Handiplage nous met tous à l’eau

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Entre les rochers et l’étendue de sable, dessinant une virgule de gravier bitumé, la rampe glisse en pente douce jusqu’à la plage. Une voie directe pour les rivages de l’océan Atlantique et les vagues de la Côte d’Argent. C’est grâce à cette bretelle d’accès, bordée de balustrades en bois, que Ramón Espi peut rejoindre la plage de la Petite Chambre d’Amour, à Anglet (Pyrénées-Atlantiques). Un havre estival surplombé par la falaise du cap Saint-Martin, creusée de grottes, et l’étincelant phare de Biarritz. « J’aime me retrouver dans l’eau, me plonger dans cette lessiveuse ! Je prends des bains de mer tout l’été, mais aussi en hiver, avec une combinaison. » Handicapé, Ramón Espi, 57 ans, vit en fauteuil roulant depuis un accident de moto, à l’âge de 27 ans. « Avant ces aménagements sur le littoral, j’étais obligé de rouler sur le sable, le fauteuil s’enlisait… Rien n’était prévu pour les personnes handicapées. Elles pouvaient utiliser les rampes de mise à l’eau des bateaux, mais ce n’était pas pratique ».


Vingt ans de combat, 150 plages accessibles


Avec sa compagne, Brigitte Berckmans, infirme moteur cérébral, cet ancien dessinateur en construction mécanique, tout juste retraité, est à l’origine de l’association Handiplage. Cette structure, qui compte une centaine d’adhérents, agit pour favoriser l’accès des personnes à mobilité réduite aux loisirs et à la plage. Le combat fut long pour inciter les communes à aménager les sites. Tout a commencé il y a plus de 20 ans, en 1995, lorsque le couple basque a découvert, à la lecture d’un article de presse, que l’Hôpital Marin d’Hendaye, spécialisé dans la prise en charge d’adultes lourdement handicapés, faisait bénéficier ses patients de bains de mer. « Les pensionnaires étaient transportés sur des brancards. Au culot, nous nous sommes rendus à Hendaye, mais à la fin de l’été l’établissement nous a dit qu’il ne pouvait pas continuer à nous accueillir en plus de ses pensionnaires. Nous étions une bande de copains à aller dans l’eau, à jouer au basket et nous avons songé à nous regrouper ! » Au fil des rencontres, et avec le soutien du médecin Brigitte Soudrie, chef de service à l’Hôpital Marin d’Hendaye, le projet a mûri. Et l’association Handiplage est née deux ans plus tard, en 1997.


Le but de ce label, c’est que la personne handicapée soit le plus autonome possible sur la plage


Basée à Bayonne, l’association délivre un label « Handiplage » – de quatre niveaux de qualité, symbolisés par des bouées marines -, attribué en fonction de l’accessibilité (stationnement, roulement aménagé du parking à la baignade) et des équipements spécifiques du site : douches, sanitaires, vestiaires… « Le but de ce label, c’est que la personne handicapée soit le plus autonome possible sur la plage ».  Cet été 2019, en France, 85 plages sont labellisées Handiplage. Si l’on ajoute celles qui bénéficient de la marque nationale de l’association Tourisme & Handicaps, créée en 2001, ce sont plus de 150 plages qui sont accessibles aux personnes en situation de handicap. L’une des dernières labellisées est la plage de l’anse du Stole, située près d’un centre de rééducation fonctionnelle, à Ploemeur, dans le Morbihan. Certaines plages (niveau 4), comme à Saint-Jean-de-Luz, sont dotées d’un dispositif Audioplage pour les déficients visuels : des bouées sonores permettent aux personnes non voyantes ou malvoyantes de connaître leur position lors d’une baignade et de se diriger en toute autonomie dans l’eau.


Un nouveau métier : « handiplagiste »


Gratifiée de trois bouées, la plage de la Petite Chambre d’Amour, à Anglet, dispose d’un poste de secours, d’une rampe d’accès, mais aussi d’une aire de repos et d’abri contre le soleil, et de la présence en période estivale d’une « handiplagiste ». « Nous avons créé ce nouveau métier ! », explique Ramón Espi, dont l’association est à l’initiative de cette formation diplômante d’accompagnement à la baignade des personnes handicapées et en situation de dépendance.


Apprentissage des règles de sécurité, des gestes et des postures, sensibilisation au handicap… Quelque 160 handiplagistes, en France, ont déjà bénéficié de cette formation. L’une des missions de ces accompagnateurs est de manœuvrer le Tiralo, un fauteuil roulant amphibie. La plage d’Anglet en possède deux. Cet équipement a été conçu, après trois ans de mise au point, par Robert Guiglion, à l’époque directeur du Centre d’Aide par le Travail L’Ensoleillade, installé à Jurançon. « Il est parti d’un brancard, auquel il a fixé des roues, puis des flotteurs. Un filet de protection a ensuite été ajouté, pour protéger les jambes dans les vagues. Le Tiralo, c’est le chaînon manquant pour pouvoir aller à l’eau ! Avant, nous devions prendre de vieux fauteuils qui étaient rapidement rouillés », rappelle Ramón Espi. Un autre engin existe, baptisé l’Hippocampe : il s’agit d’un fauteuil aquatique, mais qui ne flotte pas. Il permet à la personne handicapée d’entrer dans l’eau, avant de nager.


Une prise de conscience croissante


Grâce à ces aménagements et à ces équipements ingénieux, les personnes handicapées peuvent goûter aux plaisirs balnéaires. « C’est notre fierté d’avoir mené à bout tous ces projets, d’avoir suscité une prise de conscience : les personnes valides ne nous regardent plus de la même façon. Nous faisons partie du paysage ! », se réjouit Ramón Espi, avant de tempérer : « Bien sûr, je connais encore des personnes handicapées qui n’osent pas se retrouver sur une plage…. » Son handicap n’a jamais empêché ce sportif, guitariste amateur, de pratiquer de nombreuses activités physiques, du ski au surf. « Les mentalités ont changé. Il y a 20 ans, lorsque nous nous adressions aux villes, elles étaient réticentes, comme si elles ne comprenaient pas notre envie de nous baigner ! S’il est vrai que la loi de 2005 sur le handicap n’évoque pas les plages, des améliorations sont cependant entreprises à l’occasion des travaux d’aménagement du littoral liés à l’érosion. Cela dit, j’ai peur que cela ne dure pas. Les villes se contentent parfois du minimum ».


Des propos que comprend Joëlle Turcat, adjointe au maire d’Anglet, déléguée à l’emploi, à l’insertion professionnelle et au handicap : « Il ne s’agit pas seulement de créer une rampe d’accès inclinée et de laisser péricliter le site, il faut que les collectivités accompagnent les associations, engagent une réelle réflexion sur le handicap ». Sur le front de mer, le combat pour la baignade pour tous n’est pas terminé.


À savoir : Association Handiplage

39, rue des Faures 64100 Bayonne.

Tél. : 05 59 50 08 38. www.handiplage.fr

Martine Balençon, une pédiatre aux petits soins

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Ici, le visage souriant d’une fillette sous un rocher. Là, l’air étonné d’un blondinet en polo rouge et jaune. Sur le mur opposé, la photo d’un autre garçon dans un petit pull marine, le regard rivé sur le canard en plastique qu’il essaie de pêcher. Et, juste au-dessus, en plan rapproché, un bébé suçant son pouce qui a glissé sa main droite dans la bouche de sa maman, les yeux plongés dans les siens. Martine Balençon, pédiatre et médecin légiste, a accroché les portraits de ses quatre enfants dans son bureau de la Cased (Cellule d’accueil et de soins de l’enfance en danger), au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine). Mais à peine a-t-on mis un pied dans son « antre » qu’elle désigne le cliché d’une femme d’un certain âge, posant devant les tours de La Rochelle. Sa mère, décédée l’an dernier : « Elle aurait aujourd’hui 93 ans. C’était une anesthésiste de province, pionnière dans son domaine, très humble, qui s’était formée en Angleterre. Dans les années 1960, elle allait…