Réduire ses déchets… et son budget

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En cinq minutes chrono, Aude verse dans un saladier un yaourt, du lait entier et de la crème fraîche, mélange le tout, et répartit la préparation dans des petits pots en verre avant de les placer dans une yaourtière, aidée par sa fille. « Et voilà, maintenant 10 heures de fermentation, deux heures de refroidissement et on aura une douzaine de yaourts ! » Comme l’équipement paraît coûteux et technique, elle précise que la cuisson peut se faire au four. Aude Blet-Charaudeau, puéricultrice, la quarantaine, les cheveux poivre et sel et le visage détendu, a entraîné son mari et ses trois enfants (7, 9 et 11 ans) dans une démarche de réduction des déchets domestiques il y a un peu plus de trois ans. Assise à la terrasse du pavillon familial, à Mérignac (Gironde), elle explique que « les efforts sont largement compensés par la satisfaction retirée. Si on ne se sentait pas mieux, on arrêterait ».


« Je me dis c’est foutu, sauf si… »


Le premier pas


Aude a eu le déclic au moment de la Cop 21. « Quand j’ai entendu les journalistes dire que cela ne suffirait pas. Je me suis dit que nous devions vraiment agir à notre niveau. » Peu de temps après, elle tombe par hasard sur le livre Famille (presque) zéro déchet, ze guide, de Jérémie Pichon et Bénédicte Moret (Thierry Souccar, 2016), et décide de franchir le pas. « Au début, cela me paraissait très ambitieux. L’objectif était de réduire nos déchets de moitié. À l’époque, nous remplissions une poubelle de 50 litres en deux à trois jours. L’objectif a été atteint en un an. Ensuite, nous sommes arrivés à une production de déchets d’1 kg par semaine et aujourd’hui on est à 2 kg par mois à cinq. »

Réduire ses déchets? et son budget
© Sébastien Le Clezio pour La Vie


À première vue, on ne devine pas que la famille produit environ 100 fois moins de déchets qu’un foyer moyen (selon les chiffres de l’Ademe en 2018). La cuisine est certes équipée de plusieurs appareils électroménagers qu’on ne trouve pas dans toutes les maisons (yaourtière, Thermomix), mais ce sont là les seuls composants du mobilier qui sortent de l’ordinaire. À l’extérieur, en revanche, se trouvent deux compartiments à compost. Un classique en bois d’environ 1m3 et un second, plus petit, en plastique, accueille les ordures ménagères qu’il est déconseillé de mettre directement au compost (viandes, poissons, agrumes, oignons…). Une décomposition s’opère ensuite grâce à des micro-organismes selon une méthode japonaise appelée Bokashi.


Réapprendre à s’ouvrir à la vie


À la portée de tous


Lorsqu’elle a adopté cette démarche, Aude a d’abord choisi de supprimer de son sac de course tous les produits à usage unique. Essuie-tout et bouteilles d’eau minérale ont été remplacés par des torchons micro-fibres et des gourdes en métal. Puis elle a réduit les emballages plastiques, jusqu’à s’en passer complètement. Aujourd’hui, dans la cuisine de la famille Blet-Charaudeau, on aperçoit tout juste quelques emballages cartonnés de pâtes. Le reste est contenu dans des pots en verre ou des boîtes en plastique. Pour faire des courses, beaucoup optent pour des sacs en tissu ; Aude y va directement avec ses propres contenants placés dans une carriole et pèse les aliments sur place. « Que ce soit pour les courses ou pour la cuisine, ça ne demande pas vraiment d’efforts ou de temps supplémentaire. C’est une question d’habitude, d’organisation et surtout d’anticipation. »


Toutes ces manières de faire n’ont rien de révolutionnaire : pour la plupart, ce sont des solutions de bon sens. Elles pourraient même paraître futiles, mais appliquées à la majorité des foyers, la différence serait très significative. Et surtout elles sont à la portée de tous. « J’étais un véritable panier percé. Je me laissais beaucoup plus tenter et donc je gaspillais énormément. » En achetant au poids et en utilisant toujours les mêmes contenants, on connaît mieux ses besoins et on limite plus facilement le gaspillage. Cela permet aussi de faire des économies malgré des prix plus élevés à l’achat en bio ou en vrac : quand on cuisine soi-même, le produit fini revient moins cher. « Grâce à cela et à d’autres réflexes écologiques – comme le fait de prendre plus souvent le vélo à la place de la voiture – on a divisé notre budget par trois ! »


Trois priorités au quotidien pour le climat


L’étape suivante a été les produits d’entretien. Aude réalise elle-même ses préparations, comme la lessive, la poudre, qui remplace les pastilles pour le lave–vaisselle, ou bien du produit à récurer. Ce type de préparation ne demande aucune technique ou connaissance particulière et peu d’efforts. Il s’agit de mélanger à de l’eau un petit nombre de produits d’entretien. Des « recettes » se trouvent facilement sur Internet. Pourtant, au début, c’est ce qui lui paraissait le moins accessible : « Je m’imaginais avec mon petit équipement de chimiste, s’amuse-t-elle. Aujourd’hui, je conseillerais même de commencer par ça. »


Le fait maison


Enfin, les produits d’hygiène et de santé sont venus diminuer encore un peu la poubelle familiale. Les cotons démaquillants sont remplacés par des -tissus-éponges, les tampons et serviettes hygiéniques par des culottes de règles, mais la salle de bains n’est pas entièrement débarrassée des déchets. La famille utilise encore des produits d’hygiène et de beauté emballés, « et bien sûr des médicaments, là je ne lésine pas ! ». En expliquant tout ça, elle se défend vite de tomber dans l’excès inverse : « Je ne vise pas un foyer entièrement zéro déchet. Je pense que c’est déjà bien là où on en est. Je sais que je ne vais pas sauver le monde seule, ce n’est pas l’objectif , précise-t-elle avec une pointe d’ironie. Mais j’ai la satisfaction d’agir et de mieux connaître ce que je consomme et ce que mes enfants mangent. »

Réduire ses déchets? et son budget
© Sébastien Le Clezio pour La Vie


Après la préparation des yaourts, Aude enchaîne avec le déjeuner, toujours aidée de sa fille Nila. Au menu : nuggets et haricots verts. Là encore, tout est fait maison. Les frères de Nila s’activent autour, mettant le couvert et grignotant des noisettes du jardin, impatients. Au premier abord, les enfants paraissent indifférents à la réduction des déchets. Quand on aborde la question, Léo, le cadet, évoque le fait de ne pas jeter des déchets par terre. Tom, l’aîné, précise même que « c’est maman » qui est dans une démarche zéro déchet, pas la famille… Mais en discutant, très vite, des applications concrètes lui viennent. Il pratique le surf depuis plusieurs années déjà, il a donc eu l’occasion de constater la pollution de ses propres yeux. « Une fois, j’ai vu une canette de coca dans l’eau pendant que je surfais. » Il fait ainsi sans difficulté le lien entre la pollution de l’océan et les déchets ménagers. Mais il sait aussi ce qu’il lui en coûte. « Je préférais quand on achetait des Danette et des Mamie Nova…! » Naturellement timide au début, Nila, 9 ans, semble s’amuser à paner le poulet pour les -nuggets avec sa mère. Et bien sûr, une fois à table, le jugement de Léo est sans appel : « Les nuggets de maman, c’est les meilleurs ! » dixit un amateur de McDonald’s.


Au départ, la relation avec autrui n’était pas évidente. Les premiers refus d’emballages dans les commerces, comme la boucherie ou la boulangerie, n’étaient pas très bien compris. Au sein même du foyer, son mari n’était pas sur le même rythme qu’elle, alors la relation conjugale s’est un temps compliquée. « Mais très vite, il a pris le pli, parce qu’il a ressenti la même satisfaction que moi. » Aujourd’hui au contraire, Aude a développé de nouvelles et meilleures relations sociales grâce à cette démarche et à l’association Zero Waste, dont elle fait partie. « On crée des liens, on partage des astuces et des recettes entre nous et j’ai de meilleures relations avec les commerçants de proximité que j’en avais dans les supermarchés. »



Réduire ses déchets? et son budget
© Sébastien Le Clezio pour La Vie


 


Applis et outils numériques : amis ou ennemis ?


Yuka, BuyOrNot… Il n’est plus rare aujourd’hui de croiser dans les rayons des magasins des consommateurs, Smartphone à la main, utiliser ces applications. L’idée de ces outils est de lister les qualités nutritionnelles ou l’empreinte environnementale des aliments. Parallèlement se multiplient sur les réseaux sociaux des conseils DIY ( do-it-yourself) pour limiter ses déchets ou produire soi-même cosmétiques ou produits d’entretien écoresponsables. Plus viraux encore, des hashtags apparaissent pour encourager les internautes à prendre leur part du changement (comme le #TrashtagChallenge, qui incitait à se montrer en train de nettoyer un lieu de ses déchets). De louables initiatives qui reposent pourtant sur un paradoxe : l’empreinte carbone colossale des machines qu’elles nécessitent. Appareils et centres de données qui stockent les informations représentent en effet une part importante – et croissante – des rejets mondiaux de gaz à effet de serre.


Robin Nitot


> Pour débuter :


Je sauve la planète à domicile, d’Adeline et Alexis Voizard, Quasar.

Un « cahier-coach Laudato si’ », pour se lancer chez soi de façon ludique, en revisitant pièce par pièce nos actions et gestes de la vie quotidienne.

La vie d’un jeune « Aspi » vue de l’intérieur

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Camille a passé son bac L en 2016 à Charleville, à l’âge de 19 ans. Excepté l’année de 2de redoublée, il a effectué une scolarité sans faute. Raconter ce parcours, c’est égrener une multitude d’étapes, la plupart douloureuses, certaines humiliantes, vécues au coude à coude avec ses parents. Si Camille vous livrait lui-même ce récit, vous entreriez dans son histoire en prenant le temps de relire chacune de ces étapes, à partir d’un détail. « L’autisme Asperger est une autre manière d’être au monde, prévient Damien, son père, professeur des écoles. Nous, “neurotypiques”, utilisons des nationales pour nous exprimer, eux vont prendre le chemin de terre et ça va être très long, ou au contraire une autoroute et là c’est fulgurant de rapidité. Ils voient tous les détails ; cette accumulation de détails surcharge le cerveau et joue un grand rôle dans leur fatigabilité. » Ce jour-là, Camille et ses parents nous accueillent dans leur maison de Charleville-Mézières (Ardennes), pour nous raconter comment, ensemble, ils se sont battus pour relever le défi de l’inclusion scolaire de Camille.


L’incompréhension générale


Dès la maternelle et le primaire, son intégration était compliquée. Mais c’est vers 13 ou 14 ans que son rapport aux autres est devenu problématique. « Jusque-là, ça ne me dérangeait pas d’être seul dans mon coin, et les autres ensemble. Je me suis alors dit que ce serait bien de m’intégrer à ma classe, mais je n’y arrivais pas. Je ne regardais pas les autres dans les yeux, je n’avais pas confiance en moi, je n’avais pas les mêmes centres d’intérêt. J’étais seul », raconte-t-il, assis dans un fauteuil du salon, entre son père et sa mère. La situation est devenue de plus en plus difficile, jusqu’au jour où « un petit événement (l’a) fait flipper » : « J’étais à bout. Je suis allé à l’hôpital. On ne savait pas ce que j’avais. » « Camille, qui a toujours été gentil et pacifique, se réfugiait dans les jeux vidéo. Mais il est devenu agressif, déprimé et violent. Nous étions perdus face à cette situation », explique Nadège, sa mère, elle aussi professeure des écoles. Les séjours en hôpital s’enchaînent, accompagnés d’annonces de diagnostics qui se révèlent tous erronés : dépression à tendance paranoïaque, syndrome bipolaire et même schizophrénie ! « Pendant deux ans, nous avons été dans une errance de diagnostic », poursuit-elle.


“L’école inclusive est l’école de l’esprit d’équipe“


Poser le bon diagnostic


Deux ans « de galère », en pleine adolescence, où Camille se voit administrer des traitements inadaptés, avec des effets inverses pour les personnes autistes. « Il a été déscolarisé en 2de. On m’a dit que j’étais une mère qui le couvait trop. En fait, le corps médical n’écoute pas assez les parents », regrette amèrement Nadège. Quand Camille a eu 15 ans, le diagnostic a été enfin posé par une spécialiste du centre de ressources autisme de Reims. Il a alors pu reprendre l’école. Il a bénéficié de l’accompagnement en classe d’un premier assistant de vie scolaire (AVS), prénommé Benjamin. « Il m’a compris rapidement, quand ça n’allait pas il était là, il m’écoutait. AVS, ça ne gagne pas assez bien sa vie, Benjamin s’est rabattu sur un autre métier, aide-soignant. Il est parti à regret », se souvient Camille, d’autant plus reconnaissant pour sa présence rassurante qu’il a dû composer l’année suivante avec un nouvel AVS jugé « catastrophique » : « Camille est très fatigable. Au bout d’une demi-heure de cours, il décroche. L’AVS est là pour prendre des notes, l’aider à se repérer dans l’espace et le temps, gérer son cartable, ranger ses affaires, etc. », précise sa mère.


Un handicap invisible


Passage en première ensuite, des résultats laborieux, et une épreuve orale au bac de français qui se passe mal. « Camille avait le droit d’être accompagné sur décision de l’Éducation nationale à cette épreuve. Or la professeure n’était pas au courant et ne comprenait pas pourquoi la présence d’une tierce personne était nécessaire ; c’est le problème du handicap invisible. Nous avons dû aller voir le proviseur », raconte son père. Camille poursuit : « J’étais censé passer le premier pour cet examen, or mon nom figurait tout en bas de la liste, j’étais le dernier ! » L’AVS, admise à rester le temps qu’il prépare son exposé, a été invitée à sortir ensuite, ce qui a mis Camille en état de stress. La note s’en est ressentie : 6/20 ! « Pour le principe, car c’était trop injuste, on ne pouvait pas laisser passer ça », reprend sa mère. Camille et ses parents ont fait appel au Défenseur des droits, qui lutte contre les discriminations. « Il a eu le droit de repasser l’épreuve en septembre, mais ça a pourri notre été. » L’année suivante, les épreuves du bac se passent bien. Une fois le diplôme en poche, il effectue un service civique, suivi d’un contrat aidé à la médiathèque de Charleville-Mézières, avec la mission locale. « Un lieu normalement calme », donc adapté à son hyperacousie et à sa grande sensibilité, précisent ses parents. Il a poursuivi ensuite une formation d’auxiliaire de bibliothèque dans une médiathèque de Reims.


En classe avec des enfants différents


Témoigner et informer


Depuis un an, lors de ses temps libres, il développe sa passion du cinéma et du montage vidéo, et réalise une « websérie », composée d’épisodes de 10 minutes environ, qui s’intitule « Nos souvenirs construisent nos avenirs ». Les deux premiers épisodes ont fait l’objet de présentation officielle et ont été récompensés. Camille y présente, avec des pointes d’humour, de petites scènes inspirées de la vie d’un jeune homme atteint du syndrome d’Asperger : « Je m’adresse au monde extérieur, aux gens qui accompagnent ou vivent avec un Asperger, pour leur dire ce qu’est le syndrome. Pour ceux qui connaissent ou pas, les profs, les médecins, les élèves… » Occasion de le découvrir de l’intérieur et de comprendre certains décalages et incompréhensions. Une manière de faire bouger les lignes, dans le sens de l’inclusion des enfants « hors cadre ».



En classe avec un « Aspi », comment s’y prendre ?


Nadège et Damien Huré adressent ces recommandations aux profs qui accueillent un jeune atteint du syndrome d’Asperger : « Inviter l’élève à s’installer au premier rang. Répéter plusieurs fois les consignes. N’en énoncer qu’une à la fois. Ne pas parler fort. Être calme. S’exprimer clairement. Ne pas donner les devoirs à faire pour le lendemain à la fin du cours quand les élèves ne sont plus attentifs et qu’il y a du bruit. Si les profs écrivent leurs cours, les leur transmettre, c’est une aide précieuse. » Des conseils judicieux pour relever le défi de l’école inclusive.


> À voir


La websérie est visible sur la chaîne Youtube « Nos souvenirs construisent nos avenirs », son titre.
Et aussi… Si vous êtes intéressé par le projet de Camille, vous pouvez contacter damien.hure @wanadoo.fr