Jeunes profs, première classe

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Ce métier, ils l’ont choisi par passion, mais le trac ne les épargne pas pour leurs débuts. Sentiment de solitude, pression, doutes, inadéquation de leur formation… Le tableau que les professeurs titulaires brossent de leur entrée dans le métier n’est pas rose. Il serait même… noir, à en croire l’enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage publiée par l’OCDE en 2013. Près de 40 % des enseignants français déclarent se sentir insuffisamment préparés dans le volet pédagogique de leur métier. C’est la proportion la plus élevée parmi les 34 pays sondés.


Ce constat, Clarisse Couquet, jeune professeure des écoles titularisée cet été, ne le dément pas. « Nous sommes trop vite lancés sur le terrain, déplore-t-elle. Nous n’avons pas le temps d’assimiler le métier que nous l’exerçons déjà ! » Même son de cloche du côté des enseignants du secondaire : « Il n’y a rien de plus violent que de se retrouver face à une classe sans préparation, témoigne Thibault Crépin, professeur de 27 ans formé dans l’académie d’Orléans-Tours. Notre première heure de classe, nous la faisons seul, sans formation. Or, c’est là que nous prenons contact avec nos élèves, que nous instaurons une discipline pour l’année, que nous construisons face à la classe notre autorité professorale. » Depuis une vingtaine d’années, l’État multiplie les réformes pour professionnaliser la formation des nouveaux enseignants. Sans parvenir à réellement les préparer à exercer. 


Aujourd’hui, le concours s’obtient après une première année de master, spécialisé ou non dans l’enseignement. Une fois obtenu le concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) pour le premier degré ou le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes), commence pour les professeurs débutants une année de stage en alternance, durant laquelle ils passeront autant de temps à l’université que dans un établissement. Cette « plongée dans le grand bain sans brassards » décrite par Clarisse Couquet ne favorise pas une entrée sereine dans le métier. Formatrice en ressources humaines et sociales à l’école supérieure du professorat et de l’éducation (Éspé) de Paris, Agathe Nguyen ne le nie pas : « Je ne connais pas un seul autre métier où l’on vous demande de tout savoir, tout de suite. Dès le premier jour, les enseignants stagiaires doivent à la fois gérer des élèves et leurs parents, mener des séances d’apprentissage abouties, mettre en place la différenciation, etc. »


Prendre du temps en amont


La solution reposerait-elle sur un temps de formation post-concours plus long ? C’est en tout cas ce que préconise la formatrice : « Prendre du temps en amont est nécessaire. Il permettrait aux stagiaires d’observer des collègues dans différents contextes, d’apprendre à penser des séances avant de les mener, d’acquérir un esprit analytique de la pratique avant d’être dans la pratique. » Cette hypothèse de réorganisation a d’ailleurs été soumise au ministère de l’Éducation nationale, qui y réfléchit.


En 2013, le gouvernement avait tenté de détruire cette réputation d’enseignement purement théorique qui collait à la peau des IUFM, devenus depuis Éspé : transmission d’un savoir-faire professionnel avec des situations concrètes d’enseignement, formateurs issus de milieux universitaires et de l’enseignement scolaire, instauration d’une culture commune à tous les professionnels de l’éducation pour créer un effet corporatif et prise en charge de la formation continue pour permettre aux enseignants expérimentés de se tenir informés des innovations pédagogiques.


Des résultats mitigés


Cinq ans plus tard, les résultats escomptés sont mitigés selon le niveau d’enseignement, comme le constate Margaux Berthezene, professeure de français depuis deux ans dans un collège à Bondy, en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+). « Dans le second degré, l’accent est mis davantage sur la matière que sur la pédagogie, alors que le premier degré a intégré cette dimension depuis longtemps », déplore la jeune femme, pour laquelle enseigner a toujours été une vocation. La répartition complexe de la formation entre les différents acteurs professionnels pourrait-elle en être la cause ? Depuis 2005 est conféré aux universités traditionnelles le soin d’enseigner aux futurs professeurs la partie disciplinaire de leur métier, aux Éspé la partie pédagogique de l’apprentissage, et au rectorat une partie de l’encadrement des stagiaires sur le terrain par le biais de collègues tuteurs. 


Cette distribution est simplifiée dans le premier degré, ce qui permet aux étudiants de n’avoir que deux interlocuteurs : l’Éspé et le rectorat. Il est ainsi rendu possible de se dégager des cours théoriques disciplinaires (maths, français, etc.), considérés comme acquis par la certification du concours. Bien qu’ils varient d’une Éspé à l’autre, les cours du premier degré détonnent par leur nouvel engagement didactique. « Cette année, nous étions souvent dans la position des élèves en cours. Nos formateurs nous poussaient à expérimenter ce que nos élèves pouvaient ressentir pour mieux y faire face en classe » , souligne Clarisse Couquet. Un bémol à la clé, selon elle : ne pas avoir assez expérimenté la position de l’enseignante, pour mieux travailler sa posture et sa gestion de groupe…


Difficile dans un temps de formation si court de répondre à toutes les problématiques auxquelles seront confrontés les enseignants. « L’Éspé est un monde parallèle qui ne nous prépare pas à la réalité du terrain, relève Margaux Berthezene. Lors de notre première année, nous sommes affectés dans des établissements réputés ou calmes, qui ne correspondent pas aux établissements dans lesquels nous serons affectés en début de carrière. » Et Thibault Crépin de renchérir : « J’ai eu la sensation que mon année de formation ne m’a servi en rien. Aujourd’hui, je me retrouve avec des élèves qui ne sont pas disponibles pour l’apprentissage, dans une classe surchargée. Comment faire cours à 35 élèves issus de contextes sociaux compliqués, dont certains ne parlent pas le français, d’autres sont dyslexiques ou autistes, mais avec le même objectif de préparation au brevet, sans avoir été formé à ces situations particulières ? » Comme lui, beaucoup attendent une réponse à cette question.


Une école plus inclusive


En 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a en effet permis à des milliers de jeunes handicapés de suivre une scolarité normale. Une belle avancée pour l’école républicaine qui se veut plus inclusive. « Mais la formation n’a pas suivi, regrette Agathe Nguyen. Il y a 10 ans, il y avait un à trois élèves par école qui relevaient du handicap. Aujourd’hui, nous sommes à un à trois par classe ! » Or, par manque de temps et de moyens, ces formations « atypiques » restent optionnelles. Pour un jeune professionnel, que choisir, entre l’option « élèves en situation de handicap », « troubles spécifiques des apprentissages », « enseigner en Rep », sachant qu’il aura besoin de chacune de ces compétences sur le terrain ? 


Du manque de formation au taux croissant de démissions des professeurs stagiaires (+3 % en trois ans), il n’y a qu’un pas, que se refuse pourtant à franchir Agathe Nguyen. Si la formatrice spécialisée dans le premier degré désapprouve le manque de réponses institutionnelles au phénomène (cellule d’écoute, rendez-vous avec un médecin du travail ou un conseiller d’orientation), les raisons restent pour elle multiples. « Avec le basculement de la titularisation en bac +5 en 2010, la vision du métier a beaucoup changé. De fait, les profils des stagiaires ne sont plus les mêmes. Nous sommes face à des personnes qui n’ont pas eu de difficulté scolaire pour arriver à ce niveau. Ces enseignants se retrouvent face à des types d’élèves dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence, pour une rémunération beaucoup plus basse qu’escompté. »


Pour Margaux Berthezene, la solution est du côté de la reconnaissance professionnelle. « Nous sommes vus comme des fainéants, alors que la charge psychologique et humaine du métier est incompréhensible pour qui ne l’exerce pas, nuance-t-elle. Il faudrait revaloriser le statut d’enseignant. Cela commence sans aucun doute par une meilleure formation. » Qui, en plus du bagage académique, donnerait une large part au savoir pédagogique, à l’observation et à une prise de responsabilité progressive.


« Nous allons devoir tout construire »


« Devenir enseignant n’a pas été un choix par défaut. Néanmoins, à l’approche de ma première rentrée, j’angoisse un peu ! Je suis affecté en maternelle et je manque cruellement de repères pour ce niveau – j’espérais être en élémentaire. Même si j’ai déjà réalisé un stage en petite et moyenne sections, je n’ai jamais assisté à une rentrée, avec son lot de pleurs et de parents inquiets… De plus, je pensais être en binôme avec une enseignante titulaire qui aurait pu me guider. Or nous serons un binôme de deux professeurs stagiaires ! Nous allons devoir tout construire à deux débutants sans expérience. Heureusement, nos futures collègues nous ont transmis leurs préparations et nous savons que nous allons pouvoir compter sur elles pendant l’année. »

Romain Dugord, 25 ans, professeur des écoles stagiaire.


« Enseigner n’est pas inné »


« Travailler auprès des jeunes enfants m’a toujours semblé naturel. Je me suis d’abord orientée vers la psychologie avant de mieux trouver ma place en tant qu’enseignante. Mon année de stage n’a pas été facile. Certes j’ai eu le sentiment que l’on m’avait lancée dans un bassin en me disant “Nage !”, mais je connaissais bien la maternelle, j’ai donc agi essentiellement par instinct. Pour moi, les difficultés commencent car je ne me sens pas armée pour affronter l’élémentaire. Nous n’avons reçu qu’une formation sommaire sur ces classes. Enseigner ne devrait pas être considéré comme inné. »

Clarisse Couquet, 23 ans, professeure des écoles titulaire en première année.


« Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu ! »

Fierté d’exercer, charge émotionnelle, manque de reconnaissance… que ressent le « maître » ou la « maîtresse » ? Depuis la fin du XXe siècle, ce corps de métier spécialisé dans l’enseignement de la maternelle à l’école élémentaire a connu bien des mutations. En 1989, le terme de professeur des écoles a officiellement évincé celui d’instituteur, bien que ce dernier perdure dans l’imaginaire collectif. Deux chercheurs en sciences de l’éducation sont allés à la rencontre de 70 enseignants exerçant dans différents contextes. Ils nous livrent un ouvrage dressant un portrait fidèle à la réalité d’un métier encore trop peu connu du grand public.


À lire


Professeurs des écoles au XXIe siècle, d’André D. Robert et Françoise Carraud, Puf, 24€.