Mariage en Thaïlande: passeport des générations 

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Assis sur un tapis rouge, Naree, 33 ans, et Athit, 32 ans, soulèvent doucement une lourde théière en porcelaine dans le salon d’une petite maison de la Province de Trat en Thaïlande. Suivant méticuleusement les directives du maître de cérémonie, Anna, les futurs mariés servent délicatement le thé à leurs parents. Bruits de tasse, silence, lèvres humectées du breuvage bouillant : ces gestes sont l’un des événements les plus marquants de la cérémonie du mariage chinois. En effet, le théier ne se transplante pas, il ne peut que germer et se développer à partir de la graine. Les Chinois considèrent donc que le thé symbolise la loyauté, l’amour et la perspective d’une vie conjugale heureuse. Cette cérémonie, appelée jing cha, implique alors une promesse très solennelle des jeunes mariés et marque l’expression du respect envers leur famille. Mais cette interprétation, les époux la connaissent-ils seulement ? Car cette coutume, très codifiée et complexe, se transmet difficilement au fil des générations. Au sein des familles, quelques personnes seulement à l’instar d’Anna restent capables de les prononcer. Aussi, depuis une heure, Naree et Athit exécutent cette danse étrange, se déplaçant et s’actionnant tels des marionnettes.


Et pour cause : à Bangkok, le couple vit au rythme du grand théâtre de la ville. Athit, ingénieur en environnement, et Naree, responsable environnement, se sont construits un avenir, empreint de modernisme et engagé. Cette soif du temps présent et ce besoin de se projeter dans le futur a dissipé peu à peu le souvenir des traditions passées. La célébration d’un mariage à l’occidental où champagne, fleurs et robe blanche scintillent, semblait naturel et plaisant. Mais ce faste n’était pas suffisant.

© Brice Blanc / Asie à Deux
© Brice Blanc / Asie à Deux


Arrivé le 14 avril 1975 en Thaïlande, l’oncle de Naree raconte l’histoire de cette famille aux origines multiples : « Alors que les Khmers rouges venaient de prendre Phnom Penh, et avec elle mes parents et mes sœurs, je suis parti. La Province de Trat, territoire thaïlandais longeant les forêts du Cambodge, était à cette époque une terre d’accueil pour de nombreux compatriotes. Mes sœurs s’y rendirent à la libération. Tout comme nos parents avaient fui la Chine 30 ans plus tôt et offert à leur enfants une nouvelle patrie, mes sœurs s’approprièrent ses terres et y conduisirent leur vie. Aussi, ma nièce, d’origine khmer par sa mère et chinoise par sa grand-mère, est née Thaïlandaise. »


Cette succession d’exode pourrait faire craindre une perte d’identité, cependant Naree reste particulièrement attachée à son héritage chinois. Comme garante du passé et du présent, elle a choisi de célébrer son union par une cérémonie sino-thaï. « Qu’importe le caractère ou la signification qu’on lui porte, l’important ici est de se souvenir », confie Naree. La journée a  commencée par un cortège matinal très festif durant lequel le jeune Athit a été conduit aux portes de la maison de Naree selon la tradition thaïe. Après avoir franchi les sept « portails » d’or et d’argent le séparant de son épouse, ce dernier l’a rejoint et invitée à quitter sa chambre pour qu’ils se retrouvent lors de la fameuse cérémonie du thé chinoise.

Athit franchit les sept portails d'or et d'argent pour rejoindre sa fiancée. ©...
Athit franchit les sept portails d’or et d’argent pour rejoindre sa fiancée. © Brice Blanc / Asie à Deux


Naree et Athit sont un couple aux multiples facettes. Témoins actifs de la modernisation frappante de la Thaïlande, ils opposent leurs jeunesses Bangkokiennes et leurs obligations familiales. Pourtant, ils s’abandonnent, le temps d’un jour, aux directives des plus anciens, se reconnaissant héritiers d’un folklore. Au sein de leur génération, les jeunes misent sur l’adaptation et finalement, ne ressentent pas de conflit identitaire. Acteur d’un quotidien moderne et international, ils gardent en eux le témoignage et la considération de leurs aïeux.


Pour suivre leur aventure : asieadeux.com