Avortement : l’autre débat

Standard

L’avortement est un fait social de première importance. Une femme sur trois a recours à une IVG au cours de sa vie. On compterait environ 220 000 interruptions volontaires de grossesse chaque année, un chiffre assez stable. Dans ces conditions, plus d’une génération après la loi Veil (1974), le débat semble clos. En réalité, il ne l’a jamais été, ne serait-ce parce que la loi a été plusieurs fois modifiée dans une optique toujours plus extensive. La réforme la plus importante reste celle voulue par Martine Aubry en 2001 : allongement du délai légal à 12 semaines, renoncement à la notion de « dépénalisation » au profit de la création d’un « droit ». Depuis cette date, la pression n’a cessé de monter dans deux directions. Technique d’abord : il s’agit de faciliter financièrement et médicalement l’accès à l’IVG. Idéologique ensuite : on s’efforce de banaliser l’acte afin qu’il apparaisse comme une décision de convenance personnelle et non comme un dernier recours.


De leur côté, les opposants n’ont pas renoncé. Bien sûr, la défense de l’enfant à naître n’a pas été abandonnée. Un exemple : la pétition Un de nous pour demander à l’Union européenne de ne pas financer la recherche sur l’embryon vient de recueillir 1,8 million de signatures, dont 100 000 en France, et ce dans le plus complet silence médiatique. Mais, sans doute en raison du consensus social en faveur de l’avortement, l’opposition frontale n’existe plus guère.


Du côté catholique en particulier, si la doctrine n’a pas changé, les priorités ne sont plus exactement les mêmes, du moins en France. Réunis à Lourdes pour leur assemblée d’automne, les évêques se sont penchés une nouvelle fois sur le sujet. De manière significative, ils l’ont fait en s’intéressant davantage au vécu des femmes concernées et un peu moins au caractère sacré de la vie. « Nous ne pouvons pas faire comme si nous n’étions pas auditeurs, témoins des souffrances multiformes de femmes ayant connu un avortement et qu’elles n’expriment parfois que longtemps après », a déclaré leur nouveau président, Georges Pontier, archevêque de Marseille, dans le discours de clôture, prononcé dimanche 10 novembre. On serait tenté de faire le lien avec le ton adopté par le nouveau pape, qui donne la priorité à l’écoute et à l’accompagnement plutôt qu’au jugement normatif.


Or ce discours compassionnel, malgré ou à cause de son fond évangélique,
inquiète vivement les activistes officiels, réunis sous l’ombrelle du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les trois premières recommandations que cette instance vient de formuler dans le rapport que lui a commandé Najat Vallaud-Belkacem, la ministre concernée, sont donc extrêmement signi­ficatives. Il s’agit d’effacer des textes légaux toute reconnaissance du caractère particulier de l’avortement, pour en faire un « acte médical comme un autre ». Actuellement, le code de santé publique dans son article L2212-1 ouvre le droit à l’avortement à « la femme enceinte que sa situation place dans un état de détresse ». Le rapport recommande de faire disparaître cette notion. Il propose aussi de supprimer le délai de réflexion d’une semaine entre deux premières consultations. Surtout, il entend abolir la clause de conscience qui permet à un médecin de refuser de pratiquer une IVG.


Le débat s’est donc déplacé. Il y a 40 ans, deux notions s’opposaient : d’un côté le droit des femmes à disposer de leur corps, de l’autre la sacralité de la vie. On veut aujourd’hui évacuer le dernier obstacle en récusant la notion de détresse. Pourtant, un éventuel trait de plume en travers du code de santé publique ne saurait abolir la réalité.