La maladie de Duchenne a été stoppée chez la souris grâce à CRISPR, un nouvel outil génétique

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Le professeur d’ingénierie génétique Charles Gersbach, qui a testé avec succès la technique de modification génétique CRISPR pour traiter la maladie de Duchenne chez la souris. – Ph. Duke University

C’est une sorte de couper-coller de l’ADN : CRISPR-Cas9 est un kit de bricolage des gènes devenu la coqueluche des généticiens, dont S&V vous parle dans son dossier en kiosques ce mois-ci. Une technique aux potentiel formidable, notamment pour soigner des maladies d’origine génétique : elle vient d’enregistrer son premier succès contre la myopathie de Duchenne.

D’origine génétique, cette maladie est une très grave dystrophie musculaire qui cloue les petits garçons sur la chaise roulante dès leurs 10 ans (1 garçon sur 3500 en France). Sa cause : la mutation d’un gène présent sur le chromosome X codant pour une protéine appelée dystrophine.

Dans la maladie de Duchenne, des mutations génétiques provoquent la détérioration des muscles

Cette très longue chaîne d’acides aminés relie normalement chaque fibre musculaire aux structures de support du muscle : privés du soutien de la dystrophine, les muscles se déchirent et se détériorent progressivement. Avec le temps, la myopathie de Duchenne atteint le muscle cardiaque, entraînant le décès avant 30 ans.

Comment la stopper ? Une équipe de l’université Duke (Etats-Unis) dirigée par le professeur Charles Gersbach a voulu s’attaquer au gène qui cause la maladie. Le gène de la dystrophine contient 79 séquences codantes d’ADN (appelées exons) : si l’une d’elles est mutée, la protéine qui en résulte est dysfonctionnelle.

CRISPR, l’outil des bactéries pour se débarrasser des gènes indésirés

Pour corriger ces défauts, quoi de mieux que CRISPR-Cas9 ? Cet outil de découpage de l’ADN est issu des bactéries, qui l’utilisent dans leur système de défense pour éliminer les séquences de gènes introduites par les virus qui les infectent. CRISPR est une protéine qui cible les gènes indésirés, et Cas9 agit comme la paire de ciseaux qui les découpe.

Les généticiens commencent à maîtriser cette sorte de kit pour modifier les gènes, applicable dans une série de situations très différentes, dont les maladies ne sont qu’un exemple (voir le dossier de S&V n°1180). L’un des généticiens pionniers de cette technique est le professeur Gersbach, qui a fait équipe avec des chercheurs de l’université de Caroline du Nord – école de médecine de Chapel Hill et de l’université-école de médecine du Missouri.

Le défi : introduire les gènes souhaités à l’intérieur des cellules

Après l’avoir testée sur des cellules de muscle présentant la myopathie de Duchenne, l’équipe est passée aux souris vivantes. Comme ils le décrivent dans un article paru dans la revue Science le 31 décembre dernier, leur principal défi a été de faire parvenir le complexe CRISPR-Cas9 jusqu’aux gènes des cellules musculaires chez qui la dystrophine était défectueuse.

Le véhicule qu’ils ont utilisé pour cette livraison au cœur des cellules est… un virus ! Un adénovirus, pour être précis : inoffensif pour l’homme, très versatile et connu depuis longtemps des biologistes, ce petit virus de la famille des rhumes permet, une fois vidé de son contenu, d’introduire au sein des cellules les gènes choisis. Car qui mieux que les virus, dans l’arbre de la vie, est capable d’insérer son ADN dans une cellule hôte ?

Introduit dans les cellules musculaires à l’aide d’un virus, CRISPR a corrigé la protéine défectueuse chez la souris

Après avoir choisi un adénovirus capable d’infecter en priorité les cellules musculaires, les chercheurs y ont introduit le complexe CRISPR-Cas9 prélevé sur la bactérie Staphylococcus aureus (le staphylocoque doré) : chez cette espèce, à la différence des autres utilisées dans des études précédentes, le complexe est suffisamment petit pour être inséré dans un adénovirus.

Les résultats ne se sont pas fait attendre. Injecté dans les muscles de la patte arrière d’une souris atteinte de la myopathie de Duchenne, l’adénovirus contenant CRISPR-Cas9 a éliminé la séquence génétique défectueuse ! Ses muscles ont commencé à fabriquer une dystrophine fonctionnelle et ont repris des forces.

Mieux : une fois injecté dans le sang d’une autre souris, le complexe adénovirus-CRISPR a permis d’améliorer le fonctionnement de tous les muscles, y compris le cœur !

En attendant le passage à l’homme de cette thérapie, ce qui va demander des années de recherche,  CRISPR a fourni une preuve très encourageante de son potentiel thérapeutique.

–Fiorenza Gracci

 

> Lire également en kiosques ou sur Kiosquemag :

  • Bricoleurs du vivant – S&V n°1180 (2016) – en kiosques. Ils ont trouvé l’outil ! Pour réparer, soigner ou même améliorer les gènes, CRISPR se présente comme l’instrument rêvé des généticiens.

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> Lire aussi dans les Grandes Archives de S&V :

  • Les nouveaux mystères de l’ADNS&V n°1145 (2013). Depuis la découverte de la structure de l’ADN, en 1953, les biologistes ne cessent de s’étonner de la sophistication de cette minuscule machinerie qui contient toutes les informations pour faire fonctionner un organisme vivant. C’est un véritable langage, dont les paroles sont des protéines, qui est loin d’avoir été parfaitement déchiffré.

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S&V 1042 - therapie genique

NASA, ESA : le retour dans le système de Jupiter

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Trois missions spatiales ambitieuses sont prévues par la Nasa et l'ESA pour explorer le système de Jupiter : Juno, Juice et Europa Mission... Rendez-vous entre cet été et... 2030. Photo Nasa.

Trois missions spatiales ambitieuses sont prévues par la Nasa et l’ESA pour explorer le système de Jupiter : Juno, Juice et Europa Mission… Rendez-vous entre cet été et… 2030. Photo Nasa.

Le système de Jupiter est l’une des régions les plus vastes, complexes, riches et intrigantes de tout le système solaire, mais, du fait de sa grande distance au Soleil, près de 800 millions de kilomètres, il n’a pas reçu des agences spatiales une attention aussi soutenue que la Lune, Vénus et Mars, ces mondes proches de la Terre et bien plus accessibles.
Et pourtant… Comprendre l’origine et l’évolution de la plus grande et la plus massive des planètes, c’est avoir l’une des clés de l’origine de la Terre et même, sans doute, de l’origine de la vie sur Terre… Et, autour de cette immense planète tempête, un véritable système solaire en miniature nous attend, avec des anneaux, une planète volcan, une planète banquise, des dizaines de petits satellites…
Sept sondes ont déjà rendu visite à la plus grande des planètes : Pioneer 10 et 11, Voyager 1 et 2, Galileo, Cassini et New Horizons. Mais ces sondes, à une exception près, n’ont fait que passer quelques heures dans le système jovien, seule Galileo s’est mise en orbite autour de la planète géante, entre 1995 et 2003.
Aujourd’hui, les agences spatiales américaine et européenne se préparent à réparer cette injustice, probablement parce que la recherche de la vie sur Mars, si populaire, commence à tourner un peu en rond, sonde après sonde, et que le regard des planétologues et du grand public, aussi, commence à se tourner vers des mondes plus fascinants : Europe, un satellite de Jupiter, Titan et Encelade, des satellites de Saturne. Leur point commun ? De l’eau liquide dans leur sous-sol, et avec elle, l’espoir ténu d’y découvrir des formes de vie…
Saturne est trop distante pour être bientôt accostée par une flottille de sondes, et les sondes Cassini et Huygens nous ont fait découvrir en profondeur ces mondes lointains ces dernières années.

En route pour Jupiter, la sonde Juno a testé sa caméra en photographiant notre petite planète bleue. Photo Nasa.

En route pour Jupiter, la sonde Juno a testé sa caméra en photographiant notre petite planète bleue. Photo Nasa.

Restaient donc Jupiter et Europe… Le système de Jupiter est l’objectif de la sonde américaine Juno, qui, partie en 2011, va arriver à destination en juillet 2016… C’est la planète géante, autour de laquelle Juno se satellisera un an durant, qui sera étudiée par Juno. Formation et évolution de Jupiter, constitution et fonctionnement de son atmosphère et magnétisme sont au programme. En prime, des photographies spectaculaires des nuées, grandes comme des planètes, de l’astre géant…
Et les satellites galiléens, Io, la planète volcan, Europe, la planète banquise, Callisto et Ganymède, le plus grand satellite du système solaire, plus grand que la planète Mercure ?
Juno n’est pas conçu pour les étudier. Ce sera le travail de la mission européenne Juice, qui vise à étudier les caractéristiques des trois satellites susceptibles de cacher de l’eau dans leurs profondeurs : Europe, Ganymède et Callisto. Question subsidiaire : ces astres pourraient-il cacher des formes de vie sous leur croûte glacée ?
Juice est une mission ambitieuse, mais l’Agence spatiale européenne se hâte avec lenteur : lancée si tout va bien en 2022, la sonde n’arrivera sur place qu’en 2030… et risque de se faire voler la vedette par une nouvelle sonde américaine, partant plus tard et arrivant plus tôt, Europa mission !
Ce projet, approuvé par le Congrès américain, prend de plus en plus d’ampleur, et le financement de son étude augmente progressivement.
Il faut dire qu’Europe fait rêver, fantasmer… A la fin du XX e siècle, la sonde américaine Galileo a révélé que le petit monde glacé, un peu plus grand que la Lune, est recouvert intégralement d’une banquise probablement en constante évolution. En effet, la surface d’Europe ne montre que très peu de cratères d’impacts, ce qui témoigne de son très jeune âge, à l’échelle géologique, au moins. Sous cette banquise, un océan abyssal de près de 100 kilomètres de profondeur… De l’eau, une source de chaleur délivrée par les gigantesques marées provoquées sur Europe par Io, Ganymède et Callisto, pourquoi pas de la vie ?

Vue par la sonde Galileo en 1998, la banquise d'Europe... Sous la glace, déformée par les marées provoquées par Jupiter et ses satellites, un océan de près de 100 kilomètres de profondeur. Photo Nasa.

Vue par la sonde Galileo en 1998, la banquise d’Europe… Sous la glace, déformée par les marées provoquées par Jupiter et ses satellites, un océan de près de 100 kilomètres de profondeur. Photo Nasa.

La recherche d’une possible vie extraterrestre sous-tendant désormais tout le programme d’exploration de l’agence spatiale américaine, il n’est pas vraiment surprenant que la mission Europa ait le vent en poupe… La sonde, actuellement à l’étude, devrait embarquer des caméras, capables de scanner la surface de Europe avec une résolution de 50 mètres, approchant par endroits 50 centimètres. Plus un radar capable de sonder la glace et chercher à quelle profondeur se trouve l’eau liquide, plus une caméra thermique pour chercher, si il y en a, des spots par où jaillirait l’eau en surface et bien sûr des spectromètres pour analyser la composition des matériaux que l’on voit sur cette banquise…
Mais la Nasa, boostée par le Congrès, lequel est sensible aux attentes du grand public, a surpris le petit monde spatial en annonçant que la sonde Europa Mission pourrait aussi embarquer un module d’atterrissage et que le tout pourrait être envoyer vers Jupiter avec la future fusée géante Space Launch System (SLS) !
Si cette annonce est suivie d’effets, c’est à une mission de science-fiction que l’on aura la chance d’assister… D’abord, le SLS permettrait de raccourcir le temps de parcours vers la planète géante : partie en 2023, Europa mission pourrait être sur place en 2025 ou 2026, bien avant Juice… Ensuite, poser un module sur Europe est un véritable rêve de planétologue… A quoi ressemble ce monde glacé au ciel dominé par un immense ballon pastel, jaune, crème, beige, saumon ?
Bien sûr, la Nasa, si elle réussit cet exploit, ne réalisera pas une première : de nombreuses sondes se sont posées avec succès sur la Lune, Vénus, Mars, Titan… Philaé s’est posée sur une comète, Hayabusa a effleuré du bout de ses antennes Itokawa et Near s’est endormie dans les bras d’Eros…
Le défi jovien est ailleurs… D’abord, la planète géante génère un champ magnétique quasi létal pour les électroniques les plus résistantes. Ensuite, les régions les plus intéressantes visées par la Nasa pour son module – là où de l’eau, et les éventuelles preuves de vie qu’elle emporterait avec elle, émergerait en surface – sont très chaotiques, vallées étroites et profondes, falaises vertigineuses…
La Nasa envisage donc de doter son module de rétrofusées identiques à celles de la sonde martienne Curiosity, d’une caméra et d’un système d’intelligence artificielle capable de décider au dernier moment où se poser…
La mission Europa, en ce sens, serait inédite : généralement, les ingénieurs et scientifiques savent où poser leurs engins, ou alors ils les laissent, comme dans le cas de Huygens sur Titan ou Venera sur Vénus, aux bons soins de la Providence. Ca ne marche pas toujours, en témoigne le demi succès de Philaé sur la comète Churyumov-Gerasimenko.
Pour leur Europa Mission, les Américains envisagent de laisser le module Europa Lander sur une orbite d’attente, loin du dangereux champ magnétique jovien, pendant que la sonde Europa scannerait la surface de la banquise d’Europe, à la recherche du meilleur site d’atterrissage, où le module se poserait deux ou trois ans plus tard…
A ce jour, il est impossible de dire si Europa Mission emportera, ou pas, un « lander », ni si c’est bien le SLS, en cours de construction, qui l’emmènera là-bas, et quand… Le feuilleton de Europa Mission ne fait que commencer, mais il nous fait déjà rêver…
Serge Brunier