Platini, San-Antonio et les escargots de Bourgogne

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Déjeuner en paix ? Et puis quoi encore ? Quand la cuisine fait office de sas d’entrée et de sortie de la propriété familiale, de centre de commande pour un nombre fluctuant d’enfants et d’adultes au rythme de vie désynchronisé – certains travaillent, d’autres sont en vacances ou passent dire bonjour –, quand elle sert de vestiaire, de pharmacie, de buanderie, de comptoir, de salle de télévision et de salon de lecture (Le Bien public, tous les jours, l’Almanach ­Vermot et parfois – bingo ! – un San-Antonio ou un OSS 117 oubliés là par un oncle distrait), à quoi bon s’énerver ? On s’y fait. Surtout quand on a 10 ans et qu’on est en vacances chez ses grands-parents.


Alors, on observe les adultes en caressant le chien et en buvant sa grenadine, on les regarde entrer, sortir, on les écoute causer, se contredire, s’embrouiller ou commenter « les informations ». De temps en temps, on relance la machine sans qu’ils s’en rendent compte (« Pourquoi t’aimes pas Mitterrand, tonton ? »). Bref, on rigole bien et on apprend plein de choses. Mais on mange tout de même aussi vite que possible pour ressortir avec les cousins et s’entraîner à reproduire au fond de la cour ou sur le terrain municipal les exploits de Platini et Rocheteau. Il y aura toujours quelqu’un qui saura vous retrouver pour le dessert.


Attention à la pauchouse


Vu le mouvement et le nombre de personnes passant par là, l’intendance doit suivre. Mais on est en Bourgogne, en Côte-d’Or, au-dessus de Nuits-Saint-Georges : tout le monde ici a une conscience aiguë de ce qu’il mange et de ce qu’il convient de boire avec. On est bien élevé, mais malheur à celui ou celle qui aura failli dans ce domaine ! Dix ans après, on parlera encore, comme en passant, d’une pauchouse approximative ou de la tristesse d’un plateau de fromages ; et mon grand-père n’est pas du genre à oublier un passetoutgrain indigne qu’on lui aura servi sans y prendre garde.


Comment nourrir toute cette communauté sans fâcher personne ? C’est qu’il s’agit d’assurer à la fois la quantité – 8, 12, 15 personnes ou plus selon les saisons – et la qualité… Ici, les framboises n’arrivent pas d’Espagne ou de Pologne en barquettes de 125g mais par seaux entiers de chez le voisin, et la crème fraîche se sert à la louche.


Une douzaine, pas moins


Prenez les escargots, plat local s’il en est. La moindre des choses est d’en servir une douzaine à chaque convive pesant moins de 50kg, d’en prévoir une et demie pour la tranche 50-70kg, et deux pour les autres. Convertissez en coquilles – des vraies, pas ces déprimants godets en céramique qui se sont imposés un peu partout – et vous aurez une idée du tableau au moment de la préparation de ce grand classique. Tout est affaire d’organisation. Autour de la grande table centrale, sur laquelle s’étalent des plats vides gigantesques, des montagnes de coquilles et des monceaux de victuailles, ma grand-mère et quelques-unes de ses filles écrasent, mélangent, triturent et, les mains luisantes, bourrent les coquilles tout en bavardant et en commentant les écarts de l’une ou de l’autre (« Mais arrête avec le sel ! », « Mets-en encore, il faut que ça dépasse ! »).


L’exécution est délicate mais la philosophie générale est plutôt simple : du beurre, encore du beurre, toujours du beurre… la formule d’Auguste Escoffier, le « roi des cuisiniers », n’a d’ailleurs pas besoin d’être formulée ou discutée. Elle va de soi. À l’époque, la mauvaise conscience lipidique était encore un truc de Parisien. Parfois, quelqu’un entre dans la pièce, donne un coup de main pour une douzaine de coquilles. Lui aussi gardera pendant plusieurs jours les doigts imprégnés de sucs d’ail.


Je ne crois pas avoir jamais commandé d’escargots dans un restaurant. D’abord, parce qu’ils sont souvent proposés par six, ce qui aurait fait s’étouffer d’indignation (ou de rire) ma grand-mère. On n’a pas encore inventé le vin servi dans un dé à coudre ! Ensuite, parce que 90% des escargots qui sont servis aujourd’hui en France sont importés de Pologne ou de Roumanie. Chez nous, ils ont été décimés par les pesticides. Je n’ai rien contre les éleveurs d’escargots polonais ou roumains, et je salue même leur esprit d’entreprise. Simplement, l’idée de devoir importer l’essentiel d’un plat du terroir m’afflige. Peut-être aussi que j’idéalise les escargots de Bourgogne du début des années 1980. À moins que les escargots n’aient rien à voir là-dedans. Parce que, entre nous, San-Antonio, Mitterrand, Platini et Rocheteau, ça avait tout de même une autre gueule que les demi-sel d’aujourd’hui…

Platini, San-Antonio et les escargots de Bourgogne
© Gérard Dubois pour La Vie


La recette :



Ingrédients pour 8 douzaines d’escargots :
Pour le court-bouillon :

5L d’eau

2 bouteilles et demie de vin blanc

16 échalotes

10 gousses d’ail

2 carottes

1 bouquet de persil

2 brins de thym et 2 feuilles de laurier

sel et poivre
Pour le beurre d’escargot :

800g de beurre doux

150g d’échalotes hachées

50g d’ail haché

30g de sel

120g de persil haché


Préparation : 30 min
Cuisson : 3 h 30 + 8 min


Préparez le court-bouillon.

Plongez les escargots (dégorgés) dans l’eau bouillante durant 3h30. Écumez régulièrement.

Une fois cuits, décoquillez-les à l’aide d’une aiguille, enlevez l’extrémité noire et faites-les revenir à la poêle avec du beurre et des échalotes (sans faire rissoler !). Réservez. Lavez les coquilles et faites-les sécher.

Préparez le beurre d’escargot. Travaillez le mélange à la fourchette.

Mettez-en un peu dans le fond de la coquille, puis placez l’escargot. Remplissez jusqu’au bord et tassez.

Disposez les coquilles dans un plat allant au four, en les calant les unes contre les autres pour qu’elles ne se renversent pas.

Faites cuire 8 minutes à four bien chaud.

Servez bouillant avec un verre de bourgogne aligoté.

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