Quand nous lisons sur un écran, nous pensons autrement !

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Lire sur un écran ou sur une feuille de papier, cela n'est pas pareil (Henry Hagnäs via Flickr CC BY 2.0)

Lire sur un écran ou sur une feuille de papier, cela n’est pas pareil (Henry Hagnäs via Flickr CC BY 2.0)

Notre interaction avec les smartphones, tablettes et ordinateurs modifie notre manière de penser, on s’en doutait… Car  la logique des interfaces numériques, même si elle est conçue pour s’adapter au mieux à notre comportement naturel, nous oblige également à nous adapter. Ce en termes de gestes mais également de raisonnement, comme le prouve une nouvelle étude expérimentale.

Menée par des chercheurs de l’université de Carnegie Mellon et du Darmouth College (États-Unis), l’étude clarifie et quantifie l’amplitude des changements cognitifs s’opérant en nous dans la simple tâche consistant à lire des informations sur un écran plutôt que sur du papier. Résultat : à l’écran nous nous attachons plus aux détails concrets du texte, sur le papier, nous intégrons mieux ses enjeux abstraits.

Une nouvelle lue à l’écran ou sur papier, quelle différence ?

L’expérience menée sur 300 volontaires âgés de 20 à 24 ans comportait plusieurs exercices testant leurs capacités d’assimilation d’informations lues. Il s’agissait concrètement de faire lire des textes inscrits soit sur un écran de tablette ou d’ordinateur (50% des volontaires), soit sur une feuille imprimée (les autres 50%), puis de mesurer le niveau de compréhension de chaque volontaire, par exemple au moyen d’un QCM (sur feuille) portant sur le contenu de ces textes.

Ainsi dans une des expériences, 81 volontaires devaient lire une nouvelle courte de l’auteur américain David Sedaris racontant les souvenirs d’une visite dans la maison familiale par un narrateur (fictif). Le choix de cette nouvelle a été dicté par la présence dans le récit de très riches détails mais également d’inférences plus profondes sur l’importance de cette visite dans la construction psychologique du personnage – un type de récit que l’on trouve également dans les premières pages de La recherche du temps perdu de Proust.

Les uns plutôt attachés aux détails, les autres aux enjeux de fond

Le texte était présenté à chaque participant sur l’un des deux supports, l’écran ou le papier, de manière homogénéisé : en format numérique PDF et dans la version imprimée de ce format.

Après lecture, le QCM comportait 24 questions à choix multiples dont 12 sollicitant la mémoire des détails et 12 sollicitant une compréhension des enjeux plus abstraits de l’histoire. Le résultat a été le suivant : les volontaires ayant lu la nouvelle sur papier ont obtenu un score de 66% de réponses correctes (en moyenne) pour les questions abstraites, contre 48% pour les lecteurs sur écran. Inversement, pour les questions concrètes, les lecteurs sur écran ont obtenu un score de 73%, contre 58% pour les lecteurs sur papier.

Une lacune dans l’interprétation globale

Une deuxième expérience a consisté à présenter à 60 volontaires (autres que les précédents) quatre longs tableaux de caractéristiques techniques de voitures japonaises (imaginaires) – “dimensions de l’habitat”, “consommation d’essence”, etc. – avec une colonne indiquant pour chaque caractéristique sa valeur – “moyen”, “bon”, “excellent”. Les participants avaient deux minutes pour déterminer lequel de ces quatre modèles était le meilleur.

Bien sûr, sous la masse d’informations présentée dans les tableaux, un des modèles était clairement meilleur que les trois autres, ce qui pouvait être déduit rapidement à condition de focaliser son attention uniquement sur la colonne des valeurs et en évaluant au juché le nombre de mentions “excellent” pour chaque modèle… Les lecteurs sur papier ont obtenu 66% de réponses correctes, contre 43% pour les lecteurs sur écran, indiquant aux chercheurs une meilleure compétence dans l’interprétation globale des informations de la part des lecteurs sur papier.

La capacité d’abstraction malmenée

Les chercheurs ont mené d’autres expériences de ce type, avec des résultats comparables, indiquant une nette différence entre les performances cognitives liées à la lecture sur papier et à celle sur écran. Toutes ces expériences ont été construites sur la base d’une théorie de psychologie expérimentale, dite Théorie des niveaux de représentation ou Construal level theory, permettant notamment de distinguer le niveau (concret ou abstrait) de raisonnement d’un individu.

Aussi, l’interprétation globale de ces tests par les chercheurs est que la lecture sur écran augmente les performances de la pensée concrète attachée aux détails autant qu’elle diminue la capacité d’abstraction des individus. A bon entendeur…

–Román Ikonicoff

 

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  • Votre cerveau vous trompe – S&V n°1044 – 2004 – Notre cerveau présente des failles : mémoire trompeuse, fausses perceptions, raisonnements biaisés… Comment l’univers de la publicité en exploitent certaines (+ 20 expériences qui vous feront douter de vous-même).

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  • Libre arbitre : notre cerveau décide avant nous – S&V n°1057 – 2005 – L’un des grands apprentissages issues des sciences cognitives est l’importance des mécanismes inconscients et hyper-rapides dans notre être au monde. Au point de questionner notre libre arbitre.

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