Confinement et inégalités scolaires : la double fracture sociale

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« Au début, ça m’a fait peur », témoigne Pascale, mère solo d’une petite Lilou de 6 ans en grande section. « Je ne comprends pas toujours le langage des maîtresses… » À force de recherches sur Internet, elle a fini par saisir leur jargon : écriture cursive ou script, numération, phonèmes… En faisant ses courses, elle a aussi rencontré l’enseignante de sa fille, qui lui a montré comment identifier les syllabes en tapant dans les mains. « J’ai pris de l’assurance. J’ai le numéro de téléphone de l’école, mais je n’aurais jamais osé les appeler. Je ne voulais pas les embêter. »


Pascale a planifié les repas et les activités de l’après-midi : cuisine, pâte à sel, bricolage… En réalité, l’école à la maison n’est pas sa seule préoccupation. Elle n’a pas encore reçu le revenu de solidarité active (RSA), ni l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Faute de pouvoir payer par carte bancaire, elle a dû changer ses habitudes et se rendre à l’épicerie, non sans incidence sur son budget : « J’y fais un plein pour 150€, alors qu’en grande surface, avec ma carte de fidélité, je remplis mon frigo pour 60€. »


Relation dissymétrique


En France, en 2018, plus de 3,1 millions de mineurs vivaient sous le seuil de pauvreté selon l’Insee. « Les parents de milieux défavorisés, qui souvent n’ont pas fait de grandes études, se sentent illégitimes pour accompagner leurs enfants », souligne Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde, nommée au conseil scientifique mis en place par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Et combien plus démunis avec cette continuité pédagogique, qui donne du fil à retordre à tous : « Certains professeurs se sont montrés très investis, d’autres moins… Beaucoup d’enfants auront passé des journées entières derrière les écrans. »


Certaines entreprises privées de soutien scolaire ont vu les demandes augmenter de 300%.


Certains enseignants n’hésitent pas à décrocher leur téléphone pour maintenir le lien. « Sur 25 familles, je n’ai pas réussi à en joindre cinq, résume Nadia Dubois, professeure des écoles en réseau d’éducation prioritaire REP+ au Mans (72). Et deux autres seulement par boîtes vocales interposées, jamais en direct. » Parents et enfants apprécient cet appel. Environ un tiers sont allophones, arrivés l’été dernier de Tchétchénie, d’Afrique ou de Mayotte, parlant peu voire pas français, et sans emploi. Adresse courriel non valide, numéro de téléphone non attribué, répondeur… « Certaines ne répondent pas, sans doute parce qu’elles craignent l’intrusion ; elles ont peur d’être surveillées ou que nous déclenchions une procédure des services sociaux. » 


Le confinement augmente le risque de violences sur les enfants


La relation est par trop dissymétrique, observe Clarisse Dupart, psychologue à Clisson (44) : « Qui voudrait risquer de passer pour un parent “démissionnaire”, qui ne s’investit pas pour son enfant, ne sait pas s’y prendre, ne fait pas autorité ? » Alors, à la maison, les parents se mettent la pression et les tensions s’accumulent. « Ils peuvent apparaître défaillants aux yeux de leurs enfants, poursuit-elle. Des conflits surgissent et la violence risque de pointer : psychologique, verbale et parfois physique. »


Maintenir le lien


Néanmoins, la situation est loin d’être uniforme. « Certains parents sont très cadrants, nuance Caroline Pointe, qui enseigne en REP à Aubervillliers (93). Ils mettent leurs enfants au travail tous les matins. Parfois, faute d’imprimante, ils recopient eux-mêmes les exercices. Je suis admirative ! » De son côté, elle appelle chacun des 13 élèves de sa classe dédoublée une ou deux fois par semaine, durant trois quarts d’heure à une heure. 


À ceux qui maîtrisent mal le français, elle envoie un enregistrement audio. Mais tous les parents ne sont pas disponibles… « Souvent, ils ont un emploi dans des secteurs qui assurent le confort de nos vies, où le télétravail est peu répandu : caissiers, livreurs, conducteurs… », ajoute Paul Devin, inspecteur de l’Éducation nationale et secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat national des personnels d’inspection. Et eux ne pourront pallier leur absence en recourant à des entreprises privées de soutien scolaire, dont certaines ont vu les demandes augmenter de… 300% depuis le début du confinement.


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