Télescope super géant : l’Europe se lance… enfin

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L'Observatoire européen austral (ESO) vient d'annoncer officiellement le lancement de son futur télescope géant, le E-ELT, équipé d'un miroir de près de 40 m de diamètre. Mise en service : 2024, au mieux. Illustration ESO.

L’Observatoire européen austral (ESO) vient d’annoncer officiellement le lancement de son futur télescope géant, le E-ELT, équipé d’un miroir de près de 40 m de diamètre. Mise en service : 2024, au mieux. Illustration ESO.

La décision ne pouvait plus attendre. Depuis quelques années, l’ESO (Observatoire européen austral) annonçait régulièrement le lancement de son super télescope, le E-ELT (European Extremely Large Telescope), mais aucune de ces annonces en fanfare n’était véritablement suivie d’effet, faute de financement. En cause, la valse-hésitation d’un hypothétique nouvel acteur de l’Europe astronomique : le Brésil. En promettant, sans jamais la ratifier vraiment, sa participation au financement du super télescope, le Brésil a retardé le lancement du projet et durablement déstabilisé l’ESO. Alors, lassée de ses propres bégaiements, et pressée par une communauté astronomique s’inquiétant – avec raison – du retard pris par le projet, l’organisation européenne a, enfin, décidé du lancement de l’E-ELT.
Un milliard d’euros. Un télescope prêt en 2024. Voilà en deux mots la décision historique prise par l’ESO. Historique parce que se profile à l’horizon la mise en service du plus grand télescope du monde. Avec son miroir de 39 mètres de diamètre, le E-ELT s’annonce comme la plus puissante machine à faire de l’astronomie jamais construite. Installé sur l’un des meilleurs sites de la planète, le Cerro Armazones, situé à 3000 mètres d’altitude, au cœur du désert d’Atacama, équipé d’un système d’optique adaptative intégral, qui lui permettra de corriger en temps réel les effets de la turbulence atmosphérique, ce géant pesant cinq mille tonnes devrait révolutionner la plupart des champs astronomiques.
Qu’on y songe : le E-ELT offrira aux astronomes des images plus de dix fois plus nettes que celles du télescope spatial Hubble et de son successeur, le JWST. Il sera capable d’observer des astres près de cent fois plus faibles que ceux que perçoit Hubble. L’engin promet de voir la toute première génération de galaxies, de frapper, presque, à la porte du big bang… Mais pas seulement. Il observera avec une précision sans précédent les étoiles des autres galaxies, la naissance des étoiles dans la Voie lactée et des systèmes planétaires, aussi. Il permettra la photographie directe de centaines d’exoplanètes et même l’analyse de leurs atmosphères… Y détecter la vie ? Non, même si les services de communication des grandes agences scientifiques tentent de « vendre » ce fantasme au grand public. Reste que cet engin devrait permettre aux astronomes d’explorer l’Univers comme jamais auparavant.
En chiffres ronds et en résumé, pour les puristes, sa résolution spatiale atteindra 0,003 seconde d’arc et sa magnitude limite 35 environ.
Reste que derrière cette annonce triomphante et réjouissante, il y a, aussi, quelques bémols qui risquent d’assourdir quelque peu cette sidérale symphonie. Car, d’abord, le Brésil n’a pas encore ratifié sa participation à l’E-ELT et on attend, depuis quatre ans, du géant brésilien, 300 millions d’euros. L’entrée annoncée de la Pologne dans l’ESO ne suffira pas à combler ce vide… Alors que faire ? L’ESO a tranché. Lancer à tout prix le E-ELT, parce que la concurrence internationale est en marche, et voir ce qu’il va se passer. Avec un milliard d’euros, le E-ELT rêvé ne peut pas être financé. Alors l’ESO, si il ne trouve pas d’ici 2017 de nouveaux partenaires, ou si le Brésil continue à jouer à l’Arlésienne, décidera de construire d’abord un E-ELT « light ». Tous les miroirs constituant l’immense miroir mosaïque de 39 m ne seront pas polis. Seule la couronne extérieure – la plus importante, puisque c’est elle qui assurera la résolution unique du télescope – sera installée. Perte : 25 % de lumière… Et puis manqueront des éléments de l’optique adaptative, et certains instruments. Enfin, le projet risque, et cela, se serait catastrophique, d’être repoussé à 2026… Impensable…

Les bégaiements de l'Observatoire européen austral depuis le début du projet E-ELT, et sa progressive dévolution - on est passé en quelques années d'un télescope de 42 m à 39 m, pendant que les délais de constructions s'allongeaient – ont peut-être une autre cause, plus profonde et historique. L'ESO, aujourd'hui, c'est déjà trois observatoires : La Silla, qui vient de fêter son cinquantenaire, à la lisière sud du désert d'Atacama, Cerro Paranal, et son fameux réseau VLT (Very Large Telescope), et enfin Alma, dans les Andes, à la lisière est du désert et en collaboration internationale. Il faut donc à l'organisation européenne gérer trois sites astronomiques, leur personnel, leurs télescopes, leurs équipements, tout en en préparant un quatrième. Faisons les comptes : en tout, soixante quinze télescopes ou radiotélescopes. C'est beaucoup... Est-ce trop ?

Les bégaiements de l’Observatoire européen austral depuis le début du projet E-ELT, et sa progressive dévolution – on est passé en quelques années d’un télescope de 42 m à 39 m, pendant que les délais de constructions s’allongeaient – ont peut-être une autre cause, plus profonde et historique. L’ESO, aujourd’hui, c’est déjà trois observatoires : La Silla, qui vient de fêter son cinquantenaire, à la lisière sud du désert d’Atacama, Cerro Paranal, et son fameux réseau VLT (Very Large Telescope), et enfin Alma, dans les Andes, à la lisière est du désert et en collaboration internationale. Il faut donc à l’organisation européenne gérer trois sites astronomiques, leur personnel, leurs télescopes, leurs équipements, tout en en préparant un quatrième. Faisons les comptes : en tout, soixante quinze télescopes ou radiotélescopes. C’est beaucoup… Est-ce trop ? Photos Brunier/Salgado/ESO.

Car le E-ELT n’est pas le seul instrument du futur en passe de devenir réalité. D’abord, la Nasa et l’ESA achèvent actuellement l’assemblage du JWST (James Webb Space Telescope), un télescope spatial infrarouge de 6,5 mètres de diamètre qui sera mis en orbite, si tout va bien, par une fusée Ariane 5 en 2018. Le JWST offrira des images aussi nettes que celles de Hubble (0,05 à 0,1 seconde d’arc) mais bien plus « profondes »… Sur Terre, deux concurrents du E-ELT, le GMT (Giant Magellan Telescope) de 22 m de surface équivalente et le TMT (Thirty Meter Telescope), de 30 m de diamètre, sont en avance sur leur concurrent européen… Le GMT est déjà en cours de réalisation : deux de ses six miroirs de 8,4 m sont déjà prêts au Miror Lab de Tucson, en Arizona, et les travaux d’arasement de la montagne qui doit l’accueillir à Las Campanas ont commencé. Mise en service : 2021 ou 2022, si tout va bien… Le TMT vise une date de lancement identique…
A quoi servira le plus puissant télescope du monde si il arrive après que des instruments moins puissants aient défriché avant lui les champs cosmiques inexplorés ?
Pour répondre à cette question, l’ESO doit trouver encore trois cents millions d’euros, auprès du Brésil, donc, en principe, d’ici 2017, ou auprès d’autres partenaires, pour construire le E-ELT tel qu’il a été rêvé par les astronomes. Pour le plus grand observatoire du monde, pour l’institution astronomique qui publie le plus d’articles scientifiques tous les ans, gageons que cela ne devrait pas poser de difficultés particulières…
Serge Brunier

La publicité est reconnue par notre cerveau en 1/10e de seconde

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« NYC - Time Square - From upperstairs » par Jean-Christophe BENOIST — Travail personnel. Sous licence CC BY 3.0 via Wikimedia Commons

Time Square – une cathédrale de la publicité (Ph. Jean-Christophe BENOIST – sous licence CC BY 3.0 via Wikimedia Commons)

Des chercheurs en neuro-marketing ont établi qu’une publicité aperçue durant 1/10e de seconde, même floue, aura le temps de communiquer son message à notre cerveau, à condition qu’elle respecte quelques principes. En substance, il faut un objet simple représenté au centre de l’image, et de la couleur. Un résultat qui s’applique aussi bien aux pubs de rue qu’à celle de la télé et du Web. Ce qui, selon que l’on se place du point de vue des annonceurs ou du public, est une chance ou une fatalité.

Les deux chercheurs, Michel Wedel et Rik Pieters, des universités du Maryland (Etats-Unis) et de Tilburg (Pays-Bas), ont en effet publié un article dans la revue Marketing Science présentant deux études sur la réaction du cerveau face au déferlement de la publicité visuelle, qui s’expose dans les panneaux de rue, les écrans du métro, les « réclames »de la télé, et les bannières et vidéos des sites de la Toile. La principale conclusion est que malgré cette sursaturation visuelle, qui aurait pu entrainer une cécité et désensibilisation du cerveau à ses messages, les publicités continuent à pénétrer notre cerveau à vitesse grand V. Cela même par le coin de l’œil (vision floue ou périphérique) et même si, ultra-sollicités, nous ne leur accordons que le temps d’un clin d’œil bien involontaire  : 1/10 de seconde suffit.

La publicité doit se frayer un chemin dans la « foule »

Mais pour que l’injection agisse, c’est-à-dire pour qu’une publicité puisse se « frayer un passage dans la foule » et délivrer son principal message aux parties disponible du cerveau, il faut une stratégie en deux points : d’abord, une image simple et centrale caractérisant parfaitement la catégorie ou la marque présentée – une voiture, un visage aimable, un logo. Ensuite, pour aider la publicité à pénétrer (même si elle est perçue en flou), il faut que l’objet central soit coloré dans un contexte plutôt neutre.

Ces résultats, issus de tests en laboratoire sur des volontaires filtrés à l’aune de modèles statistiques sophistiqués, pourraient n’émouvoir personne tant le monde de la publicité est depuis les années 1950 l’objet de fantasmes concernant aussi bien une supposée manipulation subliminale que l’utilisation de messages codées. Mais ils sont percutants car ils s’appliquent à la réalité de l’environnement publicitaire actuel, hyper-saturé, et que leur preuve repose sur des méthodes scientifiques robustes issues des progrès en sciences cognitives.

Les études sur l’impact de la publicité utilisent des modèles liés au fonctionnement du système cognitif

En effet, les personnes testées viennent déjà avec leurs connaissances et leur « formatage » mental par la publicité. Comme l’étude se base notamment sur les déclarations des sujets après les avoir soumis à des exercices de vision rapide d’images claires et floues (quelle marque avez-vous reconnu ? Quelle image ?, etc.), il est difficile de dégager les paramètres objectifs qui agissent véritablement sur tous les cerveaux hors toute interprétation personnelle lié à ce bagage – ce qu’on appelle des biais d’interprétation.

Pour isoler la part du « mécanique », c’est-à-dire les processus cognitifs, dans les réactions des personnes testées, les chercheurs se servent de la technologie du eye-tracking – le suivi par ordinateur du mouvement des yeux – et intègrent ces données aux déclarations des personnes dans un modèle statistique dit « bayésien » capable de remonter aux causes exclusivement cognitives en excluant les biais d’interprétation. Un outillage théorique extrêmement puissant car il fait appel aux dernières découvertes sur la manière dont le cerveau traite l’information.

Une sollicitation de nos mécanismes inconscients qui n’est pas synonyme de manipulation

Les résultats publiés par les chercheurs ne devrait pas laisser indifférents les annonceurs du Web ni ceux se servant des nouvelles technologies pour suivre en direct les réactions des passants, comme dans le cas des écrans publicitaires du métro, munis de capteurs déterminant les zones regardées et la durée, afin de renvoyer ces données statistiques (anonymisées) à leurs logiciels d’analyse. Néanmoins, ce qui devrait rassurer le public c’est que les annonceurs, s’ils appliquent tous ces nouvelles stratégies publicitaires, même celles visant notre système cognitif, mettent toutes les publicités au même niveau d’efficacité, ce qui paradoxalement éloigne le fantasme de la manipulation car l’homogénéité laisse finalement à notre libre arbitre le choix final du produit à acheter.

Román Ikonicoff

 

> Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :

  • Votre cerveau vous trompe – S&V n°1044 – 2004 – Notre cerveau présente des failles : mémoire trompeuse, fausses perceptions, raisonnements biaisés… Comment l’univers de la publicité en exploitent certaines (+ 20 expériences qui vous feront douter de vous-même).

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  • La formule qui décrypte le monde – S&V n°1142 – 2012 – Depuis quelques années, la recherche en marketing s’est affinée au point d’être entrée dans le domaine des sciences cognitives et de ses modèles basés sur la célèbre formule de Bayes, qui semble consubstantielle à tout raisonnement en lien avec la réalité extérieure.

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  • Libre arbitre : notre cerveau décide avant nous – S&V n°1057 – 2005 – L’un des grands apprentissages issues des sciences cognitives est l’importance des mécanismes inconscients et hyper-rapides dans notre être au monde. Au point de questionner notre libre arbitre.

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