Proust.

Les uns plutôt attachés aux détails, les autres aux enjeux de fond

Le texte était présenté à chaque participant sur l’un des deux supports, l’écran ou le papier, de manière homogénéisé : en format numérique PDF et dans la version imprimée de ce format.

Après lecture, le QCM comportait 24 questions à choix multiples dont 12 sollicitant la mémoire des détails et 12 sollicitant une compréhension des enjeux plus abstraits de l’histoire. Le résultat a été le suivant : les volontaires ayant lu la nouvelle sur papier ont obtenu un score de 66% de réponses correctes (en moyenne) pour les questions abstraites, contre 48% pour les lecteurs sur écran. Inversement, pour les questions concrètes, les lecteurs sur écran ont obtenu un score de 73%, contre 58% pour les lecteurs sur papier.

Une lacune dans l’interprétation globale

Une deuxième expérience a consisté à présenter à 60 volontaires (autres que les précédents) quatre longs tableaux de caractéristiques techniques de voitures japonaises (imaginaires) – “dimensions de l’habitat”, “consommation d’essence”, etc. – avec une colonne indiquant pour chaque caractéristique sa valeur – “moyen”, “bon”, “excellent”. Les participants avaient deux minutes pour déterminer lequel de ces quatre modèles était le meilleur.

Bien sûr, sous la masse d’informations présentée dans les tableaux, un des modèles était clairement meilleur que les trois autres, ce qui pouvait être déduit rapidement à condition de focaliser son attention uniquement sur la colonne des valeurs et en évaluant au juché le nombre de mentions “excellent” pour chaque modèle… Les lecteurs sur papier ont obtenu 66% de réponses correctes, contre 43% pour les lecteurs sur écran, indiquant aux chercheurs une meilleure compétence dans l’interprétation globale des informations de la part des lecteurs sur papier.

La capacité d’abstraction malmenée

Les chercheurs ont mené d’autres expériences de ce type, avec des résultats comparables, indiquant une nette différence entre les performances cognitives liées à la lecture sur papier et à celle sur écran. Toutes ces expériences ont été construites sur la base d’une théorie de psychologie expérimentale, dite Théorie des niveaux de représentation ou Construal level theory, permettant notamment de distinguer le niveau (concret ou abstrait) de raisonnement d’un individu.

Aussi, l’interprétation globale de ces tests par les chercheurs est que la lecture sur écran augmente les performances de la pensée concrète attachée aux détails autant qu’elle diminue la capacité d’abstraction des individus. A bon entendeur…

–Román Ikonicoff

 

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  • Libre arbitre : notre cerveau décide avant nous – S&V n°1057 – 2005 – L’un des grands apprentissages issues des sciences cognitives est l’importance des mécanismes inconscients et hyper-rapides dans notre être au monde. Au point de questionner notre libre arbitre.

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Couple : retrouver les mots à deux

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Préférer les sentiments

« Quand on en reste aux faits ou même aux opinions, on ne se dévoile pas et la relation s’appauvrit, note Erwan Launay, qui anime avec son épouse Aude des sessions Vivre et aimer. Ce que l’autre vit, ce qui lui fait plaisir, ce qui le dérange : la communication se situe là, à…

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