Se marier ou reporter : le dilemme des fiancés 2020

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16 mars, premier jour du confinement, 15 heures. Hubert et Alix, qui se sont déjà dit « oui » à la mairie, reçoivent un appel du prêtre qui les prépare au mariage. « Le maintien de votre mariage en mai est incertain. Voilà ce que je vous propose : je vous marie aujourd’hui même. » Trois heures plus tard, ils se disent « oui ». Dans les rangs parsemés de l’église, se sont joints quelques amis. Les parents d’Hubert sont de la partie mais ceux d’Alix n’ont pas pu, dans l’urgence, rejoindre la jeune mariée. 


La jeune femme dont la robe blanche est encore chez la couturière, porte une tenue rose, la plus claire de son placard. Faute d’alliance, ils en ont emprunté aux convives. On passe sur la traditionnelle formule cocktail, dîner, soirée. Ce soir, pas de restaurant ouvert pour célébrer l’événement. Et en guise de voyage de noces, un confinement dans l’appartement d’Hubert où ils commencent leur vie à deux. Les tourtereaux ne regrettent rien de leur mariage atypique et encouragent même leurs amis à faire de même.


Incertitude


Car ils ne sont pas les seuls à revoir à la baisse leurs exigences pour le jour J, 80 % des mariages étant chaque année répartis entre fin mars et septembre, selon les professionnels. Pendant le confinement, tous les mariages civils ont été annulés. Aujourd’hui encore, certaines mairies, zones vertes et rouges confondues n’autorisent toujours pas les mariages jusqu’au 2 juin, sauf cas d’urgence. Or, aucun mariage religieux ne peut avoir lieu sans cérémonie civile en amont. Et même dans une commune favorable, toute célébration religieuse ne devait pas dépasser 10 personnes jusqu’au lundi 19 mai. Bien que le Conseil d’Etat ait décidé à cette date de lever l’interdiction de se rassembler dans les lieux de culte, les mariés ne savent pas encore combien de personnes ils pourront réunir dans les églises. En attendant des décisions gouvernementales fin mai, les mariés de cette saison particulière poursuivent donc l’organisation de leur célébration à l’aveugle.


La célébration du sacrement est pour les mariés l’occasion de témoigner de leur foi à leurs amis non-croyants. En petit comité, ils ont le sentiment d’y perdre quelque chose. - Cédric Anastase, prêtre à Paris.


Pour certains, il est plus prudent de décaler la date à l’automne, voire à 2021. « Nous voulons être entourés de ceux que nous aimons, notamment nos grands-parents. A cela s’ajoute le risque sanitaire », expliquent Sixtine et Louis qui reportent à mai prochain leur mariage religieux. Depuis la Corse où ils habitent avec leur enfant, l’organisation était devenue très compliquée : « Les prestataires étant peu joignables, finalement, c’est plus simple ainsi. » « Le mariage est un sacrement missionnaire, ajoute Cédric Anastase, prêtre de Saint-Léon à Paris, qui accompagne des mariés depuis cinq ans. La célébration du sacrement est pour les mariés l’occasion de témoigner de leur foi à leurs amis non-croyants. En petit comité, je comprends qu’ils aient le sentiment d’y perdre quelque chose. »


Coûte que coûte


Pour d’autres, qu’importe le nombre d’invités, le mariage se déroulera à la date prévue. « Nous sommes sereins, témoigne Victoire qui épousera François-Henry en août. Nous ne savons pas à quoi ressemblera notre mariage, mais nous nous abandonnons. L’important, c’est que nous soyons mariés devant Dieu. » L’un en Bretagne, l’autre en Ile-de-France, les fiancés ne s’installeront ensemble qu’à l’issue du mariage. Raison de plus à leurs yeux, de ne pas le repousser. 


Ce qui était important c’était le triptyque Hubert, Alix et le bon Dieu.


Même cheminement pour Hubert et Alix : « Nous nous sommes demandé “qu’est-ce qui nous retient de ne pas nous marier aujourd’hui ?” Or, nous n’avons pas trouvé de raison qui vaille. Ce qui était important c’était le triptyque Hubert, Alix et le bon Dieu. » Pour une autre Sixtine, dont le mariage en juin avec Léonard est décalé à juillet, cette épreuve est l’occasion d’un travail sur soi : « J’aime bien tout organiser, raconte la jeune fille, or, je suis en train de lâcher prise. Je me recentre sur l’essentiel. Et je réalise que pour moi, l’essentiel ce ne sont pas les invités, même si je préférerais que tout le monde puisse venir. » Le père Cédric Anastase abonde : « En petit comité, on vide la célébration de sa surreprésentation sociale qui détourne parfois du principal : deux êtres qui se donnent l’un à l’autre. »


S’adapter


Dans tous les cas, il faut revoir toute l’organisation. Moins d’invités, une situation incertaine, des arrhes… En amont, les fiancés doivent contacter les prestataires : location de salle, traiteur, photographe, DJ. Il faut réadapter le lieu de réception au nombre de convives. En petit comité, on peut privilégier les lieux familiaux, d’autant plus que la limitation à 10 personnes dans le cadre privé n’a pas été retenue par le Conseil constitutionnel. À condition que les lieux soient suffisamment grands pour respecter les distances de sécurité. Un couple qui décale son mariage peut convenir avec ses prestataires d’une nouvelle date, afin d’éviter les pertes de frais, s’ils ont payé des arrhes, et de pénaliser les prestataires qui comptent sur eux (et dont la situation financière a été fortement fragilisée par le confinement). On peut même se marier en semaine, pour s’assurer de leur disponibilité.


S’ajoute le dilemme du choix des invités. Se passer des anciens pour les protéger ? Sélectionner les amis ? Il faut aussi compter sur le fait que parmi les invités, certains déclineront par crainte du virus. Il est conseillé de leur communiquer les informations par mail ou via les réseaux sociaux plutôt que par voie postale, moins efficace ces temps-ci.


Pour la célébration, des mariés retransmettront la messe en live pour les absents via les réseaux sociaux. Ou encore, installeront un dispositif de retransmission sur le parvis de l’église pour une partie des invités.


Concernant la réception, des pages Facebook d’organisation de mariage destinées aux catholiques préconisent différentes formules d’invitations. L’idée est de séparer par groupes les invités, pour en voir un maximum sans déroger à la loi. Cocktail avec la famille élargie, dîner avec la famille proche, soirée avec les amis, par exemple. La réception peut aussi s’étaler sur plusieurs jours. En termes sanitaires, pourquoi ne pas proposer aux invités de porter des masques aux couleurs du cortège ? de disposer des bouteilles de gel hydroalcoolique sur les tables ? Et il est tout à fait permis d’installer les aînés à l’écart afin de les protéger.


Pays en crise, couples en péril


Parfois, la crise a raison du mariage. Selon une étude IFOP réalisée fin avril en France pour la plateforme Charles.co, 4 % des couples confinés avec leur conjoint ont décidé de rompre de manière définitive. C’est le cas d’Inès (le prénom a été changé). Elle n’habitait pas avec son fiancé mais le confinement l’a amenée à le rejoindre chez ses parents. Débarquée dans une famille plutôt anxieuse, elle a rapidement eu la sensation d’étouffer. Psychiquement instable, son fiancé s’est même révélé verbalement et psychologiquement violent. « C’est devenu malsain. Je suis partie pour prendre du recul. » Sans la crise et le confinement, elle n’aurait pas découvert ces facettes d’elle-même et de son fiancé. Le couple a décidé d’annuler le mariage. Si la rupture est douloureuse, elle n’en est pas moins salvatrice pour la jeune femme qui a « retrouvé la présence de Dieu et la paix ». Une crise qui permet, malgré l’épreuve, de renouer ce qui est le plus important pour chacun, et de redécouvrir l’importance de l’engagement.