Lune : enjeu d’une nouvelle Guerre Froide ?

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Yutu Chang'e 3 Lune Moon

Le robot mobile Yutu se libère de la sonde Chang’e 3 et commence son exploration du désert lunaire… Photo CNSA.

CNSA. Un sigle jusqu’ici totalement inconnu, et qui va devenir bientôt aussi familier que le légendaire NASA. Et pour cause… CNSA, c’est l’abréviation de China National Space Administration, l’agence spatiale chinoise. Jusqu’ici, à part les spécialistes et les passionnés de conquête spatiale, personne, au fond, ne portait une attention particulière aux efforts spatiaux chinois. Certes, la Chine avait ses « taïkonautes », néologisme stupide signifiant que le pays du milieu était entré dans le cercle très fermé des nations capables d’envoyer des astronautes dans l’espace. Très fermé, alors que des hommes et femmes – y compris de richissimes touristes ! – de plusieurs dizaines de pays ont déjà goûté aux joies de l’apesanteur ? Oui, parce qu’enfiler un casque et des bottes pressurisés est une chose, développer les techniques permettant d’aller et revenir du ciel en est une autre…

A ce jour, seuls les Russes et les Américains maîtrisent le vol spatial habité, séquelle de la guerre froide, au cours de laquelle, dans les années 1950, sont nés les projets de vaisseaux de guerre spatiaux les plus farfelus, puis, au cours des années 1960, est devenu un enjeu idéologique et géostratégique majeur. C’est la course à la technologie militaire et spatiale imposée par la richissime Amérique à l’URSS exsangue qui a précipité la chute d’icelle. Envoyer des gens dans l’espace, l’Europe, par exemple, saurait le faire : elle a la compétence technique, les moyens financiers, et surtout le lanceur : Ariane 5. Mais l’Europe, tout en gardant quelques doigts de pieds dans le vol habité, envoyant de temps à autres ses astronautes à bord de l’ISS en utilisant les fusées russes, n’a jamais investi beaucoup dans cette activité, privilégiant la véritable exploration technique et scientifique, via des satellites d’observation de l’Univers et des sondes planétaires.
De son côté, la Chine, pour envoyer ses dix astronautes dans l’espace, entre 2003 et 2013, a utilisé essentiellement des techniques achetées aux Russes sur étagère, techniques développées au bon temps de l’URSS… Alors, assister à quelques cabrioles en apesanteur dans des bidons ressemblant aux défunts Salyut, quand la station spatiale internationale (ISS) tourne en rond depuis quinze ans et accueille de temps à autres des touristes hilares n’a guère passionné ou impressionné les foules…
Mais que la Chine pose une patte, avec son Lapin de jade, Yutu, sur la Lune, alors là, c’est autre chose… On sait depuis 1969 que la Lune appartient aux Etats-Unis. La photo de l’astronaute américain au garde à vous devant un drapeau flottant – métaphoriquement – dans le ciel lunaire est une icône du vingtième siècle. Mais qui se rappelle que l’URSS, aussi, a envoyé là-haut des robots, et ramené des roches lunaires sur Terre, témoignant d’une maîtrise technique extraordinaire pour l’époque ?
Personne, ou presque. D’un côté, la machine à communiquer américaine, et ses super héros, de l’autre la manie paranoïaque du secret et des images en noir et blanc de la cendre lunaire… Il n’y avait pas photo.

Lune Chang'e 3 golfe des Iris

Le golfe des Iris, photographié par la sonde chinoise Chang’e 3. Photo CNSA.

Aujourd’hui, donc, quarante ans après Américains et Russes, les Chinois débarquent sur la Lune… Pour quoi faire ? De la science ? Oui, un petit peu, à l’évidence. Les cent milliards de dollars des missions Apollo n’ont pas épuisé le questionnement sur la nature et l’origine de la Lune, ni sur sa relation avec la Terre. Mais bien entendu, ce n’est pas la recherche scientifique le vrai moteur du programme Chang’e 3. Si la recherche avait été l’objectif des scientifiques chinois, ils seraient partis vers Mercure, Vénus, Uranus, Neptune, un astéroïde – ils ont croisé en passant au cours de la mission lunaire Chang’e 2, l’astéroïde Toutatis - une comète… Astres où beaucoup reste encore à découvrir. En fait, la Lune, toute proche de la Terre, est d’abord pour les Chinois un formidable banc d’essai technologique pour tester toutes les phases d’un vol spatial. Plus tard, sans doute, les chercheurs chinois partiront explorer le système solaire, enverront dans l’espace des télescopes, comme leurs homologues européens, japonais ou américains. Ce n’est pas faire injure aux ingénieurs chinois de rappeler que des missions comme Cassini-Huygens, Dawn, Rosetta, Gaïa, sont techniquement stratosphériquement plus sophistiquées que Chang’e 3 et Yutu.
Mais en réalité, le vrai moteur du programme Chang’e 3 est politique, stratégique. Ce qu’annonce au monde le lapin de jade qui va gambader sur la Lune, c’est « voilà, nous sommes là, dans la cour des grands, il faut compter sur nous, maintenant ». L’ambitieux programme spatial chinois va de pair avec une augmentation impressionnante du budget militaire de la Chine – 10 % en 2013 pour la plus grande armée du monde – une politique internationale de plus en plus affirmée et décomplexée, comme en témoigne la récente augmentation de la zone d’identification aérienne chinoise qui englobe désormais les îles Senkaku disputées au Japon, un face à face avec le pays du Soleil levant – lequel augmente à son tour son budget militaire – de plus en plus agressif et enfin, une démonstration de force face au voisin géant, l’Inde, qui de son côté vient de lancer une sonde vers la planète Mars…
La Chine annonce, avec sa volonté d’envoyer des astronautes sur la Lune, à l’horizon 2030 ou 2040, qu’elle se pose en rivale de l’Amérique sur la planète Terre. Savoir si elle y parviendra ou si il ne s’agit que d’un effet d’annonce – il faudrait compter le nombre de fois ou Américains et Russes, ces quarante dernières années, on annoncé l’envoi d’astronautes vers la Lune ou Mars ! – relève aujourd’hui de la futurologie la plus débridée, mais une chose est sûre, la Lune, sa déesse Chang’e accompagnée de son lapin de jade reflètent plus aujourd’hui les ambitions des grandes puissances que le rêve des enfants.
Serge Brunier

 

 

 

Quelques rites de l’Avent pour avancer vers Noël

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Quatre bougies sur une couronne

Couronnes de l’Avent, illuminations dans les rues, veilleuse dans la crèche… À l’approche de Noël, nos longues nuits d’automne s’éclairent. La date de Noël, fixée au IVe siècle, n’a pas été choisie par hasard : à Rome, on fêtait alors le solstice d’hiver. Aux jours qui commencent à rallonger, les chrétiens ont associé la naissance de Jésus, celui qui éclaire leur chemin. C’est cette progression vers la lumière qu’illustre la couronne de l’Avent. Imaginée au XVIe siècle par un pasteur allemand, cet assemblage de branchages et de rubans, piqué de quatre bougies que l’on allume dimanche après dimanche, évoque le soleil, mais aussi la couronne d’épines du Christ le vendredi saint et l’espérance du retour du Sauveur. « En préparant Noël, observe l’écrivaine Colette Nys-Mazure, nous sentons l’espérance d’un renouveau : celui de voir le meilleur germer dans nos difficultés, de pouvoir croître et aider ceux qui nous entourent à croître… »

En Europe du Nord, on fête aussi la sainte Lucie, dont le nom signifie « lumière », condamnée à mort au IVe siècle pour avoir apporté des vivres à des chrétiens persécutés. Le 13 décembre, les Lucie choisies dans chaque famille, école ou village revêtent une robe blanche et une couronne avec quatre bougies pour offrir à leur entourage du café et des biscuits.

Des lentilles germées et un sapin vert

Quatre semaines d’attente avant la naissance de Jésus, qui, pour les chrétiens, sont source de vie. De même que la graine germe en profondeur avant que la plante sorte de terre… « Chaque année, on sait que tout va renaître. La preuve : les tulipes et les crocus pointent déjà leur nez ! », remarque Florence Blondon, pasteure du temple réformé de l’Étoile à Paris.
En Provence, on dépose, à la Sainte-Barbe, le 4 décembre, du blé ou des lentilles dans une soucoupe remplie d’eau ou sur du coton que l’on humidifie chaque jour. À Noël, on place les tiges hautes, symbole de la fécondité de la terre, dans la crèche. « Cette inscription dans le cycle de la vie nous rappelle que Noël est bien la fête de l’Incarnation », explique Colette Nys-Mazure.

Depuis le XVIe siècle, le sapin, toujours vert comme celui du paradis d’Adam et Ève, signifie aux chrétiens que le Christ apporte la vie à tous les hommes. Pour Florence Blondon, cet arbre annonce déjà toute la vie du Christ. « En Arménie dont je suis originaire, les extrémités de la croix sont prolongées par des branchages ou des fleurs. Quand je regarde un sapin de Noël, je vois déjà la mort et la résurrection du Christ. C’est parce qu’il est éclairé par la lumière de Pâques que Noël est un événement incroyable ! », dit-elle.

Un grand ménage d’hiver

« Quand on attend quelqu’un, il faut lui faire de la place. » Spontanément, à l’approche de Noël, Colette Nys-Mazure ouvre ses armoires pour en vider le surplus, faire le tri. Dans certaines familles, de la Norvège à la Provence, on prend encore le temps de faire, aux premiers jours de l’Avent, un grand « ménage d’hiver ».

Créer de l’espace dans sa vie, en son for intérieur, se recentrer, passer peut-être plus de temps en famille, avec ceux qui sont seuls, consacrer un moment à la prière ou à la lecture d’un livre de spiritualité… C’est aussi cela l’invitation de l’Avent. « En Occident, les jours sont courts, il fait froid. Même si je suis très sollicitée à cette période, raconte Florence Blondon, j’ai l’impression que le temps ralentit, que je suis plus ­disponible aux autres, que je retrouve le rythme naturel de mon humanité profonde ». Faire de la place, c’est aussi pour Colette Nys-Mazure, « rechercher la sobriété dans l’organisation de la fête, la
simplicité et le partage joyeux des tâches »
. En demandant, par exemple, à chacun d’apporter un plat pour le réveillon, ou en tirant au sort le nom d’un convive en particulier, cousine, frère, oncle, belle-sœur ou ami, pour qui on prendra le temps, pendant l’Avent, de bricoler ou de cuisiner une surprise.

Du pudding et des lumignons

La veille de Noël, c’est autour d’un repas mitonné dans l’espoir de réjouir les palais et les cœurs, que se réunissent de nombreuses familles. Au Royaume-Uni et en Irlande, le fameux Christmas pudding se prépare cinq dimanches avant le réveillon, le Stir-Up Sunday (dimanche du mélange). La tradition veut que toute la famille mette la main à la pâte, en remuant avec une cuillère en bois pour rappeler la crèche, dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est-à-dire d’est en ouest, comme le voyage des mages. Une prière est même associée à la recette. En Alsace, on prépare au début de l’Avent les bredele, petits fours qui évoquent la douceur de l’enfant et empruntent leurs formes à l’ange Gabriel, à l’étoile du berger…

Le premier dimanche de l’Avent, Florence Blondon prend le temps de décorer son intérieur : « Mais je ne le fais jamais seule ! Il ne s’agit pas seulement que la maison soit belle… Je tiens à ce rituel parce qu’il rassemble, permet d’échanger des souvenirs, de papoter, de rire ensemble », précise-t-elle. Dans sa maison en Belgique, Colette Nys-Mazure fixe à des rubans les cartes et les photos qu’elle a reçues avant Noël : « Je décore la maison de signes d’amitié », dit la poétesse, convaincue que « l’Avent est une occasion sans pareil de faire circuler la tendresse », en rendant aussi visite à des proches seuls ou malades. La crèche, où Dieu naît dans le dénuement, sera justement le signe de cette attention aux plus fragiles. « Noël ouvre aussi notre conscience, fait de nous des vigiles, le cœur en éveil, bienveillants, dit Colette Nys-Mazure. Se rappeler que d’autres passent cette période derrière des barreaux ou dans la précarité passe par des gestes simples comme les lumignons d’Amnesty International ou du Secours catholique, à placer au bord des fenêtres ou sur la table. »

Alunissage réussi pour la sonde chinoise Chang’e 3 !

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La sonde chinoise Chang'e 3 s'est posée le samedi 14 décembre 2013 non loin du Golfe des Iris, qui borde la mer des Pluies. Photo prise par la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter. Photo Nasa.

La sonde chinoise Chang’e 3 s’est posée le samedi 14 décembre 2013 non loin du Golfe des Iris, qui borde la mer des Pluies. Photo prise par la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter. Photo Nasa.

C’est une grande première pour la Chine spatiale et un grand moment pour les passionnés de la conquête spatiale : la sonde Chang’e 3, lancée le 1 décembre dernier depuis la base de Xichang, s’est posée sur la Lune…
Un tel exploit technique n’avait pas été réussi, ni tenté, d’ailleurs, depuis août 1976, voici trente sept ans, lorsque la sonde soviétique Luna 24 avait aluni dans la mer des Crises.
Chang’e 3, un nom qui désigne la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise, s’est posée, par 19.51 degrés Ouest et 44.12 degrés Nord, ce samedi 14 décembre 2013 dans la région du Golfe des Iris, qui borde la mer des Pluies, une immense plaine de lave solidifiée depuis plus de trois milliards d’années. Si tout se passe bien, l’engin de 3,8 tonnes libérera demain Yutu – le lapin de jade qui accompagne la déesse, et que les enfants reconnaissent en levant les yeux vers la Pleine Lune – un petit robot mobile à six roues qui commencera prudemment à explorer le désert lunaire, à le photographier et à analyser la composition des roches, comme ses prédécesseurs Lunokhod 1 et 2 en 1970 et 1973, et comme, bien sûr, les douze astronautes américains qui ont arpenté la poussière lunaire entre 1969 et 1972 au cours des missions Apollo…
Yutu, alimenté par des panneaux solaires, devrait gambader sur la Lune pendant trois mois environ, jusqu’à quelques kilomètres de l’atterrisseur Chang’e 3.

La première image de la surface lunaire transmise par la sonde Chang'e 3. Photo China National Space Administration (CNSA).

La première image de la surface lunaire transmise par la sonde Chang’e 3. Photo China National Space Administration (CNSA).

En posant avec succès un module spatial sur un autre monde, la Chine agrandi le cercle des grandes nations spatiales. Les États-Unis, bien sûr, qui ont posé des sondes sur la Lune et Mars, la Russie, qui a réussi de nombreux alunissages automatiques et vénusiens, le Japon, qui a effleuré l’astéroïde Itokawa et enfin l’Europe, qui a posé, avec l’aide de la Nasa, un module sur Titan, le grand satellite de Saturne…
La mission Chang’e 3 s’inscrit, après les missions Chang’e 1 et 2, lancées en orbite lunaire en 2007 et 2010, dans un vaste et ambitieux programme spatial : Chang’e 4, 5 et 6 devraient, d’ici 2020, permettre aux ingénieurs et scientifiques chinois de ramener, comme les Américains et les Soviétiques un demi siècle plus tôt exactement, des échantillons du sol lunaire…
A plus long terme, pour affirmer un possible leadership géopolitique régional ou mondial, les Chinois enverront-ils des astronautes sur la Lune, comme Américains et Soviétiques ont tenté de le faire, avec le succès que l’on sait pour les uns, un cuisant et historique échec pour les autres, durant la Guerre Froide ? Réponse en 2030 ou 2040, peut-être…

Serge Brunier

L’Homme de Néandertal organisait minutieusement son espace de vie

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Le vallon des Grottes Schmerling à Engis en Belgique, où furent découverts les premiers ossements néandertaliens

Le vallon des Grottes Schmerling à Engis en Belgique, où furent découverts les premiers ossements néandertaliens

Depuis plusieurs années, un grand nombre d’études sont venues renforcer l’hypothèse selon laquelle l’Homme de Néandertal jouissait de facultés cognitives probablement équivalentes à celles de l’homme moderne. Et c’est encore le cas d’une nouvelle étude, publiée dans l’édition de décembre 2013 de  la revue Canadian Journal of Archaeology.

Ces travaux, menés dans une grotte préhistorique du site de Riparo Bombrini (Italie), révèlent en effet que l’Homme de Néandertal organisait son habitat d’une façon étonnamment soigneuse et ordonnée. Et pour cause, puisque chaque zone de la grotte était dédiée à une activité bien distincte.

Ainsi, le niveau supérieur de la grotte (elle en comporte trois) était dédié à l’abattage et à la découpe du gibier. Un constat dressé à la suite de la découverte d’un volume important d’ossements d’animaux en ce lieu précis.

Concernant le niveau intermédiaire de la grotte, qui regroupe les traces d’occupation humaine les plus importantes, l’espace se subdivisait en deux zones : l’avant de la grotte était réservé à la fabrication des outils ainsi que les nombreux artefacts retrouvés à cet endroit l’indiquent. Quant à l’arrière de la grotte, il s’agissait vraisemblablement de lieu très fréquenté, puisqu’il abritait un foyer, autour duquel on peut imaginer que les habitants de la grotte venaient régulièrement se réunir. Par ailleurs, il est à noter que cette dernière zone présente un nombre très faible de débris de pierre, contrairement à la partie avant de la grotte.

La raison de cette répartition au sein du niveau intermédiaire ? Elle est probablement double. D’une part, il était indispensable de pouvoir fabriquer des outils dans un endroit bien éclairé, d’où le choix du devant de la grotte. Et d’autre part, la présence de débris de pierre sur le sol représentait très probablement un danger pour les habitants. D’où la nécessité de disposer, autour du foyer (qui était probablement l’un des lieux les plus fréquentés de la grotte), d’un sol exempt de ces artéfacts.

Quant au niveau inférieur de la grotte, sa fonction n’est pour l’instant pas bien comprise des auteurs de la découverte. Tout ce qu’ils ont pu constater est que, comme au niveau intermédiaire, il existe une plus grande quantité de débris de pierre à l’entrée de la grotte.

Ces travaux ont été publiés dans l’édition de décembre 2013 de la revue Canadian Journal of Archaeology, sous le titre « A Spatial Analysis of the Late Mousterian Levels of Riparo Bombrini (Balzi Rossi, Italy) »

 

Quelques rites de l’Avent pour avancer vers Noël

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Quatre bougies sur une couronne

Couronnes de l’Avent, illuminations dans les rues, veilleuse dans la crèche… À l’approche de Noël, nos longues nuits d’automne s’éclairent. La date de Noël, fixée au IVe siècle, n’a pas été choisie par hasard : à Rome, on fêtait alors le solstice d’hiver. Aux jours qui commencent à rallonger, les chrétiens ont associé la naissance de Jésus, celui qui éclaire leur chemin. C’est cette progression vers la lumière qu’illustre la couronne de l’Avent. Imaginée au XVIe siècle par un pasteur allemand, cet assemblage de branchages et de rubans, piqué de quatre bougies que l’on allume dimanche après dimanche, évoque le soleil, mais aussi la couronne d’épines du Christ le vendredi saint et l’espérance du retour du Sauveur. « En préparant Noël, observe l’écrivaine Colette Nys-Mazure, nous sentons l’espérance d’un renouveau : celui de voir le meilleur germer dans nos difficultés, de pouvoir croître et aider ceux qui nous entourent à croître… »

En Europe du Nord, on fête aussi la sainte Lucie, dont le nom signifie « lumière », condamnée à mort au IVe siècle pour avoir apporté des vivres à des chrétiens persécutés. Le 13 décembre, les Lucie choisies dans chaque famille, école ou village revêtent une robe blanche et une couronne avec quatre bougies pour offrir à leur entourage du café et des biscuits.

Des lentilles germées et un sapin vert

Quatre semaines d’attente avant la naissance de Jésus, qui, pour les chrétiens, sont source de vie. De même que la graine germe en profondeur avant que la plante sorte de terre… « Chaque année, on sait que tout va renaître. La preuve : les tulipes et les crocus pointent déjà leur nez ! », remarque Florence Blondon, pasteure du temple réformé de l’Étoile à Paris.
En Provence, on dépose, à la Sainte-Barbe, le 4 décembre, du blé ou des lentilles dans une soucoupe remplie d’eau ou sur du coton que l’on humidifie chaque jour. À Noël, on place les tiges hautes, symbole de la fécondité de la terre, dans la crèche. « Cette inscription dans le cycle de la vie nous rappelle que Noël est bien la fête de l’Incarnation », explique Colette Nys-Mazure.

Depuis le XVIe siècle, le sapin, toujours vert comme celui du paradis d’Adam et Ève, signifie aux chrétiens que le Christ apporte la vie à tous les hommes. Pour Florence Blondon, cet arbre annonce déjà toute la vie du Christ. « En Arménie dont je suis originaire, les extrémités de la croix sont prolongées par des branchages ou des fleurs. Quand je regarde un sapin de Noël, je vois déjà la mort et la résurrection du Christ. C’est parce qu’il est éclairé par la lumière de Pâques que Noël est un événement incroyable ! », dit-elle.

Un grand ménage d’hiver

« Quand on attend quelqu’un, il faut lui faire de la place. » Spontanément, à l’approche de Noël, Colette Nys-Mazure ouvre ses armoires pour en vider le surplus, faire le tri. Dans certaines familles, de la Norvège à la Provence, on prend encore le temps de faire, aux premiers jours de l’Avent, un grand « ménage d’hiver ».

Créer de l’espace dans sa vie, en son for intérieur, se recentrer, passer peut-être plus de temps en famille, avec ceux qui sont seuls, consacrer un moment à la prière ou à la lecture d’un livre de spiritualité… C’est aussi cela l’invitation de l’Avent. « En Occident, les jours sont courts, il fait froid. Même si je suis très sollicitée à cette période, raconte Florence Blondon, j’ai l’impression que le temps ralentit, que je suis plus ­disponible aux autres, que je retrouve le rythme naturel de mon humanité profonde ». Faire de la place, c’est aussi pour Colette Nys-Mazure, « rechercher la sobriété dans l’organisation de la fête, la
simplicité et le partage joyeux des tâches »
. En demandant, par exemple, à chacun d’apporter un plat pour le réveillon, ou en tirant au sort le nom d’un convive en particulier, cousine, frère, oncle, belle-sœur ou ami, pour qui on prendra le temps, pendant l’Avent, de bricoler ou de cuisiner une surprise.

Du pudding et des lumignons

La veille de Noël, c’est autour d’un repas mitonné dans l’espoir de réjouir les palais et les cœurs, que se réunissent de nombreuses familles. Au Royaume-Uni et en Irlande, le fameux Christmas pudding se prépare cinq dimanches avant le réveillon, le Stir-Up Sunday (dimanche du mélange). La tradition veut que toute la famille mette la main à la pâte, en remuant avec une cuillère en bois pour rappeler la crèche, dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est-à-dire d’est en ouest, comme le voyage des mages. Une prière est même associée à la recette. En Alsace, on prépare au début de l’Avent les bredele, petits fours qui évoquent la douceur de l’enfant et empruntent leurs formes à l’ange Gabriel, à l’étoile du berger…

Le premier dimanche de l’Avent, Florence Blondon prend le temps de décorer son intérieur : « Mais je ne le fais jamais seule ! Il ne s’agit pas seulement que la maison soit belle… Je tiens à ce rituel parce qu’il rassemble, permet d’échanger des souvenirs, de papoter, de rire ensemble », précise-t-elle. Dans sa maison en Belgique, Colette Nys-Mazure fixe à des rubans les cartes et les photos qu’elle a reçues avant Noël : « Je décore la maison de signes d’amitié », dit la poétesse, convaincue que « l’Avent est une occasion sans pareil de faire circuler la tendresse », en rendant aussi visite à des proches seuls ou malades. La crèche, où Dieu naît dans le dénuement, sera justement le signe de cette attention aux plus fragiles. « Noël ouvre aussi notre conscience, fait de nous des vigiles, le cœur en éveil, bienveillants, dit Colette Nys-Mazure. Se rappeler que d’autres passent cette période derrière des barreaux ou dans la précarité passe par des gestes simples comme les lumignons d’Amnesty International ou du Secours catholique, à placer au bord des fenêtres ou sur la table. »