Généalogie, la nouvelle passion des Français

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Caroline a 5 ans lorsque sa mère, âgée de 28, est internée en hôpital psychiatrique. À son tour mère à l’âge de 23 ans, Caroline va connaître un épisode psychotique lorsque sa fille, Sophie, atteindra ses 5 ans. Simple coïncidence ? Nos aïeux influeraient-ils sur notre existence ?

« Tout ce que nous vivons dans le présent est généralement issu du passé », note Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute, groupe-analyste et psychodramatiste de renommée internationale, à l’origine de la psychogénéalogie. Créée dans les années 1980, cette méthode a pour but de lever le voile sur ce qui s’est transmis au sein d’une famille, de manière consciente ou inconsciente, sur plusieurs générations. Elle distingue l’intergénérationnel, entre générations se connaissant, du transgénérationnel, sur plusieurs générations. Mais, d’après Barbara Couvert, psychosociologue pratiquant la psychogénéalogie, l’un peut être le fruit de l’autre : « Il y a le vertical de l’histoire et l’horizontal du contemporain. Dans certains cas, on ne peut séparer les deux », ajoute l’auteure d’Au coeur du secret de famille (Desclée De Brouwer, 1999).

Des « patates chaudes »

Secrets, non-dits, tâches inachevées, traumatismes, peurs… sont autant de « patates chaudes » pouvant circuler dans le temps et entraver le bien-vivre d’une personne. L’idée de liens transgénérationnels actifs a émergé dans l’esprit d’Anne Ancelin Schützenberger lorsque, professeure à l’université de Nice, elle a rencontré une femme, âgée de 35 ans, souffrant d’un cancer. La mère de cette dernière était précisément morte à cet âge-là.

Déjà en 1913, Freud écrivait dans Totem et tabou : « Nous postulons l’existence d’une âme collective et la possibilité qu’un sentiment se transmettrait de génération en génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre souvenir. » Carl Gustav Jung, son disciple, évoqua l’existence d’un « inconscient collectif », et Jacob Levy Moreno, d’un « co-inconscient familial et groupal ». Plus récemment, Françoise Dolto affirmait qu’il fallait « un secret de famille et quatre générations pour faire un psychotique ».

Le corps mémoire

Reposant sur des faits précis, remontant jusqu’à six ou sept générations, la psychogénéalogie s’appuie sur un outil, le génosociogramme, arbre généalogique sur lequel le patient inscrit, en plus des noms et des dates, tous les événements notoires : perte d’un enfant, maladie, réussite ou échec professionnel, accident, déracinement, faillite, rupture… Les dates anniversaires, les répétitions, les prénoms, les affections physiques et psychiques apparaissent ainsi noir sur blanc et peuvent révéler des corrélations entre maux du présent et événements passés. « Je ne travaille qu’avec des faits précis », rappelle Anne Ancelin Schützenberger, qui a été psychanalysée par Françoise Dolto.

« Le corps est un langage », explique-t-elle aussi. Véritable mémoire inconsciente, il peut, par diverses manifestations, exprimer ce qui a été enfoui, caché ou non dit. Ainsi, les thérapeutes pratiquant la psychogénéalogie font preuve d’une écoute tant auditive que visuelle lorsque leurs patients remplissent, en leur présence, leur arbre généalogique. « Je suis très attentive aux réactions émotionnelles de la personne, qu’elles soient verbales ou non », confie Colette Esmenjaud, psychologue et psychodramatiste.

C’est là qu’entre en jeu le syndrome de répétition. « On répète parce qu’il faut que certaines choses se fassent jour », note Anne Ancelin Schützenberger. Qu’ils soient synonymes de bonheur – aussi – ou de malheur, les événements répétés se manifesteront, par exemple, lors de dates anniversaires : un enfant naîtra pile un an après la mort de son grand-père, ou le jour de l’anniversaire de son oncle, de sa soeur.

La psychogénéalogie a ainsi pour dessein de rendre aux patients la capacité de prendre leur vie en main, d’être maîtres de leur existence. « Il s’agit de transformer cette impression de destin selon laquelle nous serions totalement enlisés, entraînés par les événements passés. » Derrière ce syndrome de répétition, opèrent ce que la psychogénéalogie appelle les « loyautés familiales ». « Avant d’être des individus séparés, nous sommes des individus d’appartenance », souligne Colette Esmenjaud. Appartenance à une famille, avec ses codes, et ces choses que l’on fait ou ne fait pas. « Certaines personnes vont inconsciemment tout faire pour échouer à des examens pour ne pas dépasser le niveau de tel ou tel ancêtre. » Il y a aussi celles qui rencontreront un épisode dépressif à un âge bien précis, et ce sur plusieurs générations. « Il faut reconnaître l’événement de départ et trouver d’autres loyautés pour notre système d’appartenance. »

Répétitions et mutations

En dehors de la psychogénéalogie, le psychodrame aide à panser les blessures du passé. La thérapeute, accompagnée de professionnels, va faire jouer à son patient le rôle de chaque protagoniste : l’arrière-grand-père, la grand-mère et, de manière symbolique, l’adieu, par des changements de rôles. « Cela permet d’achever une tâche du passé. » Alors qu’un traumatisme initial peut se répéter de manière identique (peur des souris, échec scolaire, accident de la route…), ou se métamorphoser en une angoisse non clairement identifiée, d’autres peuvent muter au fil des générations. « Nous sommes marqués par notre histoire familiale, mais aussi imprégnés de l’évolution de la société », rappelle Barbara Couvert.

Gare aux interprétations

Ainsi, une femme subissant le scandale d’être fille-mère en 1850 aura une fille qui enfantera elle-même hors mariage et ainsi de suite, jusqu’au XXIe siècle, avec une descendante qui sera mère célibataire. « L’événement reste le même, mais son sens change », précise la psychothérapeute. Ces liens intergénérationnels sont l’objet d’études scientifiques, notamment en neurobiologie. « Le professeur Jean-Pol Tassin, neurobiologiste et spécialiste du fonctionnement de la mémoire à l’Inserm et au Collège de France, a montré en 2002 que certains types de transmission d’informations interpersonnelles se produisent en millisecondes, et donc ne sont pas conscients », écrit Anne Ancelin Schützenberger dans Psychogénéalogie. « Le nouveau domaine de l’épigénétique nous aide à mieux comprendre comment les facteurs sociaux et environnementaux peuvent influencer l’expression des gènes. »

Mais prudence. Une coïncidence de dates ou la répétition de certains maux dans une famille n’ont pas forcément un sens caché. « Attention aux interprétations magiques », alerte Colette Esmenjaud. Bien qu’à l’origine de cette méthode, Anne Ancelin Schützenberger fait aussi la part des choses : « Le hasard existe. Le tout est de voir si les hypothèses avancées font sens pour le patient… Et s’il guérit par la suite. »

 

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La généalogie attire jeunes et moins jeunes. Cette pratique permet à des familles de se retrouver grâce aux cousinades. Des Français y ont recours pour percer l’origine de leur patronyme et beaucoup y trouvent des repères rassurants dans notre société anonyme, jugée « indifférente ». La Vie consacre un hors-série de 68 pages à ce sujet passionnant. Il s’adresse aux férus de généalogie, mais aussi aux novices qui voudraient, eux aussi, remonter le fil de leur histoire.

 

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Trois bonnes graines pour échapper au gluten

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Quand on est allergique au gluten, manger relève parfois du défi. Pour éviter douleurs abdominales, diarrhées et ballonnements en cas d’intolérance ou de maladie coeliaque causées par cette substance, l’éviction est la seule solution. Mais comment faire alors que le gluten est présent dans le blé, le seigle, le kamut, l’orge, l’épeautre et le son ? Si le riz et le maïs sont d’excellents substituts, d’autres graines se révèlent, elles aussi, très digestes.

1. La kacha

C’est le nom de la graine de sarrasin grillée, surnommée « blé noir », qui n’a en fait rien à voir avec le blé puisqu’elle n’est pas une céréale mais le fruit d’une plante à fleurs originaire…

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Les "intellos manuels", une reconversion difficile

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Régulièrement, les médias mettent en avant les trajectoires de salariés qui ont sauté le pas de la reconversion. Pourquoi ce phénomène social nous fascine-t-il autant ?

Ces parcours sont mis à l’honneur dans la presse surtout depuis les années 1990. En période de crise, de plus en plus insatisfaits de leurs métiers, les salariés ont peut-être davantage envie d’en changer. C’est comme un rêve que l’on entretient. Mais il y a un fossé entre ce souhait de réorientation professionnelle, et la réalité d’une reconversion.  Si l’on écoute le discours médiatique, souvent illustré par des trajectoires incongrues, chacun pourrait choisir sa voie. Il y a cette idée que tout serait une question de volonté, de prise de risques, de courage personnel, qu’il faut être mobile et savoir s’adapter…  Or il y a de profondes disparités, et de nombreuses reconversions non choisies. Il est aussi extrêmement courageux de rester dans un métier où l’on fait les 3-8, en étant mal payé et en supportant des conditions de travail difficiles ! Les réorientations sont régies par des logiques sociales.

Que vous inspirent les parcours de ces « intellos » qui, par passion, quittent le tertiaire pour se reconvertir dans l’artisanat et des métiers manuels ? Sont-ils des précurseurs ?

Il faut rester prudent. Si l’on peut estimer à environ 11 % le nombre d’individus concernés par des ruptures professionnelles lors de leur carrière, il s’agit généralement de « glissements » entre des métiers relativement proches. Les bifurcations radicales, dans des métiers « plaisirs », sont très rares. Les métiers de l’artisanat sont très règlementés et exigent des formations spécifiques. La mobilité y est très faible : par exemple, seulement 7 % des entrants dans les métiers de la boucherie, de la boulangerie ou de la cuisine sont issus d’une autre famille professionnelle. Au-delà même du savoir-faire, des compétences manuelles, il faut posséder des ressources financières, inégalement distribuées.

Quel sens donner à ces réorientations ?

Un changement de métier ne signifie pas un changement de vie, loin de là. Pour certains, il y a vraiment l’idée de quitter des métiers qui ne font pas sens, trop abstraits, comme la pub ou le marketing, où le salarié a l’impression de ne pas avoir de prise sur le réel. Un ancien graphiste dans la pub, devenu luthier, m’a expliqué : «Je ne croyais plus dans ce que je faisais. Je suis fait pour travailler les choses en volume. J’avais besoin d’être dans le concret ». J’ai également rencontré, lors de mon enquête, des femmes et des hommes, éducateurs et éducatrices par exemple, dont le souhait était de passer d’un travail sur la personne, extrêmement usant, à un travail sur la matière. Ils avaient vraiment aimé ce métier mais, au bout d’une dizaine ou d’une quinzaine d’années, ils étaient usés.

 

> Pour en savoir plus :

Reconstruire sa vie professionnelle. Sociologie des bifurcations biographiques, de Sophie Denave. Puf, 25€.
L’élégance de la clé de douze, de Laurence Decréau. Lemieux éditeur, 16€.