Echec du lancement de deux satellites Galileo : le rapport de la commission d’enquête

Standard
Les systèmes de positionnement par satellite sont devenus indispensables (Ph. Aveynin via Flickr CC BY 2.0)

L’Europe attend son propre système de positionnement par satellite, concurrent du GPS (Ph. Aveynin via Flickr CC BY 2.0)

La commission d’enquête indépendante sur l’incident ayant conduit le 22 août dernier à la perte de deux satellites du système de navigation Galileo, le « GPS européen », a rendu son verdict : c’est la fusée (lanceur) Soyouz, plus précisément son troisième étage, qui a mal fonctionné, larguant les deux satellites Sat-5 et Sat-6 sur une orbite erronée. La cause est entendue puisqu’elle a été validée par les Russes et les Européens : le constructeur du troisième étage de la fusée, la société NPO Lavotchkin, a eu la malencontreuse idée de fixer sur un même bloc les tuyères du système de propulsion à l’hydrazine, chaud, et celles du système de refroidissement à l’hélium. La poussée des moteurs n’a donc pas eu l’efficacité voulue et les deux satellites se sont retrouvés sur une orbite elliptique à 17 000 km d’altitude au lieu de l’orbite circulaire à 23 000 km d’altitude prévue. En pure perte.

Une erreur à 150 millions d’euros qui prive momentanément l’Europe de son cinquième et sixième satellites d’une constellation qui devrait au final en compter 27, assurant son indépendance vis-à-vis du système GPS américain et du système GLONASS russe. Avec cette nouvelle déconvenue, le programme Galileo, financé par la Commission européenne, prend encore du retard alors que dans le cahier des charges initial, établi en 1999, il devait être opérationnel en 2010 pour un coût de l’ordre de 3 milliards d’euros. Aujourd’hui, la fin du programme est repoussée à 2019 et son budget est estimé à quelque 5 milliards d’euros.

Le programme Galileo demeure viable techniquement et commercialement

Mais si Galileo traine avec lui une mauvaise réputation, à cause des retards à l’allumage dus à d’interminables négociations entre Etats membres et avec les Etats-Unis, cet incident ne remet pas en cause sa viabilité ni son intérêt : prévu pour un usage strictement civil – contrairement au GPS qui se décline aussi dans une version militaire – il devrait être techniquement et commercialement une réussite. Avec un pouvoir de résolution de l’ordre de la dizaine de mètres (gratuit) voire du mètre (payant), alors que le système américain réserve ce service aux militaires, il pourrait engranger quelque 250 milliards d’euros de bénéfice, une fois totalement opérationnel. De quoi faire oublier (dans 10 ans) les 2 milliards d’euros de dépassement de budget.

Mais pour l’heure, les questions sont pragmatiques : comment remplacer les deux satellites perdus ? L’une des options serait de lancer rapidement deux nouveaux satellites du programme, l’Europe ayant prévu dès le départ d’en construire 3 supplémentaires pour pallier aux risques de ratés. L’autre option serait l’achat de satellites à des sociétés de l’internet. Car, ironie de l’affaire, Sat-5 et Sat-6 n’étaient pas assurés auprès de compagnies privées.

R.I.

> Lire également dans les Grandes Archives de S&V :

S&V1064

  • GPS : comment ça marche – S&V n°1053 – Comment peut-on localiser à un mètre près, en longitude, latitude et altitude, tout instrument portant un « GPS » ? Grâce à Einstein et aux satellites.

S&V1053

  • GPS européen : satellite Galileo – S&V n°1015 – Les Etats-Unis s’y opposaient et les Etats membres de l’Union européenne tergiversaient entre eux. Pourtant, ça a marché.

S&V1015

 

 

 

 

Les prix Nobel de médecine, de physique et de chimie 2014

Standard
L'Académie royale des sciences de Suède, qui décerne les prix Nobel de Physique et de Chimie / Ph. Dontworry via Wikimedia Commons, CC BY SA 2.5

L’Académie royale des sciences de Suède, qui décerne les prix Nobel de Physique et de Chimie / Ph. Dontworry via Wikimedia Commons, CC BY SA 2.5

Cette semaine, les lauréats des prix Nobel 2014 sont dévoilés à Stockholm. Décernés à la mémoire d’Alfred Nobel, l’inventeur de la dynamite (qu’il breveta en 1867),  ils récompensent les accomplissements qui ont « procuré le plus grand bénéfice à l’humanité ». Voici les lauréats des troix Nobels scientifiques du cru 2014.

Prix Nobel de Médecine : le système de positionnement spatial du cerveau dévoilé

C’est une sorte de «GPS intérieur» qu’ont découvert les trois lauréats du prix Nobel de médecine. L’américain John O’Keefe, ainsi que le couple norvégien May-Britt Moser et Edvard Moser ont mis en lumière l’existence d’un réseau de neurones dans le cerveau profond qui permet de se situer dans l’espace et de se déplacer tout en gardant conscience de notre position.

Ce système de positionnement et de navigation est l’une des fonctions cérébrales les plus complexes, puisqu’il fait recours à la fois à des informations multisensorielles (visuelles, vestibulaires, tactiles…), à la mémoire et au mouvement. Pour simplifier, il nécessite de construire un plan intérieur de l’environnement qui nous entoure, ainsi que d’avoir un «sens de l’emplacement».

Ce sont exactement ces deux capacités que les neuroscientifiques récompensés par l’Institut Karolinska de Stockholm ont expliqué par leurs travaux sur les rats, qui forment deux pièces complémentaires d’un puzzle. La première : John O’Keefe, à l’University College de Londres, a découvert en 1971 que certains neurones de l’hippocampe s’activent lorsqu’un rat se trouve à un certain emplacement dans une pièce : ce sont les neurones dits «cellules de lieu», utilisés pour bâtir un plan mental de l’environnement.

La deuxième pièce a été apportée par le couple Moser en 2005, qui a révélé l’existence d’un de système de coordonnées spatiales dans le cerveau, au niveau du cortex enthorinal, une structure cérébrale adjacente à l’hippocampe. Ce système repose sur des neurones appelés «cellules de grille», disposés selon une sorte de grille hexagonale, grâce à laquelle l’animal de peut s’orienter dans le plan mental qu’il a bâti à l’aide des cellules de lieu.

> Lire également dans les Grandes Archives de S&V :

S&V 1141 neurones

Prix Nobel de Physique : la mise au point de la LED bleue, base d’une nouvelle source d’éclairage peu coûteuse et extrêmement lumineuse

Aujourd’hui, de plus en plus de sites et objets sont éclairés par des lampes à LED, la source la plus lumineuse et la moins coûteuse qu’il existe. Avec près de 300 lumen produits par watt d’électricité consommé, elles écrasent en efficience à la fois les ampoules à incandescence (16 lum/w) et les lampes fluocompactes (70 lum/w). Sans compter leur durée de vie extraordinaire : 100 000 heures (respectivement cent et dix fois plus que leurs concurrentes). Sachant qu’un quart de l’électricité mondiale sert à l’éclairage, on saisit la portée des bénéfices qui en découlent.

Si les diodes électroluminescentes (LED en anglais, pour light-emitting diod) avaient déjà été mises au point depuis les années Soixante, elles n’existaient qu’en vert et rouge. Or, pour produire de la lumière blanche, il manquait une couleur au trio : la LED bleue. Un écueil important, car la lumière bleue est composée de photons à haute énergie, difficiles à obtenir.

C’était sans compter sur la persévérance des chercheurs japonais Isamu Akasaki et Hiroshi Amano (Université Nagoya) et de l’américain Shuji Nakamura (Université de Californie à Santa Barbara), récompensés cette année par l’Académie royale des sciences suédoise. Au terme de nombreuses années d’expériences dans leurs laboratoires, l’équipe japonaise d’un côté et le chercheur américain de l’autre sont parvenus tous deux à produire une LED bleue en 1992.

Comment ont-ils fait ? Pour donner une LED, il faut superposer des couches d’un matériau semi-conducteur « dopées », c’est-à-dire enrichies en électrons (couches p) et appauvries en électrons (couches n) : elles produisent ainsi des photons, autrement dit de la lumière. Les deux équipes concurrentes ont misé sur le nitrure de gallium (GaN), un semi-conducteur émettant de la lumière bleue. Après avoir réussi à produire des couches de cristaux de GaN les plus pures qui soient, il fallait trouver le meilleur moyen de les doper. La formule gagnante ? L’addition de silicium à la couche n et de magnésium à la couche p. Par la suite, la puissance de la LED bleue a été maximisée en ajoutant de couches d’indium et d’aluminium de l’épaisseur de quelques nanomètres.

Le inventions des lauréats ont tout simplement révolutionné les technologies d’éclairage actuelles. Non seulement les ampoules à LED remplacent progressivement les incandescentes et fluocompactes, elles peuplent également les écrans des téléphones, télévisions et ordinateurs (technologie OLED) et ont permis le développement des disques Blu-ray, fondés sur la lumière laser bleue, tellement fine qu’elle permet de stocker des informations avec une compacité inouïe.

> Lire également dans les Grandes Archives de S&V :

S&V 1121 LED

Prix Nobel de chimie : la microscopie à fluorescence permet de voir l’invisible

Grâce à eux, la microscopie est devenue « nanoscopie » : elle ne s’arrête plus aux objets de l’ordre du micromètre, elle permet de voir à l’échelle du nanomètre. Les lauréats du prix Nobel de chimie de cette année ont conçu des méthodes capables de contourner l’un des bastions de l’optique, la limite d’Abbe. Démontrée en 1837 par le microscopiste Ernst Abbe, elle stipule qu’il est impossible pour un microscope optique de discerner des objets plus petits que 0,2 micromètre (soit la moitié de la longueur d’onde de la lumière visible). Ainsi, les virus, ou les protéines, n’auraient jamais pu être visibles.

Cette barrière est tombée lorsque la microscopie a fait appel à des molécules fluorescentes. La fluorescence est une propriété physique de certaines molécules qui émettent des photons (donc de la lumière) lorsqu’elles subissent stimulation lumineuse qui excite leurs électrons. Afin d’employer la fluorescence en microscopie, deux stratagèmes différents ont été élaborés, tous deux primés par l’Académie royale des sciences suédoise.

Le premier, mis au point en 2000 par le biophysicien allemand Stefen Hell, s’appelle microscopie STED, ou déplétion par émission stimulée (un type de microscopie à balayage) : la résolution atteinte est de l’ordre de quelques nanomètres seulement. C’est ce qu’on appelle une super-résolution.

En bref, la structure observée est teintée avec des substances fluorescentes. Ensuite, un faisceau lumineux balaye sa surface, excitant l’ensemble des molécules fluorescentes, pendant qu’un autre faisceau, au centre de celui-ci, atténue la fluorescence émise par toutes les molécules, hormis celles de taille nanométrique. Ainsi, en balayant ce faisceau sur l’ensemble de la structure observée, on obtient une image complète des nano-structures qui la composent… ce qui permet, par exemple, de voir à l’échelle d’une molécule de protéine !

L’autre méthode, élaborée grâce aux travaux indépendants des Américains Eric Betzig (Institut médical Howard Hugues) et William Moerner (Université Stanford, Californie), fait appel à de petites molécules faiblement fluorescentes, que l’on dispose le long de toute la structure à observer, et que le microscope excite en séquence. Ensuite, les images produites sont superposées, résultant en une image à super-résolution.

A quoi sert donc cette super-résolution ? A l’aide de leurs microscopes, que l’on pourrait rebaptiser « nanoscopes », les lauréats du prix Nobel explorent les processus les plus intimes de la matière vivante. Stefan Hell étudie les synapses entre neurones ; William Moerner mène des recherches sur les protéines liées à la chorée de Hungtinton ; enfin, Eric Betzig observe la division cellulaire au sein des embryons.

F.G.