À quoi sert l’Enseignement catholique ? 

Standard


Le caractère propre de l’enseignement privé, reconnu par la loi Debré en 1959, réside surtout dans l’appartenance confessionnelle. Mais est-ce encore une réalité, quand très peu de parents inscrivent leurs enfants pour des raisons spirituelles ?


L’accueil de tous est dans notre ADN. Les parents qui ne se disent pas pratiquants sont heureux que l’école propose cette dimension spirituelle, que leur enfant soit accueilli et aimé comme une personne unique. Lorsque notre projet est clairement présenté aux familles, nous provoquons une forme d’adhésion. Ainsi, même des parents musulmans font le choix de l’école catholique parce que « Dieu n’est pas à la porte ». Un collège marseillais compte par exemple 90 % d’élèves de confession musulmane ; il est pourtant authentiquement catholique. La mixité culturelle et religieuse contribue à apaiser notre société. Plus les jeunes se rencontreront tôt, dans leurs différences, plus le risque du communautarisme diminuera.


Accueillir chacun tel qu’il est : n’est-ce pas aussi le cas dans l’enseignement public ?


Bien sûr, personne n’a « le monopole du coeur ». Mais il s’agit pour nous d’un devoir, au coeur de notre projet éducatif et qui s’enracine dans l’Évangile. Et nous avons la chance de pouvoir ne pas compter sur nos seules forces, mais de nous appuyer sur la prière. Si on ne vit pas des sacrements, on va résonner creux. Évidemment, nous ne sommes pas parfaits et nous avons tous à gagner en cohérence, à faire en sorte que ce que nous écrivons, qui est toujours très beau, corresponde à ce que nous vivons…


Dans chaque établissement, une communauté de chrétiens doit être active et visible.


Soit. Mais que fait-on lorsque même les enseignants ne sont plus chrétiens ?


Nos Instituts supérieurs de formation de l’enseignement catholique (Isfec) font découvrir aux candidats notre projet spécifique. Il leur est demandé de le faire vivre, là où ils sont, comme ils sont, tout en laissant à chacun la liberté de croire. Dans chaque établissement, une communauté de chrétiens doit être active et visible, afin d’assurer cette présence et porter le projet. Il suffit de deux ou trois, pour que le Christ soit présent, comme il l’a promis.


Est-ce toujours le cas ?


Oui, tout de même ! Et quand bien même il n’y aurait que le chef d’établissement, il porte cette mission pastorale qui lui est confiée et agit par contamination. Les signes visibles sont présents.


Pour des raisons évangéliques, l’enseignement catholique ne renoncera jamais à l’accueil de tous.


Certains parents reprochent une proposition pastorale trop peu nourrissante et trouvent davantage de cohérence dans le hors-contrat. Votre réaction ?


Il nous faut être attentifs aux demandes des familles catholiques pratiquantes. L’enseignement catholique est aussi fait pour elles, faut-il le rappeler ? Concernant le hors-contrat, nous nous sommes assez battus afin que soit reconnue la liberté scolaire pour ne pas la refuser à certains. Je respecte donc ce choix, qui s’analyse par un faisceau d’explications. Mais privilégier un entre-soi n’est pas notre projet. Pour des raisons évangéliques, l’enseignement catholique ne renoncera jamais à l’accueil de tous.


Comment conjuguer cet accueil de tous avec la mission d’annoncer l’Évangile et de favoriser une rencontre personnelle avec Dieu ?


C’est le rôle de tout baptisé, consacré « prêtre, prophète et roi », de vivre de la bonne nouvelle du Christ et de l’annoncer. Je crois beaucoup dans le témoignage de vie, dans notre manière d’être avec les autres, de les accueillir. Si les jeunes se sentent réellement aimés, à travers nous, ils découvriront le Christ. Cela arrive souvent par une rencontre : avec un copain, un prof, un membre du personnel. Je suis moi-même le parrain d’un ancien professeur qui a demandé le baptême et parrain de confirmation d’un chef d’établissement. Chacun peut devenir un chemin vers Dieu.


La catéchèse et la participation à l’eucharistie relèvent de la foi et supposent une libre adhésion. Elles ne peuvent revêtir un caractère obligatoire.


Les élèves non catholiques sont-ils tenus de participer aux célébrations ?


Il s’agit de distinguer les différents plans. La catéchèse et la participation à l’eucharistie relèvent de la foi et supposent une libre adhésion. Elles ne peuvent revêtir un caractère obligatoire. En revanche, la culture religieuse, qui est une transmission des connaissances, ne peut être facultative.


Le contrat avec l’État vous contraint. Quelle est votre marge de manoeuvre à l’égard de certains enseignements, tel le genre comme construction sociale ou le libre choix de l’orientation sexuelle ?


Notre liberté est grande, puisque le contrat d’association nous impose simplement d’enseigner les programmes de l’Éducation nationale. Certains manuels scolaires versent parfois dans l’interprétation, c’est particulièrement vrai sur ces questions, en effet, mais aussi sur d’autres : j’ai commencé ma carrière comme professeur de sciences économiques et sociales, à une époque où les théories économiques étaient plutôt orientées… Il nous appartient de choisir les manuels et de les utiliser librement. De manière générale, notre mission consiste, à donner des outils aux élèves afin de les aider à discerner et présenter une vision de l’homme qui s’appuie sur l’anthropologie chrétienne. Si on pense qu’elle est un chemin de bonheur, on ne va pas la garder pour nous !


Notre mission consiste, à donner des outils aux élèves afin de les aider à discerner.


Les infirmières scolaires, recrutées par le chef d’établissement, reçoivent-elles des consignes particulières ? Comment réagissent-elles si on leur demande la pilule du lendemain, par exemple ?


La plupart de nos établissements n’ont pas d’infirmière scolaire, souvent pour une question de taille. En tant que chef d’établissement, j’ai été confronté à cette situation. Il nous serait difficile d’insister sur le fait que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et, dans le même temps, les tenir éloignés de leur vécu. Sans en tirer de généralité car chaque histoire est unique et dépend du contexte familial, parfois complexe, j’ai toujours obtenu que l’élève aborde le sujet avec ses parents. Nos établissements n’ont pas à distribuer la pilule du lendemain.


Votre projet pastoral constitue l’un de vos chantiers de réflexion, finalisé en 2020. Cherchez-vous à innover ?


Il ne s’agit pas tant d’innover que de relire notre projet pastoral : quel est le rôle de l’enseignement catholique dans un monde qui a évolué, dans une société où la pratique religieuse a diminué et qui s’est sécularisée ? Quelle est notre proposition ? Comment évangéliser, aujourd’hui, dans un contexte où plus rien n’est évident, où nos contemporains ont assez peu de connaissances ?


Comment passer d’une pastorale par le haut à une pastorale qui rejoint la personne là où elle en est, puis cheminer avec elle ?


En raison de ce décalage, n’est-il pas tentant de choisir la facilité et de gommer l’aspect confessionnel ?


Ce décalage est réel, mais j’y vois une chance. Qu’il s’agisse de nos élèves ou même des jeunes enseignants, beaucoup n’ont rien reçu – certains n’ont jamais lu ni entendu une ligne de l’Évangile – mais ils sont curieux et ouverts. Notre questionnement s’apparente à la préoccupation du Saint-Père au sujet des périphéries : comment passer d’une pastorale par le haut à une pastorale qui rejoint la personne là où elle en est, puis cheminer avec elle ? Jésus n’a pas fait autrement avec les disciples d’Emmaüs. Notre pastorale doit être centrée sur cette démarche. Le nouveau président du conseil épiscopal de l’enseignement catholique, Mgr Ulrich, rappelle dans sa lettre pastorale de rentrée pour les communautés éducatives, qu’elle repose sur trois critères : « L’accueil de tous, l’annonce de l’Évangile et la visibilité de groupes chrétiens. »


La question de l’identité de l’école catholique est clivante, y compris au sein de l’épiscopat français…


Je ne parlerai pas de clivage, mais plutôt de diversité qui est une richesse pour l’Église. La diversité des propositions favorise l’accueil de tous. Différentes sensibilités s’y sont toujours exprimées. Certaines décisions correspondent d’ailleurs aux réalités locales. C’est ainsi que certains évêques, par exemple, ont reconnu canoniquement des écoles hors contrat L’essentiel est de préserver le ministère de la communion.


Quelles sont vos raisons d’espérer ?


Je crois beaucoup dans la jeunesse, sans doute moins matérialiste que notre génération, sa capacité à s’investir. Elle est curieuse, demandeuse. À nous de nous appuyer sur la générosité et l’ouverture de ces jeunes pour insuffler le sens qu’ils cherchent à leur vie. Le Christ est la plus belle réponse. N’ayons pas peur de témoigner de notre espérance, être signes de la joie qui nous habite pour notre jeunesse.


 

Philippe Delorme, diacre de 56 ans, père de cinq enfants, a été directeur diocésain du Val-de-Marne pendant 10 ans, mais aussi chef d’établissement dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis. Il vient de faire sa première rentrée comme patron de l’enseignement catholique.