Des robots, des planètes et des hommes

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Un demi-siècle après les Soviétiques et les Américains, les Chinois arpentent aujourd'hui la surface lunaire avec leur robot mobile Yutu, photographié ici par le module d'atterrissage Chang'e 3. Photo CNSA.

Un demi-siècle après les Soviétiques et les Américains, les Chinois arpentent aujourd’hui la surface lunaire avec leur robot mobile Yutu, photographié ici par le module d’atterrissage Chang’e 3. Photo CNSA.

En posant sur la Lune, le 14 décembre 2013, le module Chang’e 3, la Chine est entrée dans le cercle très fermé des nations capables d’envoyer des engins terrestres… sur un autre monde. En effet, si, en un demi-siècle de conquête spatiale, le système solaire entier a été arpenté en tous sens par plus d’une centaine de robots spatiaux, de Mercure à Neptune en passant par des comètes et des astéroïdes, très peu de mondes ont été accostés par les frêles esquifs envoyés par l’humanité sur les vagues de l’espace… En tout et pour tout, 38 sondes, ont, à ce jour, réussi, avec plus ou moins de succès, à toucher une autre planète. Enfin, planète, pas tout à fait : Vénus et Mars, en réalité, et deux satellites, la Lune et Titan, auxquels ont peut ajouter à la limite, par bienveillance pour les géniaux ingénieurs qui ont réalisé ces petits miracles techniques, deux astéroïdes : Eros et Itokawa…
C’est la Lune, bien sûr, astre le plus proche de la Terre, à environ 380 000 kilomètres de distance qui a été convoitée la première par les deux premières puissances spatiales de l’histoire : l’URSS et les USA. Quarante sept ans avant les Chinois, les Soviétiques ont posé avec succès un engin sur le satellite de la Terre : Luna 9, en 1966. Puis, entre 1966 et 1976, les Soviétiques parviennent à poser les sondes Luna 13, Luna 16, Luna 20, Luna 24, et Lunokhod 1 et 2. Les Luna ramènent plus de 300 grammes d’échantillons de Lune sur Terre, tandis que Lunokhod 2 parcourt plus de 40 kilomètres dans la poussière lunaire, un record jamais battu jusqu’ici…

Est-il utile, ensuite, de rappeler l’extraordinaire épopée Apollo et ses six missions réussies ? En prélude à leur grand programme de conquête lunaire, les Américains parviennent à poser, au cours de la décennie 1960, cinq sondes Surveyor sur la Lune. Puis, entre 1969 et 1972, douze hommes arpentent la surface lunaire, et rapportent sur Terre environ 380 kilos de roches, mille fois plus que les sondes automatiques soviétiques.

Au cours des décennies 1960 et 1970, Soviétiques et Américains se lancent dans la conquête de la Lune. En haut, les traces de Lunokhod 2, qui parcourra plus de 40 km dans la cendre lunaire. Au centre, la sonde américaine Surveyor 3, visitée par les astronautes d'Apollo 12. En bas, la mission Apollo 17. Photos Nasa.

Au cours des décennies 1960 et 1970, Soviétiques et Américains se lancent dans la conquête de la Lune. En haut, les traces de Lunokhod 2, qui parcourra plus de 40 km dans la cendre lunaire. Au centre, la sonde américaine Surveyor 3, visitée par les astronautes d’Apollo 12. En bas, la mission Apollo 17. Photos Nasa et FKA.

Mars, ensuite ? Non : Vénus. Les Soviétiques, toujours eux, réalisent entre 1970 et 1981 une véritable prouesse, en parvenant à poser, dans l’enfer vénusien, huit sondes, Venera 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14. Des images de la surface étrange de Vénus sont prises, par une température de 450 °C… Durée de vie de ces sondes dans les conditions les plus extrêmes, probablement, du système solaire ? Quelques dizaines de minutes seulement…

Seuls les Soviétiques parviendront à poser des modules sur la planète Vénus, et à transmettre des photographies de sa surface. Ici, une image prise par Venera 13 en 1982. Photo FKA.

Seuls les Soviétiques parviendront à poser des modules sur la planète Vénus, et à transmettre des photographies de sa surface. Ici, une image prise par Venera 13 en 1982. Photo FKA.

Alors Mars ? Eh bien, la planète rouge, autrement plus difficile à atteindre que Vénus, ne sera jamais abordée par l’URSS. Mars sera américaine. De 1976 à 2012, sept sondes de la Nasa se posent dans le désert martien. Viking 1, Viking 2, Mars Pathfinder, Phoenix, Spirit, Opportunity et enfin Curiosity… Record, encore, mais américain, cette fois : voici dix ans que Opportunity arpente la surface martienne, sur laquelle il a parcouru plus de 37 kilomètres…

Seuls les Américains, entre 1976 et 2012, ont réussi à se poser sans encombre sur Mars. Après Viking 1, Viking 2, Mars Pathfinder, Phoenix et Spirit, Opportunity et Curiosity arpentent aujourd'hui les déserts glacés de la planète rouge. Photo Nasa.

Seuls les Américains, entre 1976 et 2012, ont réussi à se poser sans encombre sur Mars. Après Viking 1, Viking 2, Mars Pathfinder, Phoenix et Spirit, Opportunity et Curiosity arpentent aujourd’hui les déserts glacés de la planète rouge. Photo Nasa.

La Lune, Vénus et Mars, donc. Mais n’oublions pas l’exploit européen, ou plutôt, américano-européen, qui a permis à la sonde européenne Huygens, emportée par l’américaine Cassini, de se poser sur l’étrange monde de Titan, le grand satellite de Saturne, en 2005. Un record absolu, encore : jamais l’homme n’avait posé – métaphoriquement s’entend – le pied sur un astre aussi lointain : 1,2 milliard de kilomètres…

Un paysage de science-fiction, pour une mission de science-fiction... L'ESA et la Nasa parviennent, en 2005, à poser le module Huygens à la surface de Titan, le grand satellite de Saturne. Photo ESA.

Un paysage de science-fiction, pour une mission de science-fiction… L’ESA et la Nasa parviennent, en 2005, à poser le module Huygens à la surface de Titan, le grand satellite de Saturne. Photo ESA.

Reste deux missions, Near et Hayabusa, qui ont un statut un peu particulier… Dans aucun de ces deux cas, on ne peut vraiment parler d’atterrissage… La sonde américaine Near a achevé sa mission autour de l’astéroïde Eros en « se posant » sur Near, mais sans que cela ait donné lieu à des résultats scientifiques, car la sonde n’était pas prévue pour cela. Pourtant, dans la mesure où, jusqu’à la dernière seconde, Near a transmis vers la Terre des images de l’astéroïde, il semble que l’on puisse créditer la Nasa de cette réussite et ajouter Eros à la courte liste des mondes visités par l’humanité… Quant à Hayabusa… La sonde japonaise a réussi à toucher la surface de l’astéroïde Itokawa, à collecter pendant ce contact quelques grains de poussière minérale, puis à revenir sur Terre. Un exploit authentique, là aussi, même si l’on ne peut pas évoquer vraiment un atterrissage…

En haut, la sonde américaine Near s'apprête à achever sa mission en envoyant ses dernières images de l'astéroïde Eros, en 2001. En bas, l'ombre de la sonde japonaise Hayabusa se projette sur l'astéroïde Itokawa, en 2005. Photos Nasa et Jaxa.

En haut, la sonde américaine Near s’apprête à achever sa mission en envoyant ses dernières images de l’astéroïde Eros, en 2001. En bas, l’ombre de la sonde japonaise Hayabusa se projette sur l’astéroïde Itokawa, en 2005. Photos Nasa et Jaxa.

Reprenons : La Lune, Vénus, Mars, Titan et, si l’on veut, Eros et Itokawa. Nombre de planétologues, et les fervents amateurs de la conquête spatiale, attendent avec impatience le jour où des robots se poseront à la surface des satellites de Jupiter ou des lunes de glace de Saturne. Hélas, aucune mission n’est à ce jour prévue pour explorer ces mondes lointains et fascinants. Les agences privilégient l’affichage prestigieux – en envoyant des astronautes tourner inlassablement en orbite terrestre, à 400 kilomètres au dessus de nos têtes – et la répétition : les États-Unis et l’Europe construisent en ce moment même les futures sondes martiennes…
Alors, sommes-nous condamnés à rêver, des décennies durant, à des robots creusant la glace d’Europe, la mystérieuse lune de Jupiter, ou photographiant les rivages des mers titaniennes battues par des pluies de méthane tandis que les robots chinois laisseront des traces de roues dans la cendre lunaire et que les robots martiens continueront inlassablement à chercher la vie sur la planète rouge ? Probablement et malheureusement, oui. D’abord parce que de telles missions, coûteuses et complexes, demanderont – le jour où elles seront programmées, c’est à dire pas demain la veille – une dizaine d’années de préparation, décennie à laquelle il faudra rajouter plusieurs années de voyage. Rendez-vous donc, sur Europe, Encelade ou Titan en 2035 ou 2040, peut-être…
D’ici là, heureusement, l’année 2014 nous promet – peut-être – un extraordinaire atterrissage sur une autre monde… Peut-être, parce que la mission européenne Rosetta, qui a quitté la Terre en 2004, n’est pas encore arrivée à destination, la comète Churyumov-Gerasimenko. Mais si tout va bien, et si la sonde réussit à surmonter ses soucis techniques et la difficile approche d’une comète, nous assisterons, en novembre, à l’atterrissage du module Philaé à la surface de la comète. Espérons que cela dopera l’ambition et l’imagination des agences spatiales, à qui, au sens littéral du terme, nous sommes en droit de ne pas réclamer… la Lune.
Serge Brunier

Le module Philaé, testé à Brême, en Allemagne, au German Aerospace Center (DLR). Photo S.Brunier.

Le module Philaé, testé à Brême, en Allemagne, au German Aerospace Center (DLR). Photo S.Brunier.

La famille vue par Frédérique Bedos, la petite fille sur la balançoire

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Elle n’avait jamais soufflé mot de son enfance. Lancée dans une carrière télévisuelle entre New-York, Londres et Paris, animatrice à succès sur M6 et MTV, la rayonnante jeune femme s’efforçait de tourner la page et de repousser les peurs du passé. Aujourd’hui, elle se raconte dans un livre-témoignage : la Petite Fille à la balançoire. Elle dédie son récit « à (s)es mamans ». L’une l’a mise au monde, lui offrant un amour douloureux, traversé par la maladie mentale. L’autre l’a accueillie dans ses bras tranquilles et cette famille chaleureuse où la Ddass la conduisait chaque fois que « maman Jeanne » délirait. C’est là, par l’improbable force de l’amour, que la petite fille, puis l’adolescente s’est reconstruite. Frédérique Bedos porte aujourd’hui le projet ­Imagine, un média qui met en lumière des héros du quotidien. Consciente qu’on n’a jamais tout à fait fini de traverser son histoire, elle relit pour La Vie l’itinéraire d’une force fragile.

Maman Jeanne

« Je n’ai pas eu de père, mais je ne me suis jamais sentie abandonnée. Je n’ai pas cette blessure du cœur dont on met toute la vie à guérir. Avant que la maladie me la vole, je sais que ma mère m’a aimée. Fille de l’assistance publique, elle me racontait son émerveillement devant le bébé que j’étais, qu’un homme adoré lui avait donné avant de s’enfuir. Nous vivions, en tête à tête, une vie de bohème. On déménageait tout le temps, on n’avait rien, elle me gavait de bonbons et de tendresse. Imaginative, cultivée, maman Jeanne écrivait des poèmes, dessinait, m’a appris à lire à 3 ans, avec elle j’écoutais de l’opéra. Et puis, il y avait l’autre face, la ténébreuse, la maladie qui gagnait du terrain. Face de méchanceté, de mensonge que la petite fille de 8 ans que j’étais apprenait à distinguer de la mère qui l’aimait. Je devenais alors la maman de ma maman. Au retour de l’école, j’avais peur de ce que j’allais trouver, des hommes qu’elle ramenait, de ses tentatives de suicide, de ses délires paranoïaques qui finissaient en camisole chimique à l’hôpital psychiatrique. Peur surtout de ne pas pouvoir la sauver d’elle-même. ­Shootée, elle me ­regardait sans me voir. Et moi, le fourgon de police me déposait pour quelques jours dans la maison de ceux qui allaient devenir mes seconds “parents”. »

La famille

« Avec mes parents adoptifs, à qui j’ai été définitivement confiée par la justice après mes 11 ans, j’ai découvert une ribambelle de frères et sœurs. Avec Virginie, ma sœur coréenne, Pierre-Vincent, le bébé né sans bras ni jambes, Gaston, le frère camerounais dont le visage avait brûlé dans un feu… il fallait nous voir dans la rue. Cette tribu arc-en-ciel où il manquait un œil à l’un, un bras à l’autre ne passait pas inaperçue. Chacun est arrivé clopin-clopant dans cette famille avec son parcours chaotique. Mais nous ­devenions des enfants “choisis”. Et la magie a opéré. Quand on reçoit la bonne dose d’amour, les blessures ne vous écrasent pas. Même, elles vous permettent de nourrir de l’empathie pour les autres. Vous avez beau être en colère devant votre souffrance, le cercle élargi où circule la vie et le rire vous fait le cadeau du partage. Ma sensibilité, je la dois aussi à mon enfance. C’est là que j’ai appris ce qu’est la famille de cœur. Des expériences comme celles-là vous permettent d’embrasser la famille humaine, d’expérimenter en petit ce qu’on rêverait de vivre dans notre monde. »

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> Retrouvez l’intégralité de cet article dans l’édition n° 3654-3655 de La Vie, datée du 19 décembre, disponible en version numérique en cliquant ici