Être père et mère : un bonheur si naturel. Sauf exception.

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Dans le premier Donne-moi des fils ou je meurs (Grasset) de Maud Jan-Ailleret, la femme se montre impuissante à garder la vie en elle ; dans le second Pater dolorosa (Le Passeur) de Jérémie Szpirlglas, elle choisit de l’arrêter. Dans les deux cas, une réflexion intense sur le sens de la vie, la fécondité, le handicap.


Du point de vue de la mère


Une jeunesse dorée, une idylle née sur les bancs de la fac, qui vire à l’amour de toute une vie, un mariage, le bonheur à deux. Mais le conte de fée s’arrête là pour Laure, l’héroïne du roman de Maud Jan-Ailleret. Orpheline de mère à 13 ans, elle enchaîne les fausses couches. Une première, une deuxième, une troisième… Sur la tombe de sa mère, une prière s’élève, les bribes d’un Notre Père douloureux : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel… Pourquoi ? Pourquoi ? T’es là ? Dieu, t’es là ? Parle-moi… Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? » Après des mois d’errance, le diagnostic tombe, brisant son rêve de famille nombreuse : « translocation robertsonienne ». 


Avec talent, Maud Jan-Ailleret évoque ce tabou des fausses-couches, l’impuissance et la maladresse de l’entourage.


Une anomalie génétique rare, qui ne laisse que 30% de chances de mener une grossesse jusqu’au bout, de manière aléatoire. Une explication, à défaut de consolation. Le temps passe et transforme sa quête de maternité en obsession. Jusqu’à friser l’hystérie. Faut-il tenter de nouveau ? Son couple résistera-t-il ? Avec talent, Maud Jan-Ailleret évoque ce tabou des fausses-couches, l’impuissance et la maladresse de l’entourage, les interlocuteurs plus ou moins heureux qui jalonnent le parcours médicalisé, la détresse grandissante qui se meut en plaie béante dont la douleur est ravivée par les grossesses si naturelles des autres.


Du point de vue du père


Pour une suspicion de trisomie, une IMG sonne le glas de la grossesse. On croit régler un problème et mille autres surgissent. Derrière l’acronyme aseptisé, la réalité et les lendemains douloureux que l’hôpital ne prend pas en charge. Que dire au grand frère candide ? Que le bébé était « malade » ? Et alors ? Alors on n’a pas voulu le garder ? Vers qui se tourner quand on n’est pas croyant ? Comment incriminer la science quand on croit dans le progrès ? Et pourtant… et pourtant, il y a ce doute qui taraude, que les séances de psy ne parviennent à dissiper. Une ombre plane. Il y a ce jour de la naissance si on l’avait laissé vivre. 


La confusion du père, saisi par ce vertige de l’homme capable de s’ériger en maître de la vie et de la mort.


Et puis ce jour effroyable où l’on croise un trisomique dans la rue, au rire cristallin. Heureux. Et ces nuits peuplées de cauchemar. Et les fausses couches qui s’enchaînent, comme autant de vengeances de la Nature. Les cœurs se ferment ; dans le lit conjugal, les corps s’éloignent. Jusqu’à l’accusation, à l’instar du premier couple : « C’est de ta faute ». Enfin, une nouvelle grossesse, marquée par la farouche décision de la mère de la mener à terme. Et la confusion du père, saisi par ce vertige de l’homme capable de s’ériger en maître de la vie et de la mort : « Pourquoi garder celui-ci, alors qu’on s’est séparé de Lou ? Injustice. » Livré du point de vue du père, ce récit de Jérémie Szpirlglas évoque la réaction masculine à ce tsunami émotionnel. Son impuissance face à sa compagne qui s’enfonce dans la dépression, sa culpabilité – il le reconnaît : il ne se sentait pas capable de supporter le handicap de son enfant. Expression de sa confusion, il dépeint les pensées contradictoires qui s’entrechoquent dans son esprit et ne trouvent à s’épancher.