Alzheimer, le droit au bonheur

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Metteuse en scène, Colette Roumanoff dirige depuis 26 ans une compagnie de théâtre qui porte son nom. De 2004 à 2015, elle accompagne Daniel, son mari, malade d’Alzheimer. En 2009, elle partage son expérience sur alzheimer-autrement.org, puis en 2010, elle lance des « ateliers théâtre pour les soignants et aidants Alzheimer ». En 2014, elle écrit avec sa fille Valérie la Confusionite (www.laconfusionite.com)une pièce que sa compagnie joue à la demande d’associations, notamment. Elle publie début septembre L’homme qui tartinait une éponge (La Martinière), préfacé par Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. C’est son troisième ouvrage sur le sujet, après le Bonheur plus fort que l’oubli (Michel Lafon, 2015) et Alzheimer. Accompagner ceux qu’on aime (et les autres) (Librio, 2017).


L’homme qui tartinait une éponge, le titre de votre livre, dit d’emblée l’incongruité de la maladie.


Il faut expliquer ce titre. C’est une histoire vraie extrêmement parlante. Une femme retrouve son mari en pleine nuit, dans la cuisine, en train de tartiner une éponge. Elle pousse un grand cri, plonge dans une sidération immense, qui l’empêche de se demander : « Pourquoi fait-il cela ? » Avec du recul, elle devinerait que c’est parce qu’il a faim, lui donnerait une pomme ou quelque chose qui se mange.


Dans votre analyse, vous concluez : « Ce n’est pas la peine d’en faire un drame. » N’est-ce pas minimiser ?


Avec Alzheimer, il faut apprendre à relativiser les situations, à changer de point de vue et à inventer d’autres manières de prendre les problèmes. Sinon vous n’en sortez pas, vous répétez les choses, et cela n’arrange rien. Je suggère à l’épouse de faire disparaître les éponges sous l’évier pour qu’elles ne prêtent pas à confusion dans l’esprit de son homme affamé, à qui il manque des neurones. Quand on identifie l’élément perturbateur, il devient en général assez simple de le faire disparaître. Ce type d’incident doit servir de repère à un nouvel ordre des choses, à un nouveau mode d’emploi de la vie quotidienne.


Comment décrivez-vous cette maladie ?


C’est une maladie de la gestion des informations et un processus de « dés-apprentissage » continu. Le cerveau du malade passe par paliers de celui d’un enfant de 10 ans à celui d’un nourrisson. Ce qui ne signifie pas qu’il devient un nourrisson, il conserve son vécu, son histoire. Mais les moyens dont il dispose sont ceux d’un enfant, et il peut voir le monde comme un petit de 2 ans, ça fait des situations tout à fait charmantes. Combien de fois me suis-je émerveillée avec Daniel sur ce qu’il avait trouvé, sur ce qu’il faisait…