De l’étincelle au feu d’artifice, pourquoi le feu fascine

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Ses mots sont ceux d’un dompteur qui aurait réussi à apprivoiser un animal sauvage, effarouché et peureux. « Quand on parvient à arracher une étincelle à la pyrite, et qu’elle reste vivante, capturée dans une poignée d’amadou, c’est extraordinaire ! » Joël Barral est l’un de ces hommes qui, à mains nues, parviennent à attraper le feu. Il le piège dans un guet-apens ensoleillé de brindilles frémissantes et d’écorces craquantes. « Il faut avoir vécu ce moment où la braise se transforme en flamme entre vos doigts. C’est magique ! » 


Ingénieur dans la construction ferroviaire, cet amateur de randonnées et d’expéditions chasse le feu depuis 2009. Cette année-là, en février, alors qu’il traversait avec une amie les Vosges en raquettes, en plein hiver, par une température de – 5°C à – 15°C, il s’aperçut après trois jours de marche que les allumettes étaient inutilisables, devenues friables, et que le papier était gorgé d’humidité….

Les krouchtikis 
de Wanda

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Cela faisait quelques mois que ma mère et mon père se fréquentaient, sans jamais s’être invités chez l’un ou chez l’autre pour autant. Ils s’étaient rencontrés dans le bus qu’ils empruntaient tous les jours pour aller au travail, à Valenciennes (Nord), un salon de coiffure pour elle, une banque pour lui.


Les beignets de la rencontre


Un jour, mon père manqua à l’appel plusieurs jours de suite. L’affaire était d’autant plus inquiétante que c’était la veille de Noël. Et sa maison, cachée au fond d’une impasse de la cité Nervo, à Escaudain, n’était pas équipée du téléphone. Ma mère ne disposait que d’une adresse, crayonnée sur un petit carnet. Prenant le taureau par les cornes, elle décida, le soir du réveillon, de se rendre sur place, assistée par son père, mon grand-père Roger, qui l’accompagna en voiture. Elle fut d’abord étonnée par l’exiguïté du lieu et les cages à lapin attenantes à la petite maison. La porte s’ouvrit. En apercevant ma mère, les prunelles « wojtyliennes », bleu glacier, de Wanda, ma grand-mère paternelle, tournèrent au noir le plus orageux. Elle l’invita malgré tout à entrer, expliquant que mon père était cloué au lit par une mauvaise grippe. En attendant, elle avisa ma mère plus en détail et, le ciel de ses yeux s’étant éclairci, elle ouvrit les portes du placard pour en sortir un saladier de krouchtikis, des beignets de carnaval très populaires en Pologne, son pays d’origine…


Je n’ai pas connu Wanda, ma grand-mère polonaise, morte assez jeune du cancer. Pourtant, j’ai hérité de la rondeur de son visage et, selon mon père, de la malice de son regard. De son caractère entêté, aussi. D’elle, il ne me reste qu’un visage, dont elle m’a transmis quelques traits, et quelques photos, rares, en noir et blanc. Et puis le goût des krouchtikis.


Parce qu’ils voulaient que leurs trois fils réussissent, s’intègrent au mieux dans la société française, mes grands-parents polonais n’ont pas cherché coûte que coûte à les maintenir dans la culture de leur pays d’origine, qu’ils avaient pour ainsi dire fui à cause de la grande pauvreté, du manque de perspectives d’avenir et de la pression permanente que signifiait le fait de vivre sous l’Occupation. Ils venaient tous deux de la partie occupée par l’Autriche, prise en étau entre la part prussienne et la part soviétique. Il était officier dans l’armée polonaise, elle, actrice et chanteuse dans une petite troupe de théâtre. Arrivé en France à la fin des années 1920, il fut embauché dans la sidérurgie, en Lorraine, puis il migra dans le Nord, où ils se rencontrèrent et se marièrent, à Denain, en 1930.


Le témoin vivant du passé


Chez eux, on parlait la langue maternelle, mon père et ses deux frères allaient au catéchisme polonais, on écoutait l’orchestre Kubiak, formation familiale qui réchauffa les cœurs de milliers d’expatriés rassemblés dans les froides cités minières du Nord et de la Lorraine. On était pauvres, on mangeait du bortsch et des galettes de pomme de terre. Mais on se réjouissait que les enfants apprennent le français à l’école de la République, en espérant qu’ils cueillent un jour les fruits des sacrifices imposés par l’exil.


Au fil du temps, les racines se sont asséchées, et les souvenirs se sont effacés. De mon histoire familiale, il reste si peu de choses que le goût des krouchtikis n’en est que plus précieux. Il est pour ainsi dire la seule passerelle vers ce passé en forme de texte à trous. Car je sais que les mains de cette grand-mère inconnue ont pétri ce mélange de farine, de sucre, de vanille et de beurre, que, de la pointe d’un couteau, elle leur a donné cette forme rectangulaire avant de les nouer, de les jeter dans la friture, puis de les saupoudrer de sucre. Peut-être même a-t-elle, comme je le fais systématiquement, grignoté un petit morceau de pâte crue. Et je devine son plaisir, dans cette maison où l’on manquait du nécessaire, à confectionner ce superflu dans lequel viendraient piocher six petites mains ou les doigts impatients d’invités impromptus. Des doigts comme ceux de sa future belle-fille, qui, en acceptant ce krouchtiki dont elle garde encore un souvenir ému, scella, une nuit de Noël, une sorte de pacte silencieux dont je suis l’héritière.

Les krouchtikis ?de Wanda
© Gérard Dubois pour La Vie


La recette :



Ingrédients, 
pour 30 pièces :

300 g de farine

1 paquet de levure chimique

1 paquet de sucre vanillé

50 g de sucre semoule pour 
la pâte + 50 g pour le saupoudrage

1 pincée de sel

2 œufs

2 cuillères à soupe de lait

1 cuillère à soupe de rhum (facultatif)

100 g de beurre pommade

Huile pour friture


Préparation : 20 minutes

Cuisson : quelques minutes


Dans une jatte, mélangez la farine, la levure, le sucre, le sucre vanillé, le sel, les œufs, le lait (et le rhum).

Incorporez le beurre, pétrissez, puis étalez la pâte (1/2 cm d’épaisseur) sur une surface farinée.

Découpez des petits rectangles 
de 5 x 2,5 cm. Pratiquez une fente au milieu de chacun. Faites passer un des petits côtés par la fente de façon à obtenir un nœud papillon.

Faites chauffer l’huile de friture. 
Dès que la température est bonne, plongez-y les beignets, au fur et à mesure. Laissez-les dorer quelques minutes, puis égouttez-les et saupoudrez-les de sucre semoule.

Déposez-les ensuite dans un grand saladier tapissé d’un tissu.