“Père et époux, j’ai peur que notre fragile équilibre familial ne se brise“

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« Je vous écris pour vous expliquer ma situation qui est pour moi très angoissante. Voilà, je suis marié et papa d’une petite fille de 4 ans et demie que j’aime plus que tout, et qui est au quotidien une boule de bonheur pour moi. A l’arrivée de notre enfant, notre couple a subi une tornade, ça a été très difficile, ma femme a un caractère très fort et pendant les moments difficiles de l’enfant (nuits difficiles ou autres…) les propositions que je faisais à ma femme pour aider à passer le cap (comme par exemple permettre à chacun d’aller passer une nuit seul(e) à l’étage de la maison afin de pouvoir au moins dormir une nuit complète), était vécue de sa part comme de “l’égoïsme” de ma part.

Nous avons très difficilement passé cette étape au point d’en arriver à une pause de deux semaines qui à ce moment-là nous a fait du bien et permis de repartir tout doucement.

Pourtant les problèmes de fond restaient. Il y a deux ans, ma femme m’annonce qu’elle est enceinte (elle avait arrêté la pilule et n’avait pas repris d’autres moyens de contraception sans vraiment m’en parler… Tout juste je savais en ayant entendu une conversation avec sa maman que le gynéco lui avait demandé d’arrêter la pilule) et tout cela, alors que nous avions, lors d’une énième dispute, décidé de nous séparer quelques temps avant.

Je lui ai alors fait part de ma volonté de ne pas accueillir un enfant dans ces conditions et l’IVG avait alors été décidé (elle ayant pris conseil aussi auprès de sa maman).

Seulement cela a été traumatisant pour elle, et je dois avouer que pour moi aussi cela a été difficile aussi.

Mais voilà, hier alors que je parlais avec elle dans un moment de calme pour mettre les choses à plat sur les conditions pour accueillir un enfant (je sentais son envie d’en avoir un à nouveau assez présente), elle me dit qu’elle est certainement enceinte car elle ressent des nausées. Et autres symptômes (elle ne prend toujours pas de contraceptif mais je mettais un préservatif, sauf une fois…).

Alors voilà je viens de passer une nuit assez terrible avec des réveils dans l’angoisse, le cœur battant la chamade… des suées… en résumé j’angoisse terriblement.

J’ai peur que le fragile équilibre retrouvé ne se brise, et surtout j’ai peur de revivre la même situation qui m’a plongé quasiment dans une déprime qui a duré (avec des hauts et des bas) quasiment un an.

Je suis perdu ! »


> La réponse de Jacques Arènes : 


Vous m’écrivez en effet pendant une séquence dramatique où un enfant peut s’annoncer alors que votre couple ne va pas si bien. Répéter une IVG, ce serait recommencer le traumatisme que vous avez vécus tous les deux il n’y a pas si longtemps. Et ce serait une forme de « passage à l’acte » puisque vous vous seriez mis tous les deux, sans le vouloir consciemment, dans les mêmes conditions de crise qu’il y a quelques années : une forme de connivence et d’accord mutuel sur la manière d’accueillir un bébé n’est semble-t-il pas encore acquis. Ceci dit, votre épouse a seulement évoqué certains « symptômes », et le terme que vous employez est bien le signe que cette éventuelle grossesse – présentée comme une maladie – ne serait pas la bienvenue pour vous. Il est possible que ce qu’elle vous annonce, qui est loin d’être sûr, ait aussi une valeur de test par lequel elle jauge plus ou moins consciemment votre désir d’enfant et le sien.


Il n’empêche, l’équilibre que vous avez trouvé tous les deux est bien fragile, et s’avère menacé par un éventuel événement que l’on qualifie habituellement d’heureux. C’est tellement peu le cas que l’idée même qu’elle soit enceinte vous empêche de dormir. Cela pose évidemment la question de votre couple : qu’est-ce qui vous fait encore « tenir » tous les deux ensemble ? Est-ce seulement la petite fille que vous avez tous les deux désirée ? Vous narrez votre histoire commune en indiquant clairement que les choses sont allées plus mal quand elle est arrivée. Cela n’est, en effet, pas rare que la venue d’un enfant soit un facteur séparateur. Cette venue mobilise en effet un désir, et une angoisse, de responsabilité très profonds qui se traduisent souvent par des attentes fortes vis-à-vis du conjoint, attentes qui ne sont évidemment pas remplies quand elles sont trop idéales. Votre femme attendait beaucoup de vous et vous auriez « failli ». Vous avez, quant à vous, été meurtri de ne pas avoir été consulté dans la « gestion » de la contraception de la part de votre épouse. Vous avez d’ailleurs appris fortuitement qu’elle avait arrêté la pilule, sans avoir essayé apparemment de lui poser des questions sur la raison d’un tel arrêt, et sans avoir tenté de prendre en charge avec elle la question. La crise a au moins permis que vous vous impliquiez plus dans le processus, et que vous soyez donc moins passif.


Tout cela est néanmoins très douloureux, ces enfants, présents ou à venir, qui vous séparent, la seule décision (plus ou moins) commune étant celle de l’IVG. Alors qu’on souhaiterait que ce soit la mise en en route d’un enfant qui soit réellement décidée ensemble. Apparemment c’est loin d’être le cas. Ce qui est nouveau est, comme je l’écris plus haut, que vous semblez plus impliqué actuellement. Nous revenons alors à ma question, à mon avis essentielle. Qu’est-ce qui vous fait « tenir » ensemble, après ces drames ? Revenez-y pour vous-même et, si c’est possible, avec elle. Vous ne pouvez continuer à vous épuiser tous les deux en cherchant un équilibre à coups d’éloignements réguliers pour apaiser la tension. Repartez donc de ce qui vous a uni avant que votre fille, cette « boule de bonheur », s’insinue entre vous. Et essayez de le faire vivre, si cela existe encore. Avez-vous mis sur la table, par ailleurs, ces conceptions différentes qui sont les vôtres concernant la manière d’investir la petite, le partage des tâches et surtout, la place qui est alors laissée à la vie conjugale ? C’est sûrement en ces différences, qui sont devenues un différend, que le fossé conjugal s’est creusé. Si vous restez ensemble, une psychothérapie de couple pourrait vous aider à aborder tout cela d’une manière dépassionnée.