Congé pour le décès d’un enfant : les associations partagées entre satisfaction et déception

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Inhumanité, indignité, bourde… Il y a un mois, les députés La République en marche (LREM) et le gouvernement suscitaient l’indignation générale. Suivant l’avis de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, les députés de la majorité avaient rejeté, le 30 janvier, la proposition de loi de leur collègue UDI Guy Bricout qui visait à allonger le congé de deuil pour le décès d’un enfant, de cinq à douze jours. Devant le tollé, ils se sont empressés de rétropédaler avec la promesse d’un texte « plus ambitieux ».


Congé pour le décès d’un enfant : “Le deuil devient enfin un vrai sujet”


Après plusieurs réunions de concertation avec les associations et les partenaires sociaux, la proposition de loi, arrivée au Sénat selon le parcours législatif classique, a été enrichie de nouvelles mesures portées par le gouvernement. La majorité a bien retenu la leçon : l’« humanité » réclamée par Emmanuel Macron au plus fort de la polémique devient sa ligne de conduite. « Ces dernières semaines nous ont confirmé que la question du deuil d’un enfant n’exige rien d’autre qu’écoute et humilité », déclare Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, à la tribune du Sénat, le 3 mars. Dans la concorde, le texte est voté à l’unanimité par les sénateurs.


« Une loi plus généreuse »


Que contient la nouvelle mouture de la proposition de loi ? Le congé est tout d’abord étendu à 15 jours ouvrés. Il est ouvert aux travailleurs indépendants et agents publics, et non plus seulement aux salariés. Il s’applique pour le décès d’un enfant âgé de moins de 25 ans, et non plus pour les mineurs seulement. Le dispositif de dons de jours de repos pour les salariés, prévu dans le cadre de la loi Mathys, s’appliquera désormais aussi aux parents endeuillés.


Sur le modèle des dispositions protégeant les femmes après un congé maternité, la proposition de loi prévoit une mesure de protection contre le licenciement pour les salariés dans un délai de 13 semaines suivant le décès de l’enfant. On y trouve aussi le maintien pendant une durée qui sera fixée par décret (trois mois, selon la rapporteure) de certaines prestations familiales, qui normalement cessent le mois suivant le décès de l’enfant. Une mesure très attendue par les parents qui étaient confrontés à la disparition « du jour au lendemain » de ces aides sans avoir eu le temps de l’anticiper. On note aussi la création d’une prestation forfaitaire versée automatiquement par les caisses d’allocations familiales, dont le montant sera déterminé par décret. Entre 1000 et 2000 euros selon les ressources du foyer, prévoit le gouvernement. Ce soutien financier était également attendu par les associations, souvent confrontées à des familles qui ne peuvent pas payer les frais d’obsèques, dont le montant s’élève en moyenne à 3800 euros en France.


5 clés pour faire vivre la mémoire des défunts


« Ce pataquès a été l’occasion d’aller vers une loi plus généreuse et de sensibiliser tout le monde à la situation des parents endeuillés », salue Marie Boës, mère endeuillée et présidente de l’antenne parisienne de l’association Jonathan Pierres Vivantes, qui accompagne les parents qui ont perdu un enfant. Présente dans l’hémicycle au moment du vote, elle avoue avoir ressenti « l’empathie générale de nos représentants politiques ». Toutes ces mesures vont « dans le bon sens », estime Marie Boës pour qui la « reconnaissance de la spécificité du deuil d’un enfant dans le code du travail » est une avancée majeure.


Déceptions


Plus réservée, Pascaline Meyer, fondatrice de l’association Pour le sourire de Lucie, salue des progrès mais regrette que les parlementaires ne soient pas allés plus loin. Or c’est son histoire – le décès de sa fille Lucie à 15 ans, des suites d’un cancer – qui a incité Guy Bricout, lui-même confronté au deuil d’un enfant, à s’emparer du sujet.


Cette mère endeuillée du Nord de la France s’est investie à corps perdu dans un combat associatif pour aider les familles brisées par la perte d’un enfant ou confrontées à la maladie. Pour avoir dû payer récemment « en urgence » le devis d’obsèques d’un enfant de sept ans via son association, elle regrette que le montant de la prestation forfaitaire pour les frais d’obsèques ne soit pas plus important. Elle trouve par ailleurs trop courte la durée de la protection contre le licenciement, et déplore encore l’abandon de la proposition de maintenir le nom de l’enfant sur les documents administratifs de façon symbolique. « On a été écouté, mais je ne peux pas vous dire que la bataille est gagnée », conclut-elle.


Aimer les rires et les pleurs après la mort d’un enfant


« C’est un bon pas pour les médias mais un petit pas pour les endeuillés », juge Damien Boyer. Le fondateur de la plateforme Mieux traverser le deuil, qui regroupe plusieurs associations, est déçu. Co-réalisateur de l’émouvant documentaire sur le deuil parental, Et je choisis de vivre, sorti en 2019 et diffusé sur France 5 le 12 mars prochain, et bouleversé par les témoignages recueillis, il a choisi de s’investir pour une meilleure prise en charge de tous les types de deuils. Il appelait de ses vœux une grande loi sur le deuil en général.


Des associations fondamentales


« Les textes avancent doucement, il y a une prise de conscience, mais il y a beaucoup plus à faire », estime-t-il. « On ne peut pas réduire le deuil à un traitement administratif, à des mesures financières ou de suivi médical. Le deuil n’est pas une maladie. Rien n’a été fait pour les aidants dans la loi alors que l’accompagnement du deuil est principalement fait par l’entourage. »


Et de lister les idées qui remontent dans son réseau associatif : lancer une campagne nationale de sensibilisation, diffuser des outils au sein de l’Education nationale dans le cas de la perte d’un élève ou d’un membre de l’équipe éducative, ou bien au sein des entreprises, prendre en charge le deuil périnatal (perte d’un enfant in utero ou à la naissance)… D’ici le vote final à l’Assemblée nationale, prévu pour début avril, Damien Boyer compte bien profiter de ce créneau parlementaire inattendu pour « mettre la pression » sur les députés.


Satisfaites ou non, ces associations se révèlent fondamentales dans le soutien aux parents endeuillés, accablés par le chagrin et bien souvent démunis face à des démarches administratives complexes. Guy Bricout l’a constaté : « À chaque fois qu’un enfant meurt, une association se crée. »

 

Congé pour le décès d’un enfant : les associations partagées entre satisfaction et déception

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Inhumanité, indignité, bourde… Il y a un mois, les députés La République en marche (LREM) et le gouvernement suscitaient l’indignation générale. Suivant l’avis de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, les députés de la majorité avaient rejeté, le 30 janvier, la proposition de loi de leur collègue UDI Guy Bricout qui visait à allonger le congé de deuil pour le décès d’un enfant, de cinq à douze jours. Devant le tollé, ils se sont empressés de rétropédaler avec la promesse d’un texte « plus ambitieux ».


Congé pour le décès d’un enfant : “Le deuil devient enfin un vrai sujet”


Après plusieurs réunions de concertation avec les associations et les partenaires sociaux, la proposition de loi, arrivée au Sénat selon le parcours législatif classique, a été enrichie de nouvelles mesures portées par le gouvernement. La majorité a bien retenu la leçon : l’« humanité » réclamée par Emmanuel Macron au plus fort de la polémique devient sa ligne de conduite. « Ces dernières semaines nous ont confirmé que la question du deuil d’un enfant n’exige rien d’autre qu’écoute et humilité », déclare Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, à la tribune du Sénat, le 3 mars. Dans la concorde, le texte est voté à l’unanimité par les sénateurs.


« Une loi plus généreuse »


Que contient la nouvelle mouture de la proposition de loi ? Le congé est tout d’abord étendu à 15 jours ouvrés. Il est ouvert aux travailleurs indépendants et agents publics, et non plus seulement aux salariés. Il s’applique pour le décès d’un enfant âgé de moins de 25 ans, et non plus pour les mineurs seulement. Le dispositif de dons de jours de repos pour les salariés, prévu dans le cadre de la loi Mathys, s’appliquera désormais aussi aux parents endeuillés.


Sur le modèle des dispositions protégeant les femmes après un congé maternité, la proposition de loi prévoit une mesure de protection contre le licenciement pour les salariés dans un délai de 13 semaines suivant le décès de l’enfant. On y trouve aussi le maintien pendant une durée qui sera fixée par décret (trois mois, selon la rapporteure) de certaines prestations familiales, qui normalement cessent le mois suivant le décès de l’enfant. Une mesure très attendue par les parents qui étaient confrontés à la disparition « du jour au lendemain » de ces aides sans avoir eu le temps de l’anticiper. On note aussi la création d’une prestation forfaitaire versée automatiquement par les caisses d’allocations familiales, dont le montant sera déterminé par décret. Entre 1000 et 2000 euros selon les ressources du foyer, prévoit le gouvernement. Ce soutien financier était également attendu par les associations, souvent confrontées à des familles qui ne peuvent pas payer les frais d’obsèques, dont le montant s’élève en moyenne à 3800 euros en France.


5 clés pour faire vivre la mémoire des défunts


« Ce pataquès a été l’occasion d’aller vers une loi plus généreuse et de sensibiliser tout le monde à la situation des parents endeuillés », salue Marie Boës, mère endeuillée et présidente de l’antenne parisienne de l’association Jonathan Pierres Vivantes, qui accompagne les parents qui ont perdu un enfant. Présente dans l’hémicycle au moment du vote, elle avoue avoir ressenti « l’empathie générale de nos représentants politiques ». Toutes ces mesures vont « dans le bon sens », estime Marie Boës pour qui la « reconnaissance de la spécificité du deuil d’un enfant dans le code du travail » est une avancée majeure.


Déceptions


Plus réservée, Pascaline Meyer, fondatrice de l’association Pour le sourire de Lucie, salue des progrès mais regrette que les parlementaires ne soient pas allés plus loin. Or c’est son histoire – le décès de sa fille Lucie à 15 ans, des suites d’un cancer – qui a incité Guy Bricout, lui-même confronté au deuil d’un enfant, à s’emparer du sujet.


Cette mère endeuillée du Nord de la France s’est investie à corps perdu dans un combat associatif pour aider les familles brisées par la perte d’un enfant ou confrontées à la maladie. Pour avoir dû payer récemment « en urgence » le devis d’obsèques d’un enfant de sept ans via son association, elle regrette que le montant de la prestation forfaitaire pour les frais d’obsèques ne soit pas plus important. Elle trouve par ailleurs trop courte la durée de la protection contre le licenciement, et déplore encore l’abandon de la proposition de maintenir le nom de l’enfant sur les documents administratifs de façon symbolique. « On a été écouté, mais je ne peux pas vous dire que la bataille est gagnée », conclut-elle.


Aimer les rires et les pleurs après la mort d’un enfant


« C’est un bon pas pour les médias mais un petit pas pour les endeuillés », juge Damien Boyer. Le fondateur de la plateforme Mieux traverser le deuil, qui regroupe plusieurs associations, est déçu. Co-réalisateur de l’émouvant documentaire sur le deuil parental, Et je choisis de vivre, sorti en 2019 et diffusé sur France 5 le 12 mars prochain, et bouleversé par les témoignages recueillis, il a choisi de s’investir pour une meilleure prise en charge de tous les types de deuils. Il appelait de ses vœux une grande loi sur le deuil en général.


Des associations fondamentales


« Les textes avancent doucement, il y a une prise de conscience, mais il y a beaucoup plus à faire », estime-t-il. « On ne peut pas réduire le deuil à un traitement administratif, à des mesures financières ou de suivi médical. Le deuil n’est pas une maladie. Rien n’a été fait pour les aidants dans la loi alors que l’accompagnement du deuil est principalement fait par l’entourage. »


Et de lister les idées qui remontent dans son réseau associatif : lancer une campagne nationale de sensibilisation, diffuser des outils au sein de l’Education nationale dans le cas de la perte d’un élève ou d’un membre de l’équipe éducative, ou bien au sein des entreprises, prendre en charge le deuil périnatal (perte d’un enfant in utero ou à la naissance)… D’ici le vote final à l’Assemblée nationale, prévu pour début avril, Damien Boyer compte bien profiter de ce créneau parlementaire inattendu pour « mettre la pression » sur les députés.


Satisfaites ou non, ces associations se révèlent fondamentales dans le soutien aux parents endeuillés, accablés par le chagrin et bien souvent démunis face à des démarches administratives complexes. Guy Bricout l’a constaté : « À chaque fois qu’un enfant meurt, une association se crée. »