La vie d’un jeune « Aspi » vue de l’intérieur

Standard


Camille a passé son bac L en 2016 à Charleville, à l’âge de 19 ans. Excepté l’année de 2de redoublée, il a effectué une scolarité sans faute. Raconter ce parcours, c’est égrener une multitude d’étapes, la plupart douloureuses, certaines humiliantes, vécues au coude à coude avec ses parents. Si Camille vous livrait lui-même ce récit, vous entreriez dans son histoire en prenant le temps de relire chacune de ces étapes, à partir d’un détail. « L’autisme Asperger est une autre manière d’être au monde, prévient Damien, son père, professeur des écoles. Nous, “neurotypiques”, utilisons des nationales pour nous exprimer, eux vont prendre le chemin de terre et ça va être très long, ou au contraire une autoroute et là c’est fulgurant de rapidité. Ils voient tous les détails ; cette accumulation de détails surcharge le cerveau et joue un grand rôle dans leur fatigabilité. » Ce jour-là, Camille et ses parents nous accueillent dans leur maison de Charleville-Mézières (Ardennes), pour nous raconter comment, ensemble, ils se sont battus pour relever le défi de l’inclusion scolaire de Camille.


L’incompréhension générale


Dès la maternelle et le primaire, son intégration était compliquée. Mais c’est vers 13 ou 14 ans que son rapport aux autres est devenu problématique. « Jusque-là, ça ne me dérangeait pas d’être seul dans mon coin, et les autres ensemble. Je me suis alors dit que ce serait bien de m’intégrer à ma classe, mais je n’y arrivais pas. Je ne regardais pas les autres dans les yeux, je n’avais pas confiance en moi, je n’avais pas les mêmes centres d’intérêt. J’étais seul », raconte-t-il, assis dans un fauteuil du salon, entre son père et sa mère. La situation est devenue de plus en plus difficile, jusqu’au jour où « un petit événement (l’a) fait flipper » : « J’étais à bout. Je suis allé à l’hôpital. On ne savait pas ce que j’avais. » « Camille, qui a toujours été gentil et pacifique, se réfugiait dans les jeux vidéo. Mais il est devenu agressif, déprimé et violent. Nous étions perdus face à cette situation », explique Nadège, sa mère, elle aussi professeure des écoles. Les séjours en hôpital s’enchaînent, accompagnés d’annonces de diagnostics qui se révèlent tous erronés : dépression à tendance paranoïaque, syndrome bipolaire et même schizophrénie ! « Pendant deux ans, nous avons été dans une errance de diagnostic », poursuit-elle.


“L’école inclusive est l’école de l’esprit d’équipe“


Poser le bon diagnostic


Deux ans « de galère », en pleine adolescence, où Camille se voit administrer des traitements inadaptés, avec des effets inverses pour les personnes autistes. « Il a été déscolarisé en 2de. On m’a dit que j’étais une mère qui le couvait trop. En fait, le corps médical n’écoute pas assez les parents », regrette amèrement Nadège. Quand Camille a eu 15 ans, le diagnostic a été enfin posé par une spécialiste du centre de ressources autisme de Reims. Il a alors pu reprendre l’école. Il a bénéficié de l’accompagnement en classe d’un premier assistant de vie scolaire (AVS), prénommé Benjamin. « Il m’a compris rapidement, quand ça n’allait pas il était là, il m’écoutait. AVS, ça ne gagne pas assez bien sa vie, Benjamin s’est rabattu sur un autre métier, aide-soignant. Il est parti à regret », se souvient Camille, d’autant plus reconnaissant pour sa présence rassurante qu’il a dû composer l’année suivante avec un nouvel AVS jugé « catastrophique » : « Camille est très fatigable. Au bout d’une demi-heure de cours, il décroche. L’AVS est là pour prendre des notes, l’aider à se repérer dans l’espace et le temps, gérer son cartable, ranger ses affaires, etc. », précise sa mère.


Un handicap invisible


Passage en première ensuite, des résultats laborieux, et une épreuve orale au bac de français qui se passe mal. « Camille avait le droit d’être accompagné sur décision de l’Éducation nationale à cette épreuve. Or la professeure n’était pas au courant et ne comprenait pas pourquoi la présence d’une tierce personne était nécessaire ; c’est le problème du handicap invisible. Nous avons dû aller voir le proviseur », raconte son père. Camille poursuit : « J’étais censé passer le premier pour cet examen, or mon nom figurait tout en bas de la liste, j’étais le dernier ! » L’AVS, admise à rester le temps qu’il prépare son exposé, a été invitée à sortir ensuite, ce qui a mis Camille en état de stress. La note s’en est ressentie : 6/20 ! « Pour le principe, car c’était trop injuste, on ne pouvait pas laisser passer ça », reprend sa mère. Camille et ses parents ont fait appel au Défenseur des droits, qui lutte contre les discriminations. « Il a eu le droit de repasser l’épreuve en septembre, mais ça a pourri notre été. » L’année suivante, les épreuves du bac se passent bien. Une fois le diplôme en poche, il effectue un service civique, suivi d’un contrat aidé à la médiathèque de Charleville-Mézières, avec la mission locale. « Un lieu normalement calme », donc adapté à son hyperacousie et à sa grande sensibilité, précisent ses parents. Il a poursuivi ensuite une formation d’auxiliaire de bibliothèque dans une médiathèque de Reims.


En classe avec des enfants différents


Témoigner et informer


Depuis un an, lors de ses temps libres, il développe sa passion du cinéma et du montage vidéo, et réalise une « websérie », composée d’épisodes de 10 minutes environ, qui s’intitule « Nos souvenirs construisent nos avenirs ». Les deux premiers épisodes ont fait l’objet de présentation officielle et ont été récompensés. Camille y présente, avec des pointes d’humour, de petites scènes inspirées de la vie d’un jeune homme atteint du syndrome d’Asperger : « Je m’adresse au monde extérieur, aux gens qui accompagnent ou vivent avec un Asperger, pour leur dire ce qu’est le syndrome. Pour ceux qui connaissent ou pas, les profs, les médecins, les élèves… » Occasion de le découvrir de l’intérieur et de comprendre certains décalages et incompréhensions. Une manière de faire bouger les lignes, dans le sens de l’inclusion des enfants « hors cadre ».



En classe avec un « Aspi », comment s’y prendre ?


Nadège et Damien Huré adressent ces recommandations aux profs qui accueillent un jeune atteint du syndrome d’Asperger : « Inviter l’élève à s’installer au premier rang. Répéter plusieurs fois les consignes. N’en énoncer qu’une à la fois. Ne pas parler fort. Être calme. S’exprimer clairement. Ne pas donner les devoirs à faire pour le lendemain à la fin du cours quand les élèves ne sont plus attentifs et qu’il y a du bruit. Si les profs écrivent leurs cours, les leur transmettre, c’est une aide précieuse. » Des conseils judicieux pour relever le défi de l’école inclusive.


> À voir


La websérie est visible sur la chaîne Youtube « Nos souvenirs construisent nos avenirs », son titre.
Et aussi… Si vous êtes intéressé par le projet de Camille, vous pouvez contacter damien.hure @wanadoo.fr

La vie d’un jeune « Aspi » vue de l’intérieur

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Camille a passé son bac L en 2016 à Charleville, à l’âge de 19 ans. Excepté l’année de 2de redoublée, il a effectué une scolarité sans faute. Raconter ce parcours, c’est égrener une multitude d’étapes, la plupart douloureuses, certaines humiliantes, vécues au coude à coude avec ses parents. Si Camille vous livrait lui-même ce récit, vous entreriez dans son histoire en prenant le temps de relire chacune de ces étapes, à partir d’un détail. « L’autisme Asperger est une autre manière d’être au monde, prévient Damien, son père, professeur des écoles. Nous, “neurotypiques”, utilisons des nationales pour nous exprimer, eux vont prendre le chemin de terre et ça va être très long, ou au contraire une autoroute et là c’est fulgurant de rapidité. Ils voient tous les détails ; cette accumulation de détails surcharge le cerveau et joue un grand rôle dans leur fatigabilité. » Ce jour-là, Camille et ses parents nous accueillent dans leur maison de Charleville-Mézières (Ardennes), pour nous raconter comment, ensemble, ils se sont battus pour relever le défi de l’inclusion scolaire de Camille.


L’incompréhension générale


Dès la maternelle et le primaire, son intégration était compliquée. Mais c’est vers 13 ou 14 ans que son rapport aux autres est devenu problématique. « Jusque-là, ça ne me dérangeait pas d’être seul dans mon coin, et les autres ensemble. Je me suis alors dit que ce serait bien de m’intégrer à ma classe, mais je n’y arrivais pas. Je ne regardais pas les autres dans les yeux, je n’avais pas confiance en moi, je n’avais pas les mêmes centres d’intérêt. J’étais seul », raconte-t-il, assis dans un fauteuil du salon, entre son père et sa mère. La situation est devenue de plus en plus difficile, jusqu’au jour où « un petit événement (l’a) fait flipper » : « J’étais à bout. Je suis allé à l’hôpital. On ne savait pas ce que j’avais. » « Camille, qui a toujours été gentil et pacifique, se réfugiait dans les jeux vidéo. Mais il est devenu agressif, déprimé et violent. Nous étions perdus face à cette situation », explique Nadège, sa mère, elle aussi professeure des écoles. Les séjours en hôpital s’enchaînent, accompagnés d’annonces de diagnostics qui se révèlent tous erronés : dépression à tendance paranoïaque, syndrome bipolaire et même schizophrénie ! « Pendant deux ans, nous avons été dans une errance de diagnostic », poursuit-elle.


“L’école inclusive est l’école de l’esprit d’équipe“


Poser le bon diagnostic


Deux ans « de galère », en pleine adolescence, où Camille se voit administrer des traitements inadaptés, avec des effets inverses pour les personnes autistes. « Il a été déscolarisé en 2de. On m’a dit que j’étais une mère qui le couvait trop. En fait, le corps médical n’écoute pas assez les parents », regrette amèrement Nadège. Quand Camille a eu 15 ans, le diagnostic a été enfin posé par une spécialiste du centre de ressources autisme de Reims. Il a alors pu reprendre l’école. Il a bénéficié de l’accompagnement en classe d’un premier assistant de vie scolaire (AVS), prénommé Benjamin. « Il m’a compris rapidement, quand ça n’allait pas il était là, il m’écoutait. AVS, ça ne gagne pas assez bien sa vie, Benjamin s’est rabattu sur un autre métier, aide-soignant. Il est parti à regret », se souvient Camille, d’autant plus reconnaissant pour sa présence rassurante qu’il a dû composer l’année suivante avec un nouvel AVS jugé « catastrophique » : « Camille est très fatigable. Au bout d’une demi-heure de cours, il décroche. L’AVS est là pour prendre des notes, l’aider à se repérer dans l’espace et le temps, gérer son cartable, ranger ses affaires, etc. », précise sa mère.


Un handicap invisible


Passage en première ensuite, des résultats laborieux, et une épreuve orale au bac de français qui se passe mal. « Camille avait le droit d’être accompagné sur décision de l’Éducation nationale à cette épreuve. Or la professeure n’était pas au courant et ne comprenait pas pourquoi la présence d’une tierce personne était nécessaire ; c’est le problème du handicap invisible. Nous avons dû aller voir le proviseur », raconte son père. Camille poursuit : « J’étais censé passer le premier pour cet examen, or mon nom figurait tout en bas de la liste, j’étais le dernier ! » L’AVS, admise à rester le temps qu’il prépare son exposé, a été invitée à sortir ensuite, ce qui a mis Camille en état de stress. La note s’en est ressentie : 6/20 ! « Pour le principe, car c’était trop injuste, on ne pouvait pas laisser passer ça », reprend sa mère. Camille et ses parents ont fait appel au Défenseur des droits, qui lutte contre les discriminations. « Il a eu le droit de repasser l’épreuve en septembre, mais ça a pourri notre été. » L’année suivante, les épreuves du bac se passent bien. Une fois le diplôme en poche, il effectue un service civique, suivi d’un contrat aidé à la médiathèque de Charleville-Mézières, avec la mission locale. « Un lieu normalement calme », donc adapté à son hyperacousie et à sa grande sensibilité, précisent ses parents. Il a poursuivi ensuite une formation d’auxiliaire de bibliothèque dans une médiathèque de Reims.


En classe avec des enfants différents


Témoigner et informer


Depuis un an, lors de ses temps libres, il développe sa passion du cinéma et du montage vidéo, et réalise une « websérie », composée d’épisodes de 10 minutes environ, qui s’intitule « Nos souvenirs construisent nos avenirs ». Les deux premiers épisodes ont fait l’objet de présentation officielle et ont été récompensés. Camille y présente, avec des pointes d’humour, de petites scènes inspirées de la vie d’un jeune homme atteint du syndrome d’Asperger : « Je m’adresse au monde extérieur, aux gens qui accompagnent ou vivent avec un Asperger, pour leur dire ce qu’est le syndrome. Pour ceux qui connaissent ou pas, les profs, les médecins, les élèves… » Occasion de le découvrir de l’intérieur et de comprendre certains décalages et incompréhensions. Une manière de faire bouger les lignes, dans le sens de l’inclusion des enfants « hors cadre ».



En classe avec un « Aspi », comment s’y prendre ?


Nadège et Damien Huré adressent ces recommandations aux profs qui accueillent un jeune atteint du syndrome d’Asperger : « Inviter l’élève à s’installer au premier rang. Répéter plusieurs fois les consignes. N’en énoncer qu’une à la fois. Ne pas parler fort. Être calme. S’exprimer clairement. Ne pas donner les devoirs à faire pour le lendemain à la fin du cours quand les élèves ne sont plus attentifs et qu’il y a du bruit. Si les profs écrivent leurs cours, les leur transmettre, c’est une aide précieuse. » Des conseils judicieux pour relever le défi de l’école inclusive.


> À voir


La websérie est visible sur la chaîne Youtube « Nos souvenirs construisent nos avenirs », son titre.
Et aussi… Si vous êtes intéressé par le projet de Camille, vous pouvez contacter damien.hure @wanadoo.fr