Pourquoi la généalogie intéresse-t-elle particulièrement les jeunes ?

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En 2012, un ado toulousain ouvre un vieux coffre appartenant à son arrière-grand-mère dans le grenier familial, et y découvre des photos d’ancêtres inconnus. « Après, ça a été l’engrenage ! », s’enthousiasme encore Wilfried Lehoux, 20 ans, étudiant en histoire. Après des années de recherche, il crée même son blog, où il retrace l’histoire de ses ancêtres jusqu’au XVIe siècle.


Avec près de six millions d’adeptes en France (selon la Fédération française de généalogie), la généalogie est une passion bien actuelle. En témoigne la sixième édition du salon qui lui est consacré, jusqu’au 7 mars, à Paris. Quelque 7000 curieux s’étaient pressés l’année dernière lors de la précédente édition. « La généalogie a un caractère œcuménique : elle concerne aussi bien les hommes que les femmes, les riches que les pauvres, les retraités que les jeunes », affirme ­Marie-Odile Mergnac, généalogiste, coorganisatrice du salon et auteure de nombreux ouvrages sur le sujet.


S’interroger sur ses racines


« Un soldat de la Grande Guerre, un bagnard, un corsaire… en partant à la recherche de ses ancêtres, on fait tous des découvertes incroyables : on se retrouve comme dans un roman, c’est addictif ! » explique Marie-Odile Mergnac. À l’origine de cette plongée vers ses origines : un décès, une naissance, une réunion de famille, autant d’événements qui nous amènent parfois à nous interroger sur nos racines. Selon le sociologue Dominique Desjeux, cette quête de sens s’explique par quatre raisons principales, qui peuvent évoluer au cours de la vie : recherche de ses origines, transmission familiale, connaissance de l’histoire de son pays ou de sa région, création de liens sociaux.


Si on organisait une cousinade ?


Parisien de père en fils, Yann Couleau, 22 ans, étudiant à Sciences Po, a eu le déclic en se rendant à des dîners « régionaux ». À force de déguster fars bretons, cassoulets et autres flammekueche, Yann Couleau se rend compte qu’il ne sait pas précisément d’où il vient. Sa curiosité piquée au vif, il achète au débotté un arbre généalogique vierge et entreprend de le remplir, allant successivement interroger ses quatre grands-parents. Puis Internet prend le relais : avec la mise en ligne des archives départementales et la création de sites spécialisés comme geneanet.org ou filae.com, il est plus facile de trouver les actes d’états civils de ses ascendants jusqu’à François Ier.


Savoir d’où on vient, une force


Peu à peu, Yann Couleau se découvre des ancêtres établis entre la Normandie et le Sud-Ouest : pêcheurs, cheminots ou menuisiers… bien loin de ses parents artistes et de sa future carrière dans l’administration. « Cette expérience a changé mon regard, ça m’a fait sortir de ma zone de confort et m’a donné une plus grande ouverture d’esprit », déclare le jeune homme. Non content d’évangéliser autour de lui ses camarades de promo, Yann Couleau est également vice-­président de l’association les Jeunes et la généalogie, qui promeut cette pratique en milieu scolaire. « Au-delà de l’intérêt pédagogique et du lien avec le programme d’histoire, je suis convaincu que savoir d’où on vient, c’est une force », assure le jeune étudiant.


Dans une période marquée par de nombreuses ruptures (désertification rurale, mobilité accrue, nombre croissant de divorces), le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot estime que cette recherche existentielle constitue un « travail de recollement et de pardon, une réaction face à l’anonymat résultant de l’urbanisation et générateur de sensations de déracinement ». Selon lui, la généalogie serait un « antidote à certaines dérives et peurs contemporaines », et offrirait même « des possibilités d’épanouissement, d’affirmation et de réalisation personnelles ».


Réparer le présent


En effet, au-delà d’un voyage dans le temps ou d’un élargissement des horizons, la généalogie peut également permettre de résoudre certaines énigmes du passé pour vivre plus sereinement son présent. C’est à la naissance de sa fille que Florence Deguen, journaliste, a voulu en savoir plus sur son histoire. « J’avais très peu de transmission de la part de mes parents. Par la recherche de mes ancêtres, j’avais besoin de répondre à la question “Qui suis-je ?” » Rapidement, la trentenaire se heurte à des drames qui expliquent les mutismes familiaux : le suicide d’un grand-père militaire, le meurtre d’un fiancé de sa grand-mère… « Dans mon histoire familiale, les premières amours des femmes ne sont jamais simples : je comprends maintenant pourquoi ! »


Passionnée par ces découvertes et convaincue de leurs bienfaits sur sa vie personnelle, Florence Deguen entreprend une formation pour devenir psycho-généalogiste, dans l’une des trois formations certifiantes en France (Généapsy, Psycho-prat, Jardin d’idées). « La relation à l’argent, le lien conjugal, la peur ou l’envie d’avoir des enfants, la généalogie vient toucher des choses très profondes, des croyances ancrées », constate la spécialiste. Ils sont aujourd’hui environ une trentaine à exercer ce métier dans l’Hexagone. « Cette aventure vers le passé peut ébranler mais aussi être très libératrice : c’est pourquoi il est important d’être accompagné dans ce processus », affirme-t-elle.


Partager un héritage commun


Face à cet engouement populaire, des associations de passionnés de généalogie ont fleuri un peu partout en France afin d’échanger bonnes astuces et dernières trouvailles. Au sein du Centre généalogique des Côtes-d’Armor, Yann Guillerm, la quarantaine, s’est investi bénévolement dès l’adolescence pour relever et indexer les registres paroissiaux du département. Le Breton, auteur de quatre livres depuis, a ainsi retrouvé des cousins en Belgique, à Jersey… « On se voit régulièrement, on a l’impression de se connaître : le contact est sympathique et très facile entre nous », souligne Yann Guillerm. « La généalogie, ce n’est pas seulement rechercher des morts c’est aussi retrouver des vivants », confirme Marie-Odile Mergnac. Des cousinades réunissant une centaine de personnes d’une même famille sont régulièrement organisées. « La généalogie transcende les codes sociaux : c’est l’occasion de rencontrer des personnes de tous les âges, de tous les milieux », poursuit-elle.


Mais à remplir toutes les cases de son histoire familiale, ne risque-t-on pas de ne plus laisser de suspense aux générations suivantes ? De leur livrer un passé dénué de mystère, où ils ne pourront plus éprouver eux-mêmes cette soif de découverte ? « On peut toujours en savoir plus », rétorque sans détour Marie-Odile Mergnac. Explorer les branches latérales plutôt qu’ascendantes, sonder les archives militaires, les fonds fiscaux ou actes notariés, visiter les lieux où nos ancêtres ont grandi, se sont mariés, etc. « J’ai même retrouvé jusqu’à la couleur de la robe de mon aïeule en 1720, ses bijoux, ses livres… », raconte la généalogiste. « C’est aussi une belle leçon de courage et d’optimisme, poursuit-elle, les tourments du passé montrent comment on peut s’en relever. Ça donne des ailes pour aller de l’avant ! » Elle confesse ainsi « laisser des trous » dans l’arbre généalogique pour donner envie à ses filles de reprendre un jour le flambeau. « Selon le proverbe juif, j’essaie de transmettre deux choses à mes enfants : des racines et des ailes. »


 


Encadré Salon de la généalogie, du 5 au 7 mars à Paris, mairie du 15e arrondissement


Entrée libre


www.salondegenealogie.com 

Congé pour le décès d’un enfant : les associations partagées entre satisfaction et déception

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Inhumanité, indignité, bourde… Il y a un mois, les députés La République en marche (LREM) et le gouvernement suscitaient l’indignation générale. Suivant l’avis de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, les députés de la majorité avaient rejeté, le 30 janvier, la proposition de loi de leur collègue UDI Guy Bricout qui visait à allonger le congé de deuil pour le décès d’un enfant, de cinq à douze jours. Devant le tollé, ils se sont empressés de rétropédaler avec la promesse d’un texte « plus ambitieux ».


Congé pour le décès d’un enfant : “Le deuil devient enfin un vrai sujet”


Après plusieurs réunions de concertation avec les associations et les partenaires sociaux, la proposition de loi, arrivée au Sénat selon le parcours législatif classique, a été enrichie de nouvelles mesures portées par le gouvernement. La majorité a bien retenu la leçon : l’« humanité » réclamée par Emmanuel Macron au plus fort de la polémique devient sa ligne de conduite. « Ces dernières semaines nous ont confirmé que la question du deuil d’un enfant n’exige rien d’autre qu’écoute et humilité », déclare Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, à la tribune du Sénat, le 3 mars. Dans la concorde, le texte est voté à l’unanimité par les sénateurs.


« Une loi plus généreuse »


Que contient la nouvelle mouture de la proposition de loi ? Le congé est tout d’abord étendu à 15 jours ouvrés. Il est ouvert aux travailleurs indépendants et agents publics, et non plus seulement aux salariés. Il s’applique pour le décès d’un enfant âgé de moins de 25 ans, et non plus pour les mineurs seulement. Le dispositif de dons de jours de repos pour les salariés, prévu dans le cadre de la loi Mathys, s’appliquera désormais aussi aux parents endeuillés.


Sur le modèle des dispositions protégeant les femmes après un congé maternité, la proposition de loi prévoit une mesure de protection contre le licenciement pour les salariés dans un délai de 13 semaines suivant le décès de l’enfant. On y trouve aussi le maintien pendant une durée qui sera fixée par décret (trois mois, selon la rapporteure) de certaines prestations familiales, qui normalement cessent le mois suivant le décès de l’enfant. Une mesure très attendue par les parents qui étaient confrontés à la disparition « du jour au lendemain » de ces aides sans avoir eu le temps de l’anticiper. On note aussi la création d’une prestation forfaitaire versée automatiquement par les caisses d’allocations familiales, dont le montant sera déterminé par décret. Entre 1000 et 2000 euros selon les ressources du foyer, prévoit le gouvernement. Ce soutien financier était également attendu par les associations, souvent confrontées à des familles qui ne peuvent pas payer les frais d’obsèques, dont le montant s’élève en moyenne à 3800 euros en France.


5 clés pour faire vivre la mémoire des défunts


« Ce pataquès a été l’occasion d’aller vers une loi plus généreuse et de sensibiliser tout le monde à la situation des parents endeuillés », salue Marie Boës, mère endeuillée et présidente de l’antenne parisienne de l’association Jonathan Pierres Vivantes, qui accompagne les parents qui ont perdu un enfant. Présente dans l’hémicycle au moment du vote, elle avoue avoir ressenti « l’empathie générale de nos représentants politiques ». Toutes ces mesures vont « dans le bon sens », estime Marie Boës pour qui la « reconnaissance de la spécificité du deuil d’un enfant dans le code du travail » est une avancée majeure.


Déceptions


Plus réservée, Pascaline Meyer, fondatrice de l’association Pour le sourire de Lucie, salue des progrès mais regrette que les parlementaires ne soient pas allés plus loin. Or c’est son histoire – le décès de sa fille Lucie à 15 ans, des suites d’un cancer – qui a incité Guy Bricout, lui-même confronté au deuil d’un enfant, à s’emparer du sujet.


Cette mère endeuillée du Nord de la France s’est investie à corps perdu dans un combat associatif pour aider les familles brisées par la perte d’un enfant ou confrontées à la maladie. Pour avoir dû payer récemment « en urgence » le devis d’obsèques d’un enfant de sept ans via son association, elle regrette que le montant de la prestation forfaitaire pour les frais d’obsèques ne soit pas plus important. Elle trouve par ailleurs trop courte la durée de la protection contre le licenciement, et déplore encore l’abandon de la proposition de maintenir le nom de l’enfant sur les documents administratifs de façon symbolique. « On a été écouté, mais je ne peux pas vous dire que la bataille est gagnée », conclut-elle.


Aimer les rires et les pleurs après la mort d’un enfant


« C’est un bon pas pour les médias mais un petit pas pour les endeuillés », juge Damien Boyer. Le fondateur de la plateforme Mieux traverser le deuil, qui regroupe plusieurs associations, est déçu. Co-réalisateur de l’émouvant documentaire sur le deuil parental, Et je choisis de vivre, sorti en 2019 et diffusé sur France 5 le 12 mars prochain, et bouleversé par les témoignages recueillis, il a choisi de s’investir pour une meilleure prise en charge de tous les types de deuils. Il appelait de ses vœux une grande loi sur le deuil en général.


Des associations fondamentales


« Les textes avancent doucement, il y a une prise de conscience, mais il y a beaucoup plus à faire », estime-t-il. « On ne peut pas réduire le deuil à un traitement administratif, à des mesures financières ou de suivi médical. Le deuil n’est pas une maladie. Rien n’a été fait pour les aidants dans la loi alors que l’accompagnement du deuil est principalement fait par l’entourage. »


Et de lister les idées qui remontent dans son réseau associatif : lancer une campagne nationale de sensibilisation, diffuser des outils au sein de l’Education nationale dans le cas de la perte d’un élève ou d’un membre de l’équipe éducative, ou bien au sein des entreprises, prendre en charge le deuil périnatal (perte d’un enfant in utero ou à la naissance)… D’ici le vote final à l’Assemblée nationale, prévu pour début avril, Damien Boyer compte bien profiter de ce créneau parlementaire inattendu pour « mettre la pression » sur les députés.


Satisfaites ou non, ces associations se révèlent fondamentales dans le soutien aux parents endeuillés, accablés par le chagrin et bien souvent démunis face à des démarches administratives complexes. Guy Bricout l’a constaté : « À chaque fois qu’un enfant meurt, une association se crée. »