Quand un parent ou un proche est (trop) souffrant 

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On comprend la lourdeur de ce type d’expérience seulement quand on la vit. S’apercevoir qu’un proche souffre psychiquement et que cette souffrance se révèle au-delà de ce qu’il est commun de connaître. Ne pas savoir non plus ce qu’il en est, parce que l’on n’est pas « spécialiste ». D’où l’interrogation incessante dans le but d’être bien sûr de ce qui se passe, de comprendre, d’identifier le mal. On va chercher sur Internet. On se renseigne auprès de psys, mais cela semble flou. À la limite, une « maladie » psychiatrique identifiée, et traitée, serait plus « simple », parce que socialement dicible (dans une certaine mesure). 


Mais là, c’est plus subtil, et plus ça dure, moins on sait quoi faire. Tel frère est « mal » depuis des années et s’enfonce dans une sorte de solitude. Il avance sur une ligne de crête, tenant à son travail et son travail le tenant, mais sans aucune autre relation de proximité en dehors de son emploi. Complètement seul, marinant dans ses sombres pensées. Telle mère vieillit mal, et s’est refermée sur elle-même depuis son divorce. Sa fille, plutôt heureuse dans sa simple vie familiale n’ose plus la voir tant c’est douloureux d’être témoin de sa manière de s’enfoncer dans l’amertume, dans les récriminations, dans sa haine de ceux qui vont plutôt bien.


Leur souffrance nous met en souffrance.


Le rapport que nous avons avec ces proches en souffrance est étrange. Leur souffrance nous met en souffrance. Cette souffrance qu’ils génèrent en nous est celle de l’impuissance, et d’une forme de violence, par laquelle ils en rajoutent parfois pour nous montrer combien nous avons de la chance d’être ce que nous sommes, d’avoir la vie que nous avons. Alors que faire ? Sans doute, accepter un certain inconfort. Le volontarisme, nous le savons, ne suffira pas. 


On a beau conseiller, il faut se rendre compte combien les conseils sont souvent donnés à bon compte. Et le « bon compte » ne leur suffit pas. Il s’agit surtout d’être là, mais pas trop, pour ne pas être atteint quand celui qui fut si proche est, sans le savoir, envieux de notre existence et qu’il nous le fait sentir dans son attitude, parfois par une hostilité à peine contenue. Rester en lien aussi parce qu’il peut, à un moment ou un autre, s’ouvrir une fenêtre d’écoute et d’échange par laquelle quelque chose pourra être dit, échangé qui aidera notre proche souffrant à avancer.


Un minimum d’inconfort est alors utile pour acquérir une sorte de finesse dans l’écoute.


Il s’agit aussi de garder une certaine modestie. On ne sait pas très bien, au fond, pourquoi notre vie n’est pas si mal que cela, et pourquoi nous ne nous sentons pas séparés du mouvement de la vie et de ce qui nous relie les uns aux autres. Sans doute avons-nous fait des bons choix. Mais, pour le reste, il y aussi une part de chance. Cette chance insolente qui fait le bonheur – certes relatif – qui est le nôtre. Ce frère en souffrance dont je perçois les entêtements et les errements, dont je sais que – pour une part et une part seulement – il s’est forgé sa propre prison, j’ai en quelque sorte une solidarité de destin avec lui. Son enfermement n’est pas le mien, mais me raconte quelque chose de moi-même, et de pentes d’incertitudes ou de fuites qui sont en moi et auxquelles je n’ai pas cédé. 


Je ne sais pas si cet inconfort est salutaire, et même s’il est utile à celui, si proche, qui m’interpelle, et fait souvent pression. Il m’aide en tous cas à ne pas être propriétaire de mes recettes ou de mes conseils, et à ne pas me protéger par mes certitudes. Un minimum d’inconfort est alors utile pour acquérir une sorte de finesse dans l’écoute et le discernement. Il n’y a pas grand-chose à « faire », mais surtout à habiter cette incertitude qui aide parfois à entendre ou accompagner, sans complaisance, mais aussi sans leçon à donner.