Marie-Andrée Blanc : “Les enfants ont besoin des grands-parents”

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Quels rapports les grands-parents d’aujourd’hui entretiennent-ils avec leurs petits-enfants ?


Les grands-parents, qui le deviennent en moyenne à 55 ans, appartiennent à cette génération dite « sandwich », entre 45 et 65 ans : encore en activité professionnelle, ils aident leurs jeunes adultes d’enfants, ainsi que leurs propres parents. Avec leurs petits-enfants, leur parole n’est pas celle des parents. Peut-être répondent-ils avec davantage de quiétude à leurs questions. L’éducation scolaire, souvent vecteur de stress, relève du champ des parents. Les grands-parents qui n’en ont pas la charge sont davantage là pour chouchouter ! L’affection est sans condition et réciproque : plus du tiers des petits-enfants souhaiteraient voir leurs grands-parents davantage.


L’après Covid-19 : “Nous, grand-parents investis, voulons être entendus”


Les parents n’attendent pas de leurs propres parents une transmission explicite de valeurs. De quoi décevoir ces derniers quand ils sont chrétiens !


Les grands-parents laissent peut-être plus que par le passé la liberté à leurs enfants quant à la pratique religieuse. S’ils peuvent être le fil conducteur d’un témoignage, ils ne l’imposent pas. Néanmoins, la transmission de valeurs, de convictions, d’une vision du monde s’avère importante pour 47,8% des sondés. Les hommes ayant répondu à l’enquête y sont d’ailleurs davantage sensibles que les femmes, qui, elles, privilégient le partage d’activités et le simple temps passé ensemble.


Le jour où je suis née grand-mère


Il demeure une constante sociologique : la lignée maternelle est davantage privilégiée par rapport à la lignée paternelle. Quelles en sont les raisons ?


Plusieurs facteurs l’expliquent. Le premier réside dans le fait que la relation avec les enfants demeure genrée : les liens sont souvent plus marqués entre une mère et sa fille. La jeune mère a donc naturellement tendance à confier l’enfant à ses propres parents plutôt qu’à ses beaux-parents. Une autre hypothèse est liée à l’âge : les hommes ayant leur premier enfant plus tard, leurs parents sont plus âgés et seraient moins impliqués. Ce contraste est frappant dans les milieux populaires, où la grand-mère maternelle joue un rôle prépondérant. Mais il peut exister des raisons d’éloignement géographique ou de mésentente, évoquée dans 10% des cas. Il faut d’ailleurs souligner le cas des séparations, des recompositions familiales, qui font entrer un ou deux couples supplémentaires de grands-parents, ainsi que le veuvage. Quelque 5% d’enfants ne voient jamais leurs grands-parents ; et la même proportion les voit « une fois par an ou moins ». Certains petits-enfants sont privés de leurs grands-parents paternels. Or il est important que ce lien perdure : pour se construire, les enfants ont besoin d’eux.


Les grands-parents ouvrent à un ailleurs et élargissent l’horizon de la seule famille mononucléaire.


Les grands-parents sont d’ailleurs plébiscités en tant que « vecteurs de mémoire »…


La transmission est au coeur des fonctions de la famille. Les grands-parents y jouent un rôle essentiel. À leur insu parfois, ils transmettent une culture, une vision du monde, une manière de faire et d’être, des centres d’intérêt, qui enrichissent l’enfant. Ils ouvrent à un ailleurs et élargissent dans la confiance l’horizon de la seule famille mononucléaire.


Grands-parents, on vous attend !


D’un point de vue plus pratique, la moitié des sondés ont reçu une aide financière des grands-parents. Une aide déterminante ?


Actuellement, le premier poste de dépense d’une famille est le logement. Devenir locataires suppose une caution. Or pour beaucoup, notamment les jeunes, mais pas seulement (en raison des aléas de la vie : divorce, chômage, autoentrepreneuriat…), ce sont les parents qui se portent garants. Quelque 65% des bénéficiaires de ce coup de pouce dans leurs dépenses de loyer l’ont jugé indispensable. De la même manière, d’après notre enquête, plus de la moitié des grands-parents contribuent à accéder à la propriété, notamment par des donations. Ils aident également dans les dépenses de la vie courante, ainsi que pour financer la scolarité ou les études de leurs petits-enfants.


Mais tous ne le peuvent pas…


C’est toute la problématique du fossé qui se creuse avec les foyers les plus démunis, dont les grands-parents eux-mêmes sont modestes. Une double peine, puisque l’accès à la propriété représente également une forme d’ascension sociale. C’est toute la raison d’être d’une politique familiale digne de ce nom : donner des moyens forts aux familles, afin d’inspirer confiance et faire en sorte que la charge d’enfants ne soit pas pénalisante.


La solidarité familiale compte énormément et fait la différence.


En ce qui concerne la garde des enfants, les grands-parents restent aussi un recours, en cas de SOS ponctuels comme d’aide plus pérenne.


Tant que les parents auront cinq semaines de congés annuels et les enfants seize semaines de vacances scolaires, le problème se posera ! En cas d’imprévu, d’enfant ou de nourrice malade, on se tourne vers les grands-parents. En outre, 53% d’entre eux accueillent leurs petits-enfants le mercredi et plus des trois quarts pendant les vacances. Il faut dire que le reste à charge demeure important pour les colonies de vacances ou les centres de loisirs sans hébergement, surtout dans le cas d’une fratrie. Il existe des aides de la Caisse d’allocations familiales, mais elles sont méconnues et le dossier rebutant ; beaucoup de familles renoncent, et le budget n’est pas utilisé.


Comment le confinement a-t-il été vécu par les familles ?


J’aimerais souligner que les parents ont été très respectueux du confinement, très attentifs à enseigner les gestes barrières aux enfants. La famille a parfaitement rempli son rôle, car c’est en son sein que sont enseignées les premières règles de vie en société. Les grands-parents ont été protégés par leurs descendants : pour éviter de leur transmettre le virus, le confinement a été observé. Une fois que celui-ci a été levé, les familles habitant à moins de 100 km se sont retrouvées. Les outils numériques ont quelque peu pallié l’absence. Mais d’une part il existe encore des déserts numériques, beaucoup de zones blanches. D’autre part, si le téléphone, les SMS ou les visioconférences permettent de garder le contact, ces outils ne sont pas créateurs de lien. Rien ne remplace la rencontre, le partage d’un repas, les activités à quatre mains…


Malgré la crise sanitaire, les trésors d’inventivité des grands-parents pour garder le lien


Une leçon à en tirer ?


La solidarité familiale compte énormément et fait la différence. Les grands-parents regrettent d’avoir été privés de leurs petits-enfants pendant huit semaines ou davantage, pour ceux que séparent plus de 100 km. Gageons que cet été sera l’occasion de belles retrouvailles, où l’on prendra soin les uns et des autres, plus que jamais.


Une enquête nationale sur les grands-parents

La dernière enquête de l’Insee évalue à 15,1 millions le nombre de grands-parents en France en 2011, avec une part plus importante de grands-mères (8,9 millions) que de grands-pères (6,2 millions). L’enquête du Réseau national des observatoires des familles (Unaf) a concerné 17000 allocataires Cnaf, parents d’enfants mineurs, interrogés entre mars et avril 2019. Elle compile les attentes des enfants adultes à l’égard de leurs parents devenus grands-parents. Deux tiers d’entre eux souhaitent que s’établisse un lien fort avec les petits-enfants, notamment par le fait de passer du temps ensemble. Les grands-parents demeurent des soutiens importants, tant pour les services rendus que pour l’aide financière qu’ils peuvent apporter. 

Les “Jeunes pour la paix” de Sant’Egidio croient à l’amitié avec leurs aînés

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Tisser des liens d’amitié avec les personnes âgées, c’est l’ambition qui motive une majorité de Jeunes pour la paix, mouvement laïc composé de collégiens, de lycéens et d’étudiants relié à Sant’Egidio. Cette communauté catholique, fondée à Rome en 1968 et présente dans 74 pays, est engagée dans la lutte contre la pauvreté et mène des actions en faveur de la paix dans différentes régions du monde. Outre une attention aux personnes de la rue (des maraudes sont organisées régulièrement) et aux enfants, elle combat la solitude des aînés.


Le rôle essentiel des visites


C’est auprès de ceux-ci qu’Iphigénie, 20 ans, s’investit particulièrement depuis la fin de ses années de collège : « On se rend une fois par semaine dans des maisons de retraite, car tous les pensionnaires n’ont pas de famille ou d’amis », explique l’étudiante en biologie. Lors de leurs rencontres hebdomadaires, des jeux et des balades sont proposés : « On leur apporte de la tendresse et, surtout, on leur montre que l’on a du temps pour eux », confie-t-elle. C’est bien le temps qui manque aux soignants, trop accaparés par les soins quotidiens. « Leur charge de travail est énorme, observe Hugo, 18 ans, étudiant en médecine, engagé depuis cinq ans dans le mouvement. De fait, les liens d’amitié sont difficiles à construire dans ces conditions. » Amaury, 20 ans, étudiant au cours Florent, abonde : « L’amitié joue un rôle capital dans nos vies et encore plus pour ces résidents en Éhpad. Nos visites permettent de briser la solitude ou, en tout cas, leur évitent de s’y enfermer. »


Un désarroi aggravé par la crise


Avec l’apparition du coronavirus, la plupart des maisons de retraite ont fermé, début mars, suspendant le droit de visite : « Nous avons écrit des lettres à nos amis pour les rassurer et leur dire que nous gardions le contact, détaille Hugo. Nous avons aussi enregistré des vidéos, pour leur parler, et, grâce à des animateurs restés sur place, certains ont répondu. » Il nous montre une vidéo sur son portable : « Regardez, c’est Jacqueline, ma “grand-mère”… enfin, une des personnes avec lesquelles je suis devenu ami. » Dans un autre Éhpad, Amaury a maintenu le lien avec Hélène, qui maîtrise très bien les réseaux sociaux : « Je suis même allé me poster en bas de sa résidence. » Depuis le confinement, les trois jeunes ne décolèrent pas vis-à-vis de la situation dans les Éhpad. Car, fin juin, les visites d’amitié n’étaient toujours pas autorisées. « Les personnes âgées ont vécu comme en prison, seules dans leurs chambres, pendant cette épidémie, tempête Iphigénie. La société leur répète qu’elles sont un poids, et même elles finissent par le croire. Cela me brise le coeur chaque fois qu’un pensionnaire auquel je rends visite me demande pourquoi je perds mon temps à venir les voir, alors que je suis jeune. »


Face à l’isolement des personnes âgées et au manque de considération dont elles sont souvent victimes, la communauté de Sant’Egidio a lancé un « appel international pour réhumaniser nos sociétés contre une santé sélective », intitulé « Pas d’avenir sans aînés ». De leur côté, les Jeunes pour la paix multiplient les efforts, dans tous les pays où ils sont implantés, pour revoir leurs amis résidents et organiser comme chaque année l’Été de la solidarité, c’est-à-dire des séjours de vacances où ils partent en groupe avec des personnes âgées, en institution ou isolées à domicile, prenant ainsi sur leur temps de congés. « Être amis est un engagement important, et tout le monde peut le faire », conclut Amaury.


À savoir

Pour rejoindre l’Été de l’amitié et de la solidarité ou signer l’appel international « Pas d’avenir sans aînés » : santegidio.org