Directive Travel : menace sur les camps et colonies de vacances

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« Un voyage scolaire serait-il une activité lucrative ? Qui peut mettre un prix sur un coucher de soleil observé par des jeunes ? » C’est avec inquiétude que s’exprimait François Mandil, délégué national des Scouts et Guides de France (SGDF), au micro de RCF le 25 avril. En cause : la transposition en France d’une directive européenne de protection des consommateurs. Votée en 2015, elle vise à assurer aux clients d’une agence de tourisme installée en Europe qu’ils seront remboursés si une activité qu’ils ont payée n’a finalement pas lieu. Mais dans sa traduction française, le résultat est tout autre : la Direction générale des entreprises n’a pas pris en compte la dérogation prévoyant que les associations et organismes sans but lucratif n’aient pas à s’inscrire au registre du tourisme – puisqu’ils n’en sont pas un acteur. Or, à partir du 1er juillet, la loi les considérera donc soumis au même règle qu’une agence de voyage ou un Tour opérateur.


La première conséquence est financière : toute association devra justifier d’une garantie financière pour couvrir l’ensemble de ses camps, et basculera dans un régime de responsabilité de plein droit, devenant responsables de l’exécution des services « vendus » aux parents. « Le baromètre devient la satisfaction du consommateur, explique François Mandil à La Vie. Par exemple, si l’on prévoit une activité canoë dans un camp de jeannettes (les 8-11 ans), nous devrons d’abord immobiliser le prix de la prestation et, si elle n’a pas lieu, rembourser directement les parents. Aujourd’hui, cette obligation est valable entre le prestataire et nous. »


La faillite des petites associations


Si les SGDF, première organisation d’éducation populaire de France, devraient pouvoir faire face budgétairement, ils s’inquiètent en revanche pour les plus petites structures. « Avec cette législation, je dois mettre 80.000 euros sur un fonds de garantie bloqué le 1er juillet… sauf que je ne les ai pas en trésorerie ! détaille Arnaud de Bechvel, président de Vitacolo, une association qui propose une soixantaine de colonies de vacances pour environ 1000 jeunes par an. La transposition de la directive Travel explique que cela garantira que je rembourse des parents qui réserveraient un séjour et n’enverraient finalement pas leur enfant. Ça tombe bien : je le fais déjà sans avoir besoin de mettre 10% de mon chiffre d’affaire sur un compte bloqué. Les familles que nous accueillons n’ont pas beaucoup d’argent et nous le savons. Nous pratiquons des prix accessibles à tous avec une politique d’accueil large et attentive. »


L’alternative serait de rejoindre une fédération qui prendrait en compte une partie de ce fonds. « Mais nous ne voulons pas avoir de comptes à rendre à des organismes avec lesquels nous ne partageons pas les mêmes valeurs, continue Arnaud de Bechvel. Nous sommes en lien avec des fédérations, nous échangeons pour partager des constats, des façons de fonctionner, mais de manière libre et indépendante. Nous ne voulons pas nous retrouver obligés d’orienter nos propositions de séjours parce qu’une fédération estime cela meilleure pour nous, conditionnant ainsi son soutien financier. »


Au Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC), on s’insurge aussi sur ce glissement dangereux : « D’abord, nous devrions prendre un agrément tourisme pour maintenir notre activité de camp ; or, notre mission n’est pas de proposer des camps touristiques, insiste Jean-Michel Bocquet, directeur du MRJC. Ensuite, nous aurions à rejoindre un organisme comme la Ligue de l’enseignement – ce qui serait vraiment déplacé – ou les Scouts et Guides de France – alors que nous ne sommes pas scouts… Sans compter que nous n’avons parfois pas les mêmes positions que les fédérations qui nous sont proposées. Ça n’a pas de sens. »


Une relation historiquement distante 


Surtout, Jean-Michel Bocquet, par ailleurs chercheur en sciences de l’éducation au Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation (CIRNEF) dénonce un glissement philosophique : un mouvement de jeunesse peut-il seulement avoir une activité de tourisme ? Dans un article publié sur The Conversation, co-écrit avec Cyril Dheilly, lui aussi chercheur au CIRNEF, il revient sur l’histoire de la relation entre tourisme et colonie de vacances, expliquant que leurs liens « ont toujours été ténus, mais jamais les colonies de vacances ne sont tombées à pieds joints dans le tourisme ».


« Le tourisme et les colonies de vacances furent tous deux l’apanage de la noblesse puis de la bourgeoisie. Le tourisme s’organise en industrie dès le XIXe siècle pour occuper le temps libre des bourgeois, par les bourgeois, pour les bourgeois, écrivent-ils. Les colonies de vacances, quant à elle, organisent le temps des enfants pauvres ou d’ouvriers par la bourgeoisie pour les rendre plus forts et plus sains, pour qu’ils deviennent les bons ouvriers de demain. L’hygiénisme domine, souvent dans la charité. Ce qui distingue tourisme et colonie de vacances, c’est la finalité et le public concerné. Ce qui les rapproche se révèle être le déplacement et l’utilisation du temps libre. » Depuis le XXe siècle, les chercheurs rappellent que les colonies de vacances ont été et continuent d’être un outil de politiques publiques « permettant d’aménager le territoire, de construire des mixités, de travailler sur le rythme de vie des enfants et de leurs parents ou de penser une société du care et de la paix ».


Ce qui distingue tourisme et colonie de vacances, c’est la finalité et le public concerné. 

– Jean-Michel Bocquet, chercheur en sciences de l’éducation


Or, assimiler les colonies de vacances à du tourisme, « c’est aussi, et définitivement, placer la question économique au-dessus de la question éducative, c’est officialiser que les colonies de vacances et les classes de découvertes relèvent de la Direction générale des entreprises et non plus d’une direction spécifique au sein d’un ministère dédié ». Avec un risque non négligeable : « Accepter cette transposition revient à accepter la fermeture d’associations qui organisent des séjours à des fins non commerciales, dont les modèles ne sauraient limiter les enfants à des programmes préétablis, aux risques préquantifiés. Le champ de l’animation risque d’en être non pas bouleversé mais annihilé, avec des catégories d’enfants qui n’auront plus accès aux vacances. »


Sollicité par ces associations, les équipes du Premier ministre ont répondu comprendre leurs inquiétudes et les rejoindre sur le fond. Elles plancheraient sur des solutions juridiques pour sortir de l’impasse. L’enjeu est important : les vacances d’été de centaines d’enfants en dépendent.